Nous ne céderons pas : l’appel de 68 associations

Nous ne céderons pas : l’appel est lancé, pour le moment (la liste n’est pas close), par 68 associations. Un appel qui met le doigt sur le danger que court la démocratie dans cette période où la peur (souvent provoquée par les politiques, de tous bords, qui espèrent en tirer bénéfice) sert d’alibi pour saper les fondements de la démocratie, en s’attaquant aux libertés fondamentales. Provisoirement, disent-ils. On connaît bien des mesures provisoires qui durent encore…

Cet appel prouve que, si elle est menacée, la démocratie est bien vivante, et que ses partisans ne sont pas prêts à la brader. Il est finalement une preuve de sa bonne santé.

Certes, il faut faire preuve de courage politique pour ne pas céder aux sirènes des extrémistes de droite qui distillent le venin contagieux. On est en droit de l’exiger des responsables politiques.

Une dernière chose. Il faut lire attentivement la liste des signataires de cet appel. Elle est réconfortante.

Nous ne céderons pas

Ceux qui, au nom de Daech, ont fait subir à Paris et à Saint-Denis un moment d’inhumanité absolue ne nous feront pas céder. Rien ne peut justifier ces assassinats, ici ou ailleurs. Chacune des victimes vit en nous parce que nous appartenons à la même humanité. Notre solidarité à leur égard et à l’égard de leurs familles est totale. Ce crime est immense mais c’est en continuant à vivre librement et fraternellement que notre réponse sera à la hauteur.

Nous ne sommes pas naïfs : nous savons que ces actes de terrorisme appellent des réponses à la mesure du danger qu’ils représentent. Comme nous savons que le rôle des forces de l’ordre et de la justice est essentiel pour protéger nos libertés. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux réponses que notre société doit apporter à ces actes et à celles déjà mises en œuvre.

C’est la démocratie qui est mise à mal quand le Parlement est appelé à délibérer d’un jour à l’autre, sous la pression de l’émotion et les assauts de démagogie de responsables politiques qui cultivent la peur.

Après la prorogation de l’état d’urgence et l’extension des pouvoirs de police, d’autres mesures sont encore annoncées par le président de la République.

Il nous paraît essentiel de rappeler que rien ne doit nous faire sortir de l’Etat de droit et nous priver de nos libertés. L’état d’urgence ne peut devenir un état permanent et les conditions de sa mise en œuvre ne sauraient entraver la démocratie sociale, l’exercice de la citoyenneté et le débat public.

Depuis 1986, les lois accordant plus de pouvoirs aux forces de l’ordre, organisant une justice d’exception et restreignant nos libertés, au prétexte de lutter contre le terrorisme, s’empilent. L’adoption d’autres dispositifs législatifs, y compris d’ordre constitutionnel, exige de poser la question de leur efficacité et de l’atteinte supplémentaire aux libertés qu’ils constituent. Avant de modifier la loi et de conférer à l’Etat des pouvoirs accrus, il faut que celui-ci s’interroge sur ce qui n’a pas permis d’éviter une telle abomination. La réponse des autorités se veut martiale, elle n’est pas une assurance de sécurité et ne garantit en rien le respect de nos libertés.

Vouloir priver de leur nationalité jusqu’aux personnes nées françaises, c’est délivrer une nouvelle fois le message d’une France divisée. Le silence du président de la République, lors de la réunion du Parlement, sur l’indispensable engagement de l’Etat en faveur de l’égalité des droits, de la justice sociale, sur le développement des services publics, contre toutes les discriminations et contre toutes les manifestations de racisme accroît dramatiquement le sentiment d’exclusion que vit toute une partie de notre peuple. Il donne ainsi un peu plus corps à la stigmatisation croissante qui s’exerce mettant en péril notre volonté de vivre ensemble.

Nous voulons que ces dramatiques événements soient, au contraire, l’occasion de construire un autre chemin que celui qui nous est proposé. Un chemin qui refuse de désigner des boucs émissaires et qui refuse que la France soit en guerre contre elle-même. Un chemin qui donne à la paix et à l’égalité des droits toute leur place et qui s’engage en faveur d’une France solidaire, ouverte à l’autre, accueillante, libre et fraternelle.

Pour nos libertés, pour une société où la fraternité a toute sa place, nous ne céderons pas à la peur dans laquelle veulent nous faire vivre ceux et celles qui font de la mort leur raison de vivre.

Nous appelons les femmes et les hommes de ce pays à rester solidaires et à lutter contre toute forme de racisme. Nous appelons aussi à la défense des libertés car nous ferons prévaloir en toutes circonstances notre liberté d’information, d’expression, de manifestation et de réunion. Nos organisations construiront, partout en France, ces lieux qui nous permettront de débattre et nous exercerons une vigilance permanente afin que nos droits et libertés soient préservés et que nul ne soit victime de discriminations.

