Lettre ouverte au président de la République à l’occasion de son voyage en Algérie

La Ligue des droits de l’Homme adresse, avec huit autres associations, une lettre ouverte au président de la République, à l’occasion du voyage qu’il va effectuer en Algérie, une lettre ouverte dans laquelle les signataires attirent l’attention du président sur « l’état des droits de l’Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, et aux libertés fondamentales dans le cadre des relations entre la France et l’Algérie ». La liste des associations signataires figure en bas de la lettre.

Lettre ouverte à M. le Président de la République Française à l’occasion de sa visite officielle en Algérie

Paris, le 17 décembre 2012

À l’attention de: M. François Hollande, Président de la République Française

Objet : Lettre ouverte à l’occasion de la visite officielle du Président de la République Française en Algérie

Monsieur le Président de la République,

Vous vous apprêtez à effectuer une visite officielle en Algérie – visite qui a pour ambition de « rétablir une relation politique de confiance à la hauteur des ambitions de nos deux peuples et tournée vers l’avenir ». À cette occasion, nous, organisations signataires, souhaitons attirer votre attention sur les questions relatives aux droits de l’Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, et aux libertés fondamentales dans le cadre des relations entre la France et l’Algérie.

Nous tenons, tout d’abord, à saluer votre décision de reconnaître le massacre, le 17 octobre 1961, de manifestants algériens, en plein cœur de Paris. Cette décision, nous l’espérons, sera suivie d’une dénonciation du système colonial et des crimes qu’il a engendrés alors, afin de permettre notamment un travail de mémoire conjoint et apaisé sur l’Histoire commune, une plus grande capacité des nouvelles générations d’origine algérienne à assumer leur citoyenneté française ainsi que l’établissement de relations normalisées entre la France et l’Algérie. Nous sommes également convaincus que le droit de vote aux élections locales accordé aux étrangers établis en France, ce qui concerne donc les Algériens y vivant, devrait contribuer positivement à cette évolution.

Monsieur le Président, parmi les « 60 engagements » de votre projet présidentiel, vous vous promettez de « [développer] la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique et culturel […] en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité ». Cette visite officielle en est une première étape. Nos organisations croient que cette « relation de confiance » que vous souhaitez développer pendant votre présidence avec les autorités algériennes doit se faire au bénéfice de certains progrès en matière de droits de l’Homme et des libertés démocratiques, ainsi que de tous les acteurs de la société civile indépendante en Algérie.

Or, depuis l’annonce des réformes politiques en avril 2011, la répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des militants syndicaux n’a fait que s’amplifier en Algérie. En contradiction avec la Constitution du pays et les conventions internationales que l’Algérie a ratifiées, le harcèlement judiciaire à l’égard de défenseurs des droits de l’homme et de militants syndicaux, la répression policière, l’interdiction injustifiée de manifestations et réunions publiques, le recours à des pratiques administratives abusives entravant la création et le fonctionnement des associations et des syndicats autonomes élèvent des obstacles considérables à l’action de la société civile algérienne. Plusieurs lois promulguées en janvier 2012 et présentées comme des ‘réformes démocratiques’ sont en réalité une régression des libertés publiques, en particulier la loi n° 12-06 qui rend plus difficile la création, le financement et le fonctionnement quotidien des associations et la loi n° 12-05 sur l’information qui entrave l’indépendance des journalistes et la liberté d’opinion et de publication. Par ailleurs, plusieurs demandes de création de nouveaux syndicats autonomes dans différents secteurs se heurtent à un refus d’enregistrement non motivé. De plus, l’impunité des auteurs de disparitions forcées et d’autres violations graves et massives des droits de l’Homme commises durant les années 90 reste toujours de mise, malgré les nombreuses condamnations formulées par différents organes du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.  

À l’occasion de votre visite, nos organisations vous demandent d’inclure en priorité, dans toute négociation avec les autorités algériennes, la question du respect et de l’application réelle des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme ainsi que des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiées par l’Algérie. À cet égard, nous tenons également à vous faire part des obstacles à la délivrance de visas que nos organisations comme d’autres organisations internationales des droits de l’Homme ou syndicats étrangers rencontrent et qui ont pour effet d’entraver le travail sur le terrain avec les organisations algériennes.

Nous croyons, par ailleurs, que la France serait mieux entendue si elle cessait de pratiquer une politique entravant la liberté de circulation des algériens à l’intérieur de ses frontières, comme dans les autres pays européens. Ces entraves qui touchent tous les secteurs de la population sont ressenties comme autant de manifestations de mépris.

Enfin, nos organisations vous invitent, Monsieur le Président, à saisir l’occasion de votre visite pour rencontrer la société civile afin d’entendre l’intense aspiration démocratique des Algériennes et des Algériens. Nous espérons que celle-ci sera en outre l’occasion de mettre en place des mécanismes qui permettent de consulter et d’associer la société civile indépendante des deux pays au renouveau de la coopération entre la France et l’Algérie.

Confiants de l’attention que vous voudrez bien porter à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.

Signataires :

  • M. Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
  • Mme Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
  • M. Michel Tubiana, président du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH)
  • M. Halim Derbal pour le Bureau de l’association Agir pour le Changement Démocratique en Algérie (ACDA)
  • Mme Nassera Dutour, porte-parole du Collectif des familles des disparu(e)s en Algérie (CFDA)
  • M. François Della Sudda, président du Comité International de Soutien au Syndicalisme Autonome Algérien (CISA)
  • Me Noureddine Benissad, président de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH)
  • M. Rachid Malaoui, président du Syndicat National Autonome du Personnel de l’Administration Publique (SNAPAP)
  • Me Amine Sidhoum, coordinateur du Réseau des Avocats pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDH)

 

Petit cours de droit à l’usage des dirigeants de la FFF qui en auraient bien besoin

Depuis 2009, la Fédération française de football (FFF) s’obstine à appliquer, de manière erronée, les dispositions de l’article 19 du Règlement de la Fédération internationale de football association (Fifa), qui porte sur le statut et le transfert des joueurs et la lutte contre le trafic des jeunes joueurs dans le monde.

