« La disparition de Dom Phillips et Bruno Pereira marque un basculement dans la guerre contre l’Amazonie »

Publié sur Basta! le 16 juin 2022

Le journaliste Dom Phillips et le chercheur Bruno Pereira ont disparu depuis une semaine en Amazonie, probablement assassinés. Pour l’écrivaine Eliane Brum, « ils sont les toutes dernières victimes de la guerre menée par Bolsonaro contre la forêt. »

Tôt, le lundi matin du 6 juin, j’ai été surprise par un message sur WhatsApp. On me demandait si Tom Phillips, le correspondant du Guardian au Brésil, était porté disparu dans la vallée de Javari, l’une des régions les plus dangereuses de l’Amazonie. Mon mari, Jonathan Watts, qui est rédacteur en chef de la rubrique environnement du journal britannique, vit en Amazonie avec moi. Tom, qui était chez lui à Rio de Janeiro, a rapidement répondu au téléphone. Si ce n’était pas Tom, qui avait alors disparu ? Nous avons immédiatement pensé à Dom Phillips.

La différence d’une lettre à peine dans les noms de deux journalistes qui écrivent pour The Guardian au Brésil prête souvent à confusion. Dom est un gars adorable, excellent journaliste, reporter expérimenté et responsable. Nous savions que Dom travaillait à la rédaction d’un livre sur la forêt. J’ai donc demandé à un dirigeant autochtone de la vallée de Javari de m’envoyer une photo de la personne disparue, afin que nous puissions en être sûrs. Avec l’image s’ouvrant à l’écran du téléphone, la certitude nous tordit l’estomac. C’était bien Dom. Notre Dom bien-aimé, avec le visage ensoleillé de celui qui n’a rien à cacher au monde, vêtu du vert de la forêt qui l’entourait.

La douleur est alors devenue plus poignante. Il fallait dire à sa femme, notre amie Alessandra, et à sa famille en Angleterre que Dom avait disparu depuis 24 heures. Il était également nécessaire d’informer le Guardian, le journal avec lequel Dom collabore le plus fréquemment. La personne qui voyageait avec Dom, Bruno Pereira, était l’un des leaders indigènes les plus importants de sa génération, démis de son poste à la FUNAI (Fondation nationale de l’indien) en 2019, par l’ancien ministre de la Justice Sergio Moro, pour avoir commandité une opération de répression des exploitations minières illégales. Bruno avait dû demander congé pour continuer à protéger les autochtones : sous le gouvernement de Bolsonaro, la FUNAI est devenue un organisme hostile aux autochtones.

Nous devions agir très rapidement, car nous savions que le gouvernement Bolsonaro ne ferait rien sans forte pression. Notre crainte allait bientôt s’avérer légitime : le retard délibéré du gouvernement dans la mobilisation des ressources humaines et matérielles pour retrouver les disparus est devenu une évidence dès le premier jour. « L’ordre » de déclencher les « missions humanitaires de recherche et de sauvetage » a mis longtemps à arriver. En tant que journalistes qui couvrons et vivons en Amazonie, nous savons que dans la forêt, le temps est un élément crucial. Chaque seconde compte.

Ce lundi 13 juin, je me suis réveillée d’une mauvaise nuit en apprenant que les corps avaient été retrouvés attachés à un arbre. Depuis la découverte du sac à dos, des vêtements, des bottes, restes matériels d’une vie, de gestes interrompus et de désirs, un froid s’est installé en moi, de l’intérieur vers l’extérieur, et j’ai passé la nuit à frissonner. Pour ce froid, il n’y a pas de couverture. Pour ce froid, il n’y aura jamais de couverture. Un peu plus tard, la nouvelle a été démentie. Les objets leur appartenaient, mais il n’y aurait toujours pas de corps. Au moment où nous écrivons ces lignes, nous ne savons toujours pas si les corps ont été retrouvés ou non. C’est une obscénité de plus de la situation actuelle du Brésil.

