« Contrôles au faciès » : le ministre recevra des membres du collectif

La situation serait-elle en train d’évoluer, concernant les « contrôles au faciès » ? C’est en tout cas l’espoir que nourrit le collectif « Stop les contrôles au faciès », après la petite phrase que le ministre de l’intérieur a prononcée à l’ambassade des Etats-Unis, le 7 novembre dernier, à l’occasion de la réélection du président Obama. Alors qu’un des invités, s’adressant à Manuel Valls, lui rappelle que Barack Obama est très engagé dans la lutte contre le contrôle au faciès, le ministre de l’intéreur a répondu : « Oui, je le sais, c’est aussi une priorité pour nous ». Et il s’est ensuite engagé à recevoir personnellement des membres du collectif, qui mène son combat en lien étroit avec la Ligue des droits de l’Homme. Le collectif a aussitôt publié un communiqué, pour prendre publiquement le ministre au mot :
« Vous savez, Barack Obama est très engagé dans la lutte contre le contrôle au faciès M. Valls ». « Oui, je le sais, c’est une priorité pour nous aussi ». C’est à la résidence de l’Ambassadeur des Etats-Unis, le 7 novembre, à l’occasion du petit déjeuner célébrant la réélection de Barack Obama, que Manuel Valls s’est engagé à recevoir personnellement les membres du Collectif contre le contrôle au faciès, déjà entendus par le cabinet du Ministre en juillet dernier, auprès de Franco Lollia, porte parole du Collectif.
Après la Ministre à l’Egalité des Territoires, qui a affirmé sur le Grand Journal le 31 octobre son soutien à l’expérimentation de la politique du reçu, et le Défenseur des Droits Dauminique Baudis qui l’a défendue le 6 novembre au Sénat, c’est donc certain : cette fois-ci, Manuel Valls est enfin prêt à enclencher une réelle discussion sur le contrôle au faciès et les mesures qui peuvent y remédier. Il y a plusieurs semaines, le Ministre avait préconisé le retour du matricule sur les uniformes, considérant qu’une politique de reçu contrôle d’identité représentait une « tracasserie supplémentaire ». « Mais cela ne répond pas à la proposition 30, qui est de lutter contre le contrôle au faciès » lui a rappelé Sihame Assbague porte parole du Collectif. C’est pour y répondre que Manuel Valls a proposé une rencontre de fond avec les parties prenantes du dossier.
Alors qu’une proposition de loi en faveur d’une politique de reçu du contrôle d’identité a été déposée en octobre par un sénateur de la nouvelle formation politique du Centre, l’UDI et que le Front de Gauche, par le biais de la sénatrice Eliane Assassi, travaille minutieusement sur ce sujet, une audition du collectif par le groupe EELV se prépare à l’Assemblée Nationale. Malgré le soutien de nombreux parlementaires et l’intérêt de ministres socialistes – Stéphane Le Foll et Arnaud de Montebourg, présents au petit déjeuner, ont également accepté de rencontrer le Collectif dans les prochaines semaines – le Parti Socialiste pourtant à l’origine de la reprise de la proposition du reçu reste à la traîne. À droite, des échanges constructifs ont permis d’éclaircir un certain nombre d’incompréhensions et de balayer les idées reçues. Jean-Pierre Raffarin a ainsi souligné « la responsabilisation » que permettrait un tel outil…et invité le collectif à le contacter au Sénat. Ce qu’il ne manquera pas de faire.

Commission « Jospin » : pour la Ligue des droits de l’Homme, « l’urgence démocratique commande plus et mieux »

La commission « sur la rénovation et la déontologie de la vie publique » a remis son rapport au président de la République. La Ligue des droits de l’Homme se devait d’être attentive aux conclusions et aux préconisations de cette commission. Il en va en effet de la santé de la démocratie, que de nombreux symptômes permettent de mesurer la fragilité : augmentation continue de l’abstention, montée de l’antiparlementarisme, désintérêt inquiétant de certaines couches de la population pour la chose publique, situation inquiétante du service public dans certains domaines et dans certaines zones géographiques.
La Ligue a donc lu attentivement le rapport remis par Lionel Jospin au président de la République, et a publié son analyse : pour elle, « l’urgence démocratique commande plus et mieux. Lire aussi sur le site national de la Ligue des droits de l’Homme. Le rapport complet est téléchargeable ici.
Communiqué LDH
La Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique vient de rendre son rapport, qui doit alimenter la préparation d’un projet de révision de la Constitution pour le début de l’année 2013.
On y retrouve une part importante des engagements pris en la matière par le candidat François Hollande : responsabilité pénale du président de la République pour les actes détachables de ses fonctions, interdiction des cumuls entre mandat parlementaire et fonctions exécutives locales, renforcement des sanctions financières en cas de non-respect de la parité, instillation d’une dose de représentation proportionnelle dans le mode d’élection des députés. À quoi s’ajoutent des propositions concernant le « parrainage citoyen » des candidats à la présidentielle, la suppression de la Cour de justice de la République, la prévention des conflits d’intérêts, etc.
La plupart de ces propositions constituent des avancées non négligeables ; celle qui concerne le cumul des mandats touche même à un des vices essentiels du système politique français. Mais l’ensemble reste bien limité au regard de la mission de « rénovation de la vie publique », et surtout les silences et les lacunes pèsent fort lourd dans la balance.
Que vont devenir les engagements du candidat sur l’indépendance de la justice, sur l’indépendance des médias, sur l’inéligibilité des élus condamnés pour corruption, et surtout sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, promesse non tenue depuis plus de trente ans ? Comment traiter de la rénovation de la vie publique en faisant l’impasse sur la séparation des pouvoirs et sur l’élargissement de la citoyenneté ?
La crise de confiance dans l’efficacité du politique et dans l’effectivité démocratique, manifestement sous-estimée par la Commission, doit être traitée à la mesure de sa gravité. Cela suppose au moins que les promesses faites devant les électeurs soient tenues lorsqu’aucune contrainte extérieure ne l’empêche. Cela exige une démocratisation significative des institutions de la Ve République, qu’il s’agisse du droit de vote, de la démocratie participative ou des contrepouvoirs.
Cela doit conduire enfin à soumettre le projet de révision de la Constitution, après son examen par les deux assemblées parlementaires, à l’approbation du peuple souverain : aucune avancée démocratique sérieuse ne peut passer par un nouvel escamotage du référendum comme procédure de décision sur ces sujets essentiels. La Ligue des droits de l’Homme appelle les acteurs politiques de la révision de la Constitution, et singulièrement le président de la République, à faire plus sur le fond, et mieux sur la méthode démocratique, pour ne pas creuser davantage encore le fossé entre les pouvoirs et les citoyens.
Paris, le 10 novembre 2012.

Sur les origines de la Ligue des droits de l’Homme, par André Hélard

Victor Basch, un des fondateurs de la Ligue des droits de l'Homme, a créé et présidé la section de Rennes.

La section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme présente deux originalités : elle a été la première section créée en province, et elle a été présidée par un de ses créateurs, Victor Basch, qui a été assassiné par la milice de Vichy, le 10 janvier 1944, dans l’Ain, avec son épouse.

Dans le dernier numéro du bulletin de cette section,  André Hélard, qui en est membre, revient sur les origines de cette association, créée en 1898, pendant le procès en appel d’Alfred Dreyfus à Rennes.