La FFF adapte cet article à la réglementation française, de manière discriminatoire. Elle exige de tout enfant non français qu’il justifie de l’identité et de la nationalité de ses parents, de ses liens de filiation avec ceux-ci et de leur résidence en France, ainsi qu’une attestation de sa présence continuelle en France lors des cinq années précédentes. Cette règle absurde bloque des centaines de licences. Un enfant sans papiers n’existe pas. Il y a simplement des enfants : la Convention internationale des droits de l’enfant rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur toute autre considération.

La Ligue des droits de l’Homme, qui a contribué à révéler les discriminations qui se cachent (mal) dans certains milieux du sport, a poursuivi cette année son action contre le refus de délivrance, par la Fédération française de football (FFF), de licences à des enfants qui veulent pratiquer ce sport. La raison ? Ils sont, disent-ils, étrangers.

Dans une lettre adressée à la LDH, la FFF tente de se justifier. Cette lettre montre que s’il advenait que ses dirigeants aient besoin d’une formation, ce serait bien en droit ! Le directeur général adjoint attaque vivement la LDH pour avoir déclenché une campagne médiatique défavorable. Et de s’en indigner… et de tenter ainsi un retournement en réponse aux accusations de discriminations, en l’occurrence celles que subissent certains mineurs parce que leurs parents sont étrangers, dans leur demande de délivrance d’une première licence. C’est une défense classique mais dérisoire que celle qui consiste à s’offusquer d’être critiqué, alors que le fondement de la critique est avéré. La FFF refuse de délivrer des licences à des jeunes enfants au vu de leur nationalité, et cela porte un nom déplorable, cela s’appelle une discrimination, et aboutit, pour une entité sociale, à se donner le droit de créer son propre droit au mépris de la loi.

La situation ainsi créée montre un curieux paradoxe. Il apparaît que dans le cas de jeunes joueurs dont les clubs souhaitent s’attacher les talents alors qu’ils viennent de l’étranger, l’intervention auprès de la Fifa consiste à lever le blocage de la licence. Autrement dit, la circulaire Fifa et sa déclinaison nationale ne s’appliquent pas lorsqu’elles le devraient, et s’appliquent lorsqu’elles ne le devraient pas. En ce qui concerne la protection des mineurs provenant de certains pays et trompés par de faux agents qui les abandonnent par la suite, si une solution protectrice doit être trouvée, elle ne peut consister à refuser une première licence de football à ceux qui en font la demande. C’est en effet une dérive dangereuse pour les libertés que celle qui consiste à incriminer tout un groupe au prétexte de sanctionner un délit. A la pratique de la discrimination, la FFF ajoute l’ignorance des règles fondamentales et habituelles du droit.

Si la LDH critique la réglementation et la pratique administrative de la FFF, c’est parce que la démonstration est faite qu’elle invente des actes administratifs dans un sens défavorable aux personnes, qu’elle les différencie en fonction de leur origine supposée ou réelle. Appliquées aux enfants, ces règles sont une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui dit qu’en toute situation c’est « l’intérêt supérieur de l’enfant » qui s’impose à toute autre disposition. La solution qui consiste à construire la protection de certains jeunes joueurs, venus de l’étranger, sur la stigmatisation d’enfants d’étrangers vivant en France ne garantit pas l’égalité de traitement de tous.

En ce qui concerne la pratique de ses services, le directeur général adjoint mentionne un examen au « cas par cas des dossiers », dans une sorte de reconnaissance honteuse qu’il y a bien problème. S’agit-il d’actionner une baguette magique, qui, bien agitée, rétablirait dans le bon sens une mauvaise situation d’arbitraire ? Dans un maintien dans l’ignorance des demandeurs, la FFF adapte soit les critères généraux, soit la situation de la personne. Quant à la demande d’une attestation de résidence, si elle voit sa durée de cinq ans réduite à trois ans, c’est sans mettre en cause la présentation d’un acte administratif qui n’existe pas. Par ailleurs la mention « attestation de cinq ans » figure dans la réglementation à l’annexe 1, et le secret est bien gardé sur les détails du logiciel employé.

La FFF aurait renoncé, dit-elle, à un certain nombre d’exigences à fournir. Rappelons que lorsqu’il s’agit d’un enfant, il s’agit d’une illégalité, puisqu’il n’existe pas d’enfants sans papiers, mais juste des enfants. Cette analyse est corroborée par la demande de présentation d’une preuve de résidence des parents, ce qui revient à dire que pour avoir le droit de pratiquer le football, il ne faut pas être fils ou fille de SDF, il ne faut pas être fille ou fils de sans-papiers et, absolument éviter d’être fils ou fille de sans-papiers SDF…

En outre, alors que la FFF affirme que les demandes ne sont pas cumulatives, on peut constater que l’ensemble des réponses flottent dans un flou général, au point que la FFF s’empêtre dans sa démonstration et reconnaît qu’il y a bien des discriminations, mais qu’elles ne sont pas intentionnelles, mais exceptionnelles comme si le fait qu’elles soient telles les rendait moins condamnables.

La FFF prétend n’établir un contrôle effectif qu’à partir de l’âge des U13. Cette assertion est fausse. De nombreux enfants dès l’âge de 6 ans, même nés en France, ont subi un refus de délivrance de licence en début de saison et ont bénéficié d’un déblocage uniquement grâce à l’intervention volontariste des responsables de clubs. Un certain nombre d’entre eux seraient tellement lassés par ce travail de bénévoles accompli à longueur de temps, qu’ils renoncent à inscrire désormais de jeunes mineurs étrangers signant leur première licence. Ainsi à la perte de temps s’ajoute une aggravation et un enracinement dans la pratique, et plus seulement dans la réglementation, de la discrimination. Dès lors, la LDH se sent confortée dans son rappel à l’ordre de la Convention internationale des droits des enfants, un jeune est « enfant » jusqu’à l’âge de 18 ans, et aucune différence ne devrait être faite pour tout mineur qui doit avoir le droit de s’inscrire dans le sport qu’il désire pratiquer.

Centres de rétention : pas de droits pour les personnes, pas de liberté pour les associations ?

