Bilan de la répression après la journée de Gilets Jaunes du 8 décembre 2018

Publié sur le figaro.fr

Extrait de l’article

«Gilets jaunes» : il y avait encore 136.000 manifestants samedi, le récap’ complet

● 136.000 manifestants à travers la France

Quelque 136.000 personnes ont participé samedi en France aux manifestations liées au mouvement des «gilets jaunes». En nombre de manifestants, c’est l’équivalent des manifestations du 1er décembre, précise le ministère de l’Intérieur. À Paris, les manifestations ont réuni environ 10.000 personnes.

Toujours selon le ministère, 120.000 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été mobilisés pour faire face à cette journée.

● 264 blessés

Le ministère de l’Intérieur fait état, sur Twitter, de 264 personnes blessées, dont 39 policiers et gendarmes. La préfecture de police faisait pour sa part état samedi soir de 71 blessés, dont sept pour les forces de l’ordre, dans la capitale.

Un homme a été grièvement blessé à la main à Bordeaux, note le journal Sud Ouest . Selon le procureur de la République adjoint à Bordeaux, il aurait tenté de récupérer une grenade. À Paris, une étudiante de 20 ans a, elle, perdu son œil gauche. Elle manifestait près de l’Arc de triomphe, détaille le manifestant-soignant Adrien Lemay interrogé par Libération . Il lui a apporté les premiers soins. Selon un autre manifestant, présent lors de l’impact, «d’un coup, sur le trottoir d’en face, les CRS et policiers civils se sont mis à tirer. J’ai entendu un bruit juste à côté de moi et j’ai vu cette fille tomber juste à côté de moi.»

Les journalistes n’ont pas non plus été épargnés.

Deux photo reporters du Parisien ont été blessés, dont Yann Foreix, qui raconte sur Twitter s’être pris «un tir de flash-ball dans la nuque» «à bout portant». Un de ses collègues a lui été touché au genou, sans que sa blessure ne nécessite une évacuation. Une journaliste de l’agence radio A2PRL a également décrit avoir été touchée par une arme similaire.

Un photographe du Journal du dimanche a quant à lui été «frappé à plusieurs reprises par un CRS», indique l’hebdomadaire. «Éric Dessons a pris un coup de matraque à la main droite, celle qui tenait son appareil photo. Puis, lors d’une seconde charge, il a de nouveau été frappé au même endroit, explique son confrère de Paris Match au JDD. Nous l’avons ramassé à terre, la main en sang.» Nos reporters de Figaro Live ont également été bousculés lors d’une charge, sans grande conséquence physique.

Sur une vidéo très largement partagée sur les réseaux sociaux, on voit également un homme bras en l’air recevoir un tir de flash-ball en plein ventre, et une grenade envoyée sur la presse, pourtant identifiée.

Un manifestant portant un « gilet jaune » (gilets jaunes) avec des taches de sang sur le visage est traité par un collègue en raison d’une blessure à la tête à Nantes, dans l’est de la France, lors d’une manifestation contre la hausse du coût de la vie qu’ils imputent aux taxes élevées à Nantes. (est de la France le 8 décembre 2018)  (Photo by SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP)

Les défenseur.e.s des droits humains sont en danger

En vue des anniversaires de la Déclaration des défenseurs des droits de l’homme (le 9 décembre) et de la Déclaration universelle des droits de l’homme (le 10 décembre), Mediapart publie une tribune du rapporteur spécial de l’Onu sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Michel Forst, qui dresse le bilan de vingt ans de la Déclaration de l’ONU.

Publié sur le Blog de Les invités de Mediapart

Il s’appelle Julian Carrillo. Il luttait pour la protection des terres ancestrales des Raramuri dans l’État du Chihuahua au Mexique. Il a été assassiné en octobre dernier, il était le cinquième membre de sa famille à être tué depuis 2016 pour avoir défendu les droits de sa communauté.

Elle s’appelle Helena Maleno et elle est espagnole. Tout comme Cédric Herrou et d’autres, en France, en Hongrie, en Australie, elle est poursuivie en justice pour avoir porté secours à des personnes migrantes.