Premiers signataires :

  1. AFD International,
  2. Agir pour le changement démocratique en Algérie (Acda),
  3. Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort),
  4. Association des Marocains en France (AMF),
  5. Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF),
  6. Association des Tunisiens en France (ATF),
  7. Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip),
  8. Association française des juristes démocrates (AFJD),
  9. Association France Palestine solidarité (AFPS),
  10. Association Grèce France Résistance,
  11. Association interculturelle de production, de documentation et de diffusion audiovisuelles (AIDDA),
  12. Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes (ARDLFM),
  13. Associations démocratiques des Tunisiens en France (ADTF),
  14. Attac,
  15. Cadac,
  16. Cedetim,
  17. Confédération générale du travail (CGT),
  18. Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal),
  19. Collectif national pour les droits des femmes (CNDF),
  20. Collectif 3C,
  21. Collectif des 39,
  22. Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE),
  23. Comité pour le développement et le patrimoine (CDP),
  24. Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT),
  25. Commission islam et laïcité,
  26. Confédération syndicale des familles (CSF),
  27. Collectif des musulmans de France (CMF),
  28. Coordination des collectifs AC !,
  29. Droit au logement (Dal),
  30. Droit solidarité,
  31. Droits devant !!,
  32. Emmaüs France,
  33. Emmaüs International,
  34. Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR),
  35. Fédération nationale de la Libre pensée,
  36. Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH),
  37. Filles et fils de la République (FFR),
  38. Fondation Copernic,
  39. Fédération syndicale unitaire (FSU),
  40. Genepi,
  41. Ipam,
  42. La Cimade,
  43. La Quadrature du Net,
  44. Le Mouvement de la paix,
  45. Ligue des droits de l’Homme (LDH),
  46. Le Gisti,
  47. Les Amoureux au ban public,
  48. Les Céméa,
  49. Maison des potes,
  50. Mamans toutes égales (MTE),
  51. Médecins du monde,
  52. Mrap,
  53. OIP – section française,
  54. Organisation de femmes égalité,
  55. Planning familial,
  56. Réseau éducation sans frontières (RESF),
  57. Réseau euromaghrébin culture et citoyenneté (REMCC),
  58. Réseau Euromed France (REF),
  59. SNPES-PJJ/FSU, Snuclias-FSU,
  60. Syndicat des avocats de France (Saf),
  61. Syndicat national des journalistes (SNJ),
  62. SNJ-CGT,
  63. Unef,
  64. Union des travailleurs immigrés tunisiens (Utit),
  65. Union juive française pour la paix (UJFP),
  66. Union nationale lycéenne (UNL),
  67. Union syndicale de la psychiatrie (USP),
  68. Union syndicale Solidaires

Les perquisitions se multiplient, les abus aussi

Noël Mamère, un des six députés qui n'ont pas voté la prolongation de l'état d'urgence pendant trois mois.

Elles étaient peu nombreuses, les voix qui s’étaient élevées pour oser s’interroger sur les dérives possibles qu’allait vraisemblablement générer l’état d’urgence et ses mesures liberticides. On nous avait dit, « ça n’est rien », juste quelques perquisitions en plus. Et ils étaient encore moins nombreux, les députés qui craignaient ces dérives : seulement 6…

Et ça n’a pas traîné…

« Les dégâts colatéraux », d’abord. Les attaques contre les personnes d’origine maghrébine ont explosé en quelques jours. Les rumeurs les plus folles ont commencé à se répandre, jusques et y compris en zone rurale : rumeur de propos faisant l’apologie des terroristes, de mosquées qui n’existent pas, de personnes qui ont refusé la minute de silence…

Les perquisitions n’ont en effet pas tardé à se multiplier : le 24 novembre, Mediapart recensait « En dix jours, une salve de 1 200 perquisitions administratives [ont été] opérées en France, sur ordre des préfets, aiguillés par les services de renseignement ». Et le journal s’interroge : « pour quelle efficacité ? » (source). « Le gouvernement ne communique surtout pas sur la nature exacte des procédures ouvertes. Car à l’évidence, le millier de « descentes » a essentiellement alimenté les procureurs de la République en infractions dites de « droit commun » (stupéfiants, etc.), qui font déjà leur pain quotidien, et dont la répression ne mérite peut-être pas ces mesures d’exception. Il n’est même pas certain qu’une perquisition administrative ait nourri ces derniers jours les magistrats antiterroristes – questionnés sur ce point, les ministères de l’intérieur et de la justice n’ont pas répondu ». Il y a eu certes des résultats, notamment la découverte d’armes (« 230 armes, dont un véritable arsenal de guerre près de Lyon, et la découverte de stupéfiants dans 77 cas au moins »).

Les « bavures » se multiplient. Certes, il n’y a pas eu mort d’homme, ni de blessés. Mais que d’humiliations ! que de casse dans les maisons et les appartements, portes défoncées, meubles renversés… Que de réputations mises à mal, avec les conséquences qu’on imagine en zone rurale…

Un restaurant de Saint-Ouen l’Aumône a lui aussi fait les frais d’une perquisition musclée : le récit en est fait par le journal Le Monde.