La Ligue des droits de l’Homme prend à son tour position contre l’appel d’offre que vient de lancer le ministère de l’intérieur aux associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative. Dans un communiqué, elle dénonce les mesures qu’elle estime inacceptables, et demande le retrait pur et simple de cet appel d’offre et l’arrêt de l’enfermement des étrangers sans papiers.

La Ligue des droits de l’Homme a eu connaissance des nouvelles dispositions que le gouvernement a prises en ce qui concerne les centres de rétention administrative. Les conditions dans lesquelles les associations concernées vont devoir répondre au nouvel appel  d’offre sont inacceptables : liberté d’action limitée, droit à investigation dénié, limitation du droit des personnes à bénéficier d’une aide. Au lieu d’une amélioration des conditions de fonctionnement et du respect des personnes, le gouvernement accentue les mesures restrictives.

Alors qu’aucune diminution du nombre de personnes retenues dans les centres de rétention n’est attendue, compte tenu du chiffrage du nombre d’expulsés d’ores et déjà annoncé par le ministère de l’Intérieur,  l’intervention des associations contractantes est rendue plus difficile, en recourant à un contrôle étroit de leurs activités.

Ainsi, elles devront par exemple prévenir les chefs des centres de rétention, dès qu’une des personnes enfermées qu’elles accompagnent osera déposer un recours, et les personnes étrangères enfermées ne pourront plus s’entretenir avec les associations accompagnées d’un co-retenu de leur choix, ce qu’elles souhaitent pourtant très fréquemment.

Enfin, en matière de liberté d’information, les associations seront soumises à un « devoir de réserve » et une « obligation de discrétion », et devront exprimer « de manière mesurée, des opinions dans le domaine des politiques publiques relatives à l’immigration ».

L’empilement de ces mesures de restriction signifie que le regard critique et de dénonciation que portaient les associations est largement mis en cause. Ainsi, tout affichage dans leurs bureaux est soumis à l’autorisation préalable du chef du centre de rétention. De même, le prêt de moyens de communication vers l’extérieur est interdit, mettant ainsi en cause le droit de correspondre pour se  défendre. 

Enfin le texte de l’appel prévoit des sanctions, des pénalités financières, l’interdiction définitive pour les salariés d’accéder au centre de rétention, voire la résiliation des contrats des associations. Ces sanctions seront prononcées par la police ou le ministère de l’Intérieur, sans moyen de recours compte tenu de la liberté d’appréciation qui leur est laissée.

En matière de rétention des étrangers, l’orientation va donc dans le sens de la répression : expulsions collectives, absence d’amélioration du traitement des étrangers malades, création, après l’arrêt du conseil d’État sur la garde à vue, d’une nouvelle disposition de retenue, au mépris du droit commun, poursuite de l’enfermement d’enfants dans le centre de rétention de Pamandzi à Mayotte, mise à l’écart des Cra de Mayotte et de Martinique du marché public. Ce faisant, les mesures d’assouplissement de la politique antérieure sont noyées dans un ensemble défavorable.

La Ligue des droits de l’Homme se prononce pour la fin de la politique d’enfermement des étrangers sans papiers, et pour le retrait de l’appel d’offre du marché  public de la rétention, tel qu’il est proposé  aux associations intervenant dans les centres de rétention.

 

Vers la réhabilitation d’un résistant victime d’une rumeur dramatique

René Huguen (photo Ouest-France)

Une des grandes luttes de la Ligue des droits de l’Homme, lutte qui n’est d’ailleurs pas terminée, est la réhabilitation des soldats « fusillés par l’exemple » pendant la 1ère guerre mondiale.

La section LDH de Saint-Brieuc s’est engagée dans un combat un peu similaire, mais qui concerne la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’un résistant, qui a été fusillé par ses camarades, à la Libération, victime d’une rumeur qui le désignait comme coupable d’une trahison qui avait abouti à l’arrestation des « lycéens martyrs », ces jeunes briochins exécutés pour certains, déportés pour d’autres.

Ces jeunes gens avaient été arrêtés par la Gestapo à partir d’une liste qui lui avait été fournie. Bien entendu, à la Libération, on s’est demandé qui avait fourni cette liste. Et la rumeur désigna Georges Fischer. Très vite le jugement tombe : Georges Fischer doit être exécuté. (Lire aussi l’article d’Ouest-France).

On sait aujourd’hui, non seulement que Georges Fischer n’avait pas trahi, mais qui l’avait fait : il s’agissait, comme c’est presque la règle dans ces histoires en Bretagne, d’un militant du parti national breton, tristement célèbre pour sa collaboration avec les Allemands.

Voici le récit que donne de ce drame René Huguen, lui-même ancien résistant, et doyen du Conseil des anciens élèves du Lycée Anatole Le Bras.

Au soir de ce 14 juillet 1944, trois résistants désignés pour accomplir l’exécution se présentent chez Hélène Le Cor, née Fischer, qui héberge son frère Georges, à La Ville Ginglin. Georges les voit, révolver au poing. Il comprend : « Je n’ai pas trahi, je vous le jure », clame-t-il, alors qu’une première décharge vient de l’atteindre, suivie de quatre autres tirées à bout portant par chacun des trois hommes. La scène se passe devant la sœur et ses enfants, dont Marilou Le Cor, alors âgée de 9 ans, Marilou, qui gardera toute une vie la vision d’un drame atroce.

La Libération est là. Des procès sont conduits par la justice républicaine. On découvre alors le véritable dénonciateur des lycéens : Michel Plessix, un jeune du PNB (Parti national breton) qui s’est mis au service de la Gestapo. Il a obtenu une liste d’un malheureux lycéen, Paul Cadran, sous prétexte de constituer un groupe de jeunes susceptibles d’être armés contre l’occupant. Le procès public devant la Cour de Justice le 4 mai 1945 se traduit par une peine de travaux forcés à perpétuité. De mise de peine en remise de peine, Plessix s’en tirera avec 10 ans de prison l

Quelle clémence ! Cadran, victime d’une fatale illusion, sera soumis à 6 mois de prison. Il nous a confié par la suite que ce fut pour lui un soulagement que de voir enfin «  l’abcès se vider » .

Louis Le Faucheur, rentre de déportation, juste après le procès, déclare ; « Cette double trahison a pris la dimension d’une tragédie pour le lycée ».