« Il y a dans cette affaire Dreyfus, et il y aura longtemps en elle, et peut-être éternellement, une vertu singulière. […] Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais. Plus elle est finie, plus elle prouve. » (Péguy, Notre jeunesse)

Revenir aux origines d’un mouvement, que ce soit un parti politique ou une association, n’est pas forcément du simple ressort de l’archéologie. Cela permet aussi d’éclairer sa raison d’être première, les valeurs au nom desquelles il s’est constitué et les principes selon lesquels il s’est organisé.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer un peu rapidement, la Ligue des droits de l’homme n’est pas née du rassemblement d’hommes partageant sur tout et unanimement une même vision. Ceux qui la fondèrent ne se souciaient «  que » d’être d’accord sur ce qui leur semblait être l’essentiel dans la France d’alors, la France de 1898 et de l’affaire Dreyfus.

Quelques explications, les plus simples possibles, permettent de comprendre ce qui lui conféra ce caractère exemplaire. Fin 1894, un conseil de guerre a condamné le capitaine Dreyfus au bagne à perpétuité pour trahison. Or il est bientôt apparu que Dreyfus a été condamné à la fois illégalement (un dossier contenant de prétendues preuves de sa culpabilité été communiqué a ses juges sans que l’accusé et ses défenseurs en aient eu connaissance, ce qui constitue évidemment une violation majeure du droit), et injustement (puisque il a été établi par le colonel Picquart que le traître n’était pas Dreyfus mais un autre officier, Esterhazy). La simple reconnaissance de la vérité, mais aussi le respect du droit, et la plus élémentaire justice voudraient que le procès de 1894 fût révisé, mais les gouvernements successifs s’y refusent, répétant qu’« il n’y a pas d’affaire Dreyfus ». Parce qu’il leur paraît impossible de reconnaitre que l’Armée ait pu se tromper ou, bien pire, tramer une machination contre un officier innocent, qui n’aurait eu que le tort d’être juif. Et aussi parce qu’ils n’osent s’opposer a une opinion travaillée depuis le début de l’Affaire, au cri souvent répété de « La France aux Français », par une presse d’un antisémitisme exacerbé. C’est au lendemain de l’acquittement d’Esterhazy, le coupable évident, par un autre conseil de guerre, que Zola lance son fameux J’accuse qui amène le gouvernement à l’assigner en justice pour diffamation envers l’Armée.

Et c’est précisément pendant le procès de Zola que s’ébauche la Ligue des droits de l’Homme, en février 1898.

L’ancien garde des sceaux, Ludovic Trarieux, effaré de la manière dont se passe ce procès, en est venu à penser qu’il est nécessaire « de former un groupe, une association, ou une ligue, quelque chose qui serait la sauvegarde des droits individuels, la liberté des citoyens et leur égalité devant la loi. (1) » Le 17 (ou 18) février, pendant une suspension d’audience, il en fait part à quelques hommes qui sont là, comme lui, en tant que témoins de la défense (2).

C’est là le noyau initial, quelques hommes qui, au nom des principes du droit ou de l’idée qu’ils se font de la recherche de la vérité, partagent le même refus du dévoiement de la justice sous prétexte de raison d’État.

Constatant que « tout est sapé, les droits de l’homme, le respect de la justice, enfin tout ce qui fait une société policée, et que nous appelons civilisation », ils se demandent: « Allons-nous rester isolés dans ce désordre qui gagne de proche en proche ? Non! il faut au contraire segrouper […] pour rappeler sans cesse les grands principes démocratiques (3). »

Telle est l’association originelle. Les premiers statuts de ce qui va s’appeler Ligue des droits de l’homme et du citoyen, sont bientôt rédiges. L’article 1er  stipule qu’il s’agit d’une « association destinée à défendre les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice énoncés dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 », affirmant avec force la volonté de s’inscrire dans la perspective universaliste de la Révolution française. Mais le plus important, quant à l’esprit, est certainement l’article 3 :

« Elle fait appel à tous ceux qui, sans distinction de croyance religieuse ou d’opinion politique, […] sont convaincus que toutes les formes d’arbitraire et d’intolérance sont une menace à la civilisation et au progrès. » Comme l’a écrit Madeleine Rebérioux, la Ligue est ici clairement définie comme « un creuset ou des énergies d’origines fort diverses purent, sinon fusionner, du moins agir en commun, si fortes étaient en France la référence de l’universalisme de la Révolution française et l’aspiration à maintenir et à renouveler les pratiques citoyennes. »

Sur ces bases, ces précurseurs contactent leurs collegues, leurs relations, à Paris, puis en province, obtenant rapidement nombre d’adhésions individuelles. Début avril, on en compte près de 300. Le 4 juin 1898 peut se tenir l’assemblée générale constitutive de la LDH. Et le 23 décembre la première assemblée générale ordinaire réunit 2000 personnes à Paris, avec sept sections de province «  constituées ou en cours de constitution », dont celle de Rennes (4), représentée par Basch.

Parmi ces premiers ligueurs il y a des intellectuels, savants, universitaires, écrivains, des fonctionnaires, des membres de professions libérales, médecins, avocats, bon nombre de journalistes, et de rares hommes politiques. Des parcours, des statuts sensiblement différents donc. Mais aussi des engagements parfois nettement divergents. À côté de républicains modérés, voire même conservateurs, et libéraux, comme Trarieux ou Reinach, des gens bien plus à gauche et même franchement socialistes et jaurésiens, tels Lucien Herr ou Francis de Pressensé, ou anarchistes comme le fondateur du journal Le Libertaire, Sébastien Faure. Ces caractéristiques de la naissance et des premiers pas de la Ligue au plan national, on les retrouve dans l’histoire de la section de Rennes.

Ici aussi, tout est parti d’une toute petite poignée d’hommes. Cinq professeurs de l’Université, qui dès fin 1897, ont commencé a s’interroger sur le déni de justice dont le capitaine Dreyfus pourrait avoir été victime. Ce sont Jules Andrade, Jules Aubry, Victor Basch, Georges Dottin, Henri Sée, et ils enseignent les mathématiques, le droit, l’allemand, la philologie, l’histoire. Afin de se forger une opinion par eux-mêmes, ils se sont mis, dit Basch, à « suivre de près et à étudier tous les documents qui seraient publiés avec le sévère scrupule que nous apportions à nos recherches scientifiques. » Attitude typique des intellectuels dreyfusards, esprits libres et rationnels pour qui l’esprit d’examen et la raison scientifique fondent la liberté d’opinion contre les prétendues vérités imposées par la raison d’État.

Après J’accuse, ils ont été parmi les signataires des « protestations » plus connues aujourd’hui sous le nom de pétition des intellectuels. Ce qui a fait d’eux la cible d’attaques particulièrement violentes.

Rien d’étonnant donc à ce que, dans les semaines qui suivent la fondation de la Ligue, au printemps 1898, ils y adhèrent à titre individuel, bientôt rejoints par deux nouveaux collègues (pas un de plus…), le chimiste Cavalier et le physicien Weiss. Ce sont eux « les sept » dont Basch dira : « nous étions sept contre soixante-dix mille. » Ce sont eux aussi (5) qui seront à l’origine de la section de Rennes, à moment où la Ligue prend sa dimension nationale. Mais à un moment aussi ou l’antidreyfusisme se fait de plus en plus virulent en dépit ou à cause du naufrage de plus en plus évident de l’accusation, après (entre autres) le démontage complet par Jaurès, dans Les Preuves, de la machination dont Dreyfus a été victime, et surtout après la saisie de la Cour de cassation, qui aboutira à la révision du procès de 1894, et au renvoi de Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes.