Autre liberté bafouée : la liberté de manifester. La Ligue des droits de l’Homme vient de publier un communiqué à ce sujet :

« La LDH apprend avec consternation que le ministère de l’Intérieur a transmis au procureur de la République les photos de plusieurs personnes qui auraient manifesté, dimanche 22 novembre 2015, en faveur des réfugiés.

Le gouvernement a décidé de mettre à profit l’état d’urgence pour interdire toute manifestation publique. Après avoir interdit la marche qui devait accompagner la COP21, le gouvernement s’engage dans une voie répressive et de la manière la plus inutile qui soit.

Empêcher toute expression sur la voie publique ou autoriser seulement ce qui agrée au gouvernement, c’est porter une atteinte directe à la liberté d’expression que rien ne justifie.

La LDH appelle le gouvernement à respecter le droit de manifester ».

Et la LDH participera, dimanche 29 novembre, à l’initiative de la Coalition climat 21, comme elle l’indique dans un second communiqué :

« La LDH va participer à l’action « chaîne humaine » de la Coalition Climat 21 qui remplacera dimanche prochain à Paris  la marche pour le climat interdite en raison de l’état d’urgence.

Il s’agit de former sur les trottoirs du boulevard Voltaire, de République à Nation, une chaîne humaine de citoyens qui se tiendra sur les trottoirs, sans barrer les rues aux intersections avec le boulevard, qui portera nos revendications à l’ouverture de la COP21. Cette action, qui aura certainement un fort retentissement médiatique, n’est pas illégale et la Préfecture de police, qui en a été avertie, ne s’y est pas opposée ».

Conseil d’Etat : les associations nationales jugées recevables à contester les décisions locales liberticides

C’est une grande victoire que vient de remporter la Ligue des droits de l’Homme : à sa demande, le conseil d’État vient de juger que les associations nationales – c’est le cas de la LDH – sont « recevables à contester les décisions locales liberticides ». Une décision d’une importance majeure, qui va permettre à de nombreuses associations de défense des droits d’agir avec davantage d’efficacité.

Depuis quelque temps, les tribunaux administratifs avaient considéré, dans différentes affaires concernant notamment des communes, les décisions contestées n’entraient pas dans le champ d’action de la Ligue, puisqu’elle est une association nationale, et qu’elle attaquait une décision à portée locale. Les tribunaux ne jugeaient donc pas les affaires concernées sur le fond, mais uniquement sur la forme. Ce qui équivalait à rendre impossible toute action de la Ligue contre un arrêté municipal liberticide par exemple. Ou alors, la Ligue aurait dû revoir ses statuts, et se transformer en confédération de sections ayant chacune statut d’association et personnalité juridique, ce qui était impossible. Les sections de la Ligue ont une autonomie d’action, mais n’ont pas le statut d’association relevant de la loi de 1901.

Voici le communiqué que la Ligue a publié ce mardi 24 novembre pour annoncer cette décision, qui ne concerne évidemment pas qu’elle : toutes les associations de défense des droits étaient concernées par cette interprétation contestable du droit.

LES ASSOCIATIONS NATIONALES JUGÉES RECEVABLES À CONTESTER LES DÉCISIONS LOCALES LIBERTICIDES

Par un arrêt rendu le 4 novembre 2015, la haute juridiction administrative, tout en rappelant le principe selon lequel une association ayant un ressort national n’a pas intérêt à agir à l’encontre d’une décision ayant un champ d’application uniquement local, y apporte une importante exception lorsque la décision contestée comporte des implications, notamment dans le domaine des libertés publiques (CE Sect., 4 nov. 2015, « Association « Ligue des droits de l’Homme » » n° 375178).

Cette décision fait suite à un long contentieux, opposant la LDH au maire de La Madeleine qui avait répandu, dans la presse locale, son souhait de chasser les personnes d’origine rom de la commune et avait cru bon interdire la mendicité puis la fouille de poubelles. La commune avait opposé en défense l’irrecevabilité de la LDH, association nationale, à contester une décision n’ayant d’effets que purement locaux, et avait été suivie par la cour administrative d’appel de Douai.

La LDH, représentée par maître Paul Mathonnet (cabinet Roger-Sevaux-Mathonnet), a porté ce contentieux devant le Conseil d’Etat, qui a donc fait droit à son pourvoi.

Cette importante décision va conforter l’action des associations nationales en lutte contre les mesures liberticides, prises notamment par de nombreux élus municipaux, en leur permettant de contester utilement toutes décisions ayant une incidence sur les libertés, au premier rang desquelles celles visant à exclure de la cité les personnes en situation de grande précarité.