Oui, double trahison. Mais alors on avait accuse un innocent. On avait exécuté Georges Fischer comme étant le coupable. Terrible erreur ! Peut-on l‘oublier ? Peut-on faire qu’il soit toujours considéré comme ayant trahi ? Sa nièce, Marilou, Madame Le Cor, ne baisse pas les bras. Elle veut, elle exige ce qu’il faut bien appeler une réhabilitation. Avec nous, elle s’appuie sur la Ligue des Droits de l‘Homme. Les représentants de la Ligue participent à cette cérémonie avec le président, Monsieur Xavier Palson. Nous les assurons de notre soutien pour obtenir gain de cause, et faire que le dossier ne reste pas fermé pendant 100 ans après les faits comme le prescrit pourtant la loi. Les pièces essentielles sont en nos mains quoi qu’il en soit ».

Il va maintenant falloir que cette erreur dramatique soit officiellement reconnue.

« Garde à vue bis » pour les étrangers, centres de rétention : pour Valls, le changement, ça n’est pas maintenant !

Sale temps pour les demandeurs d’asile et les sans-papiers.

Alors que le ministère de l’intérieur vient d’adresser aux associations habilitées à pénétrer dans les centres de rétention son appel d’offre pour l’année prochaine, l’assemblée vient de voter la « retenue » des étrangers pour vérifier leur identité (le conseil d’Etat avait reconnu illégale la garde à vue).

Les centres de rétention tout d’abord. L’appel d’offre n’est pas public, seules les associations concernées le recevront. Le site Médiapart a cependant réussi à en avoir connaissance, et ça n’est pas triste…

Parmi les nouveautés : un devoir de réserve, ou de discrétion, est imposé aux intervenants, mandatés pour informer et apporter un soutien aux personnes retenues. La violation de ce devoir sera punie d’une amende de 500€…

Lorsqu’une personne retenue voudra déposer un recours, l’intervenant devra prévenir le chef de centre. Les personnes retenues ne pourront être entendues qu’une par une par les avocats ou les intervenants : sauf qu’il arrive qu’un retenu maîtrisant le français pouvait servir d’interprète…

La conclusion de la Cimade est sévère : « Ce régime d’exception risque fort de devenir le nouvel outil des préfectures et de la police. Il s’ajoutera à l’arsenal déjà mis à leur disposition sous l’ère Sarkozy et toujours en vigueur en devenant le premier maillon d’une chaîne visant à enfermer en rétention et expulser au détriment des droits » (lire ici). « La Cimade demande au gouvernement de retirer cet appel d’offre et d’adopter de nouvelles dispositions qui garantissent l’accès effectif aux droits des personnes étrangères enfermées en rétention ainsi que l’indépendance d’associations exerçant un rôle essentiel de vigilance citoyenne, de regard de la société civile  sur ces lieux d’enfermement ». En conclusion, l’association considère qu’il s’agit ni plus ni moins d’une « garde à vue bis spéciale étrangers ».

Passons au texte de loi sur la retenue des étrangers. Il avait déjà été adopté par le sénat, et l’Assemblée nationale vient de le finaliser. Première chose, la retenue ne pourra pas excéder 16h : c’est un progrès. C’est bien le seul !

La discussion a été vive à l’Assemblée. La droite a évidemment entamé son refrain xénophobe. Mais c’est de la gauche qu’est venue l’opposition la plus intéressante. Elle a permis notamment d’autoriser la présence d’un avocat, pour un entretien de 30 minutes : « Il est ainsi prévu explicitement que l’étranger peut demander à être assisté par un avocat, que l’avocat peut, dès son arrivée, communiquer pendant trente minutes avec la personne retenue, que l’étranger retenu peut demander que l’avocat assiste à ses auditions au cours desquelles celui-ci peut prendre des notes et qu’à la fin de la retenue l’avocat peut, à sa demande, consulter le procès-verbal de retenue ainsi que le certificat médical annexé. La première audition ne pourra débuter sans la présence de l’avocat avant l’expiration d’un délai d’une heure, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d’identité ». Le Monde poursuit : « S’il a reconnu « une avancée extrêmement importante » avec ces amendements, le chef de file des députés radicaux de gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg, a pointé avec insistance un traitement moins favorable à ses yeux pour les sans-papiers retenus que pour les gardés à vue, vu la possibilité d’une audition pendant une heure sans présence d’un avocat sur les éléments d’identité, « cœur de cible » à ses yeux des auditions dans le cas de la retenue » (article ici).

Les associations ne pourront qu’être déçues par ces deux nouvelles, qui viennent s’ajouter à plusieurs événements inquiétants : démantèlement des camps de roms sans relogement, renoncement au récépissé pour les contrôles d’identité (Valls s’est contenté d’une « réécriture » du code de déontologie de la police et de la gendarmerie)…

Au ministère de l’intérieur, le changement, ça n’est décidément pas maintenant…

Mariage pour tous : les erreurs (?) du député

Dans la réponse qu’il fait à Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, et qui est publiée dans le quotidien régional Le Télégramme, le député de la 3ème circonscription des Côtes d’Armor écrit ceci :

« Je dois malheureusement rappeler à la LDH que les Droits de l’Homme ne se réduisent pas à ceux des adultes, mais comprennent aussi les droits de l’enfant, répond le député. Or, parmi ces droits de l’enfant, il existe avant tout celui d’avoir un père et une mère. C’est la raison pour laquelle je m’oppose au projet de loi Taubira. Il constitue en effet une atteinte aux drois de l’enfant, notamment à ceux des enfants adoptés. Aujourd’hui, grâce à l’adoption plénière, la loi leur donne une véritable filiation faite d’un père et d’une mère (…). »

Il se trouve que ce qu’affirme le député et, au choix, une erreur ou/et un mensonge.

La loi autorise en effet, aujourd’hui, l’adoption d’un enfant par un ou une célibataire. À tel point que la France a été condamnée pour discrimination, en 2008, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour avoir rejeté la demande d’agrément d’une femme homosexuelle célibataire, en raison de son homosexualité.