C’est donc dans un climat très tendu que Basch et ses amis se posent cette question, si semblable à celle que se posait Trarieux en février 98 : « Sur qui appuyer notre action ? Comment recruter? » Et c`est en réponse à cette question qu’ils vont effectuer un travail à la fois militant et politique tout à fait remarquable de la part de gens qui n’avaient aucune expérience de l’action militante ou de l’action politique. En témoigne la liste des premiers membres de la section, fondée le 21 janvier 1899 : comme chez les « inventeurs » de la Ligue en 1898, on a là « un creuset d’énergies d’origines fort diverses ». Parmi les universitaires, se côtoyaient sans problème les modérés Aubry, qui a une vision très juridique de l’Affaire, ou Dottin, qui est catholique, et les juifs Basch et Sée qui ne tarderont pas  devenir socialistes. Désormais se sont joints à eux deux francs-maçons, forcément très anticléricaux à l’époque, les deux derniers Vénérables de la Loge La Parfaite Union; le pasteur protestant et deux membres de son conseil presbytéral, deux fonctionnaires que Basch qualifie de « vieux républicains » et cinq ouvriers, dont l’un est le secrétaire de la Bourse du travail, et les autres des leaders du Cercle d’études sociales, la fraction la plus révolutionnaire du modeste mouvement ouvrier rennais.

Ils sont tous représentatifs de courants ou de mouvements que bien des choses peuvent séparer, voire opposer. Mais ce qui les unit en ce moment précis leur a paru plus important que ce qui les sépare. Et lorsque Rennes se verra désignée pour être le théâtre du second procès Dreyfus, en 1899, la section sera bien présente pour jouer, en coulisse mais avec beaucoup d’efficacité, son rôle d’accueil et parfois de protection de quelques-uns des plus célèbres dreyfusards présents à Rennes.

Pour en savoir plus, cf. le numéro spécial (97/98) de Hommes & Libertés, « 1898-1998, Une mémoire pour l’avenir», les nombreux articles dans diverses revues d’E. Naquet, et sa thèse, La Ligue des droits de l’Homme, une association en politique, accessible sur le site spiresciences-po.fr ; sur la section de Rennes, cf. André Hélard, L’honneur d’une ville, La naissance de la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme, éditions Apogée, Rennes.

1. Selon Jean Psichari, qui raconte avec un peu de recul ce moment crucial, Cité par Emmanuel Naquet.

2. Ce sont surtout des « savants », qui ont témoigné pour dire comme Émile Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur : « si, dans les questions scientifiques que nous avons à résoudre, nous dirigions notre instruction comme elle semble l’avoir été en cette affaire, ce serait bien par hasard que nous arriverions à la vérité. »

3. Toujours d’après Psichari

4. Elle se constituera un mois plus tard. Les autres sont celles de Marseille, Lyon, Le Havre, Rouen, Nancy et Orléans.

5. Avec le philosophe Paul Lapie, qui vient d’être nommé à Rennes à la place d’Andrade, mute à Montpellier par mesure disciplinaire.

 

 

Pour la réhabilitation des soldats « Fusillés pour l’exemple » pendant la première guerre mondiale

La fiche militaire de François Laurent, après sa réhabiltation.

Le 11 novembre prochain, la commune de Mellionnec rendra hommage, comme toutes les communes de France, aux victimes et aux soldats de la première guerre mondiale.

Mais elle ne se contentera pas de cela. Comme en 2011, Marie-José Fercoq, maire de Mellionnec, rendra aussi hommage à François Laurent. Un hommage particulier, puisque François Laurent a fait partie de ceux qu’on a appelés les « fusillés pour l’exemple », la plupart du temps victimes de l’arbitraire d’un Etat major incompétent. La Ligue des droits de l’Homme participera à cet hommage, aux côtés de la Libre pensée, l’Association des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR), l’ Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC). Les associations se réuniront devant la mairie de Méllionnec à 11 heures ce 11 novembre 2012, pour descendre en cortège jusqu’au monument aux morts. Les prises de parole au nom de la Réhabilitation devraient se faire à partir de 11h20/11h25.

Il se trouve que le combat pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » est un des grands combats de la Ligue des droits de l’Homme, à tel point que, Gilles Manceron, historien spécialiste de la « grande guerre » et de la LDH, n’hésite pas à dire qu’il s’agit, avec l’affaire Dreyfus, de « son second grand combat fondateur ». Un combat qui a débuté dès après la guerre, et qui n’est pas terminé, puisque la réhabilitation officielle par la République de ces hommes n’a toujours pas eu lieu.

Yves Tréguer, de la section de la Ligue des droits de l’Homme de Rennes, s’est penché sur l’histoire de ces soldats, et plus précisément celle de deux soldats bretons, Lucien Lechat, et, justement, François Laurent. Voici le résultat de ses recherches, qui a également été publié dans le bulletin de la section de Rennes (novembre 2012).

Fusillés pour l’exemple, par Yves Tréguer, de la section LDH de Rennes.

Déjà la pierre pense, où votre nom s’inscrit
Déjà le souvenir de votre nom s’efface
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Louis Aragon – « Tu n’en reviendras pas »

 

La proche célébration de l’armistice du 11 novembre 1918, le centième anniversaire à venir en 2014 du déclenchement de la première guerre mondiale vont faire ressurgir la cause des fusillés pour l’exemple, à laquelle la Ligue des droits de l’Homme est liée, à travers ses campagnes contre l’iniquité des décisions des tribunaux militaires et pour la réhabilitation des victimes.

La défense de cette cause a été, on le sait, un des engagements majeurs de la Ligue et même, selon l’expression de Gilles Manceron, « après l’affaire Dreyfus, son second grand combat fondateur ».

Un long travail, avec des victoires sur le plan législatif et judiciaire, qui a permis de rendre justice à quelques dizaines de soldats : c’est le cas, intéressant la Bretagne, de deux soldats, François Laurent, de Mellionnec, exécuté en1914 et celui, plus connu, de Lucien Lechat, l‘un des caporaux de Souain, exécuté en 1915 dont nous allons évoquer la mémoire.

Pour autant, depuis les années 1930, le cas d’autres fusillés ou de victimes d’exécutions sommaires, reste à examiner, et le combat n‘est pas fini aujourd’hui…

Un bref rappel s’impose, pour comprendre le contexte des années 14-15 .C’est en effet dans ces années qu‘ont eu lieu la plupart des 600 exécutions de la Grande Guerre (430 environ), alors que la postérité a surtout retenu la répression des mutineries de 17.

Au début des opérations l’État-major se place dans la perspective d’une guerre courte et elle recherche avant tout une justice sévère et expéditive. Il s‘en donne les moyens en obtenant par les décrets du 2 aout et du 6 septembre 1914 les « conseils de guerre spéciaux» qui permettent de punir de façon exemplaire à l’aide d’une procédure simplifiée, avec des droits de la défense réduits. Pas de possibilité de grâce ou de révision, sentence de mort applicable dans les 24 heures.

On fusillera donc pour l’exemple c’est à dire qu’un soldat pourra être exécuté pour avoir commis un délit précis mais aussi « pour faire un exemple » susceptible de maintenir une obéissance stricte, qui est, on le sait, la force principale des armées.

Le souvenir de 1870 et de la débandade des armées françaises reste un souvenir cuisant. Un certain nombre de cas de peines de mort est prévu dans la réglementation : nous en retiendrons deux qui seront la cause de la condamnation de François Laurent et de Lucien Lechat, la mutilation volontaire et le refus d’obéissance. La condamnation est d’autant plus aisée que selon un historien, cité dans une thèse récente « il existe un décalage entre les théories du soldat-citoyen et les représentations communes des chefs militaires, cette conception des troupiers comme matériau obéissant, silencieux et consommable »(1).

François Laurent.

L’histoire du soldat de Mellionnec n’est pas très connue et n’a pas fait l’objet d’un culte mémoriel, comme celui des caporaux de Souain, que nous aurons l’occasion d’évoquer.

