Ligue des droits de l’Homme : « On doit lutter contre le terrorisme sans porter atteinte à nos libertés »

Maître Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme.

La Ligue des droits de l’Homme continue à mettre en garde les hommes politiques contre les risques qu’un état d’urgence mal maîtrisé et non contrôlé par le parlement peut faire courir à la démocratie. C’est le sens de son dernier communiqué, publié ce matin, jeudi 19 novembre :

Comme on pouvait le craindre, le projet du gouvernement de proroger de trois mois l’état d’urgence pose de graves problèmes de libertés publiques et individuelles.

Pendant trois mois, pour les motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, soixante-six millions de personnes pourront :

      • voir la police entrer chez elles de jour et de nuit afin de perquisitionner leur lieu de travail ou leur domicile et prendre une copie du contenu de leur ordinateur ou de leur téléphone mobile. Pour cela, il suffit qu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » ;
      • être assignées à résidence si leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » et se voir interdire d’être en contact avec d’autres personnes présentant la même menace.

Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.

Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.

Ce que le gouvernement veut imposer au Parlement d’adopter à marche forcée illustre bien les craintes déjà exprimées par la LDH : ce qui est ici en cause, ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.

C’était aussi le sens de l’intervention d’Henri Leclerc, avocat, et président d’honneur de la LDH, dans son intervention à France Inter mardi 17 novembre : « Je voudrais que les gens comprennent que l’état d’urgence, ce n’est pas rien » a-t-il martelé (à écouter ici). C’est également le sens de l’interview que Jean-Pierre Dubois (professeur de droit constitutionnel et lui aussi président d’honneur de la ligue des droits de l’Homme) a accordé jeudi 19 à  Jean-Baptite Jacquin, journaliste au Monde : il évoque pour sa part le risque d’une « perte des repères démocratiques » : l’état d’urgence devrait être contrôlé par le Parlement. Tout en reconnaissant que l’état d’urgence est justifié (« Sur le principe, la réponse est oui. On aurait du mal à nier le caractère exceptionnel de la situation »), il s’empresse d’ajouter : « La question est comment on utilise cette possibilité et pour com­bien de temps. Nous comprenons que l’on prenne des mesures exceptionnelles compte tenu de ce qu’il s’est passé le 13  novembre. Mais la tradition républicaine est la proportionnalité et le contrôle. Les mesures doivent être proportionnelles à la situation. Ce qui me dérange est que le président de la République a d’emblée prévenu que le gouvernement demandera une prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Je ne com­prends pas que la durée soit aussi longue, même au regard de la gravité de la situation. Pourquoi donnerait-on un blanc-seing aussi long ? ». Il trouve dans l’interdiction des manifestations liées à la réunion de la COP21 (annoncée par le premier ministre) une illustration de ses craintes : « (…) justifier [cette interdiction] en disant que les rassemblements constituent des cibles est aberrant. Tout est une cible : le métro, les musées, les ministères… On ne va pas arrêter la Nation ! Utiliser une situation dramatique pour museler une expression citoyenne est une voie dangereuse. Et on va le faire devant les caméras du monde entier ». L’interview complète de Jean-Pierre Dubois est à lire ici.

Jean-Pierre Dubois : « Nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Jean-Pierre Dubois, au congrès de la LDH à Reims en 2011.

A en croire les médias, piller le fonds de commerce idéologique de la droite c’est faire preuve d’une « grande habileté politique ». Si tel est le cas, alors, oui, chapeau bas M. Hollande.

Ce pillage, dont le président de la république avait chargé sa créature, M. Macron, de l’accomplir au niveau social et économique, il l’a assumé lui-même, au niveau des libertés et de la « sécurité » devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, lundi. Il avait déjà bien commencé le boulot, avec les lois sécuritaires, il le poursuit aujourd’hui sans vergogne, allant même jusqu’à recycler des propositions de d’Edouard Balladur…

Objectif atteint : Mme Le Pen elle-même salue l’exercice…

Lundi, le congrès, convoqué par le président de la République, s’est réuni à Versailles. « Le Parlement n’est pas encore une Chambre bleu horizon, comme en 1919, puisque la gauche est au pouvoir. Mais il est de toute évidence une Chambre bleue, convertie à la nécessité de la « guerre » et prête à approuver des mesures d’exception », commente Mathieu Magnaudeix dans Médiapart.

Rares sont les voix qui se lèvent pour dénoncer ce que tout le monde aurait dénoncé si cela avait été proposé par la droite.

On en entend cependant quelques-unes. Rafraichissantes. Celle de Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, par exemple. Qui, dans Rue 89, déclare : « nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Interrogé par  Robin Prudent, qui lui rappelle : « Après les attentats de Charlie Hebdo, vous nous mettiez en garde contre une possible « hystérie sécuritaire », Jean-Pierre Dubois répond : « Après les attentats de janvier, on a entendu dans la bouche de certains gouvernants, notamment Manuel Valls et François Hollande, que nous étions en guerre.

C’est exactement ce que l’on entend de nouveau.

Si on est dans une logique de guerre, les mots n’ont pas beaucoup de sens, parce que personne ne sait comment faire la guerre à des gens qui ne sont pas un Etat. Comment fait-on la guerre à des gens qui ouvrent le feu au hasard avec des armes rudimentaires que l’on peut trouver très facilement ?

Surtout, cela signifie que nous allons vers ce qui est le sort des démocraties en guerre : l’état d’exception.

L’état d’urgence a été proclamé. Dans un premier temps, on peut se dire que c’est une situation exceptionnelle et que l’on ne peut pas y répondre autrement que par des mesures exceptionnelles.

Sauf que quand on regarde bien, l’état d’urgence n’ajoute pas grand-chose à ce qui est devenu permanent. Les mesures antiterroristes, les lois sur le renseignement, on les a déjà, et cela ne fonctionne pas ».

Lisez l’interview de Jean-Pierre Dubois du 14 novembre 2015 par Robin Prudent, ici.

Et relisez son interview du 8 janvier 2015 par Xavier Delaporte ici.

Projets du président de la République : l’état d’urgence en permanence

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme publié lundi 16 novembre dans la soirée, après la déclaration de François Hollande devant le congrès réuni à Versailles.

On ne peut qu’être inquiet des projets du président de la République. La logique de guerre qu’il a mise en avant conduit à modifier en profondeur plusieurs aspects de l’Etat de droit : qu’il s’agisse de la Constitution, de la procédure pénale ou des règles de la nationalité, ou d’autres encore.

Ces mesures, loin d’être limitées dans le temps, vont s’inscrire dans la durée comme l’actuel état d’urgence qui va être prorogé pour trois mois, soit au moins jusqu’au mois de février 2016, sans qu’on en comprenne la raison.

Le peu de précisions apportées par le président de la République quant au contenu exact des réformes envisagées et la rapidité avec laquelle le Parlement est sommé de les entériner atteste que le pouvoir exécutif entend imposer sa vision d’une démocratie où ce dernier l’emporte sur les autres pouvoirs et sur les libertés individuelles.

Cette démarche est d’autant plus inquiétante que le président de la République a observé un silence total sur les causes profondes de la situation actuelle, les échecs observés et ne présente qu’une seule alternative : un pouvoir fort ou le terrorisme, sans se préoccuper d’assurer la cohésion sociale et l’égalité des droits.

La LDH exprime son inquiétude face à des projets délibérés sur injonction, dans la précipitation et usant de l’émotion provoquée par les attentats commis.

D’ores et déjà, elle désapprouve la prorogation de l’état d’urgence et souhaite que les pouvoirs publics ne se contentent pas de faire référence au respect de l’Etat de droit mais qu’ils le respectent effectivement.

Refonder la légitimité de la police

Après les attentats à Paris et Saint-Denis, le 13 novembre dernier, la Ligue des droits de l’Homme mettait en garde le gouvernement contre un aggravation des mesures tendant à limiter encore davantage les libertés publiques, qui, depuis de nombreuses années, n’en finissent pas de subir des attaques au nom de la lutte contre le terrorisme. La dernière attaque consiste à introduire une sorte de « présomption de légitime défense », qui autoriserait la police à faire usage d’une arme alors même que la légitime défense n’est pas établie, mais qu’on a affaire à des personnages tels que des tueurs en série ou des terroristes comme ceux de Paris. Ce projet ne fait pas l’unanimité, y compris dans certains syndicats policiers, qui  estiment que l’arsenal juridique actuel est suffisant pour que les personnels puissent se défendre.

Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient, dans l’éditorial de LDH info, l’organe mensuel de la LDH, sur deux événements récents, emblématiques de ces menaces sur les libertés :

  • Le verdict du procès des policiers impliqués dans le décès des deux jeunes gens dans un site EDF il y a 10 ans ;
  • Le décès de Rémy Fraisse en octobre 2014 sur le site du futur barrage de Sivens.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le procès de la police. Mais ne pas dénoncer les abus, qui sont le fait d’une minorité de personnes, ne peut que contribuer à ternir l’image de la police, notamment chez les jeunes ; et cette rupture entre police et citoyens peut avoir des conséquences tragiques. Comme le dit Françoise Dumont, « Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police ». Dans l’intérêt de tous, y compris des policiers.

Police, l’inquiétant bilan

Editorial de Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme dans le numéro d’octobre de LDH Infos.

Il y a tout juste dix ans, Bouna Traoré et Zyed Benna trouvaient la mort dans un site EDF, et un troisième jeune était grièvement brûlé. Leur crime ? Avoir voulu fuir un contrôle de police. L’annonce de la mort prématurée de ces deux adolescents avait enflammé les banlieues pendant plusieurs semaines. Le procès des deux policiers mis en cause a traîné pendant dix ans, pour aboutir finalement à une décision tragique et scandaleuse : la relaxe définitive.

Ce qui est arrivé le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois renvoie au caractère systémique des contrôles d’identité abusifs et à leur impact dévastateur sur les personnes contrôlées. Ce n’est pas une coïncidence si l’Etat vient de contester cinq arrêts de la cour d’appel de Paris, le condamnant pour « faute lourde » pour cinq contrôles d’identité reconnus comme ayant été effectués « au faciès ». Le gouvernement avait l’opportunité de tirer les conséquences des décisions de la cour d’appel de Paris en introduisant, comme nous le demandons de longue date avec d’autres, un système de récépissé des contrôles et une modification du cadre législatif qui les autorise. Au lieu de cela, il s’est pourvu en cassation. Ce pourvoi était prévisible mais il reflète un choix : celui de laisser perdurer, pire, de légitimer des pratiques policières discriminatoires, au rebours des engagements du candidat Hollande. Il faudra expliquer comment une telle démarche peut être compatible avec la lutte contre le racisme, pourtant proclamée « grande cause nationale » pour 2015.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre 2014, il y a tout juste un an, Rémi Fraisse trouvait la mort sur le site du barrage de Sivens. Cette mort ne suscita pas les mêmes explosions de violence que celle de Zyed et Bouna. Alain Finkielkraut n’eut pas l’occasion de parler de « pogrom antirépublicain » ou de « conflit ethnico-religieux », mais on se souvient avec colère des réactions officielles au lendemain du drame. Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils tenté de dissimuler, de nier parfois jusqu’à l’évidence, la réalité des faits ? Pourquoi avoir attribué cette mort à la violence « démesurée » des manifestants antibarrage, victime comprise ? La LDH a alors constitué une Commission d’enquête citoyenne visant à faire la lumière, toute la lumière, sur ces événements. Mobilisant une vingtaine de personnes, cette Commission a procédé à une trentaine d’auditions auprès des protagonistes directs ou indirects de ce drame. Ce travail d’investigation a abouti à la rédaction d’un rapport qui dresse un bilan accablant de ce qui s’est passé, mais qui formule aussi un certain nombre de préconisations.

La LDH, en cette affaire, a joué pleinement son rôle de vigile et de contre-pouvoir. Sa démarche, hier comme aujourd’hui, n’est évidemment pas de dresser le procès des forces de police qui accomplissent souvent un travail difficile dans des conditions dégradées. Elle s’est toujours battue pour la mise en place d’une police républicaine qui joue pleinement son rôle de protection de l’ensemble des citoyens. Force est pourtant de constater qu’on en est loin. On le mesure à voir ces images de forces de l’ordre repoussant violemment les avocats du palais de justice de Lille, ou lorsque les syndicats de policiers appellent à manifester sous les fenêtres de la garde des Sceaux, au prétexte que la politique pénale serait laxiste et la justice hors des réalités.

Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police. Il y a urgence à instaurer un débat public avec la population sur les conditions démocratiques de la sécurité. Car la dégradation du climat est bien celle de la démocratie elle-même. Les déclarations martiales et autres bombements de torse à l’Assemblée nationale ne sont pas à cet égard de bon augure.

Ils pourraient n’être que pathétiques ; au vu du bilan et des enjeux, ils sont inquiétants.

La leçon de morale donnée à Mme Morano par un jeune Français d’origine sénégalaise

Seydi Diamil Niane est un jeune Français d’origine sénégalais, doctorant en islamologie à l’université de Strasbourg. Les propos infâme prononcés par Mme Morano dans l’émission « On n’est pas couché », la semaine dernière, l’ont profondément choqué. Il a donc écrit une lettre ouverte à la femme politique qui nous a depuis longtemps habitués à ses saillies composées essentiellement d’inepties, de grossièretés, de mensonges, le plus souvent teintés de xénophobie et de racisme, et toujours d’une vulgarité inégalable. On peut lire le texte d’intégral de sa lettre ici.

Un passage de cette lettre nous interpelle particulièrement à la veille du bistrot de l’histoire consacré au massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française, en 1945 à Thiaroye : Seydi Diamil Niane met en parallèle ce drame dont  la France peine à reconnaître la responsabilité et les propos de Mme Morano. Les voici :

« (…) Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benot, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benot que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroy, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes […] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »

 Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable. (…) ».

En quelques phrases, Sydi Diamil Niane montre l’actualité de ce drame, et l’importance qu’il y à à empêcher qu’il sombre dans l’oubli. Raison de plus pour assister au Bistrot de l’histoire, ce vendredi 2 octobre à partir de 18h à la salle des fêtes de Trévé ! Lire ici pour en savoir plus.

 

 

Réfugiés : manifestation de solidarité mercredi 9 septembre à Saint-Brieuc (22)

Photo Ouest-France

Il a fallu une photo, celle d’un enfant mort sur une plage, pour qu’enfin l’Europe prenne conscience du drame de ceux que certains appellent « migrants », et d’autres « réfugiés ». Il aura aussi fallu que Mme Merkel, chancelière allemande, élève la voix, pour que les dirigeants du « pays des droits de l’Homme », la France, se manifestent… pas très glorieux de recevoir une leçon d’humanité d’une femme de droite.

Un mouvement de solidarité s’est déclenché dans plusieurs pays, et le mot solidarité recommence enfin à être utilisé : on n’y était plus habitué ! Des responsables politiques prennent enfin position, pressés par la population. Il ne faut cependant pas surestimer ce beau mouvement : l’opinion publique ne s’est pas retournée miraculeusement en quelques jours, et la xénophobie et l’égoïsme étriqué ont encore pignon sur rue. Plus de 55% de la population reste hostile à l’accueil de ces hommes, ces femmes et ces enfants, avec pour prétexte toutes les idées fausses qui circulent sur l’immigration : « ça coûte cher » (alors que le solde est positif) et autres.

À propos du choix des termes, « migrants » ou réfugiés. Il est judicieux effectivement de faire la distinction. Mais il est indigne d’effectuer une distinction entre les motivations des « migrants » : fuir la misère, qui débouche la plupart du temps sur la mort, serait-il lâcheté, et fuir une dictature héroïsme ? Les migrants « économiques » comme on les appelle, qui sont-ils ? Sont-ils les français qui fuient l’impôt dans les paradis fiscaux ? Indigne aussi la discrimination sur la religion : accueillir les « chrétiens » d’Orient, pas de problème ; les musulmans… faut voir.

La Ligue des droits de l’Homme s’est emparée de ce problème depuis longtemps, et en ce moment elle multiplie les initiatives pour faire en sorte que ce mouvement de solidarité ne s’essouffle pas aussi vite qu’il est apparu. C’est pourquoi la section de Saint-Brieuc de la LDH appelle à une manifestation de solidarité avec les réfugiés mercredi 9 septembre, à 18h30, devant la préfecture de Saint-Brieuc (place du général De Gaulle).

L’appel du président de la section de Saint-Brieuc de la Ligue des droits de l’Homme

La violence de la photo d’Aylan Kurdi, enfant de 3 ans mort échoué sur une plage choque.

Elle nous renvoie en boomerang notre propre violence vis-à-vis des réfugiés, celle de notre indifférence, de notre inaction.

Elle nous rappelle qu’au-delà des frontières, tous les êtres humains ont des Droits Fondamentaux. Notre émotion ne peut pas suffire.

 

La Ligue des Droits de l’Homme des Côtes d’Armor appelle chaque citoyen à comprendre, se révolter et agir.

