Conseil d’Etat : les associations nationales jugées recevables à contester les décisions locales liberticides

C’est une grande victoire que vient de remporter la Ligue des droits de l’Homme : à sa demande, le conseil d’État vient de juger que les associations nationales – c’est le cas de la LDH – sont « recevables à contester les décisions locales liberticides ». Une décision d’une importance majeure, qui va permettre à de nombreuses associations de défense des droits d’agir avec davantage d’efficacité.

Depuis quelque temps, les tribunaux administratifs avaient considéré, dans différentes affaires concernant notamment des communes, les décisions contestées n’entraient pas dans le champ d’action de la Ligue, puisqu’elle est une association nationale, et qu’elle attaquait une décision à portée locale. Les tribunaux ne jugeaient donc pas les affaires concernées sur le fond, mais uniquement sur la forme. Ce qui équivalait à rendre impossible toute action de la Ligue contre un arrêté municipal liberticide par exemple. Ou alors, la Ligue aurait dû revoir ses statuts, et se transformer en confédération de sections ayant chacune statut d’association et personnalité juridique, ce qui était impossible. Les sections de la Ligue ont une autonomie d’action, mais n’ont pas le statut d’association relevant de la loi de 1901.

Voici le communiqué que la Ligue a publié ce mardi 24 novembre pour annoncer cette décision, qui ne concerne évidemment pas qu’elle : toutes les associations de défense des droits étaient concernées par cette interprétation contestable du droit.

LES ASSOCIATIONS NATIONALES JUGÉES RECEVABLES À CONTESTER LES DÉCISIONS LOCALES LIBERTICIDES

Par un arrêt rendu le 4 novembre 2015, la haute juridiction administrative, tout en rappelant le principe selon lequel une association ayant un ressort national n’a pas intérêt à agir à l’encontre d’une décision ayant un champ d’application uniquement local, y apporte une importante exception lorsque la décision contestée comporte des implications, notamment dans le domaine des libertés publiques (CE Sect., 4 nov. 2015, « Association « Ligue des droits de l’Homme » » n° 375178).

Cette décision fait suite à un long contentieux, opposant la LDH au maire de La Madeleine qui avait répandu, dans la presse locale, son souhait de chasser les personnes d’origine rom de la commune et avait cru bon interdire la mendicité puis la fouille de poubelles. La commune avait opposé en défense l’irrecevabilité de la LDH, association nationale, à contester une décision n’ayant d’effets que purement locaux, et avait été suivie par la cour administrative d’appel de Douai.

La LDH, représentée par maître Paul Mathonnet (cabinet Roger-Sevaux-Mathonnet), a porté ce contentieux devant le Conseil d’Etat, qui a donc fait droit à son pourvoi.

Cette importante décision va conforter l’action des associations nationales en lutte contre les mesures liberticides, prises notamment par de nombreux élus municipaux, en leur permettant de contester utilement toutes décisions ayant une incidence sur les libertés, au premier rang desquelles celles visant à exclure de la cité les personnes en situation de grande précarité.

Paris, le 24 novembre 2015

Spartacus et Cassandra le 28 novembre au Cithéa de Plouguenast (22) : vidéos et critiques

Ioanis Nuguet, réalisateur, entouré de Spartacus et Cassandra.

« Spartacus et Cassandra » sera projeté samedi 28 novembre au Cithéa, le cinéma associatif de Plouguenast (22), avec qui la section Loudéac centre Bretagne  de la Ligue des droits de l’Homme a déjà travaillé en partenariat (« La Guerre des boutons » pour le roman de Bertrand Rothé, « Lebrac, 3 mois de prison », en 2011, et « La saga des Contis », de Jérôme Plateau qui avait participé au débat par visio conférence, en 2013). Ioanis Nuguet, réalisateur, sera là pour le débat après le film.

Ce film, qui raconte la vie difficile de deux enfants Rroms, tiraillés entre l’amour pour leurs parents et la difficulté de vivre avec eux, et qui sont sauvés par leur rencontre avec Camille, une jeune artiste trapéziste qui se transforme en éducatrice, a été, à sa sortie, début 2015, salué de façon unanime par la critique. Et il a obtenu de nombreux prix (voir photo plus bas).