Elle a, en revanche, fourni le sujet d’un texte remarquable de Louis Guilloux, paru dans Vendredi, le 5 juin 1936, en plein triomphe électoral du Front populaire, et moins de 3 ans après la réhabilitation du soldat breton, le 6 décembre 1933. Le texte s’appelle « Douze balles montées en breloque ».On pourrait l‘appeler un texte de fiction documentée, tant, dans sa première partie, il reste proche des faits. Laissons-lui la parole : « Le Bihan était né dans un hameau où on ne  parlait que le breton. Il ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il avait appris à l’école, il l’avait oublié entièrement. Il était aussi ignorant qu’on puisse l’être, ce qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice, bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à l’institutrice de parler le breton à l’école…

Il partit dès le premier jour…

Un matin, le soldat Le Bihan tiraillait derrière un bosquet, quand vint l’ordre de se porter en avant. Comme il s’élançait, une balle lui traversa la main droite de part en part. Il n’en continua pas moins de courir. Mais quand, de nouveau couché par terre, il voulut recommencer à tirer, il ne le put, et le capitaine lui donna l’ordre de rejoindre le poste de secours le plus proche. Il se mit en route et après quelque temps arriva au poste ou il montra sa blessure à un major, qui parut extrêmement intéressé…

Le major lui posa diverses questions, auxquelles Le Bihan ne répondit pas, ne les ayant pas comprises. Le major n’insista pas. D‘une part, il n’avait pas de temps à perdre, et, d’autre part, il avait ses idées arrêtées sur la discipline aux armées, et la manière de la faire observer. Il griffonna quelque chose sur un bout de papier, qu’il remit à Le Bihan, et donna l‘ordre a un planton de le conduire plus loin à l’arrière, ce qui fut fait …. Le Bihan se laissa conduire où l’on voulut …. Or, aussitôt « remis aux autorités » et le billet du major déchiffré, le soldat Le Bihan fut conduit au poteau et fusillé. Accusation : « blessure volontaire à la main droite. »

Le fameux billet du major, qui conduisit à la mort François Laurent, nous l’avons à disposition (2). Il est disponible aux archives des services historiques de l‘armée de Terre (Dossier Laurent, série J, SHAT): il s’agit des célèbres certificats du Dr Buy ,en grande partie pré-rédigés, qui firent exécuter deux autres soldats, réhabilités en1925 et en 1934,ce qui fait dire à Nicolas Offenstadt (3) que « (ces certificats) ne contribuent pas à améliorer cette image de la médecinecmilitaire dans l‘entre-deux-guerres ».

A la suite de l’action d’anciens combattants, le conscrit de Mellionnec est réhabilité, sa famille reçoit la somme de 10.000 francs et la mairie de sa commune refait faire une plaque où le nom de François Laurent figure parmi les noms des morts au champ d’honneur.

Sa fiche consultable sur le site SGA, Mémoire des Hommes, mentionne : mort pour la France le 19 octobre 1914. Genre de mort: fusillé, puis : réhabilité par jugement le 3 décembre 1933.

Les nationalistes bretons font de François Laurent, mort de ne pas avoir pu se défendre en français « la victime de la domination française en Bretagne », et, en 1934 Breiz Atao proteste contre la présence du préfet à la cérémonie de réhabilitation. En 1982, un film bilingue sur « Frances Laorans »est tourné à Clohars-Carnoët que la famille du soldat désavoue.

Fiche militaire de Lucien Lechat.

Lucien Lechat.

Le cas de Lucien Lechat, né dans la commune de Le Ferré, Ille et Vilaine, est beaucoup plus connu, car il fait partie d’une affaire restée célèbre, celle des caporaux de Souain. Cette affaire a donné lieu à une médiatisation et à un culte mémoriel exceptionnels. (4)

Les faits sont bien connus. Le 10 mars 1915, les soldats de la 21ème compagnie du 336ème régiment d’infanterie reçoivent l’ordre de sortir des tranchées et d‘attaquer à la baïonnette. Les précédentes attaques avaient été des échecs sanglants.

La préparation d‘artillerie atteint (volontairement  ?) les tranchées françaises. Épuisés, démoralisés, les soldats refusent de quitter leurs abris.

Le général Réveilhac veut des sanctions pour refus d’obéissance: elles visent 6 caporaux et 18 soldats.

Finalement, le 16 mars, après un procès expéditif, sont condamnés à mort, d‘une façon arbitraire qui fait penser aux anciennes décimations en usage dans les légions romaines, 4 caporaux, dont le plus jeune est Lucien Lechat. Le 17 mars, ils sont fusillés, deux heures avant que les peines n’aient été commuées en travaux forcés. Le général Réveilhac ne sera pas inquiété. Une loi d’amnistie, votée en 1919 empêche même les sanctions contre les chefs responsables d`exécutions sommaires. Qui plus est, il sera fait plus tard grand officier de la Légion d’honneur.

La réhabilitation : le combat admirable de Blanche Maupas (à Sartilly, dans la Manche) pour la réhabilitation de son mari, l’un des 4 caporaux, est bien connu (5). Elle fut aidée par des groupes d’anciens combattants et par la Ligue des droits de l’Homme dont l’action en faveur des fusillés pour l’exemple fut l‘une des grandes causes dès la fin de la guerre.

Moins connus sont les efforts d’Eulalie Lechat, la sœur de Lucien, qui soutenue par la Ligue, obtint en mars 1934 que son frère soit réhabilité.

Le souvenir de l‘enfant du pays ne s’est jamais éteint.

Le 24 novembre 2004, a l’initiative du maire de Le Ferré, Monsieur Pautrel, a eu lieu une cérémonie religieuse et civile d‘une très grande ferveur. Une délégation venue de Sartilly associait une fois encore les deux noms de Lechat et de Maupas et ceux de Girard et Lefoulon dans un souvenir commun.

Notre section, à la demande de la mairie, était présente en la personne de son président. Le chant de Craonne et le chant des partisans résonnèrent au cimetière pour l’inauguration de la plaque du souvenir.

La journée se termina avec uneremarquable conférence de Nicolas Offenstadt, qui suivait l’hommage au cimetière.

Et maintenant ?

Comme le rappelle à juste titre Gilles Manceron, dans un article paru en 2008 dans « Hommes et Libertés», intitulé « La mémoire des fusillés de la Grande Guerre », des questions très importantes restent en suspens.

Chacun se souvient de la déclaration, faite le 5 novembre1998, de Lionel Jospin, premier ministre, à Craonne, haut lieu des souffrances des poilus : «  Certains des soldats, épuisés par des attaques condamnées a l’avance, glissant dans une boue trempée de sang plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d‘être des sacrifiés. Que ces soldats « fusillés pour l’exemple », au nom d‘une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ».

Depuis, rien. Or il reste des cas graves, que recense l‘article d’« Hommes et Libertés », notamment dans les troupes coloniales.

Le combat des ligueurs pour défendre la mémoire des fusillés de 14-18, va revenir en force, en 2014, pour le centième anniversaire du début de la guerre pour lequel il faut nous mobiliser dès à présent. Ce combat n’est pas terminé.

(1) in André Loez: 14-18, Gallimard, Folio histoire. Les refus de la guerre 2010, p 61.

(2) Une photo de ce certificat du Dr Buy, figure à la page 41 du livre de Nicolas Offenstadt :Les fusillés de la grande guerre et la mémoire collective (1914-2009), Éditions Odile Jacob 2009.

(3) Offenstadt, op cité p 40.

(4)Essentiellement, le film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire, sorti en 1957 …. et  projeté en France en 1975,18 ans plus tard.

(5) Un film de Patrick Jarnain, Blanche Maupas, a été donné, en 2009, à la télévision.

