Lettre de la société civile au Congrès des États-Unis sur la surveillance Internet et télécommunications

On savait depuis longtemps que les États-Unis se livrent à des écoutes des citoyens de la planète, avec « l’affaire Prism » on touche du doigt les preuves ! Interrogé sur le sujet, le président Obama déclare : « Si vous êtes un citoyen américain, la NSA ne peut pas écouter vos appels et intercepter vos emails, sauf dans le cas où cela découlerait d’une ordonnance individuelle émise par un tribunal. Telles sont les règles existantes. » Et il poursuit : « Mon travail est à la fois de protéger les Américains et leur style de vie, y compris la protection de leur vie privée ». Dommage pour tous les individus qui communiquent à travers la planète !

La LDH a signé et vous invite à signer cette adresse au Congrès américain initiée par un réseau de la société civile sur la gouvernance et les droits de l’Internet, qui prend en compte le sort de tous :

http://bestbits.net/fr/prism-congress/

Maryse Artiguelong, membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme.

Le texte de l’adresse

Nous écrivons en tant que coalition d’organisations de la société civile du monde entier pour exprimer notre sérieuse inquiétude au sujet de révélations concernant la surveillance des communications Internet et téléphone de citoyens US et non-US par le gouvernement des États-Unis. Nous tenons également à exprimer notre profonde préoccupation du fait que les autorités des États-Unis ont pu rendre les données résultant de ces activités de surveillance disponibles pour d’autres États, dont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada, la Belgique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande [1]. De nombreuses entreprises Internet à portée mondiale basées aux États-Unis semblent également prendre part à ces pratiques [2].

La mise en place de mécanismes de surveillance au cœur de communications numériques mondiales menace gravement les droits humains à l’ère numérique. Ces nouvelles formes de pouvoir décentralisé reflètent des changements fondamentaux dans la structure des systèmes d’information des sociétés modernes [3]. Toute démarche en ce sens doit être analysée lors de débats larges, profonds et transparents. La violation par un gouvernement des droits humains de citoyens, qu’ils soient de leur propre pays ou de l’étranger, est inacceptable. Rendre impossible à un citoyen de communiquer ses opinions sans surveillance par un État étranger, non seulement viole les droits à la vie privée et de la dignité humaine, mais menace également les droits fondamentaux à la liberté de pensée, d’opinion et d’expression et d’association qui sont au centre de toute pratique démocratique. Ces actions sont inacceptables et soulèvent de sérieuses préoccupations au sujet de violations extraterritoriales des droits humains. L’impossibilité pour des citoyens de savoir s’ils sont soumis à une surveillance étrangère, de contester une telle surveillance ou d’exercer des recours est encore plus alarmante [4].

La contradiction entre l’affirmation persistante des droits humains en ligne par le gouvernement des États-Unis et les récentes allégations de ce qui semble être de la surveillance massive, par ce même gouvernement, de citoyens US et non-US est très inquiétante et entraîne des répercussions négatives sur la scène mondiale. Il semble qu’il y ait un mépris flagrant et systématique des droits humains énoncés dans les articles 17 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont les États-Unis sont signataires, ainsi que dans les articles 12 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Gardant à l’esprit que les États-Unis doivent depuis longtemps s’engager dans une discussion sur la façon de mettre à jour et moderniser leur politique afin de s’aligner sur leurs propres documents et principes fondateurs, ce qui arrivera ensuite dans la supervision du législatif et de l’exécutif aux États-Unis aura des conséquences énormes et irréversibles pour la promotion et la protection des droits humains chez tous les peuples du monde.

Il faut aussi noter que le gouvernement des États-Unis a appuyé la résolution 20/8 du Conseil des droits humains des Nations Unies, qui affirme que « les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne, en particulier le droit de toute personne à la liberté d’expression » [5] et, il y a quelques jours, le 10 juin, les États-Unis faisaient partie d’un groupe restreint de pays qui ont rédigé une déclaration interrégionale, qui a souligné à juste titre que « tout traitement de problèmes de sécurité sur Internet doit se faire d’une manière compatible avec les obligations des États au regard du droit international des droits de l’homme et le plein respect des droits de l’homme doit être sauvegardé » [6]. Ce n’était apparemment pas le cas des pratiques récentes du gouvernement des États-Unis. Outre qu’elle représente une violation majeure des droits humains fondamentaux des personnes dans le monde, l’incohérence entre les pratiques et les déclarations publiques des États-Unis sape également la crédibilité morale du pays au sein de la communauté mondiale qui se bat pour les droits humains, tels qu’ils s’appliquent à l’Internet et brise la confiance des consommateurs envers tous les Américains qui fournissent des services mondiaux.