Depuis la semaine dernière, ma plus grande crainte était que les corps ne soient pas retrouvés car je partage la douleur déchirante des membres des familles de disparus politiques de la dictature militaro-entrepreneuriale que Jair Bolsonaro vante tant. Ne pas avoir de corps à pleurer, c’est la torture qui ne s’arrête jamais, c’est le deuil qui ne peut se faire et qui ne sera donc jamais surmonté. Pourtant, j’ai découvert ce lundi matin, qu’il y avait quelque chose en moi qui attendait un miracle parce que j’ai craqué. Il m’a fallu quelques heures pour rassembler ma colère et me remettre sur pied pour écrire ce texte. Et puis, j’ai craqué à nouveau devant l’horreur de ne pas savoir ce qui est vrai ou pas.

Bolsonaro en guerre contre l’Amazonie

Dom et Bruno sont probablement morts. Ils sont les toutes dernières victimes de la guerre menée par Bolsonaro contre la forêt, ses peuples et tous ceux qui luttent pour défendre l’Amazonie.

C’est ça le problème.

La disparition de Dom et Bruno n’est que la dernière violence en date dans une Amazonie piégée dans ce pays appelé Brésil, dirigé par un partisan de la dictature, des exécutions et de la torture appelé Jair Bolsonaro. Nous sommes en guerre. Et affirmer cela n’est pas de la rhétorique.

C’est désespérant de continuer à crier que nous sommes en guerre et de ne pas être compris. Parce que comprendre, ce n’est pas être d’accord, retweeter ou liker ; c’est quelque chose de plus difficile : c’est agir comme des gens qui vivent une guerre. Si, au Brésil et dans le monde, les gens ne comprennent pas cela, les vies de ceux qui se trouvent sur le sol de la forêt, avec leurs corps en première ligne, auront encore moins de valeur qu’aujourd’hui. Et lorsque les leaders des peuples de la forêt, les environnementalistes, les défenseurs et les journalistes en première ligne seront morts, la forêt le sera aussi. Sans la forêt, l’avenir sera hostile pour les enfants déjà nés. Enfants, neveux, petits-enfants, frères et sœurs de ceux qui lisent ce texte. Vos proches. Vous.

Il est indéniable que l’émoi national et international suscité par cette disparition est plus important du fait que Dom Phillips est blanc et citoyen britannique. C’est un fait facilement vérifiable si on le compare aux meurtres qui ont ouvert la saison des exécutions cette année en Amazonie, à São Félix do Xingu, la municipalité qui possède le plus grand troupeau de bétail du Brésil. Protecteurs anonymes de la forêt, sans amis influents, José Gomes, Zé do Lago, sa femme, Márcia Nunes Lisboa, et leur fille de 17 ans, Joane Nunes Lisboa, ont été peu pleurés et le crime reste impuni à ce jour. De même, en 2019, Maxciel Pereira dos Santos, collaborateur de la FUNAI depuis plus de dix ans, a été exécuté de deux balles dans la nuque sans que le monde ne bouge. Comme la plupart des crimes contre les personnes invisibilisées, le sien reste également impuni.

Ce que je veux dire, c’est que cet immense mouvement, si fort et si puissant, qui a été lancé pour Dom et Bruno, et dont j’ai fait partie dès la première minute, doit maintenant être animé par tout le monde.

Tous. Toutes. Tou.tes.

Ou nous succomberons. Ceux qui se trouvent sur le sol de la forêt, dans le sang. Ceux qui vivent dans les grandes villes du Brésil et du monde, impactées par le climat, dont la pandémie de covid-19 n’a été qu’un des premiers moments de la catastrophe.

…/… (la suite sur le site Basta!)

« LE COLLECTIF POUR UNE HISTOIRE FRANCO ALGÉRIENNE NON FALSIFIÉE » LANCE UN APPEL À SE MOBILISER CE MARDI 7 JUIN À 10H DEVANT LE CIMETIÈRE NORD DE PERPIGNAN

Comme chaque année notre collectif se mobilise pour protester contre la stèle de la honte au milieu du cimetière public PERPIGNAN à la mémoire des assassins de l’ OAS – et à laquelle se rendent chaque année à la même date les nostalgiques de l’Algérie Française et du bon temps des colonies .

Mais cette année revêt une importance particulière , car c’est une date anniversaire de la fin de cette sale guerre coloniale que l’impérialisme français menait contre le peuple algérien. Après 130 ans de colonisation et son cortège de massacres, de déplacement de population, d’expropriation des terres et de torture, le peuple algérien accédait enfin à son indépendance après 7 ans de guerre d’une brutalité extrême qui a fait des milliers de victimes en Algérie mais aussi en France : 500 000 morts, dont 400 000 musulmans, 4 000 pieds-noirs, 30 000 soldats français, entre 15 000 et 30 000 harkis.