Un détour par le cimetière permet de voir une plaque de commémoration des caporaux morts pour l’exemple à Souain pendant la 1ère Guerre mondiale. Parmi ces caporaux, le Caporal Lechat, originaire de Le Ferré, a été fusillé pour l'exemple le 17 mars 1915. En 1924, le Caporal Lechat est réinhumé a Le Ferré devant une grande affluence. Il fut réhabilité, ainsi que ses trois autres compagnons d'infortune, en 1934. En novembre 2004, la commune de le Ferré a organisé une cérémonie du souvenir pour les caporaux de Souain. Plus d`un millier de personnes ont participé à cette cérémonie, la même foule que lors des cérémonies de 1924 et 1934 !

Aurore Martin : LDH et FIDH écrivent au président de la République

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, et Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, viennent d’adresser une lettre ouverte commune au président de la République, au sujet de l’arrestation, l’extradition et l’incarcération d’Aurore Martin.

Petit rappel des fait : Aurore Martin, ressortissante française, et militante d’un parti basque interdit en Espagne, mais autorisé en France, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen (MAE). Elle a été arrêtée les jours derniers, à l’occasion d’un contrôle routier « inopiné ». Elle a aussitôt été transférée en Espagne, et incarcérée. Elle risque d’être condamnée à 12 ans de prison.

Le droit a semble-t-il été respecté. Mais il reste deux problèmes : Aurore Martin est une ressortissante française, et aux yeux de la justice française, elle n’a commis ni délit ni crime. C’est cela qui conduit la LDH et la FIDH à prendre sa défense, et à plaider sa cause auprès du président de la République. Il ne s’agit évidemment pas de prendre parti de quelle que manière que ce soit sur la légitimité du militantisme d’Aurore Martin.

Voici le courrier cossigné par les deux organisations.

M. François Hollande
Président de la République
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg Saint-H0n0ré
75008 Paris

Paris, le 6 novembre 2012

 Monsieur le Président,

La remise aux autorités espagnoles d’Aurore Martin et son incarcération sont sans doute formellement légales. Elle n’en demeure pas moins, à la fois, une démonstration d’espèce de « la force injuste de la loi », comme un de vos prédécesseurs avait su le dire à d’autres occasions, et une faute politique.

Admettre qu’une ressortissante française puisse faire l’objet de poursuites pénales pour des faits légaux en France, mais réprimés en Espagne, atteste d’une incohérence de l’État de droit européen qui porte préjudice à l’idée même de justice.

Cette seule considération aurait dû suffire à empêcher l’exécution d’un mandat d’arrêt qui ne repose que sur l’expression d’idées politiques et sur aucun faits délictueux, et encore moins criminels.

Ceci nous amène à rappeler que, lors de son adoption dans la précipitation à la suite des attentats du 11 septembre 2011, nous avions souligné les dangers d’une telle mesure sans harmonisation des incriminations pénales en vigueur dans les pays de l’Union européenne, et sans garanties des droits de la défense (devenus, en ce domaine, de pure forme). Malheureusement, le souci d’apaiser les peurs engendrées par ces attentats, ainsi que la propension naturelle des gouvernements à s’arroger de plus en plus de pouvoirs, a fait que nous n’avons pas été écoutés.

Ce n’est pas sans raisons que la Commission européenne, elle-même, s’interroge sur les dysfonctionnements d’un système aussi peu respectueux des libertés individuelles, au point d’envisager des modifications de la directive. Nous vous demandons d’appuyer cette démarche et, au besoin, d’en prendre l’initiative.

Mais, au-delà de ces éléments juridiques, il reste et il demeure qu’une jeune femme est aujourd’hui en détention pour une durée au moins de plusieurs mois, devant une juridiction d’exception parce que les autorités espagnoles ont cru devoir criminaliser une expression politique, celle de l’indépendantisme basque.

Est-il besoin de rappeler que nous avions fermement condamné le recours a la violence de l’ETA, passée la dictature franquiste ?

Aujourd’hui, la situation n’est plus la meme et nous ne comprenons pas qu’Aurore Martin se voit reprocher des activités purement politiques qui ont amené son courant politique à être le deuxième parti politique du pays basque espagnol lors des dernières élections.

Il y a quelque chose d’incompréhensible à constater que les autorités françaises et espagnoles continuent à penser que c’est en ayant recours à la répression que se règlera ainsi un problème politique multiséculaire.

La multiplication des protestations de toutes origines qui se manifestent atteste qu’il est temps de donner à cette question une solution autre que judiciaire ou policière.

Nous vous demandons, Monsieur le Président, d’intervenir auprès du gouvernement espagnol afin que s’ouvre un véritable dialogue politique qui inclut tous les acteurs, y compris du côté français.

Nous vous demandons d’user de votre influence afin qu’Aurore Martin ne soit pas la victime d’un conflit qui est en train de trouver une issue dans le cadre démocratique.

Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.

Recevez, Monsieur le président de la République, l’expression de notre haute considération.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme,
Souhayr Benlhasen, présidente de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme. 

 

Contrôles au faciès : « ne pas renoncer à agir ! »

Alors que le ministre de l’intérieur annonce l’abandon du projet de récépissé délivré par les policiers après un contrôle d’identité, de nombreuses voix s’élèvent pour en réclamer au moins l’expérimentation. La Lettre d’information n°87 datée du 2 novembre, publiée par la Ligue des droits de l’Homme y consacre un dossier. Parmi les articles qu’il rassemble, en voici un signé par Xavier Gadrat, secrétaire général du syndicat de la magistrature, et qui appelle à « ne pas renoncer à agir » contre les contrôles au faciès. Par ailleurs, la pétition initiée par la LDH et le collectif « Stop le contrôle au faciès » http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/ afin de mettre un terme aux contrôles au faciès grâce à la mise en place de la politique du reçu de contrôle d’identitén est toujours d’actualité.
Pour signer la pétition, lettre ouverte au Premier ministre.

Ne pas renoncer à agir !

Déjà en 2001, le Syndicat de la magistrature – dans son ouvrage « Vos papiers ! » – dénonçait la multiplication insupportable des « contrôles d’identité au faciès », ce qui lui valut les foudres des syndicats de police et du ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant. Quelque dix années et de nombreuses études plus tard, nul ne peut désormais contester ces abus.

Même le candidat François Hollande en paraissait convaincu en s’engageant, dans son programme, « à lutter contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité » par la mise en place « d’une procédure mieux encadrée, respectueuse des citoyens ». Dès le 1er juin, le Premier ministre annonçait d’ailleurs que bientôt les policiers remettraient un reçu lors des contrôles d’identité, et ce afin de lutter contre toute pratique discriminatoire.

Mais le ministre de l’intérieur, particulièrement soucieux de ménager la susceptibilité des syndicats de police dont certains criaient déjà au « discrédit sur l’honnêteté morale des policiers », manifestait rapidement des velléités d’enterrer cette promesse ce que confirmait son discours du 19 septembre aux cadres de la police et de la gendarmerie. La remise d’un reçu serait ainsi « trop complexe à mettre en place », manifesterait « une défiance » envers les forces de l’ordre et pourrait même être « contraire aux règles sur les fichiers »… Et la fin (officielle) du tutoiement, le rétablissement du numéro de matricule sur les uniformes des agents, voire l’installation de caméras-boutons sur ces mêmes uniformes (!) représenteraient autant d’alternatives « miraculeuses » répondant à l’engagement du Président de la République.

Quant au rapport du défenseur des droits, confirmant la nécessité d’une réforme, il ne semble pas avoir convaincu le gouvernement d’agir …

La question est pourtant trop importante pour la traiter par le mépris et trop sérieuse pour que l’on se satisfasse de simples rappels à la déontologie ou de gadgets vestimentaires !