  • Comprendre: 630 000 réfugiés demandent asile dans l’Union Européenne (UE), recherchant liberté et Etat de Droit, fuyant des guerres que les pays occidentaux ont parfois démarrées (Irak, Libye…). Ils représentent à peine plus de 1% de la population de l’UE, la 2ème économie du monde. L’Europe a des ressources pour faire face à ce drame sans dresser des murs de barbelés.
  • Se révolter ensuite face au manque de courage des gouvernements, notamment en France, qui se défaussent en disant « qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». La France ne brille pas par son hospitalité. Si on regarde la part des demandes d’asile qui reçoivent une réponse positive, la France est 23e sur 28 ! Pourtant, ces réfugiés peuvent enrichir notre pays, en travaillant, souvent en faisant des emplois difficiles que nous ne voulons pas, en contribuant à la solidarité nationale par l’impôt, en revitalisant nos territoires marqués par la désertification.

Agir enfin. Que peut-on faire ?

  • Affirmer ses valeurs face à la lepénisation des esprits. Non, le réfugié n’est pas la cause des près de 5 millions d’inscrits à pôle emploi. Non, il ne risque pas sa vie pour faire du « tourisme social ». Non, il ne va pas mettre en danger la République parce qu’il a une culture ou une religion différente. Au quotidien, il faut relever la tête et combattre fièrement toutes ces idées reçues.
  • Accueillir : si vous avez une chambre de libre chez vous et que vous souhaitez offrir l’hospitalité, n’hésitez pas à contacter la ligue des Droits de l’Homme : plusieurs jeunes étrangers sont actuellement hébergés chez des particuliers et nous sommes toujours à la recherche d’hôtes (contact ldh.st-brieuc@wanadoo.fr )
  • Faire entendre sa voix pour appeler le gouvernement français à l’action : Pour ce faire, un rassemblement est organisé devant la préfecture mercredi 9 septembre à 18h30 devant la préfecture. Tous les citoyens sont les bienvenus !
  • Mobiliser les collectivités publiques : nous appelons les pouvoirs publics à favoriser en urgence et en tous point du territoire l’accueil des réfugiés, favoriser la scolarisation systématique des enfants, délivrer les autorisations de travail quand un emploi est trouvé, mettre en place des procédures administratives laissant le temps aux migrants de démontrer leur situation.

Hervé Guihard, Président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme, Saint Brieuc

Congrès du Mans : rassembler et relever les défis

Le congrès du Mans a voté deux autres résolutions très politiques : Rassembler pour un avenir solidaire, et Relever tous les défis lancés à la démocratie. Elles ont toutes les deux été largement adoptées par le congrès.

Rassembler pour un avenir solidaire

Dans une société secouée par les crises et travaillée par les doutes, les deux années qui nous séparent d’échéances majeures s’annoncent difficiles et décisives. Les défenseurs des droits, de la démocratie et de la citoyenneté ne veulent ni ne peuvent céder à la peur et au découragement ; d’autant moins que des alternatives sont possibles. Mais contribuer à leur émergence suppose d’affronter les périls présents avec lucidité.

L’humanité est entrée dans une crise écologique majeure et vit une désagrégation des équilibres mondiaux, dont témoignent l’intensité des contradictions, la multiplicité des conflits et des guerres. Le sentiment de régression de la place de l’Europe domine, tandis que le « nouveau capitalisme » globalisé et financiarisé, porté par la « révolution conservatrice », sape chaque jour le compromis social construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La répétition de crises financières, économiques et sociales exacerbe inégalités, précarisation et mise en concurrence de tous avec tous.

En France et dans l’Union européenne, le cap mis sur l’austérité accompagne ou accélère ces processus, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre politique possible. Ce choix alimente l’impuissance – voire les renoncements – du politique, débouche sur des alternances sans réelles alternatives, creuse le fossé entre gouvernants et citoyens et accroît la démobilisation citoyenne, produit une parole politique d’autant plus moralisatrice qu’elle est ineffective. La démocratie, l’égalité, la liberté et la fraternité s’en trouvent dangereusement fragilisées. La conjonction du recul du politique et de l’extension des discriminations et des exclusions alimente la montée du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, du sexisme et de l’homophobie. Les thèmes d’extrême droite prônant l’exclusion de ceux présentés comme « différents » (immigrés, étrangers, chômeurs …) ont contaminé un large champ de l’espace politique et social. La recherche de boucs émissaires (Roms, musulmans, juifs, étrangers, « minorités visibles ») est devenue l’axe d’une remise en cause de la nature ouverte et démocratique de notre société. Corrélativement, la perte des repères et des solidarités, la précarisation des conditions de vie et de travail engendrent une désocialisation porteuse de désarrois, de replis et d’enfermements, parfois de haine et de violence, voire de déshumanisation. Les parcours de ceux qui ont plongé dans le fanatisme et l’obscurantisme témoignent de ces dérives mortifères, elles aussi antidémocratiques. Les agressions terroristes perpétrées en France ont ainsi alimenté de façon criminelle et traumatisante les actes de haine, les crispations identitaires, les obsessions sécuritaires et le doute sur la démocratie et ses valeurs. La levée en masse du peuple de France a montré qu’il choisissait – plutôt que la terreur et l’enfermement sécuritaire –, les valeurs de liberté et de fraternité. Le risque est néanmoins réel de voir s’instaurer une véritable « politique de la peur », tissée d’une surveillance et d’une répression généralisées et sans cesse croissantes.

Rien ne nous condamne à subir ces logiques régressives. Le monde est riche d’avenirs possibles, de pratiques solidaires, d’alternatives et de créativité, bref, d’une humanité toujours en devenir. Libérer ces potentialités suppose de s’attaquer d’un même élan aux défis de l’urgence écologique, de l’urgence sociale, de la défense solidaire des libertés  de tous, enfin, de la refondation démocratique de la citoyenneté, tant dans l’espace local et national qu’européen et global.

Face à l’urgence écologique, nous appelons à construire un autre système productif fondé sur l’intérêt général de l’espèce humaine et la promotion des « communs », à placer les entreprises en situation de responsabilité sociale et environnementale, à repenser les modes de travail, de transport et de consommation. La prise de conscience salutaire de l’importance de la lutte contre le réchauffement climatique souligne la fin inéluctable d’un modèle de production et d’échange, et fait de la transition vers un véritable « développement soutenable » un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs, une condition essentielle de la défense des droits de l’Homme.

Face à l’urgence sociale, nous réaffirmons que seule l’égalité des droits peut fonder les constructions démocratiques et solidaires à venir. Nous ne renonçons ni au droit de tous au « travail décent », à un emploi non précaire et dont la rémunération cesse d’être une simple variable d’ajustement ; ni à l’égalité devant la protection sociale, qu’il s’agisse du droit à une retraite « digne », au logement, de l’accès aux soins, de l’indemnisation du chômage, qui ne sauraient être abandonnés à l’assurance individuelle calibrée en fonction des moyens ; ni au droit effectif pour tous à l’éducation et à la formation ; ni au développement des services publics, qui réduisent les inégalités par la consommation socialisée de biens communs. Nous refusons que les cotisations sociales et les ressources fiscales qui fondent la solidarité nationale soient sacrifiées sur l’autel des « baisses de charges ». Nous réclamons au contraire que soit enfin conduite une réforme d’ampleur, conduisant à davantage de justice sociale et fiscale.

Face aux périls qui pèsent sur le pacte républicain et la fraternité, nous nous dressons contre la démagogie, les préjugés qui divisent, aveuglent et menacent notre avenir commun. Nous appelons à rompre avec l’accumulation des lois répressives, qui font reculer toujours plus nos droits et organisent la stigmatisation sécuritaire des « classes dangereuses » ; à sortir de la méfiance généralisée et du contrôle social autoritaire. Plus que jamais, nous avons besoin, collectivement, de défendre les libertés égales de tous. Plus que jamais, nous restons mobilisés contre le sexisme et pour l’égalité de genre. Ces engagements sont inséparables de la défense du droit d’asile, des droits des étrangers, de l’obtention de leur droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, enfin, de la régularisation des « sans-papiers », pour en finir avec les situations inhumaines. La montée des idées d’extrême droite est la principale traduction dans le champ politique des crises multiples que connaît notre pays. Parce que ces idées sont dangereuses, une mobilisation spécifique et unitaire contre elles est nécessaire. La LDH devra y contribuer, notamment dans le cadre de Pour un avenir solidaire. Parce qu’il y a une réelle urgence démocratique, nous appelons à en finir avec les scandales, la monopolisation des mandats, l’hégémonie patriarcale et la sous-représentation de la jeunesse, des femmes, de la diversité et des milieux populaires, les procédures vidées de contenus, les conflits d’intérêts, le mépris du débat, l’éloignement des citoyens. Au moment où certains prônent l’exclusion des plus pauvres, des plus faibles, la démocratie doit être mobilisée au service des intérêts collectifs, de l’accès effectif aux droits pour toutes et tous. Cela passe par la mise en échec de la concurrence des territoires entre eux. Il est nécessaire de renouveler les formes de vie démocratique, d’aller vers de nouvelles articulations entre la démocratie représentative (légitime et nécessaire) et d’autres formes de démocratie participative des citoyens aux décisions, d’encourager le développement d’un dialogue social et d’un dialogue civil effectifs, de créer les conditions de la primauté du processus de décision politique sur l’affirmation de puissances privées et d’intérêts particuliers.

