Aura-t-on encore longtemps le droit de distribuer des tracts sur les marchés ?
Non, la question n’est pas si saugrenue : le 17 avril dernier, un arrêt du conseil d’Etat a considéré que l’interdiction, par le maire de Saint-Cyr-l’Ecole, de distribuer des tracts sur le marché de la commune, « ne porte pas gravement atteinte aux libertés d’expression et de communication ». Et le conseil d’Etat a donc annulé la décision du tribunal administratif, qui avait lui-même annulé l’arrêté du maire portant interdiction de distribuer les tracts sur le marché.
Une interdiction que le maire justifie par le louable souci de ne pas perturber l’activité commerciale sur le marché… Argument repris par le conseil d’Etat…
Et bien entendu, cela a donné des idées à ses collègues, comme par hasard comme lui militants UMP… C’est ainsi qui si vous distribuez des tracts à Valenciennes, Nogent-sur-Marne, Colmar, Léguevin, Saint-Cyr-l’École, Orléans, Vic-sur-Aisne, ou Revel, vous vous exposez à une amende.
Heureusement, une pétition est maintenant en ligne, pour demander une modification de la loi, de telle sorte qu’elle rende impossible cette interdiction. Signez-la, si vous voulez pouvoir continuer à vous exprimer !
Le texte de la pétition, téléchargeable ici, et on peut la signer là. Lire l’arrêt du conseil d’Etat sous la pétition.
La pétition
Depuis le début de l’année 2012, de plus en plus de maires, pour la plupart UMP, se permettent d’interdire totalement la distribution de tracts et pétitions sur les marchés.
Au lieu de les stopper net dans cet abus de pouvoir, le Conseil d’État a rendu le 17 avril une ordonnance surprenante (req. n°358495) considérant que cela « ne porte pas gravement atteinte aux libertés d’expression et de communication ».
Pourtant, ce serait réduire les marchés à la seule consommation. Alors qu’ils sont également, depuis l’agora antique, des lieux de débat public, d’échange d’informations et d’expression des contre-pouvoirs qu’ils soient politiques, syndicaux, associatifs…
Suite à cette ordonnance, les modifications de règlement des marchés et les arrêtés municipaux ne cessent de se multiplier et menacent de s’étendre grâce à la jurisprudence.
C’est pourquoi, par-delà nos différences, nous demandons instamment une modification de la législation pour rendre caduque cette ordonnance contraire à la libre circulation des opinions et des informations et, par conséquent à l’idée même de démocratie, quelle qu’en soit notre conception.
Faute de quoi, toute poursuite abusive contre des distributeurs de tracts ou de pétitions sera dénoncée, portée devant le Conseil Constitutionnel et, si nécessaire, la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Nous appelons dans toutes les communes les populations à être vigilantes et à ne pas accepter cette confiscation du pouvoir de s’exprimer librement et de s’informer mutuellement.
L’arrêt du conseil d’État
Conseil d’État
N° 358495
ECLI:FR:CEORD:2012:358495.20120417
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Bernard Stirn, rapporteur
SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du mardi 17 avril 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 12 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité à Hôtel de Ville, square de l’Hôtel de Ville, à Saint-Cyr-l’École (78210) ; la commune demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1201798 du 28 mars 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a, à la demande de M. A, suspendu l’exécution de l’arrêté n°2012/01/07 du maire de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE en date du 1er février 2012 interdisant aux jours et heures de marché, à l’intérieur de la halle et dans sa proximité immédiate, la distribution et le colportage accidentel d’écrits de toute nature, de journaux, de brochures, de tracts ainsi que la mise en circulation de pétitions, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de M. A le versement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que l’ordonnance attaquée ne satisfait pas à l’exigence de motivation ; que la seule circonstance que l’arrêté contesté est entré en vigueur et peut fonder légalement des poursuites pénales est insuffisante à caractériser une situation d’urgence ; que, limitée dans l’espace et dans le temps, l’interdiction posée par cet arrêté ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par le requérant ; que celui-ci ne justifiait d’aucune qualité pour agir ; que l’ordonnance du juge des référés de première instance aurait dû, pour ce motif, déclarer irrecevable la requête de M. A ; que celle-ci devait également être jugée irrecevable dès lors qu’elle se bornait à demander au juge des référés l’annulation de l’acte contesté ; que l’ordonnance de première instance, en prononçant une mesure de suspension non sollicitée par le requérant, est entachée d’erreur de droit ; que les restrictions résultant de l’acte contesté sont proportionnées aux exigences de la commodité de circulation du public à l’intérieur du marché comme dans ses environs immédiats ; qu’en jugeant que ces restrictions portaient à la liberté de communication des pensées et opinions, à la liberté de la presse et à la garantie d’expression pluraliste des opinions une atteinte grave et manifestement illégale, le premier juge a commis une erreur de qualification juridique des faits ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2012, présenté par M. A, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE n’apporte aucun élément relatif à l’existence ou au risque de survenance d’un trouble à l’ordre public dans les zones concernées par l’arrêté contesté ; que cet arrêté serait, à la veille d’échéances électorales, motivé par la volonté de restreindre la liberté d’expression politique ; qu’il a qualité pour agir dès lors qu’il est électeur de cette commune et militant d’un parti politique ; que ces éléments fondant sa qualité pour agir doivent être pris en considération, dès lors qu’ils ont été apportés à l’audience publique de première instance ; que l’acte contesté intervenant en période de campagne électorale, la condition d’urgence est remplie ; que l’arrêté litigieux porte atteinte à la libre communication des pensées et opinions, à la liberté de la presse, à l’expression pluraliste des opinions et à la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie de la démocratie ; que l’interdiction posée par cet arrêté constitue, compte tenu de son imprécision géographique et des horaires concernés qui correspondent à l’ensemble des horaires d’ouverture du marché en cause, une interdiction générale et absolue ; que l’évocation, dans l’ordonnance de première instance, d’une requête à fin d’annulation et non de suspension est la conséquence d’une erreur matérielle ; que, dès lors, le moyen fondé sur l’irrecevabilité de la requête pour ce motif ne saurait être accueilli ;