Il s’agit en effet de mettre fin au dévoiement de cette procédure qui conduit certaines personnes à voir leur identité contrôlée plusieurs fois par semaine (voire par jour !) par les mêmes fonctionnaires de police – probablement amnésiques… Il s’agit de faire cesser des pratiques discriminatoires objectivées notamment par une étude menée en 2009 par des chercheurs du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), étude qui révèle que les personnes perçues comme « arabes » ou « noires » ont 7 ou 10 fois plus de risque d’être contrôlées que celles perçues comme « blanches ».

La disparition de ces pratiques malheureusement banalisées par l’élargissement, sans aucun contrôle, des conditions d’exercice des contrôles d’identité passera nécessairement par leur limitation aux stricts impératifs de lutte contre la délinquance et par un contrôle rigoureux de cet usage.

Cet objectif se satisfait pleinement du champ déjà très large du contrôle d’identité dit « judiciaire » qui suppose l’existence de simples « raisons plausibles de soupçonner » que la personne « a commis ou tenté de commettre une infraction, se prépare à commettre un crime ou un délit, est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou fait l’objet de recherches ordonnées par l’autorité judiciaire ».

On peut donc sereinement envisager, sans mettre en danger la sécurité de nos concitoyens, la suppression des contrôles dits « administratifs » – permettant le contrôle de toute personne, quel que soit son comportement, pour « prévenir une atteinte à l’ordre public » –, des contrôles sur réquisitions du procureur de la République ainsi que des contrôles dits « Schengen » qui sont, sans conteste, le principal vecteur des pratiques discriminatoires constatées. De fait, ces contrôles ont pour l’essentiel servi la politique de « chasse aux étrangers ».

Leur suppression apparaît seule de nature à en réduire substantiellement le nombre ; elle n’est pour autant pas suffisante : une trace matérielle doit subsister à la suite de chaque contrôle pour s’assurer de leurs motifs objectifs, circonstanciés et se référant aux critères définis par la loi. La délivrance d’un récépissé trouve ici sa place et n’est pas incompatible avec la législation sur les fichiers si l’exemplaire conservé par les forces de l’ordre ne porte pas de données nominatives mais un simple numéro d’identification, comme cela a été suggéré par certaines associations.

N’en déplaise enfin à M. Valls, la mise en œuvre d’un contrôle sur l’activité d’une institution, dans une société démocratique, loin d’être une mesure de défiance insupportable, est de nature à renforcer la confiance des citoyens dans cette institution. Plus certainement, mettre fin à ces pratiques – qui apparaissent comme une des principales causes de la dégradation des relations entre les citoyens et les forces de l’ordre – pourrait participer au rétablissement d’un indispensable dialogue.

Il est donc plus que temps de sortir de cette situation, contraire aux principes démocratiques, et source d’une profonde révolte : mobilisons-nous !

Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature

 

La Ligue des droits de l’Homme proteste et dénonce l’arrestation d’Aurore Martin

Aurore Martin, militante du parti basque « Batasuna », a été arrêtée jeudi 1er novembre au cours d’un contrôle de gendarmerie à Mauléon, dans les Pyrénées-Atlantiqes. Ressortissante française, elle était sous le coup d’un mandat d’arrêt européen, pour son appartenance au parti Batasuna. Elle a été transférée en Espagne, où le juge de « l’Audience nationale » (la plus haute juridiction espagnole, lire ici) l’a aussitôt placée en détention sans possibilité de libération sous caution. Elle risque 12 ans de prison.
Cette arrestation et cette extradition vers l’Espagne suscitent beaucoup de réactions, et des personnalités aussi bien de droite que de gauche la dénoncent (lire l’article de Libération).
La Ligue des droits de l’Homme se devait elle aussi de réagir : elle l’a fait, dans un communiqué qu’elle a publié en début d’après-midi, ce vendredi 2 novembre.
Communiqué LDH
Paris, le 2 novembre 2012
Arrestation d’Aurore Martin : la LDH proteste et condamne
La militante basque française Aurore Martin a été interpellée le 1er novembre au matin, plus d’un an après une première tentative avortée à Bayonne, ont annoncé la gendarmerie et le parquet.
Aurore Martin, membre de Batasuna, a été arrêtée à Mauléon (Pyrénées-Atlantiques) en exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré par la justice espagnole, après un premier rejet récent pour insuffisance de motif d’une demande identique. Cette arrestation atteste d’un acharnement relayé par les autorités françaises.
La Ligue française des droits de l’Homme condamne avec force à la fois le recours à une procédure aussi violente vis-à-vis des droits de la défense et des libertés individuelles et l’aveuglement qui la sous-tend. Rappelons que les juridictions espagnoles qui viennent d’obtenir la remise d’Aurore Martin sont des juridictions d’exception, ont été dénoncées par la Cour d’appel de Pau comme ayant cautionné des actes de torture, et, pour cette raison, se sont vues refusées les demandes d’extradition formulées.
La décision du gouvernement français n’en est que plus incompréhensible et condamnable. Elle s’inscrit davantage dans la volonté d’une criminalisation des opposants politiques à l’initiative des gouvernements des deux pays que d’une lutte efficace contre le terrorisme.

Lettre ouverte de P. Tartakowsky à F. Hollande à propos d’Israël et la Palestine

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, vient d’adresser une lettre au président de la République. Il y rappelle, à l’occasion de la visite en France du premier ministre israélien, les engagements de François Hollande pendant sa campagne pour l’élection présidentielle : obtenir d’Israël « des mesures d’allègement afin d’aboutir à la levée du blocus » dont est victime l’Etat palestinien.

La position de la Ligue des droits de l’Homme sur ce sujet est, et a toujours été claire : l’Etat Israélien a le droit d’exister, l’État palestinien également. La LDH condamne le blocus imposé par Israël à la Palestine et elle participe régulièrement aux différentes opérations « un bateau pour Gaza ».

Voici le texte de la lettre ouverte, téléchargeable ici.

Paris, le 31 octobre 2012

 

Monsieur le Président,

Vous vous apprêtez à recevoir, pour une visite officielle, le Premier ministre israélien.

La Ligue des droits de l’Homme admet, bien évidemment, que pour arriver à une paix entre Israéliens et Palestiniens il faille discuter avec toutes les parties. Dans ce cadre, elle souhaite vivement que vous puissiez rappeler à monsieur Netanyahu toutes les violations des droits de l’Homme et du droit international, dont son gouvernement se rend coupable.

Concernant la colonisation, qui est un des principaux obstacles a la paix, nous vous invitons a lui rappeler, pour le moins, les termes vifs du communiqué du 19 octobre dernier de votre ministère des Affaires étrangères : « La France condamne l’approbation donnée par le ministère de l’Intérieur israélien a la construction de hait cents nouveaux logements dans la colonie de Gīlo a Jérusalem-Est.   La France rappelle que la colonisation israélienne, sous toutes ses formes, est illégale au regard du droit international, qu’elle nuit au rétablissement de la confiance entre les parties et qu’elle constitue un obstacle si une paix juste fondée sur la solution des deux États… »

Concernant le blocus de la bande de Gaza, que le gouvernement de M. Netanyahu maintient depuis déjà cinq ans, nous vous invitons à lui rappeler que dans la mesure où il s’applique à l’ensemble des habitants pour des crimes qu’ils n’ont pas personnellement commis, il constitue une « punition collective », violation flagrante du droit international humanitaire, dont le respect s’impose pourtant à Israël. En tant que candidat, vous vous étiez engagé à obtenir d’Israël « des mesures d’allègement afin d’aboutir à la levée du blocus », nous ne doutons pas que cette visite vous permettra d’agir dans ce sens.