Convaincus que rien ne se fera sans une intervention forte des citoyennes et des citoyens, nous entendons tenir notre part et toute notre part dans ces nécessaires débats, confrontations et mobilisations présents et à venir. Nous entendons participer aux efforts de promotion de la citoyenneté dans tous les domaines de la vie publique, qu’il s’agisse d’éducation civique, de formation, d’éducation populaire.

Nous sommes déterminés à jouer pleinement notre rôle d’association généraliste de défense et de promotion des droits, indépendante des forces politiques et gouvernementales, que ce soit à l’école, dans la cité, aux côtés des travailleurs dans les entreprises, des exclus du travail, du logement, de la santé, de l’éducation.

Nous restons vigilants et mobilisés face à toutes les agressions qui visent la démocratie et dont le ressort est la haine, qu’il s’agisse d’exclusion, de racisme ou de xénophobie ; face à toutes les tentatives de rogner sur les droits et les libertés d’expression, de création ; face enfin aux politiques s’en prenant à des boucs émissaires. Nous le ferons en rassemblant, en lien avec tous nos partenaires de la société civile, et notamment dans le cadre de « Pour un avenir solidaire ».

Notre conception et notre pratique de la citoyenneté sont exigeantes ; elles portent sur les contenus réels des politiques proposées plus que sur leurs affichages. Nous souhaitons que le débat porte sur des choix de fond et non des pis-aller ; nous entendons peser enfin réellement sur les pratiques parlementaires et les politiques mises en œuvre par les exécutifs, en toute indépendance.

Ces choix sont exigeants, à la hauteur des défis. Ils sont aussi réalistes. Changer vraiment, pour le meilleur et non le pire, est possible. A condition que les citoyennes et les citoyens mettent en commun leurs énergies pour imposer le respect de leurs droits ; à condition que cette dynamique d’égalité s’articule à son tour à des décisions courageuses en matière d’économie et de politiques sociales, à condition, enfin, que soient créées les conditions d’une fraternité assurant dynamisme et rayonnement à la France.

Le futur n’est écrit nulle part ; il est entre nos mains. Quels que soient les obstacles et les difficultés, la Ligue des droits de l’Homme entend tenir ce cap, rassembler et relever les défis de la période, avec ce que cela suppose d’exigence démocratique, de justice sociale et d’espoir dans un avenir commun et fraternel.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 22 abstentions

Relever tous les défis lancés à la démocratie

Les attentats terroristes de janvier 2015 ciblaient la République, la démocratie, la liberté et la fraternité. Leur ambition était de substituer à ces valeurs celles d’un état de guerre, d’une vérité révélée, du mépris de l’autre.

A l’inverse, des plus petites communes aux grandes agglomérations, la véritable levée en masse du 11 janvier a exprimé la solidarité de la population avec toutes les victimes, l’attachement à la liberté d’expression, le refus de la haine, de la violence, de l’antisémitisme et de la vengeance. Même ternie par la présence de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement non respectueux des libertés dans leur propre pays, cette mobilisation citoyenne est de celles qui marquent la mémoire d’un pays, et la LDH y a tenu toute sa place sur l’ensemble du territoire français.

Cette riposte ne dispense pas d’analyser avec lucidité ce qui s’est passé. La personnalité même des assassins, leur parcours, posent la question des mécanismes qui ont rendu possible dans notre pays l’émergence et la maturation d’un terrorisme islamiste intégriste dans ses dimensions internationales, mais aussi sociales, territoriales, d’appartenance communautaire ou idéologique… Dénoncer ce que diffuse le réseau Internet est insuffisant, il faut aussi se pencher sur les maux de la société française et les défis qu’elle doit relever.

Ces défis complexes procèdent d’un très grand nombre de facteurs et de logiques. Il serait à la fois inefficace et dangereux de se contenter de réponses trop simples, sécuritaires ou strictement administratives ou de laisser le terrain libre aux organisations qui veulent mettre en œuvre une politique de stigmatisation et une stratégie de tension. Le premier de ces défis touche à nos libertés. Les démocraties qui envisagent d’abaisser le niveau des libertés font ce qu’attendent celles et ceux qui les ont frappées. La LDH s’était félicitée de ce que le Parlement ne légifère pas dans la précipitation. Mais les mesures sécuritaires déjà adoptées en matière d’apologie du terrorisme et de surveillance du Net, et celles envisagées concernant la répression du racisme ou le contrôle des individus portent en elles d’importantes dérives liberticides. La Ligue des droits de l’Homme dénonce le projet de loi sur le renseignement en discussion accélérée au Parlement, porteur d’une vision sécuritaire élargissant une surveillance généralisée et instrumentalisant l’esprit du 11 janvier.

Le deuxième défi est celui de l’égalité. Pour que chacun et chacune aime la République, y trouve sa place, il faut que cette dernière les accueille toutes et tous. Cela suppose que la réalité ne contredise pas les principes républicains. La relégation dans des ghettos territoriaux et scolaires, l’augmentation des inégalités, la précarisation de pans entiers de la population − et notamment des jeunes − le désenchantement, la perte de confiance dans l’avenir menacent quotidiennement la démocratie, l’exercice de la citoyenneté, l’idée même d’un intérêt général et d’un avenir commun. La construction d’une société solidaire, l’effort pour tendre à la justice sociale, vers des possibilités identiques pour chacun d’avoir sa place dans la société suppose une volonté politique, des politiques publiques et des moyens budgétaires et humains en cohérence avec ces objectifs.

Le troisième défi touche à la fraternité, à l’ensemble des règles, lois, modes de vie qui font d’un territoire, notre pays, et de notre destin, une aventure commune. En janvier dernier, une grande partie de l’opinion publique s’est spontanément mobilisée pour la défense de la liberté d’expression. Ce consensus ne saurait effacer, ni enfermer dans le deuil les débats qui traversent la société française. Rien ne serait pire que d’entrer dans un jeu de fragmentations et de stigmatisations. La démocratie se construit sur la base de valeurs et de procédures qui, justement, font place à la différence, à la contradiction et à la confrontation des idées.

Au lendemain même des manifestations qui exprimaient le choix d’une France solidaire et démocratique, une multiplication d’actes antisémites et islamophobes a cherché à exacerber les peurs, les haines et les réflexes de repli de chacun dans sa communauté, son identité… réelles ou supposées. Pour affronter ces forces, nous avons besoin d’un exercice effectif et actif de la citoyenneté.

La mobilisation pour la laïcité est un enjeu central de cette construction. La LDH s’implique depuis sa naissance dans ce combat, et elle le fait aujourd’hui en analysant avec la lucidité nécessaire les changements que connaît le monde. Avec la loi de 1905, la République a fait le choix de la laïcité. D’une part, celle-ci se caractérise par le fait d’assurer la liberté de conscience et des cultes, et donc la possibilité d’exprimer toutes les convictions, religieuses ou non, y compris l’athéisme, en privé ou en public. D’autre part, les seules limites de la liberté d’expression, en cette matière comme en toute autre, c’est qu’elle ne doit ni mettre en cause l’ordre public, ni inciter au mépris ou à la haine. Enfin, la séparation des cultes et de l’Etat est assurée : « l’Eglise chez elle », hors de l’Etat, mais entièrement libre, comme tous les autres acteurs de la société civile et avec les mêmes contraintes.

La confusion, entretenue ou involontaire, entre pratique de l’islam et « islamisme politique », alors qu’on n’utilise pas l’expression de « christianisme politique » à propos de nombreux gouvernements européens, laisse croire à un lien indissoluble entre la religion musulmane et un refus définitif de la séparation entre les religions et l’Etat. En réalité, dans notre société, les individus ont des identités multiples et refusent d’être définis par leur seule appartenance communautaire ou religieuse. Cette réalité du pluralisme culturel et religieux est non seulement compatible avec la laïcité, mais le signe même de sa réussite. La laïcité crée les conditions de la neutralité de l’Etat, mais pas de la société, et garantit le respect du pluralisme parmi les citoyens.

Sans ce pluralisme des convictions, à égalité et sans discrimination, sans la libre expression et le débat comme seuls modes de fonctionnement acceptables, il n’y a pas de démocratie effective. Dans le contexte de pluralisme qui est le nôtre, le seul antidote efficace aux tensions et aux replis est une laïcité qui s’appuie sur une mémoire partagée, éclairée par l’Histoire, qui tienne la promesse républicaine de liberté de conscience et d’opinion, d’égalité de droits, de fraternité universelle, avec ce que cela suppose de politiques publiques contre l’antisémitisme, l’islamophobie, le racisme et toutes les discriminations, mais aussi en faveur d’une éducation porteuse d’émancipation qui prenne en compte toutes les composantes de la société.