Voici un extrait du film (le début), puis l’article de la critique de cinéma Guillemette Odocino (Télérama), et, en fin d’article, une interview de Ianis Nuguet.

httpv://youtu.be/0D8BR4cuWgk

Critique de la journaliste Guillemette Odicino, publiée par l’hebdomadaire Télérama :

« A 1 an, je marchais… A 3 ans, mon père était en prison… A 4 ans, je faisais la manche avec ma soeur… A 7 ans, je suis arrivé en France… » La voix de Spartacus ouvre ce documentaire comme le « il était une fois » d’un conte. Aujourd’hui, ce gamin rom a 14 ans. Avec sa soeur cadette, Cassandra, il a trouvé refuge dans un cirque de la banlieue de Paris, sous la protection de Camille qui s’est improvisée éducatrice parce qu’elle refuse qu’il n’y ait pas d’avenir pour ces deux gosses-là. Marcher sur un fil n’est pas qu’un numéro d’équilibriste sous un chapiteau : pour certains enfants, c’est l’histoire d’une vie.

Très vite, Spartacus et Cassandra se retrouvent face à un choix. Rester avec leurs parents : un père alcoolique qui ne rêve que de partir en caravane ailleurs, toujours ailleurs, et une mère un peu folle qui vend du muguet fané sur le trottoir. Ou accepter, comme le juge les y engage, leur placement dans une famille d’accueil. La loi du sang, même toxique, ou l’intégration et ses contraintes : aller à l’école, devenir sédentaires et sages…

De ce dilemme, le réalisateur fait un film de mouvements : caméra à l’épaule, il suit ses merveilleux petits héros dans leurs doutes, leurs colères et ces moments radieux où, en pleine nature, ils abandonnent leur incroyable maturité pour des gestes de l’enfance. Cassandra, petite princesse gitane aux ongles roses, veut voir la France comme un eldorado : dans le poème qu’elle a écrit et qu’elle récite (moment suspendu, bouleversant), une maison, soudain, devient l’inverse d’une cage. Spartacus, petit guerrier insoumis et jeune auteur de rap, hésite encore : a-t-il le droit d’être heureux quand ses parents, eux, restent condamnés à l’errance et usent du chantage affectif ? Le film, douloureux, lumineux, refuse la fatalité de ceux qui sont nés pour n’être chez eux nulle part. Et défend le droit de chaque enfant, même « du voyage », à planter un arbre qu’il pourra voir grandir. — Guillemette Odicino

Pratique. Entrée 4€. Projection organisée dans  le cadre du mois du film documentaire. Partenaires, CAC Sud 22, le Cithéa, la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme.

Interview de Ioanis Nuguet

httpv://youtu.be/apyU14q3c0c

 

Ligue des droits de l’Homme : « On doit lutter contre le terrorisme sans porter atteinte à nos libertés »

Maître Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme.

La Ligue des droits de l’Homme continue à mettre en garde les hommes politiques contre les risques qu’un état d’urgence mal maîtrisé et non contrôlé par le parlement peut faire courir à la démocratie. C’est le sens de son dernier communiqué, publié ce matin, jeudi 19 novembre :

Comme on pouvait le craindre, le projet du gouvernement de proroger de trois mois l’état d’urgence pose de graves problèmes de libertés publiques et individuelles.

Pendant trois mois, pour les motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, soixante-six millions de personnes pourront :

      • voir la police entrer chez elles de jour et de nuit afin de perquisitionner leur lieu de travail ou leur domicile et prendre une copie du contenu de leur ordinateur ou de leur téléphone mobile. Pour cela, il suffit qu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » ;
      • être assignées à résidence si leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » et se voir interdire d’être en contact avec d’autres personnes présentant la même menace.

Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.

Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.

Ce que le gouvernement veut imposer au Parlement d’adopter à marche forcée illustre bien les craintes déjà exprimées par la LDH : ce qui est ici en cause, ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.