Il nous semble d’autant plus important de dénoncer fermement par notre présence que soit autorisé dans un lieu public cette entreprise de falsification de l’histoire et que soit honorés au vu et au su de tout le monde des terroristes de l’OAS, qui ont eux mêmes condamnés à mort par la justice française !

Nous sommes dans une ville ou un maire RN n’a de cesse que d’attiser les haines entre toutes les victimes de cette guerre et qui a généreusement donné 100 000 Euros au Cercle algérianiste pour qu’il continue a distiller ses mensonges sur l’œuvre civilisatrice de la France en Algérie, en cette année anniversaire. Le devoir de mémoire n’appartient pas seulement au passé, il est un outil pour un autre avenir.

LE COLLECTIF POUR UNE HISTOIRE FRANCO ALGÉRIENNE NON FALSIFIÉE dont la LDH66 est membre

Fusillade dans une école au Texas : le combat pour mieux contrôler les armes à feu aux Etats-Unis est « perdu d’avance », prévient un spécialiste

Publié sur franceinfo le 25 mai 2022 Propos recueillis par – Louis Boy

Après le drame qui a coûté la vie à 19 enfants mardi, le président américain Joe Biden a promis d’agir et d' »affronter le lobby des armes ». Pourtant, les analystes ne s’attendent pas à un consensus politique.

Dix-neuf enfants de 7 à 10 ans et deux adultes sont morts dans leur école d’Uvalde au Texas (Etats-Unis), abattus par un tireur de 18 ans, mardi 24 mai, dix jours après une tuerie raciste dans un supermarché de l’Etat de New York. Ce nouveau drame remet en lumière la question douloureuse de l’attachement mortifère d’une partie des Etats-Unis et de certains représentants politiques aux armes à feu. 

« Quand, pour l’amour de Dieu, allons-nous affronter le lobby des armes ? » a lancé le soir même de la tuerie le président américain Joe Biden, qui a émis le vœu de « transformer la douleur en action ». Mais le président américain n’a mis aucune réforme concrète sur la table. Et les républicains n’ont montré aucun signe d’une ouverture à la moindre restriction.

Pour comprendre les blocages de la société américaine et la probabilité de les surmonter, franceinfo a interrogé Lauric Henneton, spécialiste de la société américaine et maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Versailles-Saint-Quentin.

Franceinfo :  Après cette tuerie au bilan particulièrement lourd, Joe Biden a promis d’agir et de se confronter au lobby des armes. Quelles pourraient être les mesures mises sur la table ?

Lauric Henneton : Ce sont un peu toujours les mêmes, qui se résument en deux grands points. Premièrement, le fait de réduire l’accès aux armes automatiques. Le droit de porter des armes est protégé par la Constitution, mais il y a une différence entre un petit calibre et un gros fusil automatique. Et deuxièmement, le fait d’instaurer davantage de background checks [les vérifications sur le profil et les antécédents de l’acheteur d’une arme]. Ceux-ci ne sont pas non plus la panacée. Dans le cas du Texas, le tireur venait d’avoir 18 ans, et il n’a a priori aucun antécédent, ni judiciaire ni psychiatrique, qui aurait pu l’empêcher de se procurer une arme. Il y aura toujours des trous dans la raquette. En revanche, une interdiction des fusils d’assaut aurait pu le priver de ceux qu’il a utilisés, qui font autrement plus de dégâts qu’une arme de poing.

Joe Biden a-t-il vraiment la volonté et le pouvoir d’instaurer ces mesures ?

Joe Biden fait partie des politiques qui étaient aux premières loges en 2012 lors de la tuerie de Sandy Hook [26 personnes avaient été tuées dans une école primaire, dont 20 enfants]. Il était vice-président et il a essayé, à l’époque, de faire adopter des lois pour une réglementation plus ambitieuse du port d’armes. Ça n’a pas marché. On peut imaginer que, pour lui, une frustration s’est accumulée sur ce sujet, et que son émotion est réelle. Mais c’est perdu d’avance.