Par ailleurs, le député parle du droit pour un enfant d’avoir un père et une mère. Ce droit n’existe pas, et ne peut tout simplement pas exister. S’il existait, cela supposerait que la loi puisse imposer que l’enfant ait un père et une mère. Alors, on fait comment ? On oblige les veufs et les veuves à se remarier ? On interdit le divorce ? On supprime le droit aux célibataires d’adopter ? On interdit l’accouchement sous X ? Et lorsqu’un des conjoints, après la séparation, vit avec une personne du même sexe, on lui retire la garde des enfants ? On rend adoptables les enfants de familles monoparentales ?

M. Le Fur est député. Il vote les lois. Il peut même en proposer. On est en droit d’attendre de lui qu’il connaisse les lois, y compris celles qui ont été votées avant lui.

M. Le Fur pourrait également utilement relire la convention des droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l’Organisation des Nations Unies. Il n’y est fait référence aux père et mère que dans deux articles :

  • L’article 21, qui traite de l’adoption, et qui précise : les États « a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ».
  • L’article 22, qui traite des enfants réfugiés demandeurs d’asile :

« Article  22.

1. Les États parties prennent les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États sont parties.

2. À cette fin, les États parties collaborent, selon qu’ils le jugent nécessaire, à tous les efforts faits par l’Organisation des Nations Unies et les autres organisations intergouvernementales ou non gouvernementales compétentes collaborant avec l’Organisation des Nations Unies pour protéger et aider les enfants qui se trouvent en pareille situation et pour rechercher les père et mère ou autres membres de la famille de tout enfant réfugié en vue d’obtenir les renseignements nécessaires pour le réunir à sa famille. Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit. »

Dans deux autres articles, la convention évoque les parents :

L’Article 9 stipule ainsi que « l’enfant a le droit de maintenir des contacts avec ses deux parents s’il est séparé de l’un d’entre eux ou des deux ».

L’article 10 stipule lui que « l’État doit aider les [deux parents] à aider leur responsabilité d’élever l’enfant ».

Il n’est ici question ni de père ni de mère, mais de parents !

Enfin, l’article 1 : il stipule expressément que « Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant , sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ». Comme l’explique le site le mariage pour tous : « dans la situation actuelle, les enfants de familles homoparentales ne sont pas protégés des discriminations car leur situation familiale n’est pas reconnue ; par ailleurs, en cas de séparation d’un couple homosexuel, le conjoint n’a aucun droit ni aucune reconnaissance de sa parentalité. Enfin, si tel était le cas, les pays l’ayant déjà établi seraient déjà poursuivis par l’ONU ».

On voit bien que même la convention internationale de droits de l’enfant, texte fondateur de ces droits, ne fait à aucun moment obstacle au mariage de personnes de même sexe, ni à leur droit à adopter un enfant, droit qui, rappelons-le une nouvelle fois, EXISTE, que M. Le Fur et ses amis le veuillent ou non ! Ils peuvent utilement se rendre sur le site « Le mariage pour tous », où toutes les idées reçues, toutes les rumeurs, tous les mensonges qui circulent en ce moment sont analysés et corrigés en détail.

 

Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme : 90 ans de luttes et de victoire

L’association fédère aujourd’hui 164 ligues réparties dans plus d’une centaine de pays. Elle a contribué, pendant ces 90 années de lutte, à une importante évolution des droits de l’Homme, jusque dans des pays où ils étaient non seulement menacés, mais parfois totalement inexistants. Et aujourd’hui encore, certains de ses militants payent dans leur chair le prix de leurs combats : « Exiger l’universalité des droits demande abnégation et courage. Le combat est quotidien et dans certains pays, les risques sont permanents. Notre vice-président Ales Bialiatski (Belarus) et notre secrétaire général Nabeel Rajab (Bahrein), ainsi que 26 membres de notre mouvement sont ainsi emprisonnés pour leur engagement en faveur des libertés fondamentales. Nous souhaitons aujourd’hui leur rendre hommage et leur répéter que nous nous mobiliserons sans relâche pour obtenir leur libération », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.
Parmi les victoires auxquelles a contribué la FIDH, on peut en citer qui sont emblématiques : la rédaction et l’adoption par de nombreux pays de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en 1948, et la création de la cour pénale internationale, qui font que désormais « les droits de l’Homme disposent dorénavant d’un cadre juridique et chaque être humain est en droit de les revendiquer ».
A l’occasion de cet anniversaire, la FIDH a réalisé et mis en ligne une série de petit clips vidéo qui évoquent ses principaux champs d’action. On peut les voir ici (en bas d’article).
Une ombre au tableau, inquiétante : le prochain congrès de la FIDH devait se tenir à Tunis, ne s’y tiendra pas. La décision a été prise par le bureau de l’association, qui l’explique dans un communiqué :
Considérant l’invitation faite à la FIDH en mars 2011, par ses organisations membres tunisiennes de tenir le 38ème congrès de la FIDH en Tunisie, 
Considérant l’accueil et les assurances données par les plus hautes autorités tunisiennes au projet d’organisation de ce Congrès à Tunis et les en remerciant, 
Considérant cependant l’instabilité de la période transitoire qui se prolonge, 
Considérant que les enjeux pré-électoraux marquent déjà le débat politique et la vie publique,
Considérant l’insécurité croissante dans la période récente et les événements violents qui se multiplient, les violations des droits humains et les attaques contre leurs défenseur-e-s,
Considérant dans ces conditions les risques importants de ne pouvoir réunir tous les membres de la FIDH dans son universalité, 
Le Bureau international de la FIDH réuni les 30 novembre, 1er et 2 décembre 2012, a pris avec regret la décision de déplacer le lieu de son 38ème Congrès, tout en exprimant sa solidarité avec ses membres tunisiens dans leur combat courageux pour les droits humains universels, pour les droits à la dignité, à l’égalité et à la liberté, mots d’ordre de la révolution tunisienne qui doivent se traduire en actes afin de construire une Tunisie démocratique et libre. 
La FIDH continuera d’agir, aux côtés de ses membres, pour le respect et la réalisation des droits humains universels en Tunisie, et entend poursuivre à cet effet un dialogue constructif avec les plus hautes autorités tunisiennes.