Paris, le 24 novembre 2015

Spartacus et Cassandra le 28 novembre au Cithéa de Plouguenast (22) : vidéos et critiques

Ioanis Nuguet, réalisateur, entouré de Spartacus et Cassandra.

« Spartacus et Cassandra » sera projeté samedi 28 novembre au Cithéa, le cinéma associatif de Plouguenast (22), avec qui la section Loudéac centre Bretagne  de la Ligue des droits de l’Homme a déjà travaillé en partenariat (« La Guerre des boutons » pour le roman de Bertrand Rothé, « Lebrac, 3 mois de prison », en 2011, et « La saga des Contis », de Jérôme Plateau qui avait participé au débat par visio conférence, en 2013). Ioanis Nuguet, réalisateur, sera là pour le débat après le film.

Ce film, qui raconte la vie difficile de deux enfants Rroms, tiraillés entre l’amour pour leurs parents et la difficulté de vivre avec eux, et qui sont sauvés par leur rencontre avec Camille, une jeune artiste trapéziste qui se transforme en éducatrice, a été, à sa sortie, début 2015, salué de façon unanime par la critique. Et il a obtenu de nombreux prix (voir photo plus bas).

Voici un extrait du film (le début), puis l’article de la critique de cinéma Guillemette Odocino (Télérama), et, en fin d’article, une interview de Ianis Nuguet.

httpv://youtu.be/0D8BR4cuWgk

Critique de la journaliste Guillemette Odicino, publiée par l’hebdomadaire Télérama :

« A 1 an, je marchais… A 3 ans, mon père était en prison… A 4 ans, je faisais la manche avec ma soeur… A 7 ans, je suis arrivé en France… » La voix de Spartacus ouvre ce documentaire comme le « il était une fois » d’un conte. Aujourd’hui, ce gamin rom a 14 ans. Avec sa soeur cadette, Cassandra, il a trouvé refuge dans un cirque de la banlieue de Paris, sous la protection de Camille qui s’est improvisée éducatrice parce qu’elle refuse qu’il n’y ait pas d’avenir pour ces deux gosses-là. Marcher sur un fil n’est pas qu’un numéro d’équilibriste sous un chapiteau : pour certains enfants, c’est l’histoire d’une vie.

Très vite, Spartacus et Cassandra se retrouvent face à un choix. Rester avec leurs parents : un père alcoolique qui ne rêve que de partir en caravane ailleurs, toujours ailleurs, et une mère un peu folle qui vend du muguet fané sur le trottoir. Ou accepter, comme le juge les y engage, leur placement dans une famille d’accueil. La loi du sang, même toxique, ou l’intégration et ses contraintes : aller à l’école, devenir sédentaires et sages…

De ce dilemme, le réalisateur fait un film de mouvements : caméra à l’épaule, il suit ses merveilleux petits héros dans leurs doutes, leurs colères et ces moments radieux où, en pleine nature, ils abandonnent leur incroyable maturité pour des gestes de l’enfance. Cassandra, petite princesse gitane aux ongles roses, veut voir la France comme un eldorado : dans le poème qu’elle a écrit et qu’elle récite (moment suspendu, bouleversant), une maison, soudain, devient l’inverse d’une cage. Spartacus, petit guerrier insoumis et jeune auteur de rap, hésite encore : a-t-il le droit d’être heureux quand ses parents, eux, restent condamnés à l’errance et usent du chantage affectif ? Le film, douloureux, lumineux, refuse la fatalité de ceux qui sont nés pour n’être chez eux nulle part. Et défend le droit de chaque enfant, même « du voyage », à planter un arbre qu’il pourra voir grandir. — Guillemette Odicino

Pratique. Entrée 4€. Projection organisée dans  le cadre du mois du film documentaire. Partenaires, CAC Sud 22, le Cithéa, la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme.

Interview de Ioanis Nuguet

httpv://youtu.be/apyU14q3c0c

 

Ligue des droits de l’Homme : « On doit lutter contre le terrorisme sans porter atteinte à nos libertés »

Maître Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme.

La Ligue des droits de l’Homme continue à mettre en garde les hommes politiques contre les risques qu’un état d’urgence mal maîtrisé et non contrôlé par le parlement peut faire courir à la démocratie. C’est le sens de son dernier communiqué, publié ce matin, jeudi 19 novembre :

Comme on pouvait le craindre, le projet du gouvernement de proroger de trois mois l’état d’urgence pose de graves problèmes de libertés publiques et individuelles.

Pendant trois mois, pour les motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, soixante-six millions de personnes pourront :

      • voir la police entrer chez elles de jour et de nuit afin de perquisitionner leur lieu de travail ou leur domicile et prendre une copie du contenu de leur ordinateur ou de leur téléphone mobile. Pour cela, il suffit qu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » ;
      • être assignées à résidence si leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » et se voir interdire d’être en contact avec d’autres personnes présentant la même menace.

Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.

Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.

Ce que le gouvernement veut imposer au Parlement d’adopter à marche forcée illustre bien les craintes déjà exprimées par la LDH : ce qui est ici en cause, ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.