Le 10 juin 2013, de nombreux signataires de cette lettre se sont réunis pour exprimer nos préoccupations au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies [7]. Nous l’avons fait dans le contexte du récent rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, M. Frank La Rue [8]. Ce rapport expose en détails des tendances inquiétantes dans la surveillance étatique des communications qui entraînent de graves conséquences pour l’exercice des droits humains à la vie privée et à la liberté d’opinion et d’expression. Nous notons que les parties prenantes états-uniennes ont également écrit une lettre au Congrès pour exprimer leurs préoccupations au sujet de la conformité du programme national de surveillance en cours avec la loi domestique [9].

Nous sommes également extrêmement déçus que, dans toutes les déclarations concernant les « divulgations » de courrier, les autorités US ont seulement insisté sur le fait qu’il n’y avait pas d’accès au contenu concernant des citoyens US, et que seules les métadonnées ont été recueillies. Il n’y a pas eu un mot sur la question de l’accès à grande échelle aux contenus concernant des citoyens non US, ce qui constitue une violation quasi certaine des droits humains. La focalisation des autorités US sur la différence entre le traitement des citoyens US et non-citoyens sur une question qui se rapporte essentiellement à la violation des droits de l’homme est très problématique. Les droits humains sont universels, et tous les gouvernements doivent s’abstenir de les violer pour toutes les personnes, et pas seulement pour ses citoyens. Nous préconisons fortement que les dispositions juridiques et les pratiques actuelles et à venir prennent en compte ce fait correctement.

Nous demandons donc instamment à l’administration Obama et au Congrès des États-Unis de prendre des mesures immédiates pour démanteler les systèmes existants de surveillance mondiale par l’Internet et les télécommunications et empêcher leur création à l’avenir. Nous demandons en outre à l’administration US, au FBI et au Procureur général d’autoriser les entreprises impliquées ou concernées à publier des statistiques concernant les demandes de renseignements, passées et futures, invoquant la Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), qu’ils ont reçues ou pourront recevoir [10]. Nous appelons en outre le Congrès américain à établir des protections pour les lanceurs d’alertes envers le gouvernement afin de mieux s’assurer que le public soit suffisamment informé sur les abus de pouvoir qui violent les droits fondamentaux des citoyens de tous les pays, États-Unis et les autres [11]. Nous nous joignons également à Human Rights Watch pour demander instamment la création d’un comité indépendant avec pouvoir d’assignation et toutes les garanties de sûreté nécessaires pour examiner les pratiques actuelles et formuler des recommandations afin d’assurer des protections appropriées aux droits à la vie privée, à la liberté d’expression et d’association. Les résultats de ce comité devraient être largement publiées.

Texte en anglais sur le site Best Bits

[1] http://www.ft.com/cms/s/0/d0873f38-d1c5-11e2-9336-00144feab7de.html, https://www.bof.nl/2013/06/11/bits-of-freedom-dutch-spooks-must-stop-use-of-prism/ and http://www.standaard.be/cnt/DMF20130610_063.
[2] Incluant Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, PalTalk, AOL, Skype, YouTube et Apple: http://www.washingtonpost.com/investigations/us-intelligence-mining-data-from-nine-us-internet-companies-in-broad-secret-program/2013/06/06/3a0c0da8-cebf-11e2-8845-d970ccb04497_story.html
[3] http://www.state.gov/statecraft/overview/
[4] (A/HRC/23/40)
[5] http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/RES/20/8
[6] http://geneva.usmission.gov/2013/06/10/internet-freedom-5/
[7] http://bestbits.net/prism-nsa
[8] (A/HRC/23/40)
[9] Demandant au gouvernement des États-Unis d’autoriser Google à publier davantage de statistiques concernant les requêtes de sécurité nationale
http://googleblog.blogspot.com/2013/06/asking-us-government-to-allow-google-to.html
[10] https://www.stopwatching.us/
[11] Le texte qui vient d’être publié dont le titre est Principes généraux sur la sécurité nationale et la liberté d’information (les principes de Tshwane) qui concerne les lanceurs d’alerte et la sécurité nationale fournit une référence pertinente à ce sujet :
http://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/Global%20Principles%20on%20National%20Security%20and%20the%20Right%20to%20Information%20%28Tshwane%20Principles%29%20-%20June%202013.pdf.