Une lettre d’un inspecteur d’académie aux instituteurs, en 1904

Aristide Guéry

Aristide Guéry a été nommé inspecteur d’Académie à Saint-Brieuc, en 1904. À son arrivée, il s’est adressé aux institutrices et instituteurs du département, par un courrier dans lequel il leur indique « ce que nous sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous ». Une lettre qu’il est intéressant de relire aujourd’hui, en pleine période de débat sur le « mariage pour tous », et après un quinquennat marqué par des attaques en règle de la laïcité de la part de l’ancien président de la République.

Il est intéressant de savoir qu’Aristide Guéry a été  déplacé d’office et « envoyé » dans la Creuseà Guéret. Le francs-maçons du Grand Orient de France, qui avaient pris fait et cause pour lui (qui n’était pas franc-maçon) indique que durant les deux années passées dans le département « il a travaillé avec l’ardeur et la conviction d’un apôtre pour faire de l’Ecole Laïque une réalité évidente ». Ils ajoutent : « … (cela) lui a valu un blâme du Conseil Général réactionnaire qui lui reprochait son attitude républicaine au sujet de l’enseignement de la morale dans les écoles primaires ».

Depuis 1982, une école porte son nom, à Guéret (23). Le site de l’école Aristide-Guéry indique : « Aristide Guéry a été Inspecteur d’Académie du département de la Creuse de 1906 à 1910. Artisan de l’École Publique, il possédait un sens aigu des valeurs morales et en particulier de la justice. Devenu figure nationale, il poursuivit la réalisation de son idéal laïc : il a ébauché les premières commissions paritaires et créé une Université Populaire. »

Enfin, petit rappel qui a son importance : cette lettre est datée d’octobre 1904. Soit un an avant la loi sur la séparation des Églises et de l’État !

Merci à Bernard Etienne d’avoir communiqué cette information !

A mon arrivée au milieu de vous, je tiens tout d’abord à vous adresser mon salut le plus cordial ; ensuite à vous dire brièvement ce que nous en sommes en droit d’attendre, vous de moi et moi de vous.

Je me suis profondément réjoui d’avoir été appelé par la confiance de Monsieur le Ministre et de Monsieur le Directeur de l’Enseignement primaire à remplir les fonctions d’Inspecteur d’Académie dans le département des Côtes du Nord. D’instinct j’aimaisla Bretagneà travers les poètes et les peintres, à travers les mélodies où le peuple lui-même a chanté ses douleurs ou ses joies. Il est bon d’avoir à travailler dans un pays qui nous plait ; il est meilleur d’avoir à y faire œuvre utile. Et quelle tâche plus urgente s’impose à nous, que celle de travailler au développement et à la prospérité de l’enseignement laïque ? Certes, sur cette terre de Bretagne qui par tant de liens tient encore à la tradition, ce n’est pas en un jour que nous arriverons à imposer à tous et à toutes la confiance et le respect auxquels ont droit les écoles dela République. Maispar l’énergie et la persévérance, par une action douce et ferme, par la dignité de notre vie et l’élévation de notre enseignement, il nous est permis d’espérer conquérir peu à peu à notre cause tous les esprits épris de progrès et de liberté.

Dans l’œuvre que nous allons poursuivre ensemble, il ne s’agit pas de partir en guerre à tout propos contre l’Eglise et contre Dieu. L’Eglise, vous la jugerez impartialement sans prendre une « voix de violents ou de doctrinaires absolus. » Son histoire se compose à la fois de services à l’origine, de cruautés dans la suite, d’efforts – toujours – pour diriger et pour dominer l’Etat. Devant ces prétentions, la société civile tour à tour se courbe, compose, résiste. A l’heure actuelle, elle semble vouloir s’acheminer définitivement vers sa libération. C’est le dernier acte d’une « lutte séculaire » qui va sans doute se jouer dans notre pays. L’écho des discussions doit s’arrêter devant vos classes ; mais vous êtes mêlés à la vie sociale et vous pouvez être appelés à vous prononcer sur des questions brûlantes ; que ce soit toujours avec calme, avec sang froid, en hommes préoccupés de faire avant tout la lumière, de dissiper les malentendus, de montrer que l’Etat ne veut pas, quoi qu’on dise, la mort de l’Eglise, qu’il ne demande au prêtre qu’une chose : c’est de se renfermer dans son rôle, qui est un rôle religieux, essentiellement religieux, uniquement religieux. « Rendons à César ce qui appartient à César »…

Et pour ce qui est de Dieu, eh bien, pour ce qui est de Dieu, vous n’êtes ni l’école pour Dieu – elle est à côté, ni l’école contre Dieu – vous devez les premiers donner l’exemple de la tolérance ; vous êtes, nous sommes l’école sans Dieu. Cette appellation, on nous l’a jetée à la face pour nous flétrir ; nous la revendiquons comme un titre d’honneur. Elle exprime notre raison d’être et résume toute une partie de notre programme. Elle veut dire que pour l’éducation des enfants qui nous sont confiés, nous ne nous appuyons en rien sur les dogmes religieux. Pour fonder notre morale, nous nous passons de Dieu, et sur des bases purement humaines nous entreprenons de dresser, debout, conscient, fraternel, l’homme de la société future.

Que si parmi vous il se trouve des croyantes et des croyants, c’est leur droit d’élever, dans le silence de leur âme, leurs pensées vers le Dieu de leur foi : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Ils peuvent également pratiquer la religion qu’ils trouvent bonne, mais à titre purement individuel, jamais du fait de leurs fonctions, jamais en tant qu’instituteurs, jamais en tant qu’institutrices.

A plus forte raison, si vous ne croyez pas, devez-vous vous abstenir de suivre, par convenance, par faiblesse, ou simple politique, des pratiques que votre conscience réprouve, que vous respectez chez les autres, mais auxquelles vous ne sauriez condescendre sans subir une diminution de vous-mêmes, et signer, en quelque sorte, votre propre déchéance.