On sait que la Chambre des représentants pourra voter un certain nombre de dispositions. Mais au Sénat, non seulement les républicains ne les voteront pas, mais également certains démocrates. Quand vous êtes l’élu démocrate d’un Etat qui vote majoritairement pour Donald Trump, vos électeurs sont favorables au port d’armes.

Le problème est que les démocrates n’ont pas véritablement de majorité [ils disposent de 50 sièges, comme les républicains, mais en cas d’égalité lors d’un vote, c’est la vice-présidente Kamala Harris qui tranche].

« Sur des sujets aussi clivants que le port d’armes, il faut une majorité de 60 sièges qui permette de passer outre le filibuster, une technique de blocage qui permet aux républicains de faire obstruction au vote des lois. »

Lauric Henneton, spécialiste de la société américaine à franceinfo

Pourquoi les républicains s’opposent-ils à la restriction du port d’armes, et que proposent-ils pour mettre fin aux tueries de masse ?

Il y a aux Etats-Unis une telle polarisation sur les sujets culturels – les armes sont considérées comme en faisant partie, au même titre que l’avortement par exemple –que les républicains sont terrorisés à l’idée qu’on puisse leur retirer leurs armes. Ils sont obsédés par l’intervention de l’Etat dans leur vie. Le fondement historique du deuxième amendement de la Constitution américaine, qui garantit le droit de porter une arme, est de pouvoir être armé contre le risque de tyrannie de l’Etat central. C’est pour cela que, quand les démocrates sont élus, les ventes d’armes explosent. Et le nombre de tueries également, car il est scientifiquement prouvé que le ratio de morts par arme à feu est proportionnel au nombre d’armes en circulation, qu’ils s’agisse des tueries, des homicides ou des suicides.

Les républicains partent du principe que la nature est ainsi faite qu’il y aura toujours un « méchant avec une arme » et ils sont obsédés par l’idée qu’il faut s’y opposer avec un « gentil avec une arme ». Leurs propositions d’avoir des forces de sécurité plus visibles autour des établissements scolaires ou d’armer les enseignants sont vues comme un moyen d’avoir davantage de ces « gentils », dans une sorte de culte de l’héroïsme et de l’autodéfense. C’est une question philosophique, mais aussi pratique dans certaines zones peu denses où la police met un certain temps à intervenir, et dont les habitants réclament des armes pour se défendre eux-mêmes si besoin.

Des sondages montrent pourtant que les électeurs, même républicains, sont favorables au renforcement de certaines mesures, comme l’élargissement des « background checks », approuvé par 70% des républicains contre 90% des démocrates, selon un sondage du Pew Research Center (en anglais) en 2021. Pourquoi les politiques ne les suivent-ils pas ?

Longtemps, la National Rifle Association (NRA), le lobby des entreprises de l’armement, a financé généreusement les candidatures, se posant comme une sorte d’intermédiaire entre l’électeur et le candidat. Elle a cependant beaucoup perdu de sa superbe et de sa puissance financière, au point de tenter de se déclarer en faillite. Des fabricants célèbres comme Remington ont déposé le bilan. Cela a semblé affaiblir le lobby et l’écosystème pro-armes à feu.

Mais malgré cela, on ne remarque pas vraiment d’infléchissement dans les discours politiques. Il faut dire que la répétition des élections très rapprochées fait qu’il n’y a jamais le temps pour que ces idées s’installent. 

« On est toujours dans une logique de crise, attisée d’un côté par des démocrates qui hystérisent le débat avec des restrictions drastiques parfois irréalistes et, de l’autre côté, des républicains qui agitent cette menace pour mobiliser les électeurs. »

Lauric Henneton, spécialiste de la société américaine à franceinfo

Cette fois, ce sont 21 personnes, dont 19 enfants, qui ont été tuées. L’émotion provoquée par cette tuerie sera particulièrement forte. Peut-elle être un moment de basculement ?

On a envie de le croire. Mais la tuerie de l’école Sandy Hook, en 2012, a montré que, passé l’émotion des premiers jours, les choses reprennent leur cours. Pour moi, cela suggère que celle d’Uvalde n’aura pas d’impact non plus. Ce qui peut jouer, c’est l’accumulation des tueries, le fait qu’elles soient de plus en plus nombreuses, et que la NRA ne soit plus à même de financer des campagnes électorales. Les semaines à venir vont nous donner une indication sur la possibilité qu’un changement advienne.