La Ligue des droits de l’Homme, de longue date, inscrit ses propositions dans un effort de mobilisation citoyenne, autour d’une éthique du politique, de la défense des droits et des libertés et de leur effectivité. C’est autour de ces valeurs qu’elle doit développer son activité associative et d’éducation populaire, dans les écoles, les terrains de sport et les quartiers, autour des bidonvilles majoritairement occupés par des Roms, aux côtés des sans-papiers, pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes… partout où les libertés sont à défendre, les droits à protéger, la République à faire vivre.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 14 abstentions et une voix contre

Boris Le Lay condamné à 6 mois de prison ferme

Le marchand de galettes de Rosporden vient d’être à nouveau condamné, hier, jeudi 28 mai. Cette fois, les juges ont tapé plus fort : outre 8000€ de dommages et intérêts qu’il devra verser à une de ses cibles favorites, le sonneur Yannick Martin, qu’il a insulté et à qui il a proféré menaces et insultes racistes à de multiples reprises, Boris Le Lay a été condamné à 6 mois de prison ferme ( Il a déjà été condamné il y a quelques mois à un mois de prison ferme). Cette somme s’ajoute aux quelques milliers d’euro d’amendes et de dommages et intérêts auxquels la justice l’a condamné au cours des sept procès menés contre lui.

À l’issue d’un de ces procès, le pauvre Boris avait lancé un appel au peuple pour payer ses amendes et ses avocats. Il va pouvoir organiser un nouveau laython ! D’autant plus que d’autres affaires attendent d’être jugées.

Comme d’habitude, le courageux Le Lay n’a pas daigné se présenter à son procès, et curieusement, il n’en dit pas un mot sur son blog, alors que d’habitude il y tire gloire de ses condamnations.

Congrès du Mans : le rapport moral de Pierre Tartakowsky, président sortant

Pierre Tartakowsky a présenté, dimanche 24 mai, devant le congrès de la Ligue des droits de l’Homme au Mans, son dernier rapport moral. Dernier, puisqu’il ne se représentait pas à son poste ; il est d’ailleurs devenu Président d’honneur de la LDH.

Vous trouverez ci-dessous la vidéo de sa présentation du rapport moral, le communiqué publié par la Ligue à l’issue du congrès, puis le texte intégral de ce rapport moral.

httpv://youtu.be/8BXMxJfs4QI

Communiqué LDH

Du 23 au 25 mai 2015, la Ligue des droits de l’Homme a réuni ses délégués, représentant les sections, fédérations et comités régionaux, lors de son 88e congrès national, au Mans.

Le délégué régional des Pays-de-la-Loire, Antoine Boutet, le conseiller départemental de la Sarthe, Daniel Chevalier, la députée de la Sarthe, Marietta Karamanli, le premier vice-président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, Christophe Clergeau, l’adjointe au maire du Mans, déléguée à l’Egalité, Marlène Schiappa, ont montré leur attachement à la défense des droits.

La LDH a mis à l’honneur un combat victorieux de défense des droits en recevant Fatou Doumbia et Aminata Soumaoro (lire et voir ici), représentantes du « 57 boulevard Strasbourg ». Le congrès a également eu l’honneur d’accueillir Lassana Bathily, héros de l’hyper-casher de Vincennes en janvier 2015 (lire et voir ici).

Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme, Dominique Guibert, président de l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme, Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, ont rappelé l’importance de la mondialisation de tous les droits, partout et pour tous.

Le congrès a adopté quatre résolutions :

  • « SOUTENIR LES DROITS DU PEUPLE PALESTINIEN »
  • « RASSEMBLER POUR UN AVENIR SOLIDAIRE »
  • « RELEVER TOUS LES DÉFIS LANCÉS À LA DÉMOCRATIE »
  •  « RÉINTÉGRONS LES FUSILLÉS POUR L’EXEMPLE, MUTINS, ENGAGÉS ÉTRANGERS ET SOLDATS COLONIAUX DANS LA MÉMOIRE COLLECTIVE »

Le RAPPORT MORAL, le RAPPORT D’ACTIVITÉ et le RAPPORT FINANCIER ont été adoptés par une forte majorité des délégué-e-s des sections.

A l’issue du congrès, le Comité central renouvelé a élu le Bureau national. Françoise Dumont a été élue présidente de la LDH. Nadia Doghramadjian, Jacques Montacié sont vice-présidents ; Jean-François Mignard est secrétaire général ; Martine Cocquet, André Déchot, Emmanuelle Fourneyron et Clémence Nowak sont secrétaires généraux adjoints. Jean-Marc Dousse est trésorier national. Françoise Castex, Nadja Djerrah, Alain Esmery, Michel Savy, Mylène Stambouli, Jan Robert Suesser sont membres du Bureau national. Pierre Tartakowsky est désormais président d’honneur.

Le Mans, le 25 mai 2015

Rapport moral de Pierre Tartakowsky

En introduction à nos débats du congrès de Niort, nous avancions l’idée que « les temps à venir s’annonçaient difficiles ». De fait, les deux dernières années ont été dominées par un désenchantement social et démocratique, par la montée des haines et des périls, par une vaste offensive sécuritaire.

Cette triste trilogie caractérise toujours notre présent. Elle s’est exacerbée après les attentats terroristes que nous avons connus, de Toulouse à Créteil et singulièrement après la série sanglante de janvier dernier. Car comme le dit sentencieusement maître Yoda dans La Guerre des étoiles – avec une sagesse qui doit beaucoup à Averroés –, « La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine est le chemin vers le côté obscur ».

Le côté obscur, nous y sommes ! Point n’est besoin d’assimiler Manuel Valls à Dark Vador pour réaliser que ses contre-attaques conduisent la démocratie dans un trou noir. Dans la toute dernière période, dans un monde de plus en plus instable et complexe, nous avons vu surgir en France la loi antiterroriste qui précède les attentats de janvier ; le retrait du délit d’apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la presse, puis le retrait de cette même loi du délit de racisme, au risque de grandes confusions dans le débat public ; puis la loi sur le renseignement, qui accorde des pouvoirs panoptiques sans précédents au Premier ministre ; le fichier stade qui se proposait – avant que nous ne saisissions le Conseil d’Etat – de ficher les supporters, mineurs compris, et d’en confier la gestion à une personne morale privée ; la loi sur les étrangers ouvrant droit à l’utilisation du numéro d’immatriculation de la sécurité sociale et donc au croisement de fichiers. Même le plan antiracisme, dont il faut se féliciter qu’il existe enfin, est marqué de cet état d’esprit : exigeant vis-à-vis des jeunes mais parfaitement aveugle aux effets des politiques gouvernementales.

Oui, la dernière période a été « difficile » et dès le lendemain de notre congrès de Niort ; nous y avons fait face, en nous mobilisant face au désenchantement démocratique, face aux idéologies de haine, qu’elles soient portées par l’extrême droite ou la droite extrême, pour la défense des libertés, en privilégiant, en toutes occasions des contre-offensives unitaires.

Il nous revient aujourd’hui d’évaluer la façon dont nous avons porté nos valeurs, ce que nous entendons poursuivre ou changer dans nos orientations, dans nos modes d’actions pour défendre et promouvoir les droits, les libertés, la citoyenneté. C’est l’objet de ce rapport moral d’y contribuer.

Parce que ces deux années ont été particulièrement riches et qu’il serait impossible d’en retracer ici la chronologie politique, parce que cette réflexion a été largement développée dans le rapport moral soumis en amont du congrès à votre appréciation, je me focaliserai sur quelques aspects essentiels, en essayant de dégager ce qui peut nous aider, collectivement, à nous projeter dans l’avenir.

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Pour le dire vite ces deux années ont vu la question du changement renvoyée à la périphérie du débat politique français alors qu’elle aurait dû en être le cœur ardent.

Nous avions à Niort appelé à un renouveau démocratique en soulignant alors « dans les processus en cours, la démocratie apparaît partout comme l’enjeu central de convulsions dont l’issue n’est écrite nulle part. » Nous insistions : « Cela exige le courage de la conviction ».