Concernant les prisonniers palestiniens, nous vous invitons à lui rappeler que les termes de l’accord conclu pour mettre fin à la grève de la faim de milliers d’entre eux, n’ont pas été tenus au risque d’entraîner une nouvelle grève, que des allégations de tortures sont dénoncées par plusieurs ONG israéliennes. La détention administrative est depuis toujours utilisée comme moyen de répression profondément injuste et contraire au droit international. De même, plus de deux cents enfants sont actuellement détenus et jugés dans des conditions contraires à la Convention internationale des droits de l‘Enfant, pourtant ratifiée par Israël.

Concernant les Bédouins du Néguev, qui sont citoyens israéliens, nous vous invitons à lui rappeler qu’un plan de récupération de leurs terres est en cours de réalisation, tentant de les chasser de leurs terres et détruisant des villages « non reconnus ». Le plan Prawer prévoit le déplacement de 70 000 Bédouins.

Concernant les ONG israéliennes, nous vous invitons à lui faire observer que des lois récentes (loi relative au financement étranger et loi anti-boycott) menacent sérieusement leur liberté d’expression et d’association, ce qui est tout a fait contraire au fonctionnement démocratique d’un État.

Enfin, nous souhaitons que, concernant la probable et prochaine demande de l’OLP de reconnaissance de la Palestine comme État non-membre de l’ONU, vous rappeliez à M. Netanyahu les termes de votre 59ème engagement de campagne : « Je prendrai des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l ’État palestinien. »

La Ligue des droits de l’Homme sera très attentive aux résultats de vos entretiens.

Vous comprendrez, Monsieur le Président de la République, que je rende publique cette lettre.

Recevez, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.

 

Copie à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères.

 

 

Pierre Tartakowsky : en matière de liberté, la France doit faire mieux

Dénonçant la politique du gouvernement vis-à-vis des Roms, Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, appelle à débattre de l’immigration, de manière pédagogique et imaginative, ainsi qu’à la mobilisation de l’ensemble des Français pour faire émerger « un autre projet de société (…). Changer, ce n’est pas se couler dans les méthodes du passé, fût-ce en les adoucissant ». Tribune publiée sur le site Médiapart.

L’annonce de la suppression du délit de solidarité, qui a permis de condamner des hommes et des femmes parce que leur conscience refusait d’abandonner d’autres hommes, d’autres femmes, parfois avec leurs enfants, à l’arbitraire et au dénuement, ne peut que nous satisfaire. De même, l’annonce par la ministre de la Justice d’une rupture avec le tout carcéral et d’un changement de paradigme pénal n’a rien de négligeable à nos yeux; pas plus d’ailleurs que d’autres mesures prises ou annoncées, notamment de réformes des institutions, qui vont dans le même sens.

Pourtant, domine un sentiment –sinon d’inachevé tant ce serait prématuré à même pas six mois du début des mandats présidentiel ou législatif–, du moins d’incompréhension. Certes, la critique est aisée et la construction difficile. Mais, la campagne électorale, déjà, nous avait laissés sur notre faim: rien de ce qui touche aux libertés, aux droits des gens (y compris des étrangers…) n’y était central; d’évidence, ce n’est pas ce qui intéressait le plus le candidat socialiste. Comme si, face au déferlement xénophobe et autoritaire sur lequel surfait le président sortant, il fallait éviter plutôt que contredire. En serions-nous encore là?

Certes, et nous le savons bien, les temps sont mauvais. L’angoisse sociale règne sur l’Europe et une certaine raison économique oblitère toute ambition politique; le chômage qui ronge les individus et les collectivités attise les pires concurrences; les structures opaques et incohérentes de l’Union européenne, si éloignée des citoyens et si proche des marchés, comme le montre le traité proposé à la ratification, obscurcissent l’idée même d’un avenir commun. Le désintérêt pour la chose publique et le repli sur soi cèdent, tant dans la vie privée que dans la vie publique, aux pressions de grandes peurs. Il en résulte une sorte d’empêchement à vivre, d’empêchement à penser et à agir, comme si l’immensité du défi tétanisait les peuples et leurs représentants.

Sortirons-nous de cette sidération par l’amélioration de la situation sociale et économique? C’est évidemment nécessaire. Mais qui peut croire que cela serait suffisant? Qui peut croire que cela suffira à estomper les plaies qui défont à long terme le lien social? Il nous faut clairement un autre projet de société, qui passe par un renouvellement de la démocratie et des règles communes: il nous faut, pour que l’espoir se réveille, réveiller les réflexes citoyens de nos contemporains, faire preuve de plus de cohérence et pour tout dire, d’audace. Changer, ce n’est pas se couler dans les méthodes du passé, fût-ce en les adoucissant. L’expulsion de quelques malheureux Roms de leurs habitats précaires et une escapade ministérielle à Bucarest sont des images toujours aussi détestables, aujourd’hui comme hier. On sait que cette pratique sera inéluctablement obsolète en 2014; à quoi rime alors cette politique envers les étrangers, si ce n’est, de manière générale, pour montrer que l’on fait au moins autant que le prédécesseur mais plus proprement? Comment supporter que l’on retrouve quotidiennement des situations dramatiques mettant aux prises des individus, peut-être étrangers, mais nés ou vivant en France depuis des années, et une administration dont la seule logique interne reste l’expulsion? Ce type de décalque non seulement est dangereux –souvenons-nous du 21 avril 2002– mais ne résout aucune des questions posées. Oui, nous avons besoin de débattre de ce qu’est réellement l’immigration dans notre pays; non, ce n’est pas en conservant une logique de suspicion que l’on fera preuve de pédagogie et d’imagination.

Le gouvernement doit changer, résolument et maintenant, de démarche. Il faut, par exemple, en finir avec le scandale que représentent les visas de court séjour ou le traitement expéditif des demandes d’asile. Rétablir, de même, une sécurité juridique pour les étrangers qui vivent en France, retirer au ministère de l’Intérieur le pouvoir de naturaliser, pouvoir qui s’est transformé en un examen de passage politique ou religieux. À défaut, la stigmatisation des Roms, des Arabes, etc. se poursuivra avec, comme conséquence, son extension à ceux et à celles qui ne sont plus étrangers mais qui, aux yeux de certains, continuent à en avoir l’allure… Et puisque le droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections locales doit entraîner une réforme de la Constitution, donnons-lui la dimension d’un large débat qui ne soit pas confiné aux membres d’une commission et englobe d’autres enjeux démocratiques: mettons un terme au cumul des mandats, assurons l’indépendance du Parquet, changeons le mode de nomination des membres des contre-pouvoirs de la République, rapprochons enfin les citoyens des lieux de décision en généralisant l’élection au suffrage universel, l’institution de la parité à tous les niveaux de la vie publique, etc.

Ces objectifs sont ambitieux; ils méritent mieux que les frilosités de quelques caciques, qu’ils soient d’un bord ou d’un autre. Réformer notre justice, mettre un terme à l’empilement carcéral, donner les moyens nécessaires au fonctionnement de la justice de tous les jours, reconstruire une procédure pénale et un code pénal, mis à mal par des lois d’exception et par la croyance absurde qu’il faut choisir entre prévenir et réprimer, reconstruire des liens de confiance entre la police et la population, tout ceci implique que le ministre de l’Intérieur ne joue pas au ministre de la Justice et que celle-ci s’empare de ces objectifs. Enfin, gouverner autrement, c’est rétablir un intense dialogue avec l’ensemble de la société civile qui a été si minutieusement éradiqué, c’est aussi assurer à chacun l’égalité des droits et s’interdire tout langage et toute pratique discriminatoire. Proclamer son attachement à la laïcité, c’est bien lui restituer ses facultés d’insertion et refuser qu’elle soit détournée à des fins d’exclusion.