De même dans votre enseignement, vous vous garderez – à tous également – d’emprunter à d’autres ou leur méthodes ou leurs principes. Ce n’est pas en inclinant son drapeau qu’on le conduit à la victoire. Notre premier devoir, tout de loyauté et de franchise, c’est de dire qui nous sommes et quelle fin nous poursuivons. Le dogme impose : nous, nous proposons. Nous ne prêchons pas une vérité qui nous serait donnée, nous la cherchons ensemble, et c’est à la triple source de la science, de la raison et de la conscience que nous allons puiser les principes suivant lesquels nous voulons organiser le monde et orienter la vie morale. Ces principes, plus d’une fois, dans nos réunions, dans nos conférences, dans nos fêtes même, nous aurons l’occasion de les définir, de les expliquer, d’en montrer la valeur et la fécondité. Mais déjà, nous pouvons les résumer en quelques mots : respect de la liberté de l’enfant, sentiment de la valeur de la personne, nécessité impérieuse de réaliser en nous-mêmes et dans la cité, la grande vertu sociale : la justice.

Chers collaborateurs, qui demain, je l’espère, serez mes amis, je sais quels trésors de dévouement, d’enthousiasme et cependant de sagesse, il y a dans vos âmes d’éducateurs et de républicains. De mon côté, je vous apporte – avec l’amour de ce peuple de France que vous êtes chargés d’élever à la pleine conscience de se droits et de ses devoirs, – toute ma bonne volonté, qui est grande, tout mon ardent désir de vous aider, de vous soutenir dans votre tâche, et la résolution ferme de vous défendre contre les attaques injustifiées dont vous pourriez être l’objet

Je compte sur vous ; comptez sur moi.

L’Inspecteur d’Académie, Guéry

(Bulletin de l’Instruction primaire – Côtes du Nord – Octobre 1904)

 

Mariage pour tous : politique, ordre moral et égalité des droits

La droite se mobilise depuis quelques semaines sur deux thèmes qui lui permettent d’établir ce que certains de ses dirigeants espèrent par dessus tout : un pont avec l’extrême droite, et les intégrismes religieux, notamment catholique. Il s’agit bien sûr du « mariage pour tous » (le député vert François de Rugy préfère parler de « mariage universel »), qui semble acquis, et du droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers hors communauté européenne, qui lui semble bien compromis.

Le « mariage pour tous » semble acquis, certes. Mais méfions-nous quand-même. Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme rappelle les dangers qui guettent ce beau projet, et la détermination d’une certaine droite à se refaire une santé grâce à ce débat. L’occasion de rappeler certains propos scandaleux, comme ceux du député de la 3ème circonscription des Côtes d’Armor, lors des questions au gouverment, le 28 novembre (Pierre Tartakowsky, président de la LDH, lui a adressé un courrier à ce sujet). 

Voici donc l’article de Dominique Guibert, paru dans la « lettre d’information » de décembre de la Ligue des droits de l’Homme.

La Ligue des droits de l’Homme a exprimé, dans un communiqué de presse du 21 novembre 2012, sa consternation après les propos du président de la République sur le mariage pour tous, devant le congrès de l’Association des maires de France (AMF). En avançant l’idée que « le respect des consciences des maires » pourrait justifier un refus de procéder en personne à un mariage, François Hollande apparaît comme faisant une concession aux manifestants de l’ordre moral opposés au projet de loi.

A-t-il pris la mesure que, ce faisant, il risquait de participer à la construction d’une machine redoutable contre l’égalité des droits, que les opposants, les yeux rivés sur la ligne bleue de la revanche, ourdissent sans même en faire mystère ?

Dans un État de droit…

un maire est au service de la loi et, dans notre république laïque, le mariage est un acte civil depuis 1792. L’oublier, ce serait oublier qu’un maire ne marie pas en son nom propre, mais en vertu du mandat qui lui a été confié dans le cadre républicain. Ce serait aussi ouvrir largement la porte à toutes les discriminations. Qui peut prétendre aujourd’hui que des maires ne refuseront pas, au nom de la liberté de conscience, un mariage entre divorcés, un mariage jugé trop « mixte », ou trop « bizarre » ? Ce serait, enfin, instituer une inégalité territoriale devant un acte civil. Pour la Ligue des droits de l’Homme, attachée au principe d’égalité et au projet de loi de mariage pour tous, le changement a besoin de conviction, d’échange public.

Malgré la crise de l’UMP

Le président de la République a remanié et précisé ses propos. Il leur a enlevé de la virulence, mais leur a conservé de la pertinence en ramenant son propos à la conviction intime et personnelle de chaque maire, qui en cas de désaccord, pourra déléguer l’un(e) de ses adjoint(e)s pour officier. La LDH considère que l’ambiguïté n’est pas levée, tant il est vrai que les forces opposées à la progression de l’égalité des droits voudraient faire de la « défense de la famille » et de la « nature » un moyen de provoquer un choc politique semblable à celui de l’’école dite « libre », en 1984. Certes, l’état actuel de l’UMP, livrée à un effarant combat de primauté, ne lui permet pas d’être entièrement à l’offensive. Mais il convient de rester méfiant. En sortant de la crise, il leur faudra bien se refaire une santé : le sujet de l’« ordre moral » et de la famille en sera l’un des moyens.

La République pour toutes les familles

La tribune publiée dans Libération, le 4 décembre 2012, (écrite par Ardhis, Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), Attac, Cnafal, Comité Idaho (International Day Against Homophobia and Transphobia), FSU, Homosexualités et Socialisme (HES), Inter-LGBT, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Ligue de l’enseignement, LMDE, Mrap, République et diversité, SOS Homophobie, SOS Racisme, Syndicat des avocats de France (Saf), Unef), rappelle les objectifs et les conditions de ce progrès vers l’égalité des droits.

« Depuis plusieurs semaines, la plus grande partie de la droite, l’extrême droite bien sûr, les églises et en particulier leurs représentants, mais surtout les tenants de l’intégrisme religieux pour qui l’État de droit laïc reste un problème, multiplient menaces et discours apocalyptiques à propos du mariage pour tous, thème dont elles ont manifestement décidé de faire un cheval de bataille. L’expression de leur refus, leur choix d’un ordre moral sont évidemment légitimes dans une démocratie. Mais leur prétention à vouloir ériger leurs croyances en loi, paralyser le débat sous le vacarme, les « arguments » utilisés à cette fin sont intolérables.  

