Éditorial de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, dans LDH info n°222, le bulletin national mensuel de la Ligue des droits de l’Homme.
Le moment présent se tisse de soulagement, d’espérances, d’interrogations et d’inquiétudes.
Inutile de développer les raisons du soulagement éprouvé au limogeage de Nicolas Sarkozy.
Les espérances sont évidemment alimentées par une série de signaux positifs envoyés par le nouvel exécutif : un gouvernement paritaire, compose de ministres ayant par ailleurs sollicité et recueilli les suffrages du peuple, des annonces de création de postes dans l‘Éducation nationale, une circulaire Guéant expulsée, un sommet social annoncé pour juillet et préparé selon une méthode qui rompt avec l’autoritarisme et le mépris, le refus de s’enfermer dans une austérité de principe. D’autres signaux, moins positifs, nourrissent des interrogations. On pense à l’état de la négociation européenne, au traitement des étrangers – qu’il s’agisse de la naturalisation, laissée aux mains du ministère de l’Intérieur, des camps de Roms que l’on continue de démanteler…
Les inquiétudes, quant a elles, tiennent d‘abord au rapport de forces postélectoral. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy nous laisse un paysage désolé et désolant. Le score du Front national est d‘autant plus inquiétant qu’il s’articule à un arrière-pays de droites extrêmes, prêtes à se rejoindre, s’unir et à ouvrir la page d‘un projet gouvernemental combinant ouvertement xénophobie et autoritarisme. La droite traditionnelle, si elle a été battue, n’a pas été sanctionnée, et ses débats internes quant à sa stratégie n’ont rien d’autocritiques. L’abstention, enfin, fait que François Hollande, puis le PS, ont été choisis par un quart des citoyens en âge de voter (en tenant compte des non-inscriptions sur les listes électorales, des abstentions et des votes blancs et nuls).
Face au sentiment de délitement, d’usure, de désamour qui sature la sphère de l’action et de la représentation publiques, la Ligue des droits de l’Homme a des responsabilités singulières. Il lui revient de travailler à refonder le socle républicain du vivre ensemble.
Il s’agit d‘abord de réaffirmer l’indivisibilité et l’universalité des droits, parce que c’est le cœur de notre réacteur intellectuel. C’est cette double caractéristique – indivisibilité et universalité – qui fonde le vivre ensemble républicain, la société de solidarité que nous appelons de nos vœux.
Il nous faut corrélativement réhabiliter la notion d’intérêt général, sans laquelle il n‘est pas possible de penser une éthique de l’engagement politique. Il est temps de réaffirmer que l‘intérêt général est l’objet même du travail démocratique, ce qui lui donne du corps et du sens.
Il nous faut réaffirmer que cette démocratie est mille fois plus efficace que les « actes de contrition et de renoncement », auxquels nous convient agences de notations et autres acteurs des marchés financiers.
Cette obsession démocratique doit se construire à travers des propositions concrètes et des projets, des valeurs. Elle doit être défendue, au quotidien, dans les dénonciations et les oppositions aux injustices, aux pratiques administratives illégitimes, aux discriminations, quelles qu’elles soient. Elle doit contribuer à créer des alternatives fortes et rassembleuses, à ouvrir des voies à d’autres pratiques citoyennes, démocratiques.
Forte de la conviction que les changements nécessaires ne peuvent se construire que sur la base des droits fondamentaux et de la devise républicaine qui les résume, la LDH s‘est adressée au président de la République à propos des institutions, dont il est garant, et des modifications nécessaires pour leur assurer un fonctionnement plus démocratique. Elle a également adressé trois missives au Premier ministre : la première concerne le fonctionnement de la Justice, le respect des droits, la nécessité de mettre fin aux dérives sécuritaires et intrusives. La deuxième porte sur les droits des étrangers et sur l‘impérieuse nécessité de rompre avec une ère de défiance et de répression, au bénéfice d’un moratoire des expulsions, de réformes immédiates et de l’organisation d‘un vaste débat national. La troisième porte, enfin, sur une demande de loi d‘amnistie pour les citoyennes et citoyens dont l’engagement syndical et social a donné lieu à des mesures s‘inscrivant dans la tentative de criminalisation de la protestation sociale et civique.
La LDH entend ainsi réaffirmer solennellement sa responsabilité et sa disponibilité pour tout examen vis à inscrire ses propositions dans une réflexion gouvernementale et législative.
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