C’était aussi le sens de l’intervention d’Henri Leclerc, avocat, et président d’honneur de la LDH, dans son intervention à France Inter mardi 17 novembre : « Je voudrais que les gens comprennent que l’état d’urgence, ce n’est pas rien » a-t-il martelé (à écouter ici). C’est également le sens de l’interview que Jean-Pierre Dubois (professeur de droit constitutionnel et lui aussi président d’honneur de la ligue des droits de l’Homme) a accordé jeudi 19 à  Jean-Baptite Jacquin, journaliste au Monde : il évoque pour sa part le risque d’une « perte des repères démocratiques » : l’état d’urgence devrait être contrôlé par le Parlement. Tout en reconnaissant que l’état d’urgence est justifié (« Sur le principe, la réponse est oui. On aurait du mal à nier le caractère exceptionnel de la situation »), il s’empresse d’ajouter : « La question est comment on utilise cette possibilité et pour com­bien de temps. Nous comprenons que l’on prenne des mesures exceptionnelles compte tenu de ce qu’il s’est passé le 13  novembre. Mais la tradition républicaine est la proportionnalité et le contrôle. Les mesures doivent être proportionnelles à la situation. Ce qui me dérange est que le président de la République a d’emblée prévenu que le gouvernement demandera une prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Je ne com­prends pas que la durée soit aussi longue, même au regard de la gravité de la situation. Pourquoi donnerait-on un blanc-seing aussi long ? ». Il trouve dans l’interdiction des manifestations liées à la réunion de la COP21 (annoncée par le premier ministre) une illustration de ses craintes : « (…) justifier [cette interdiction] en disant que les rassemblements constituent des cibles est aberrant. Tout est une cible : le métro, les musées, les ministères… On ne va pas arrêter la Nation ! Utiliser une situation dramatique pour museler une expression citoyenne est une voie dangereuse. Et on va le faire devant les caméras du monde entier ». L’interview complète de Jean-Pierre Dubois est à lire ici.

La leçon de morale donnée à Mme Morano par un jeune Français d’origine sénégalaise

Seydi Diamil Niane est un jeune Français d’origine sénégalais, doctorant en islamologie à l’université de Strasbourg. Les propos infâme prononcés par Mme Morano dans l’émission « On n’est pas couché », la semaine dernière, l’ont profondément choqué. Il a donc écrit une lettre ouverte à la femme politique qui nous a depuis longtemps habitués à ses saillies composées essentiellement d’inepties, de grossièretés, de mensonges, le plus souvent teintés de xénophobie et de racisme, et toujours d’une vulgarité inégalable. On peut lire le texte d’intégral de sa lettre ici.

Un passage de cette lettre nous interpelle particulièrement à la veille du bistrot de l’histoire consacré au massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française, en 1945 à Thiaroye : Seydi Diamil Niane met en parallèle ce drame dont  la France peine à reconnaître la responsabilité et les propos de Mme Morano. Les voici :

« (…) Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benot, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benot que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroy, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes […] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »

 Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable. (…) ».

En quelques phrases, Sydi Diamil Niane montre l’actualité de ce drame, et l’importance qu’il y à à empêcher qu’il sombre dans l’oubli. Raison de plus pour assister au Bistrot de l’histoire, ce vendredi 2 octobre à partir de 18h à la salle des fêtes de Trévé ! Lire ici pour en savoir plus.

 

 

Bistrot de l’histoire : Tirailleurs sénégalais, le retour tragique 1944-1945, Trévé le 2 octobre

Vendredi 2 octobre, à partir de 18h, à la salle des fêtes de Trévé, l’association « Les Bistrots de l’histoire » présentera son 45ème « Bistrot ». Il sera consacré aux Tirailleurs sénégalais de la seconde guerre mondiale, et plus précisément à leur retour tragique en Afrique, qui s’est soldé par le massacre de Thiaroye, près de Dakar.

La section Loudéac de la Ligue de droits de l’Homme est associée à cette soirée : c’est elle qui, en 2011, a organisé une journée consacrée à ces tirailleurs, dont 30 d’entre eux ont été internés pendant deux mois à Trévé, après le refus de rentrer au pays tant que leur solde ne leur avait pas été versé. Cette journée avait été précédé par un long travail de collectage de témoignages, auprès de Trévéen(ne)s  pour la plupart adolescents à l’époque, qui ont ensuite été réunis par Jérôme Lucas dans un livret édité par les éditions « Récits », intitulé « Nous n’avions jamais vu de Noirs ». Quelques-uns de ces témoignages ont été filmés et les vidéos mises en ligne dans le dossier consacré à ce sujet sur ce site (cliquer sur Dossiers, à gauche de l’écran, rubrique Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui). Ce travail avait été réalisé par Jérôme Lucas, Annie et Noël Lagadec, en collaboration avec l’historienne Armelle Mabon, auteure d’un livre sur ce sujet. Pendant cette manifestation, le film tiré de l’ouvrage d’Armelle Mabon avait été projeté, et Joseph Collet, maire de Trévé, avait annoncé l’érection d’une stèle à la mémoire de ces soldats. Elle a été réalisée par Annie Lagadec, et inaugurée le 11 novembre 2011. Cet été, des jeunes Sénégalais ont pu s’y recueillir pendant le camp international qui les a réunis avec des jeunes Allemands et Français, dans un camp organisé par les Bistrots de l’histoire.