De réforme remise en réforme dénaturée, l’espoir a laissé place au désenchantement puis au désaveu, puis à un sentiment d’impuissance généralisée, sorte de répudiation non dite des attentes populaires. Cela s’est vérifié au plan démocratique et institutionnel, au plan de la justice fiscale ; sur les champs majeurs de l’emploi, du logement, des services publics, des territoires ; cela s’est vérifié enfin dans la conduite du débat public et pour les thèmes portés par la Ligue des droits de l’Homme, tels que le droit de vote des résidents non européens, le récépissé du contrôle d’identité, le retour à l’ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs, de la représentation démocratique, un traitement digne des populations roms, l’asile…

Cette « mal démocratie », corrélée avec l’interminable et nauséeux feuilleton des scandales, a nourri une délégitimation de fait des institutions représentatives, l’abstentionnisme qui en découle, des conflits territoriaux d’autant plus violents que présentés sans alternative ni issue, l’émergence enfin d’une extrême droite non seulement décomplexée mais médiatiquement installée – c’est le comble – en situation de magistère républicain ! La nomination de Manuel Valls comme Premier ministre en mars 2014, suite à la défaite des municipales, puis la constitution de Valls II, ont contribué à faire système des traits sécuritaire et austère de la période précédente.

La LDH, durant toute cette période, a orienté toute son activité pour que les espoirs de changement en faveur des droits et des libertés se concrétisent ; elle a travaillé autour des arbitrages politiques, en critiquant sans concession les dérives, atermoiements et orientations qui méritaient de l’être, tout en défendant ses propositions de renouveau démocratique.

Elle est intervenue sur une multitude d’enjeux stratégiques : droits des étrangers, égalité femmes-hommes, défense des mineurs isolés étrangers, pour la réhabilitation des fusillés de la Grande Guerre, contre les discriminations, pour le développement durable… Elle a agi en toute indépendance des pouvoirs et des partis, tout en s’essayant à inscrire cette richesse thématique dans la perspective d’une réponse aux défis identifiés par elle comme majeurs, appelant l’élaboration d’alternatives.

Ces efforts se sont développés dans un contexte marqué par le paradigme de l’austérité et de son cortège d’injustices, de discriminations et d’exclusions, lesquels ont largement contribué à structurer une vision gestionnaire de la politique et à brouiller tout espoir de lendemains meilleurs.

Notre activité s’est logiquement déployé autour de trois axes, surplombant sa « besogne quotidienne » : la défense des libertés ; la résistance à l’extrême droite ; la mise en convergence des forces antiracistes avec, dans le contexte des attentats terroristes, la défense de la laïcité. Mêlés et entremêlés dans la vie politique, ces axes constituent plus que jamais notre horizon collectif d’intervention.

Il est aussi frappant qu’inquiétant de mesurer à quel point nous avons dû batailler sur le front des libertés. Face aux interdits d’Etat, face également à des tentatives de censure émanant de la société elle-même. Il s’agit là d’un indice de dégradation du débat démocratique et de la capacité de notre société à débattre autrement qu’en termes autoritaires.

C’est éclatant sur le champ des représentations culturelles. Dans ce domaine, la LDH a pu s’appuyer sur le travail remarquable de son Observatoire de la liberté de création et, ainsi, faire pièce aux agressions, qu’il s’agisse de celles des « cathos tradis » contre la pièce Golgotha Picnic ou d’associations convoquant l’antiracisme sur des bases communautaires pour exiger la déprogrammation d’ « Exhibit B ».

La provocation antisémite de Dieudonné et ce qui s’ensuit s’inscrivent dans ce cadre de façon spectaculaire, puisque le gouvernement y joue un rôle central. Manuel Valls frappe en effet son spectacle d’une mesure d’interdiction préalable. Il lui confère, ce faisant, une énorme visibilité, décuple l’intérêt et la sympathie à son égard, et introduit une dangereuse régression juridique en instituant un interdit a priori et non une sanction a posteriori. Alors que le gouvernement spécule sur le caractère ignoble de l’antisémitisme véhiculé par Dieudonné, la LDH parvient, dans des conditions difficiles, à peser dans le débat public et à défendre l’idée que la liberté doit prévaloir sur la censure. En arrière-plan, elle rappelle également – déjà – le danger qu’il y a à s’inscrire – ou à sembler s’inscrire – dans un clivage communautaire et une hiérarchisation des souffrances.

La liberté se trouve encore mise en péril lorsque le gouvernement interdit une manifestation contre l’intervention israélienne à Gaza et menace d’interdire les autres. L’engagement de la LDH pour le droit de manifester est alors un facteur de rassemblement décisif ; il permet de faire entendre la solidarité avec la population gazaouie, de dénoncer l’interdiction et ses effets de trouble à l’ordre public. Il met en échec enfin la logique qui voudrait mettre hors-jeu toute manifestation de rue dès lors qu’elle présenterait un risque.

Là encore, les pressions sont énormes. Parce que nous avons toujours été stables dans nos positions, dans nos propos et nos actes, dans notre parti pris de paix, dans notre solidarité avec tous les peuples de la région, nous avons pu tenir bon et permettre que les rues de France vibrent de colère contre un massacre insoutenable.

Cet engagement se prolonge lors de nombreuses délégations au Quai d’Orsay, singulièrement dans le cadre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, aux côtés des prisonniers palestiniens ; aux coté du fils de Marwan Barghouti, présent à Paris la veille du vote par l’Assemblée nationale française, à une large majorité, d’une résolution demandant au gouvernement de reconnaître un Etat palestinien dans les frontières de 1967, ayant Jérusalem comme capitale partagée avec Israël.

Il se prolonge également dans nos nombreuses interventions auprès de la garde des Sceaux sur le caractère insupportable d’une circulaire qui assimile indument le principe du boycott, mode d’action politique et civique, à la haine « raciale ».

C’est également pour nos libertés que nous avons porté plainte, avec la FIDH, contre X en visant la NSA, le FBI, la CIA, et les opérateurs suite aux révélations de l’affaire Snowden, que nous avons contribué à faire naître un Observatoire des libertés du numérique, qui s’est illustré avec efficacité dans la bataille menée  contre la loi sur le renseignement ; c’est pour nos libertés que nous avons participé à la campagne victorieuse contre le secret des affaires portée par la « loi Macron », soutenu les lanceurs d’alerte, défendu la protection des sources des journalistes.

C’est pour nos libertés que nous avons pris fait et cause pour les cinq syndicalistes de Roanne, comme pour les inculpés de la Confédération paysanne lors de l’épisode de la ferme des Mille vaches, tous ciblés indument par une demande de prélèvement génétique. C’est pour les libertés que nous nous mobilisons pour obtenir leur relaxe lors du procès en appel qui se tiendra dans quelques jours à Amiens.

C’est pour nos libertés que nous avons protesté contre le déploiement et l’agressivité policière autour notamment de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens, déploiement dont la mort de Rémi Fraisse a été l’insupportable aboutissement et sur laquelle nous avons avec notre section de Toulouse, diligenté une commission d’enquête.

Pour nos libertés enfin que nous sommes descendus dans la rue après les crimes terroristes de janvier ; pour affirmer notre solidarité avec les victimes, notre refus de voir l’égalité et la fraternité mises en pièces par des actes de ciblages haineux et diviseurs, notre volonté de faire pièce aux tentations sécuritaires – déjà perceptibles.

Et c’est bien évidemment à la défense des libertés que les militantes et militants de la LDH ont œuvré au quotidien dans leurs mobilisations pour les droits des étrangers.

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La LDH consacre la grande majorité de son activité aux droits des étrangers. C’est que, hélas, elle affronte pour l’essentiel les mêmes mécaniques de mise en illégalité, de refus d’asile, d’expulsions à répétition, de séparation des familles. Ses militants continuent de se heurter à une administration d’autant plus intraitable qu’elle obéit à des injonctions dont le fond et la tonalité sont inchangées depuis trop longtemps. Les ADH, les OQTF, les mises en rétention y compris de mineurs, la séparation des familles, les reconduites à la frontière demeurent monnaie courante et « Frontière » reste le maître mot de politiques migratoires et d’asile, trop souvent meurtrières.

Cette situation se traduit de façon exacerbée dans les territoires ultramarins, car c’est à un doublement des chiffres d’expulsions que l’on arrive si l’on tient compte de celles qui sont exécutées, le plus souvent au mépris de la loi et de la jurisprudence européenne, en particulier sur le recours suspensif, à partir singulièrement de Mayotte et de la Guyane.

La politique de l’asile reste pour l’essentiel marquée par l’esprit de suspicion. Alors que les conflits armés font rage en Irak, en Syrie et aux frontières de l’espace Schengen, les pouvoirs publics se déshonorent ! Les récentes déclarations de Manuel Valls sur les quotas migratoires sont à cet égard un sommet ! Elles sont mensongères, elles traduisent une myopie consternante sur le devenir du monde, elles font enfin le lit des idées agitées par l’extrême droite. Nous n’avons donc pas fini de voir la Méditerranée et le large de Mayotte transformés en nécropoles marines. Rappelons que nous avons porté plainte contre X pour dénoncer le comportement de bâtiments de guerre dont certains  sont susceptibles d’être français ayant délibérément changé de cap pour s’exonérer du devoir d’assistance à personnes en danger.