Rappelons, face au déferlement des responsables ecclésiastiques que, depuis 1792, le mariage est un acte civil, sans aucun caractère religieux. Que les cultes ont parfaitement le droit d’épouser des vues particulièrement rétrogrades sur le mariage, la famille, la sexualité. Mais en aucun cas, celui d’étouffer le débat éthique et de corseter la liberté de conscience.  

Rappelons, face aux amalgames haineux entre homosexualité, polygamie, pédophilie, face aux chantages à la fin de l’humanité, que leurs auteurs se sont successivement opposés au divorce, à la contraception, à l’interruption de grossesse, au Pacs… en agitant les mêmes menaces.  

Rappelons aussi que les pays qui, dans le monde, ont ouvert le mariage à tous n’ont, bien sûr, nullement sombré dans la décadence et les turpitudes annoncées.  

Ce retour d’ordre moral, assis sur une homophobie bien réelle et animé par l’agitation de grandes peurs, n’est pas sans arrières pensées politiques. La volonté de faire échec au mariage pour tous vise, bien au-delà, à ébranler le principe républicain de laïcité au profit de communautarismes intégristes. Il vise à paralyser toute velléité de réforme, tout engagement contre les discriminations, tout projet de justice et de liberté. »

De l’apocalypse comme argument de la politique

Lors de la séance des questions au gouvernement du 28 novembre dernier, le député Le Fur est intervenu pour exprimer son opposition au projet de loi sur le « mariage pour tous » en des termes qui sont non seulement inacceptables, mais en plus en contradiction flagrante avec l’appel à l’apaisement que les gens de son bord prétendent rechercher.

Si l’opinion du citoyen est libre, sa responsabilité en tant que législateur ne devrait pas lui permettre de pratiquer l’amalgame, la désinformation et de jeter le discrédit sur une partie de nos concitoyens. En effet, l’argumentation, marquée par un ordre moral éculé et réactionnaire, tend à attiser des passions malsaines en reprenant les menaces et discours apocalyptiques sur le devenir de la famille et la protection de l’enfant.

Comme l’a rappelé opportunément en séance Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, ces prévisions de fin du monde étaient déjà les mêmes lors des débats sur le Pacs, ou à leur époque pour s’opposer au divorce, à la contraception, ou à l’interruption volontaire de grossesse. Elles ne se sont évidemment pas réalisées et tous s’accordent aujourd’hui sur les avancées indéniables qu’ont représenté ces mesures de progrès et de liberté.

Les évolutions de la société

Elles posent déjà la réalité d’une diversité des compositions des familles qui depuis des décennies ne reposent plus sur un modèle unique. La reconnaissance juridique des couples de même sexe ne vient que confirmer un état de fait et un principe d’égalité. Le mariage pour tous permet à celles et ceux qui le désirent, d’offrir la possibilité d’un statut juridique à des dizaines de milliers de couples et autant d’enfants vivant déjà au sein de telles familles.

Les inquiétudes sur l’adoption brandies par le député Le Fur sont non seulement malveillantes mais surtout infondées car l’évolution législative proposée ne change pas les règles applicables en France en la matière. Elles resteront régies par la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998, qui prévoit que toute adoption est prononcée par un juge qui vérifie toutes les garanties nécessaires à la protection des droits de l’enfant. De plus, rappelons qu’elle est autorisée aux personnes célibataires et que l’adoption ne peut être entravée en raison de l’orientation sexuelle du ou des demandeurs, qui reste indépendant du projet parental.

Comparaison internationale

Enfin, les exemples étrangers devraient aussi calmer les fantasmes des chargés de mission divine de la défense de la morale. Vingt-deux pays disposent déjà d’une législation posant le mariage et l’adoption sans discrimination, comme l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Canada, neuf états américains, mais aussi en Europe : les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Suède ou le Portugal et l’Espagne. Dans chacun d’entre eux, la lutte contre l’homophobie, contre les discriminations, pour l’égalité entre les sexes a progressé. Ni la « famille » ni la « protection des enfants » n’y sont mises en péril. La France ne sera donc pas pionnière sur le sujet, mais elle confirmera ainsi son attachement à une république laïque, fondée sur les principes de liberté et d’égalité.

La Ligue des droits de l’Homme est partie agissante dans ce combat. Nous appelons les députées et les députés, les sénatrices et les sénateurs, les citoyennes et citoyens à se mobiliser pour défendre l’Etat de droit. Nous les appelons à faire échec aux campagnes de haines, de peurs et d’exclusions, à soutenir le projet de mariage pour tous et à faire entendre leur volonté de voir le progrès se poursuivre, dans le respect des lois et des valeurs de la République. Ce changement n’a rien d’une menace, c’est, au contraire, une chance pour la société française !

Saint-Brieuc, 8 décembre : Laïcité et lutte contre les disciminations, avec Jean Baubérot

Photo Agence France presse.

« Laïcité et lutte contre les discriminations, entre complémentarités et contradictions » : c’est le titre de la conférence que Jean Baubérot donnera, samedi 8 décembre, à 15h30, à l’amphithéâtre du lycée Ernest-Renan, 2 Boulevard Hérault à Saint-Brieuc.

Jean Baubérot est historien et sociologue, titulaire depuis 1991 d’une chaire « d’histoire et sociologie de la laïcité » à l’école pratique des hautes études. Il est d’ailleurs le fondateur de la « sociologie de la laïcité », et il a siégé à la « commission Stasi », qui, en 2003, avait été chargée par Jacques Chirac, alors président de la République, de réfléchir à « l’application du principe de laïcité dans la République ». Il tient un blog, « Laïcité et regard critique sur la société », et il est l’auteur, entre autres nombreux ouvrages, d’un « que sais-je » intitulé « la laïcité expliquée à M. Sarkozy », et co-auteur de « Laïcités sans frontières ».

Cette conférence est organisée dans le cadre de l’anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’Etat, par la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor, la Ligue des droits de l’Homme, la Libre pensée, le Grand Orient de France, et l’Union des délégués départementaux de l’éducation nationale. Ces associations ont par ailleurs pour but commun l’élaboration d’un document sur la Laïcité, à destination des établissements scolaires du département.

 

Photo Agence France presse.