Nous n’avions jamais vu de Noirs

L’ouvrage publié aux éditions Récits est toujours disponible, on peut le commander à l’adresse suivante :

http://vosrecits.com/histoires-de-vie-et-temoignages/article/nous-n-avions-jamais-vu-de-noirs

La souscritpion est bien évidemment fermée !

Ci-dessous, le programme de la soirée de vendredi, qui promet d’être passionnante, et à laquelle la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme participera, notamment avec un stand.

 

45ème Bistrot de l’histoire en Bretagne

2 octobre 2015 à Trévé – Salle des fêtes de 18h à 22h30

Entracte et restauration sur place – entrée libre

 

Témoins, historiens, artistes et lecteurs relatent dans un esprit convivial, un vécu commun afin de valoriser la mémoire collective dans un devoir d’Histoire.

Le sujet du Bistrot de l’histoire portera sur le retour tragique des troupes coloniales en 1944 et 1945.

De Morlaix à Trévé, puis à Thiaroye, commune proche de Dakar, où l’armée française ouvrit le feu devant des prisonniers, combattants de la Libération qui demandaient à juste titre le versement équitable de leurs soldes.

Trois cents tirailleurs sénégalais pour ces mêmes raisons, refusèrent d’embarquer sur le Circassia, en novembre 1944 et furent conduits dans des baraquements abandonnés par les troupes allemandes à Trévé, bien accueillis par la population locale puis gardés par des FFI venus du Trégor.

La mairie de Trévé a inauguré en novembre 2O11, une stèle en l’hommage de ces tirailleurs.

C’est une des rares communes de France à avoir ainsi honoré les tirailleurs sénégalais et cette stéle devient un lieu emblématique et symbolique de la participation de ces combattants à la libération.

Ce Bistrot de l’histoire exceptionnel a été préparé, du 1er au 10 août, par des jeunes âgés de 14 à 18 ans.

Cette rencontre internationale franco-allemande-sénégalaise a été organisée par la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor, en partenariat avec la Mairie de Trévé, la Ligue des droits de l’homme de Loudéac, le Cac Sud 22 et l’association des Bistrots de l’histoire.
Plusieurs témoins sénégalais seront présents, dont des petits-enfants de tirailleurs et leurs professeurs venus de Thiaroye (lycée).
Des habitants de Trévé, enfants ou adolescents au moment des faits, évoqueront le souvenir de ces tirailleurs, bien accueillis par la population à l’époque.

Anne Cousin auteur, évoquera les conditions difficiles pour ces combattants venus des garnisons de Versailles, de la Sarthe et de Bretagne, lors du départ du navire Circassia à Morlaix.

L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, enseignante à l’Université Paris 7 Diderot, spécialiste de l’Afrique, évoquera les recherches historiques en cours, concernant le massacre de Thiaroye, lors duquel plusieurs dizaines de soldats furent tués, blessés ou emprisonnés.

Monsieur Collet, maire de Trévé, fera part de son implication et celle de son conseil municipal dans l’organisation des rencontres internationales lors du chantier de jeunes en août 2015.
Le vidéaste sénégalais M’Baye Sow, présentera des extraits de son reportage réalisé en 2015 à Thiaroye puis Trévé en lien avec des jeunes des deux pays.

Un enregistrement numérique de la soirée sera réalisé tout comme un film vidéo par M’Baye Sow.

 

Josiane Lancien, présidente et Pierre Fenard, réalisateur

Les Bistrots de vie du pays briochin, 18 rue Abbé Vallée – 22 000 Saint-Brieuc

contact@bistrotsdelhistoire.com  – O7 82 51 84 38

www.bistrotsdelhistoire.com

 

 

Loi renseignement : non à la surveillance généralisée !

Article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (source) :

« Droit au respect de la vie privée et familiale

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, votée en 1948 :

Article 12

Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

Mais…

Pour M. Cazeneuve, ministre de l’intérieur, la « vie privée » ne fait pas partie des libertés fondamentales.

Pour les sénateurs non plus, qui ont rejeté l’amendement déposé par 11 députés visant à affirmer le « caractère nécessairement exceptionnel de l’atteinte qui peut être portée à ce droit fondamental » (source).

On ne va pas revenir sur les aspects liberticides de la loi dite « antiterroriste » qui est en fait liberticide, en discussion en ce moment au Parlement : tout a déjà été dit.