La liberté aura été le rendez-vous d’espoir des centaines d’actions engagées avec les travailleurs sans papiers et les organisations solidaires, avec RESF et les familles menacées de division ou d’expulsion malgré l’intérêt supérieur des enfants qu’est leur scolarité, avec les Mineurs isolés étrangers défendus avec notamment infoMie.

C’est pour la liberté encore que nous nous sommes mobilisés contre la mise en place par le gouvernement d’un projet dit de « justice sur le tarmac » qui installe la salle de tribunal et avec elle la justice elle-même à proximité immédiate des centres de rétention et des zones d’attente, plaçant ainsi juges et avocats dans une situation d’auxiliaires – de fait ou d’apparence – des forces de police en charge d’expulser.

C’est pour leur liberté et donc la nôtre, que nous avons bataillé sans réserve pour la dignité des populations roms, singulièrement avec notre remarquable brochure « Les Roms ont des droits », dont l’intitulé s’oppose frontalement au trop fameux, et malheureusement toujours actuel, « les Roms n’ont pas vocation à… ».

Avis donc à ceux qui en douteraient : les libertés sont à défendre, ici et maintenant. D’autant plus lorsque le débat public est menacé d’une montée hégémonique des idées d’extrême droite.

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Nous avons très tôt tiré la sonnette d’alarme face à ce phénomène, que nous nous sommes refusé à ramener à la seule réalité du FN. Du « grand remplacement » de Renaud Camus à l’antisémitisme de « Jour de colère », en passant par l’instrumentalisation de l’islam et de peurs familialistes et patriarcales lors de la journée du retrait de l’école, nous avons vu en peu de temps se constituer une ligne de front où s’opère la racialisation du débat public, la désinhibition de l’antisémitisme, la manipulation des mémoires victimaires, la stigmatisation des « fraudeurs » et des pauvres, la réhabilitation de hiérarchies soi-disant naturelles… C’est que l’extrême droite a choisi de prolonger le succès de la « Manif pour tous » autour des enjeux propres à la famille, au statut de la femme et de son corps et plus largement aux identités sexuées.

Ces thématiques et ces interventions visent la remise en cause de la notion d’égalité, tout en veillant à se présenter en défense de la République, drapées dans les plis tricolores d’une pseudo laïcité, ramenée à une seule dimension punitive et exclusive. Cette posture lui permet d’articuler sa vision du monde à des pratiques sociales ; autour du contrôle des bibliothèques municipales, des cantines, autour des entreprises et des organisations syndicales. Elles trouvent leur traduction dans les municipalités conquises par le Front national ou ses compagnons de route. Mais elles portent au-delà. Au plan politique, comme le montre sans fard la campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidence de l’UMP, en étant adoptées voire amplifiées par la droite traditionnellement républicaine – notamment à l’initiative d’élus locaux dont la violence verbale annonce de fait la fin d’un pacte républicain de principe.

Egalement en influençant des mouvements corporatistes dont l’expression agresse frontalement les valeurs républicaines d’égalité et de solidarité, réussit à imposer l’expression de « ras-le-bol fiscal », gomme la notion d’intérêt général et de redistribution, s’en prend enfin au droit du travail, dans toutes ses dimensions.

Face à quoi, on a vu le gouvernement le plus souvent au céder, voire se ranger à l’argumentation qui lui était opposée. Le renforcement des contrôles de chômeurs par Pôle emploi en est le dernier exemple, ô combien emblématique. La démarche est désespérante en ce qu’elle ignore la dimension structurelle des problèmes pour mieux stigmatiser l’écume de comportements individuels.

Tout ceci pèse évidemment sur la perception de l’opinion publique, qui manifeste un recul des valeurs de solidarité et de bienveillance en même temps qu’une montée préoccupante de l’antisémitisme, de l’homophobie et du racisme, singulièrement sous sa forme islamophobe.

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Dans la foulée de notre décision, à Niort, de construire un barrage face aux idées d’extrême droite, nous avons porté une attention particulière à ces manifestations haineuses et œuvré à l’unité du mouvement antiraciste, singulièrement après notre mobilisation contre les agressions visant la garde des Sceaux Christiane Taubira. Cela s’est traduit par des relations plus resserrées entre la Licra, le Mrap, SOS Racisme et nous même, avec une série de contacts positifs qui ont en partie inspiré notre initiative « Pour un avenir solidaire ».

Sur ce terrain comme face à l’extrême droite, notre démarche vise à créer les conditions d’une riposte large et unitaire, l’une n’allant pas sans l’autre. Cet objectif ne va pas de soi ; il exige un gigantesque effort d’écoute, de dialogue et de diplomatie pour convaincre que l’unité – face au racisme ou à l’extrême droite – est souhaitable et surtout possible, malgré les oppositions et contradictions qui existent entre acteurs et/ou entre communautés.

Ces difficultés sont réelles et expliquent pour une part les limites de nos mobilisations. Nous n’en avons pas fini avec elles ; tous les groupes ciblés par le racisme ne descendent pas spontanément ensemble dans la rue, loin s’en faut ; toutes les consciences révoltées par la haine de l’extrême droite ne mesurent pas spontanément la nécessité de s’organiser pour la combattre.

+Cela s’est mesuré après l’agression visant Christiane Taubira, cela s’est vérifié avec « Pour un avenir solidaire », cela se constate hélas encore chaque jour ; ici, face au fichage d’enfants qualifiés de « musulmans », là, face à des jupes décidément trop longues pour être honnêtes ou encore face à la permanence des cliches antisémites les plus éculés. Les temps sont confus et nous avons besoin, face a cette confusion de lucidité et d’une fermeté sans concession face aux propos et actes racistes, d’où qu’ils viennent et quels que soient leurs masques.

La Ligue des droits de l’Homme, avec ses sections, s’est fortement mobilisée sur ces enjeux. Mais elle s’est plus mobilisée qu’elle n’a pu mobiliser autour d’elle. Il nous faut réfléchir à cette limite et nous pouvons le faire à partir de ce que nous avons voulu mettre à disposition des militantes et militants au lendemain des municipales avec cette initiative.

Nous avons lancé, notamment avec la Ligue de l’enseignement et de nombreux autres partenaires, un appel à faire « barrage à la haine, à la xénophobie, à  toutes les discriminations et à combattre les propos sexistes, homophobes, racistes, antisémites, aux discours anti-Roms, antimusulmans ». Cet appel a eu un impact réel, mais inférieur hélas à ce qui était et reste nécessaire. L’initiative demeure riche de possibles, en termes de rassemblement, de formations, d’actions décentralisées au plus proche des terrains. A condition de trouver les voies et les moyens pour enraciner et cristalliser les bonnes volontés dans des pratiques sociales diverses mais qui se fassent écho les unes aux autres et « couvrent » à la fois le champ des libertés, celui de l’égalité, celui enfin de la fraternité. Ce travail de fourmi est en marche nous considérons qu’il s’agit de le poursuivre en repoussant nos limites.

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Il le faut d’autant plus que la peur, les rétractions et les politiques autoritaires que nous affrontons font écho aux désordres et les tumultes du monde, singulièrement lorsqu’ils apparaissent responsables des actes de terrorisme commis sur le sol national. De fait, rarement notre actualité hexagonale aura à ce point résonné avec l’au-delà de nos frontières.

Nous avons été attentifs à prendre en compte l’agenda du développement planétaire et de la tenue de la Cop 21 à Paris car derrière la dégradation du climat se profilent des enjeux migratoires, de transports et de viabilité territoriale, d’emplois, de coût de la vie et de vie tout court…

Nous avons été présents en soulignant à quel point le Tafta, traité de grand marché transatlantique, s’inscrivait dans la droite ligne des grands traités de libéralisation du commerce et s’élaborait autour de l’objectif essentiel de satisfaire les appétits des multinationales américaines et européennes.

Nous avons été présents aux côtés du peuple tunisien dans ses combats pour la stabilisation démocratique et lors du Forum social mondial à Tunis, Forum dans lequel nous avons tenu toute notre place.

Nous nous sommes mobilisés pour les libertés au Belarus et en Russie, avons éclairé les enjeux d’un conflit Russo-ukrainien dont les peuples, apparaissent otages de considérants de domination stratégique. Partout dans le monde, nous avons fait savoir notre solidarité, interpellé les pouvoirs, soit étrangers soit français et nous l’avons fait en resserrant nos liens d’amitié, de travail et d’expression avec les « internationales » dont nous sommes partie prenante, l’AEDH, le REMDH et la FIDH.