Cette interpellation en faveur d’un autre projet de société, plus libre et plus solidaire, car rien ne sera possible sans le respect effectif des droits sociaux, ne peut se limiter à une simple interpellation du gouvernement et du président de la République. Les partis politiques, mais aussi les syndicats et le monde associatif, ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité et si nous disons «encore un effort Monsieur le Président», nous savons que tout attendre d’un pouvoir quel qu’il soit, serait abandonner notre propre pouvoir. C’est d’ambition que nous souhaitons que le gouvernement fasse preuve, c’est de souffle que nous avons besoin pour les réaliser, pour rétablir la confiance dans la République.

La Ligue des droits de l’Homme demande l’abaissement des taxes sur les titres délivrés aux étrangers

On se souvient de l’augmentation hallucinante qu’avaient subie les taxes imposées aux demandeurs d’asile, au début de l’année 2012. Un seul exemple : le prix de la carte de séjour était passé de 70€ à 349€ ; le détail de ces augmentations est à lire ici.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, vient d’adresser une lettre aux députés, pour qu’ils se saisissent de ce problème, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2013. Cette lettre a été adressé à tous les députés, à l’exception, naturellement, de ceux du Front national, et demande que l’ensemble de ces taxes et des mécanismes qui les sous-tendent soient entièrement revus, pour parvenir à davantage d’équité, et que ces taxes ne soient plus un obstacles pour les demandeurs d’asile à avoir des papiers en règle.

Voici cette lettre, qui est téléchargeable ici.

LE PRESIDENT

Réf : 470/12/PT/VP

Objet : taxes exigibles des ressortissants étrangers sollicitant la délivrance d’un titre dc séjour

Paris, le 18 octobre 2012

 

Madame la Députée, Monsieur le Député,

Vous êtes actuellement amené(e)s, dans le cadre de l’examen de la loi de finances 2013, à vous prononcer sur son article 29, intitulé « renforcement de l’équité des taxes sur les titres délivrés aux étrangers ». Si cet article prévoit effectivement une baisse de la somme a acquitter pour la délivrance d’un titre de séjour, son adoption sans modification continuera à constituer un véritable obstacle à la régularisation de nombreux ressortissants étrangers qui peuvent pourtant y prétendre, en application de notre législation, et ancrera le principe de la perception d’une somme injuste et indue adopte par la précédente législature.

La modification du montant des taxes exigibles du ressortissant étranger, ainsi que des modalités de leur perception, résultait jusqu’à présent de la loi de finances pour 2012 qui n’a, sur ces aspects, pas fait l’objet d’un examen effectif par le Conseil constitutionnel. Des lors, le recours pour excès de pouvoir que la LDH et le Gisti ont conjointement introduit contre la circulaire d’application du 19 janvier 2012 (NOR 1OCL1201043C) n’avait que peu de chances de prospérer, et le Conseil d’État l’a rejeté par un arrêt du 17 octobre dernier.

Pour autant, tant le montant total exige pour obtenir une première carte de séjour temporaire que les modalités de perception de celle-ci sont pour le moins illégitimes et indues.

En premier lieu, le décret n° 2011-2062 du 29 décembre 2011 ainsi que la circulaire d’app1ication du 19 janvier 2012 précitée prévoient en effet, comme condition d’enregistrement même de la demande, le versement d’une somme de 110 euros, dénommée « droit de visa de régularisation », non remboursable, quelle que soit l’issue réservée à la demande et, au surplus, exigible à chaque nouvelle demande. Cette somme étant censée couvrir les frais de visa que le demandeur aurait dû acquitter s’il était entré en France muni du visa correspondant au titre de séjour qu’il sollicite, il est pour le moins indu de l’exiger à chaque nouvelle demande, des lors que le ressortissant étranger s’en est déjà acquitté.

En outre, s’il peut sembler légitime d’exiger le versement d’une somme correspondant au visa long séjour que le demandeur aurait dû obtenir pour solliciter utilement la délivrance d’un titre de séjour, une fois présent sur le territoire français, sur quel fondement le législateur peut-il exiger que cette somme ne soit pas remboursable ? Il convient en effet de relever que les services consulaires ne délivrent un visa long séjour qu’après avoir vérifié que les conditions de délivrance du titre de séjour sont réunies, ce qui permet à son détenteur, une fois sur le territoire français, d’obtenir le titre de séjour correspondant au visa dont il a acquitté les frais.

En second lieu, si l’article 29 du projet de loi qui vous est soumis prévoit bien une baisse des taxes exigibles du demandeur qui se prévaut de ses attaches privées et/ou familiales sur le territoire français, le montant global qu’il devra verser demeure plus que prohibitif pour une personne qui, par définition, est dépourvue d’autorisation de travail. Actuellement, cette somme s’élève à 708 euros. Le présent projet vous propose de retenir une somme variant de 518 euros, pour la fourchette la plus basse, à 648 euros pour la plus haute, le montant exact étant soumis à des dispositions décrétales. L’acquittement d’une telle somme pour une personne qui se trouve le plus souvent en situation de précarité continuera de s’avérer dissuasive, ou de potentiellement favoriser des pratiques illégales, d’autant que la clause d’indigence prévue par le décret du 13 aout 1981 (décret n°81-778) a disparu avec l’adoption de la circulaire du 19 janvier 2012. Or, précisément, un tel montant s’appliquera à des personnes qui remplissent pourtant les conditions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) pour obtenir, de plein droit et sur le fondement de leurs attaches privées et/ou familiales en France, un titre de séjour. En érigeant ainsi un obstacle à la régularisation de ces personnes, un tel dispositif viole l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), qui garantit le respect dû à la vie privée et familiale.

Aussi, un raisonnement par analogie avec la solution retenue en avril dernier par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) semble s’imposer. La Cour a en effet censure la loi néerlandaise et les droits fiscaux exigés, par les Pays-Bas, des ressortissants de pays tiers qui sollicitent le statut de résident de longue durée ou, s’ils ont acquis ce statut dans un autre État, demandent à exercer leur droit au séjour, ainsi qu’aux membres de leurs familles. En l’espèce, ces droits fiscaux variaient de 201 à 830 euros. Alors même qu’un article de cette loi prévoyait une dispense possible des droits fiscaux justifiée sur le fondement de l’article 8 de la CESDH, la CJUE a estimé que le pouvoir d’appréciation accordé aux États membres n’était pas illimité, et a déclaré qu’en l’espèce, le royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombent (CJUE, 26 avr. 2012, aff. C-508/ 10, Commission européenne c/ Pays-Bas).

L’ensemb1e de ces éléments nous amène à vous demander de bien vouloir amender l’article 29 du projet de loi de finances pour 2013, dans le sens :

  • d’un ajout permettant de mentionner explicitement que la somme correspondant au visa de régularisation ne soit exigible du demandeur de titre de séjour qu’une seule fois, indépendamment des demandes ultérieures qu’il pourrait introduire ;
  • d’un acquittement des sommes exigibles lors de la délivrance du titre de séjour sollicite ;
  • d’une baisse substantielle des taxes exigibles du demandeur qui sollicite la délivrance d’un titre de séjour, notamment sur le fondement de ses attaches privées et/ou familiales ;
  • d’une inclusion, dans la loi, d’une clause d’indigence.

Convaincu que l’équité sera au cœur de vos préoccupations, je vous prie de croire, Madame la Députée, Monsieur le Député, à l’assurance de ma parfaite considération.