Mais tout reste à faire : tout porte à penser que cette loi « scélérate » va être adoptée. Ce qui n’est pas une raison pour baisser les bras.

C’est la raison pour laquelle la Ligue des droits de l’Homme, accompagnée par de très nombreux syndicats, associations, mouvements politiques, appelle à manifester lundi 8 juin place de la République, à 18h. Un communiqué rédigé et signé par ces partenaires explique le sens de leur démarche, et le danger immense que représente ce projet de loi, qui sera en discussion au Sénat mardi 9 juin. En voici le texte :

Non à la surveillance généralisée !

Rassemblement contre le projet de loi renseignement

Lundi 8 juin 2015 à partir de 18h, place de la République à Paris.

Le 9 juin, le Sénat est appelé à voter le projet de loi sur le renseignement. Les débats ont eu lieu depuis le mois d’avril dans le cadre de la procédure d’urgence. Malgré une opposition citoyenne qui est allée en s’amplifiant, le texte soumis au vote consacre un dispositif qui expose les citoyens à des mesures de surveillance de masse, mises en oeuvre dans l’opacité, sans contrôle réel et met en danger les mobilisations sociales et politiques comme le droit d’informer et d’être informé.

  • légalisation massive des pratiques illégales des services de renseignement, permettant une surveillance large et très intrusive pour la vie privée des citoyens
  • extension du champ d’action du renseignement intérieur et extérieur, y compris dans des objectifs sans aucun lien avec le terrorisme
  • collecte généralisée des données sur Internet, traitées par des algorithmes
  • surveillance sans aucun contrôle des communications qui passent par l’étranger, alors que de très nombreux serveurs utilisés par des Français sont installés à l’étranger
  • conservation très longue des données collectées
  • contrôle des services de renseignement aux seules mains du pouvoir politique (Premierministre), avec avis consultatif d’une commission

La communication gouvernementale ne doit pas nous tromper : ce projet entérine les pratiques illégales des services secrets et met en place des méthodes de surveillance lourdement intrusives. Le texte donne aux services de renseignement des moyens de surveillance généralisée comparables à ceux de la NSA dénoncés par Edward Snowden, sans garantie pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée.

Tous les citoyens sont concernés : ce projet est une menace pour les libertés fondamentales et les mobilisations politiques et sociales. La liberté et la sûreté sont en péril. Citoyens et parlementaires doivent refuser les dérives d’une société de surveillance !

Nous avons été des milliers le 4 mai esplanade des Invalides et dans de nombreuses villes de province contre ce projet de loi.

Amplifions le combat en nous rassemblant encore plus nombreux le lundi 8 juin 2015 à partir de 18h, place de la République à Paris !

sous-surveillance.fr

Signataires : OLN (Cecil, Creis-Terminal, LDH, La Quadrature du Net, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France) – ATTAC – Amnesty International – Mouvement Utopia – Mrap – CSF – CGT – CGT Police Paris – CGT – Insertion-Probation — DAL – Fondation Copernic – FSU – Genepi – SNPES/PJJ – SNEPAP/FSU – SUD – SOLIDAIRES – SNJ – SNJ/CGT – CFDT Journalistes — SNUCLIAS/FSU – OIP – Survie – UNEF – Confédération Paysanne

Vincent Lambert : la cour européenne des droits de l’Homme donne raison au conseil d’Etat

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a enfin rendu son arrêt sur l’arrêt des soins qui maintiennent artificiellement Vincent Lambert en vie depuis des années. Après avoir épuisé toutes les procédures possibles, la dernière  étant le conseil d’Etat, les parents du jeune homme, rendu tétraplégique par un accident de la route en 2008, s’étaient adressés en dernier recours à la cour européenne, qui a aujourd’hui rendu public son arrêt : « par 12 voix contre 5 », la cour a estimé « qu’il n’y aurait pas violation de l’article 2 [de la convention européenne des droits de l’homme, régissant le droit à la vie, ndlr] en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’Etat autorisant l’arrêt des soins». Cette décision peut donc s’appliquer (Source, Libération).

L’hôpital de Reims peut donc désormais accéder aux soins du jeune homme, qui, victime de lésions cérébrales irréversibles, est dans un état végétatif depuis son accident. Son épouse a, pendant tout ce temps, lutté avec dignité pour que la volonté de son mari soit respectée, contre l’avis des parents de celui-ci : catholiques intégristes, ils considèrent que l’arrêt des soins serait un assassinat.

Les médecins de l’hôpital de Reims craint la réaction des milieux intégristes. À juste raison : ils ont souvent montré le peu de respect qu’ils vouent à la démocratie, faisant comme si la France était une théocratie, et n’hésitant pas à user de la violence. Ce qui se produit régulièrement au sujet du droit à l’avortement qu’ils rêvent de supprimer. On les a également vus à l’œuvre au moment du vote de la loi sur le mariage ouvert aux couples de même sexe.