Elles s’appellent Israa Al-Ghomgham, Samar Badawi, Nassima Al-Sadah, Nouf Abdulaziz, Mayya Al-Zahrani, et Hatoon Al-Fassi. Elles sont aujourd’hui en prison pour avoir participé à des manifestations pro-démocratie en Arabie Saoudite et pour avoir milité pour les droits des femmes, notamment pour obtenir le droit de conduire une voiture.

Au-delà de cette diversité d’origines et d’engagements, une chose unit toutes ces personnes: elles agissent pour la défense et la promotion des droits humains. Ce sont elles qui font vivre au quotidien la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. On les appelle des défenseur.e.s des droits humains. Aux grandes figures que nous connaissons toutes et tous comme Nelson Mandela, Gandhi ou Malala, s’ajoutent des centaines de milliers de personnes dont l’action est moins visible, moins connue mais qui est pourtant déterminante pour la construction d’un monde plus juste, plus digne et tolérant. Ce sont des avocats, des journalistes, des étudiants, des familles de victimes, des communautés autochtones… Des citoyens ordinaires qui se mobilisent pour l’accès à la santé, à l’éducation, qui luttent contre la corruption ou contre la destruction de notre planète. Des personnes qui nous ressemblent et que nous côtoyons au quotidien.

Les défenseur.e.s affrontent avec courage et ténacité une multitude de menaces et d’attaques en raison de leur action en faveur des droits humains. Des attaques qui brisent parfois leur vie et celle de leurs familles. Qu’il s’agisse de menaces physiques, de harcèlement, de campagnes de diffamation, ou même de poursuites judiciaires, ces attaques se déroulent souvent en toute impunité, bénéficiant du soutien – tacite ou déclaré – des gouvernements.

La situation n’a jamais été aussi grave. Entre 2015 et 2017 au moins 1 019 défenseur.e.s des droits humain ont été tué.e.s dans le monde. Les tendances observées pendant ces dernières années et les rencontres effectuées dans le cadre de mon mandat de Rapporteur Spécial ne me permettent que de dresser un bilan amer de la situation.

A l’heure actuelle, de nombreux États s’enfoncent dans l’autoritarisme sous couvert de combattre le terrorisme, de vouloir répondre aux enjeux migratoires ou dans une lutte sans merci contre le narcotrafic. Partout dans le monde, les défenseur.e.s sont taxé.e.s de « terroristes », de « fauteurs de trouble », « d’agents de l’étranger », alors qu’ils effectuent un travail pacifique pour garantir les droits et libertés de toutes et tous. Les militants de la diversité sexuelle, les défenseur.e.s des droits des femmes subissent de violentes campagnes de diffamation car on les accuse de mettre en péril les « valeurs traditionnelles » des sociétés dans lesquelles ils vivent.

Les États ne sont pas les seuls à mettre en danger les défenseur.e.s. Des entreprises, des groupes armés, des leaders religieux peuvent s’attaquer à ces derniers, notamment quand ils s’opposent à leurs intérêts. Lors de mes récentes visites officielles au Mexique, au Honduras ou la semaine dernière en Colombie, j’ai entendu de nombreux témoignages de défenseur.e.s que de puissants intérêts économiques cherchent à réduire au silence. Et ce sont autant de combats de David contre Goliath qui se jouent et se rejouent au quotidien dans une indifférence, hélas, presque générale.

Bien que nos sociétés aient connu de tous temps ces héros ordinaires, ce n’est que récemment que la notion de « défenseur.e des droits de l’Homme » a émergé officiellement. Nous fêtons d’ailleurs le 9 décembre 2018, les 20 ans de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme. Texte fondateur essentiel qui garantit des droits et des protections aux défenseur.e.s. A l’occasion de cet anniversaire, un deuxième Sommet mondial des défenseur.e.s des droits humains s’est tenu à Paris en octobre dernier, réunissant 150 défenseur.e.s afin de définir un plan d’action pour les 20 années à venir.

Ces célébrations sont aussi l’occasion de s’interroger sur le bilan pouvant être dressé 20 ans après l’adoption de la Déclaration. A-t-elle réellement permis de protéger et garantir un environnement sûr aux défenseur.e.s pour qu’ils mènent leurs actions ?