Nous sommes enfin intervenus à de multiples reprises face à la dégradation effroyable qui frappe un Moyen-Orient aux prises avec des Etats autoritaires, l’enracinement de guerres sans fin, comme en Syrie, et l’émergence, sur fond de gestion politique catastrophique de l’Irak, d’une nouvelle génération de forces terroristes avec Daesh. Nous l’avons d’autant plus fait que notre pays s’enfonce dans une stratégie strictement militaire contre le terrorisme, laquelle apparaît largement contre-productive et semble plutôt fonctionner comme un facteur d’essaimage que de contention.

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En Europe, les meurtres antisémites commis en Belgique, au Danemark, la décapitation d’Hervé Gourdel et la montée en puissance d’une apologie du  terrorisme sur les réseaux sociaux ont contribué à créer une situation politique nouvelle, dans laquelle l’opinion publique exprime un besoin de protection vis-à- vis d’un djihadisme perçu à la fois comme la figure d’un risque global et d’un ennemi intérieur. Les attentats de janvier ont porté ce sentiment à un degré supérieur de défi sanglant lancé à la face de la République, de la liberté d’expression, de la laïcité et de la fraternité.

Là encore, fidèle à notre démarche unitaire, nous nous exprimons alors avec la Licra, le Mrap et SOS Racisme en soulignant que : « Aucune démocratie ne peut accepter de plier face au fanatisme, à la violence, encore moins quand elle est dirigée contre un de ses piliers, la liberté d’expression. Bien sûr, c’est dans le cadre de l’Etat de droit que doivent agir les forces de l’ordre. C’est aussi sans stigmatisation des personnes se réclamant de l’islam que nous devons exprimer notre rejet de cette barbarie, si nous ne voulons pas entretenir des solidarités malsaines. »

Déjà, nous ajoutons : « Des voix s’élèvent pour appeler au rassemblement au nom des principes de la République. Mais de quelle République s’agit-il ? Il n’est pas certain que le mot suffise, en effet, à partager les mêmes principes ni les mêmes valeurs. »

La riposte a pris la forme d’une levée en masse, couvrant tout l’espace public.

La LDH, ses sections, en ont été partie prenante à un haut niveau. Ces manifestations ont dans leur ensemble exprimé le double refus de la terreur et de la peur, un parti pris pour la liberté et la démocratie. Elles ont banni toute expression haineuse, tout rejet de l’autre, tout appel à la vengeance et au meurtre.

Si imposture il y a elle, n’est pas du côté des manifestants mais de ceux qui vont s’emparer de l’événement pour accentuer leurs politiques sécuritaires. Reste que nous nous heurtons une nouvelle fois à des phénomènes objectifs de fragmentation et à des stratégies d’existence identitaire. Pour nous, la levée en masse du 11 janvier a exprimé la condamnation résolue des attentats des 7 et 9 janvier et la solidarité avec les victimes. D’autres, qui ne s’y sont pas forcément reconnu, soulignent les caractéristiques socio-culturelles des participants et la jugent entachée d’islamophobie.

Cette approche aboutit à entrer dans le jeu voulu par les terroristes visant à dresser une partie de la population contre une autre, à provoquer une rupture entre habitants d’un même pays, le rejet de l’islam dans une part importante de la population et une peur grandissante tant chez les musulmans que chez les juifs.

« La haine est le chemin vers le côté obscur »… On le mesure en rappelant que le nombre d’actes islamophobes a littéralement explosé après janvier, atteignant en deux semaines le niveau de l’année 2014. Nous avons donc devant nous des débats compliqués ; nous devons les aborder avec en tête l’idée que la mobilisation pour la laïcité en constitue un enjeu central. Il nous faut réaffirmer avec force que la loi de 1905 exprime le choix fait par la République d’assurer la liberté de conscience et des cultes, et donc la possibilité d’exprimer toutes les convictions, religieuses ou non, y compris l’athéisme, en privé ou en public. C’est le sens de la résolution « Relever tous les défis lancés à la démocratie », proposée au congrès.

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Sortir de la société de défiance portée par la crise sociale, œuvrer au rassemblement face aux idéologies racistes et aux discriminations, faire échec  aux menées des droites extrêmes : ces trois défis, inséparables, constituent notre horizon d’ici aux prochaines échéances présidentielles et – on peut raisonnablement le craindre – bien au-delà. Il faut donc le dire clairement : il n’y aura pas de raccourci vers des « lendemains meilleurs » ; rien ne se fera sans une intervention forte des citoyennes et des citoyens, sur des orientations et des contenus auxquels ils auront été associés comme acteurs. La Ligue des droits de l’Homme entend évidemment jouer tout son rôle dans les nécessaires débats, confrontations et mobilisations présents et à venir. Elle entend participer aux efforts de promotion de la citoyenneté dans tous les domaines de la vie publique, qu’il s’agisse d’éducation civique, de l’antiracisme, d’éducation populaire.

Elle est déterminée a le faire pour ce qu’elle est : une association généraliste de défense et de promotion des droits, indépendante des forces politiques et gouvernementales, que ce soit à l’école, dans la cité, aux côtés des travailleurs dans les entreprises, des exclus du travail, du logement, de la santé, de l’éducation.

C’est le sens de notre résolution « Tenir le cap et rassembler » également soumise à vos enrichissements et approbation.

Il nous revient collectivement de réaffirmer la pertinence et l’urgence à construire une société de solidarité, d’égalité des droits, de garanties effectives des libertés de chacune et de chacun ; une société où l’intelligence et le travail soient pleinement reconnus comme des facteurs de richesses et de justice. Certes, les réalités sont terribles. Loin de nous laisser accabler par elles, sachons nous souvenir que le possible, s’inscrit lui aussi dans ces réalités, et qu’il permet, pour peu qu’on s’en empare, qu’on les dépasse pour enfin, réhabiliter l’espoir, un espoir commun.

Comme c’est mon dernier rapport en tant que président, vous comprendrez que je m’autorise quelques mots sur cette expérience de quatre ans, qui fut à la fois éprouvante et belle, un grand honneur et souvent une écrasante responsabilité. Elle s’est révélée au fil des années fidèle à l’image que je m’en faisais : très exigeante, très mobilisatrice, très formatrice, Je pense avoir fait de mon mieux et espère avoir été, à mon tour et à ma façon, exigeant, mobilisateur et animateur du collectif de direction ainsi que les sections sans lesquelles le travail de la LDH ne serait que paroles, bousculées par le vent.

C’est surtout à ce collectif que je voudrais rendre hommage, en distinguant l’apport fraternel et précieux qu’a constitué la disponibilité de mes trois prédécesseurs, Henri Leclerc, Michel Tubiana et Jean-Pierre Dubois ; je tiens à les en remercier. Par ailleurs, un président n’est rien, ou pas grand-chose, s’il ne peut s’appuyer sur un secrétaire général fiable et efficace ; Dominique Guibert et Jacques Montacié ont été, successivement, deux formidables camarades de travail et de combat, et cela mérite d’être su et apprécié à sa juste mesure. Enfin, je voudrais saluer le travail patient du bureau et du Comité central qui ont su, même dans les périodes les plus compliquées, jouer collectif et conjuguer leurs efforts pour être à la hauteur de ce pari un peu fou qu’est le fait d’être une association généraliste.

Je suis persuadé que la direction à venir saura poursuivre et mieux faire, c’est en tout cas ce que je lui souhaite, ce que je nous souhaite, en combinant la lucidité et l’optimisme. Car, pour citer à nouveau maître Yoda : « Difficile à voir. Toujours en mouvement est l’avenir. »

 

Congrès du Mans : le témoignage de Fatou et Aminata, coiffeuses au 57 bd de Strasbourg

httpv://youtu.be/T2RMXzTLwb0

Ils étaient 18. 18 salariés sans salaires, surtout des femmes, pour beaucoup africaines, coiffeuses, manucures. Elles travaillaient au 57 boulevard de Strasbourg, dans le quartier du Château-d’eau à Paris. Ils travaillaient sans salaire, ou alors avec quelques euros que les patrons daignaient leur céder de temps en temps. Ils travaillaient 60 heures par semaine.

Et ils se sont révoltés.

Sur leur chemin Ils ont rencontré des syndicalistes, la CGT, la Ligue des droits de l’Homme, l’association « collectif des cinéastes pour les sans-papiers ». Ils se sont mis en grève. Au bout de 10 mois, Ils ont gagné.

Deux d’entre eux, Fatou Doumbia et Aminata Soumaoro, sont venues raconter leur histoire au congrès de la Ligue des droits de l’Homme, samedi 23 mai au palais des congrès du Mans.

Elles y ont délivré un message d’espoir,  de solidarité, de confiance dans la lutte collective. Un autre moment fort de ce congrès.

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