Vu, enregistré le 16 avril 2012, le mémoire aux fins de production présenté pour la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE, qui tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et verse aux débats divers documents, une attestation et des photographies ;
Vu, enregistré le 17 avril 2012, le nouveau mémoire en défense présenté par M. A, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire en défense et ajoute que les productions versées aux débats par la commune ne démontrent pas de risques pour l’ordre public auxquels l’arrêté contesté aurait eu pour objet de remédier ;
Vu, enregistré le 17 avril 2012, le nouveau mémoire aux fins de production présenté pour la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment le Préambule ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi du 29 juillet 1881, modifiée, sur la liberté de la presse ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE et, d’autre part, M. A ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 17 avril 2012 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Potier de la Varde, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE ;
– le représentant de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE
– Me Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;
– M. A ;
et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) » ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions législatives que le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu’elles lui confèrent que dans le cas où son intervention est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une atteinte grave et manifestement illégale est portée par une autorité administrative ;
Considérant que, par un arrêté du 1er février 2012, le maire de Saint-Cyr-l’École (Yvelines) a interdit la distribution d’écrits de toute nature à l’intérieur de la halle où se déroule le marché communal ainsi que dans le périmètre adjacent occupé par des commerçants qui s’installent temporairement sur des emplacements qui leur sont réservés durant les heures d’ouverture du marché, le mercredi et le samedi de 8 heures à 13 heures ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, devant lequel la commune, qui n’avait pas produit de défense écrite, ne s’est pas non plus présentée à l’audience, a estimé qu’en l’absence de risques établis de troubles à l’ordre, à la tranquillité ou à la salubrité publics, cette mesure de police portait, notamment en période électorale, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’expression et de communication ; qu’il a en conséquence suspendu l’exécution de l’arrêté litigieux jusqu’à ce que le juge de l’excès de pouvoir se prononce, s’il est saisi, sur sa légalité ou, à défaut, jusqu’à la fin de la période électorale ouverte pour l’élection du Président de la République et des députés à l’Assemblée nationale ; que la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE se pourvoit en appel contre cette ordonnance ;
Considérant que la liberté d’expression et la liberté de communication des idées et des opinions ont le caractère de libertés fondamentales ; que les restrictions que les autorités de police peuvent édicter, afin de concilier leur exercice avec les exigences de l’ordre public, doivent être strictement nécessaires et proportionnées à ces exigences ;
Considérant qu’en l’espèce, l’interdiction édictée par le maire, le mercredi et le samedi de 8 heures à 13 heures, est limitée à l’intérieur de la halle où se tient le marché ainsi qu’au périmètre adjacent où des commerçants s’installent temporairement les jours et aux heures auxquels le marché a lieu ; qu’il a été indiqué au cours de l’audience publique que cette interdiction ne s’applique ni devant les quatre entrées de la halle ni aux abords immédiats des commerces temporairement installés à l’intérieur du périmètre adjacent à la halle ; qu’il a en outre été précisé que l’interdiction résultant de l’arrêté contesté ne concernait pas non plus l’espace du périmètre ouvert aux commerçants temporaires mais non utilisé par ceux-ci ; qu’il résulte ainsi de l’instruction, et notamment des pièces produites devant le juge des référés du Conseil d’État et des explications données au cours de l’audience tenue par ce juge, que l’interdiction édictée par le maire de Saint-Cyr-l’Ecole vise uniquement à interdire les distributions d’écrits de tout nature à l’intérieur des espaces utilisés par les commerçants lors du marché, dans la halle elle-même ou dans la partie effectivement occupée du périmètre adjacent ; que compte tenu, d’une part, de la stricte limitation dans le temps et les lieux qui est ainsi celle de cette mesure, d’autre part, des nécessités de la commodité de la circulation du public à l’intérieur de la halle et des espaces du périmètre adjacent effectivement occupés par des commerçants, l’arrêté litigieux ne peut, même au regard des exigences particulières qu’impose la période électorale, être regardé comme portant aux libertés d’expression et de communication des idées et des opinions une atteinte grave et manifestement illégale ; qu’il en résulte, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par M. A sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE, qui n’est pas, dans la présente espèce, la partie perdante, la somme que M. A demande à ce titre ; qu’il n’y a pas lieu, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, de faire droit aux conclusions que la commune présente sur le même fondement ;
OR D O N N E :
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Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles en date du 28 mars 2012 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. A devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles et ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative présentées devant le juge des référés du Conseil d’Etat sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ÉCOLE tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE DE SAINT-CYR-L’ECOLE et à M. Matthieu A.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.
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