 

Congrès du Mans : Réintégrons les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale

Gilles Manceron

La quatrième résolution adoptée par le congrès de la Ligue des droits de l’Homme, au Mans, rappelle un des grands combats menés par la LDH, dès la fin de la guerre. Un combat tout aussi fondateur pour la Ligue que l’affaire Dreyfus.

Il est mené aujourd’hui par le groupe de travail Histoire de la LDH, et singulièrement par son co-animateur, l’historien Gilles Manceron, qui a défendu devant le congrès cette résolution qui, outre la réhabilitation des soldats victimes de la barbarie de l’Etat-major, demande la reconnaissance de toutes les autres victimes de cette barbarie : les mutins, les engagés étrangers, les soldats coloniaux… Et la résolution rappelle que le centenaire de la Grande Guerre est peut-être la dernière occasion de rendre justice à toutes ces victimes.

Réintégrons les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale

La dénonciation des injustices commises par les tribunaux militaires durant la Première Guerre  mondiale a été l’un des grands combats de la Ligue des droits de l’Homme, dans le prolongement de l’affaire Dreyfus. Il a permis d’obtenir jusqu’en 1935 la réhabilitation d’un certain nombre de fusillés pour l’exemple. Nous déplorons qu’en 2014 le centenaire officiel de ce conflit n’ait pas été l’occasion d’un acte fort vis-à-vis de tous ceux non encore réhabilités, qui ont été victimes d’ordres arbitraires et injustes.

La création au musée de l’Armée, à l’Hôtel national des Invalides, d’espaces consacrés à cette question doit être saluée comme une avancée. Elle va dans le sens du souhait exprimé le 5 novembre 1998 à Craonne, par le Premier ministre Lionel Jospin, qui avait demandé que les fusillés pour l’exemple « réintègrent notre mémoire collective nationale ».

Mais cela ne répond pas à notre demande de réhabilitation de tous les soldats injustement condamnés qui voulaient, comme l’avait demandé Jaurès, être traités comme des citoyens sous l’uniforme. Avec le centenaire, pour les trois ans qui viennent avant 2018, une nouvelle et sans doute dernière fenêtre s’ouvre pour que soit posé un acte politique permettant la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Une vraie réhabilitation implique l’annulation judiciaire des condamnations et donc une série de décisions individuelles.

La Ligue des droits de l’Homme constate que ce combat continue. Les recherches à leur sujet doivent être poursuivies, leurs sépultures doivent être identifiées et dignement traitées, le transfert de leurs restes dans les communes dont ils étaient originaires doit contribuer à leur rendre justice, comme cela s’est produit, avec l’appui de la LDH de l’Oise et de la Corse, pour le soldat Sylvestre Marchetti, dans son village natal de Taglio d’Isolaccio.

Le travail doit aussi être poursuivi sur des questions occultées ou méconnues de la Grande Guerre qui ne présentent pas seulement un intérêt pour l’Histoire mais aussi pour nos enjeux contemporains. C’est le cas notamment des civils injustement accusés d’espionnage, pour lesquels la LDH, après la guerre, a mené de fortes campagnes pour leur réhabilitation ; celui des mutineries de 1917, qui ont affecté les deux tiers des divisions d’infanterie du front ; celui des bagnes coloniaux, des compagnies de discipline et des bataillons d’exclus, qui ont concerné des dizaines de milliers de soldats et ont provoqué beaucoup plus de morts parmi eux que les fusillés pour l’exemple ; celui des engagés volontaires étrangers européens, victimes de traitements brutaux dans des régiments de marche de la Légion étrangère ; celui des soldats coloniaux victimes de recrutements forcés, de promesses non tenues, d’un emploi inconsidéré et d’un quasi-abandon après-guerre ; et celui de l’ « importation » de dizaines de milliers d’indigènes militarisés, qui ont connu une mortalité très élevée dans les usines d’armement.

En ce qui concerne les mutineries, il importe d’éclairer en particulier le rôle joué par Philippe Pétain, nommé général en chef le 15 mai 1917, qui a eu recours à des procédures exceptionnelles en supprimant les recours en grâce pour hâter les exécutions, et en isolant les soldats considérés comme « meneurs » pour les envoyer sans procès dans des bagnes coloniaux, où beaucoup sont morts de traitements inhumains et dégradants.

Force est de constater, enfin, que les « poilus venus d’ailleurs », étrangers européens et travailleurs ou combattants coloniaux, absents de nos monuments aux morts, ne sont pas reconnus par notre mémoire nationale à la mesure du sort qui a été le leur. Seules de nombreuses tombes musulmanes en témoignent, au sein de nos nécropoles militaires. Il importe qu’un siècle plus tard, eux aussi « réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale ». La Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen réclame de réintégrer les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire nationale.

Résolution adoptée à l’unanimité moins 28 voix contre et 17 abstentions