J’ai pu constater depuis le début de mon mandat de réelles avancées. La solidarité entre les défenseur.e.s, notamment au travers de réseaux thématiques ou géographiques continue de se développer; des projets tels que les “villes-refuges” permettent à des défenseur.e.s d’être accueilli.e.s de manière temporaire par des municipalités afin de se mettre à l’abri d’attaques imminentes, certains pays ont créé des mécanismes nationaux de protection, etc. Toutes ces initiatives permettent de sauver des vies mais elles sont loin d’être suffisantes et de changer la situation à long terme.

Pour ce 20ème anniversaire de la Déclaration, je souhaite ainsi rappeler aux États les engagements internationaux qu’ils ont pris pour la protection des défenseur.e.s. Ils ont la responsabilité de garantir un environnement sûr et propice pour que les défenseur.e.s mènent leurs actions. Je publierai prochainement un rapport mondial sur la situation des défenseur.e.s des droits humains dans 140 pays et j’espère qu’il permettra de mesurer l’urgence de la situation.

Le contexte n’a jamais été aussi difficile pour les droits humains et pour les défenseur.e.s. Pourtant, malgré la colère que je peux parfois ressentir, je ne souhaite pas laisser place au pessimisme. Je garde espoir, à l’image de ces défenseur.e.s que j’ai la chance de côtoyer au quotidien, car ces derniers ont choisi l’indignation plutôt que la complaisance, l’action plutôt que le fatalisme, le sursaut plutôt que l’indifférence. N’oublions jamais qu’ils sont les derniers remparts aux violations de nos droits fondamentaux. Il n’est donc pas question de baisser les bras, car c’est bien l’espoir qui constitue l’essence même du combat pour les droits humains.

Michel Forst, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme

Signer l’Appel mondial des défenseurs des Droits Humains

Fournir un soutien aux défenseurs des droits Humains

Il faut interdire l’usage des Flash-ball et grenades pour le maintien de l’ordre

Interdire l’usage des Flash-ball et grenades pour le maintien de l’ordre

Communiqué de la LDH

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) fait le constat dramatique d’un usage illégitime et disproportionné des GLI-F4 (grenades de désencerclement) et LBD 40 (lanceurs de balles de défense) par les forces du maintien de l’ordre, dans le cadre des manifestations. De très nombreux citoyens de tous âges, y compris des mineurs lycéens et des retraités, sont victimes graves blessures, infirmités, mutilations et décès causés par les tirs de ces armes qui figurent encore à ce jour dans l’arsenal légal du maintien de l’ordre. Ce n’est pourtant pas la première fois que la LDH, ainsi que les ONG nationales et internationales, dénoncent les violences commises par les forces de l’ordre contre des personnes exerçant une contestation sociale. Il est dès lors regrettable que le gouvernement n’ait pas jugé utile d’intervenir pour restreindre l’usage de ces armes que la France est le seul pays de l’Union européenne à compter dans son arsenal de maintien de l’ordre. Il convient de rappeler que les grenades offensives OF-F1 avaient été interdites à la suite du décès de Rémi Fraisse, que celles-ci contenaient de la TNT, composant explosif utilisé sur les fronts militaires, et que, partant, rien ne justifie que les grenades GLI-F4, contenant également de la TNT, ne subissent pas le même sort ; que par ailleurs, les grenades de désencerclement et les LBD causent des blessures allant jusqu’à la mutilation permanente, ce que nos valeurs républicaines ne sauraient plus tolérer.

Les drames humains qui se nouent dans le cadre du périmètre de la contestation citoyenne, tant pour les manifestants que pour les forces de l’ordre impliquées dans ces violences, ne sauraient davantage se multiplier. La France exhorte dès lors le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur à donner instruction de cesser l’utilisation de ces armes et à adapter le dispositif du maintien de l’ordre de manière à éviter tout risque de blessures et de décès, puis à abroger tous les décrets autorisant l’usage de ces armes dans le cadre du maintien de l’ordre.

La LDH restera particulièrement attentive aux suites qui seront données à cette demande, ainsi qu’aux violences éventuelles qui adviendraient, aux fins d’envisager toute action de mise en cause de la responsabilité des décisionnaires dans le cadre de la chaîne de commandement.

Paris, le 7 décembre 2018

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