La Ligue des droits de l’Homme demande l’abaissement des taxes sur les titres délivrés aux étrangers

On se souvient de l’augmentation hallucinante qu’avaient subie les taxes imposées aux demandeurs d’asile, au début de l’année 2012. Un seul exemple : le prix de la carte de séjour était passé de 70€ à 349€ ; le détail de ces augmentations est à lire ici.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, vient d’adresser une lettre aux députés, pour qu’ils se saisissent de ce problème, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2013. Cette lettre a été adressé à tous les députés, à l’exception, naturellement, de ceux du Front national, et demande que l’ensemble de ces taxes et des mécanismes qui les sous-tendent soient entièrement revus, pour parvenir à davantage d’équité, et que ces taxes ne soient plus un obstacles pour les demandeurs d’asile à avoir des papiers en règle.

Voici cette lettre, qui est téléchargeable ici.

LE PRESIDENT

Réf : 470/12/PT/VP

Objet : taxes exigibles des ressortissants étrangers sollicitant la délivrance d’un titre dc séjour

Paris, le 18 octobre 2012

 

Madame la Députée, Monsieur le Député,

Vous êtes actuellement amené(e)s, dans le cadre de l’examen de la loi de finances 2013, à vous prononcer sur son article 29, intitulé « renforcement de l’équité des taxes sur les titres délivrés aux étrangers ». Si cet article prévoit effectivement une baisse de la somme a acquitter pour la délivrance d’un titre de séjour, son adoption sans modification continuera à constituer un véritable obstacle à la régularisation de nombreux ressortissants étrangers qui peuvent pourtant y prétendre, en application de notre législation, et ancrera le principe de la perception d’une somme injuste et indue adopte par la précédente législature.

La modification du montant des taxes exigibles du ressortissant étranger, ainsi que des modalités de leur perception, résultait jusqu’à présent de la loi de finances pour 2012 qui n’a, sur ces aspects, pas fait l’objet d’un examen effectif par le Conseil constitutionnel. Des lors, le recours pour excès de pouvoir que la LDH et le Gisti ont conjointement introduit contre la circulaire d’application du 19 janvier 2012 (NOR 1OCL1201043C) n’avait que peu de chances de prospérer, et le Conseil d’État l’a rejeté par un arrêt du 17 octobre dernier.

Pour autant, tant le montant total exige pour obtenir une première carte de séjour temporaire que les modalités de perception de celle-ci sont pour le moins illégitimes et indues.

En premier lieu, le décret n° 2011-2062 du 29 décembre 2011 ainsi que la circulaire d’app1ication du 19 janvier 2012 précitée prévoient en effet, comme condition d’enregistrement même de la demande, le versement d’une somme de 110 euros, dénommée « droit de visa de régularisation », non remboursable, quelle que soit l’issue réservée à la demande et, au surplus, exigible à chaque nouvelle demande. Cette somme étant censée couvrir les frais de visa que le demandeur aurait dû acquitter s’il était entré en France muni du visa correspondant au titre de séjour qu’il sollicite, il est pour le moins indu de l’exiger à chaque nouvelle demande, des lors que le ressortissant étranger s’en est déjà acquitté.

En outre, s’il peut sembler légitime d’exiger le versement d’une somme correspondant au visa long séjour que le demandeur aurait dû obtenir pour solliciter utilement la délivrance d’un titre de séjour, une fois présent sur le territoire français, sur quel fondement le législateur peut-il exiger que cette somme ne soit pas remboursable ? Il convient en effet de relever que les services consulaires ne délivrent un visa long séjour qu’après avoir vérifié que les conditions de délivrance du titre de séjour sont réunies, ce qui permet à son détenteur, une fois sur le territoire français, d’obtenir le titre de séjour correspondant au visa dont il a acquitté les frais.

En second lieu, si l’article 29 du projet de loi qui vous est soumis prévoit bien une baisse des taxes exigibles du demandeur qui se prévaut de ses attaches privées et/ou familiales sur le territoire français, le montant global qu’il devra verser demeure plus que prohibitif pour une personne qui, par définition, est dépourvue d’autorisation de travail. Actuellement, cette somme s’élève à 708 euros. Le présent projet vous propose de retenir une somme variant de 518 euros, pour la fourchette la plus basse, à 648 euros pour la plus haute, le montant exact étant soumis à des dispositions décrétales. L’acquittement d’une telle somme pour une personne qui se trouve le plus souvent en situation de précarité continuera de s’avérer dissuasive, ou de potentiellement favoriser des pratiques illégales, d’autant que la clause d’indigence prévue par le décret du 13 aout 1981 (décret n°81-778) a disparu avec l’adoption de la circulaire du 19 janvier 2012. Or, précisément, un tel montant s’appliquera à des personnes qui remplissent pourtant les conditions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) pour obtenir, de plein droit et sur le fondement de leurs attaches privées et/ou familiales en France, un titre de séjour. En érigeant ainsi un obstacle à la régularisation de ces personnes, un tel dispositif viole l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), qui garantit le respect dû à la vie privée et familiale.

Aussi, un raisonnement par analogie avec la solution retenue en avril dernier par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) semble s’imposer. La Cour a en effet censure la loi néerlandaise et les droits fiscaux exigés, par les Pays-Bas, des ressortissants de pays tiers qui sollicitent le statut de résident de longue durée ou, s’ils ont acquis ce statut dans un autre État, demandent à exercer leur droit au séjour, ainsi qu’aux membres de leurs familles. En l’espèce, ces droits fiscaux variaient de 201 à 830 euros. Alors même qu’un article de cette loi prévoyait une dispense possible des droits fiscaux justifiée sur le fondement de l’article 8 de la CESDH, la CJUE a estimé que le pouvoir d’appréciation accordé aux États membres n’était pas illimité, et a déclaré qu’en l’espèce, le royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombent (CJUE, 26 avr. 2012, aff. C-508/ 10, Commission européenne c/ Pays-Bas).

L’ensemb1e de ces éléments nous amène à vous demander de bien vouloir amender l’article 29 du projet de loi de finances pour 2013, dans le sens :

  • d’un ajout permettant de mentionner explicitement que la somme correspondant au visa de régularisation ne soit exigible du demandeur de titre de séjour qu’une seule fois, indépendamment des demandes ultérieures qu’il pourrait introduire ;
  • d’un acquittement des sommes exigibles lors de la délivrance du titre de séjour sollicite ;
  • d’une baisse substantielle des taxes exigibles du demandeur qui sollicite la délivrance d’un titre de séjour, notamment sur le fondement de ses attaches privées et/ou familiales ;
  • d’une inclusion, dans la loi, d’une clause d’indigence.

Convaincu que l’équité sera au cœur de vos préoccupations, je vous prie de croire, Madame la Députée, Monsieur le Député, à l’assurance de ma parfaite considération.