C’était aussi le sens de l’intervention d’Henri Leclerc, avocat, et président d’honneur de la LDH, dans son intervention à France Inter mardi 17 novembre : « Je voudrais que les gens comprennent que l’état d’urgence, ce n’est pas rien » a-t-il martelé (à écouter ici). C’est également le sens de l’interview que Jean-Pierre Dubois (professeur de droit constitutionnel et lui aussi président d’honneur de la ligue des droits de l’Homme) a accordé jeudi 19 à  Jean-Baptite Jacquin, journaliste au Monde : il évoque pour sa part le risque d’une « perte des repères démocratiques » : l’état d’urgence devrait être contrôlé par le Parlement. Tout en reconnaissant que l’état d’urgence est justifié (« Sur le principe, la réponse est oui. On aurait du mal à nier le caractère exceptionnel de la situation »), il s’empresse d’ajouter : « La question est comment on utilise cette possibilité et pour com­bien de temps. Nous comprenons que l’on prenne des mesures exceptionnelles compte tenu de ce qu’il s’est passé le 13  novembre. Mais la tradition républicaine est la proportionnalité et le contrôle. Les mesures doivent être proportionnelles à la situation. Ce qui me dérange est que le président de la République a d’emblée prévenu que le gouvernement demandera une prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Je ne com­prends pas que la durée soit aussi longue, même au regard de la gravité de la situation. Pourquoi donnerait-on un blanc-seing aussi long ? ». Il trouve dans l’interdiction des manifestations liées à la réunion de la COP21 (annoncée par le premier ministre) une illustration de ses craintes : « (…) justifier [cette interdiction] en disant que les rassemblements constituent des cibles est aberrant. Tout est une cible : le métro, les musées, les ministères… On ne va pas arrêter la Nation ! Utiliser une situation dramatique pour museler une expression citoyenne est une voie dangereuse. Et on va le faire devant les caméras du monde entier ». L’interview complète de Jean-Pierre Dubois est à lire ici.

Jean-Pierre Dubois : « Nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Jean-Pierre Dubois, au congrès de la LDH à Reims en 2011.

A en croire les médias, piller le fonds de commerce idéologique de la droite c’est faire preuve d’une « grande habileté politique ». Si tel est le cas, alors, oui, chapeau bas M. Hollande.

Ce pillage, dont le président de la république avait chargé sa créature, M. Macron, de l’accomplir au niveau social et économique, il l’a assumé lui-même, au niveau des libertés et de la « sécurité » devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, lundi. Il avait déjà bien commencé le boulot, avec les lois sécuritaires, il le poursuit aujourd’hui sans vergogne, allant même jusqu’à recycler des propositions de d’Edouard Balladur…

Objectif atteint : Mme Le Pen elle-même salue l’exercice…

Lundi, le congrès, convoqué par le président de la République, s’est réuni à Versailles. « Le Parlement n’est pas encore une Chambre bleu horizon, comme en 1919, puisque la gauche est au pouvoir. Mais il est de toute évidence une Chambre bleue, convertie à la nécessité de la « guerre » et prête à approuver des mesures d’exception », commente Mathieu Magnaudeix dans Médiapart.

Rares sont les voix qui se lèvent pour dénoncer ce que tout le monde aurait dénoncé si cela avait été proposé par la droite.

On en entend cependant quelques-unes. Rafraichissantes. Celle de Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, par exemple. Qui, dans Rue 89, déclare : « nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Interrogé par  Robin Prudent, qui lui rappelle : « Après les attentats de Charlie Hebdo, vous nous mettiez en garde contre une possible « hystérie sécuritaire », Jean-Pierre Dubois répond : « Après les attentats de janvier, on a entendu dans la bouche de certains gouvernants, notamment Manuel Valls et François Hollande, que nous étions en guerre.

C’est exactement ce que l’on entend de nouveau.

Si on est dans une logique de guerre, les mots n’ont pas beaucoup de sens, parce que personne ne sait comment faire la guerre à des gens qui ne sont pas un Etat. Comment fait-on la guerre à des gens qui ouvrent le feu au hasard avec des armes rudimentaires que l’on peut trouver très facilement ?

Surtout, cela signifie que nous allons vers ce qui est le sort des démocraties en guerre : l’état d’exception.

L’état d’urgence a été proclamé. Dans un premier temps, on peut se dire que c’est une situation exceptionnelle et que l’on ne peut pas y répondre autrement que par des mesures exceptionnelles.

Sauf que quand on regarde bien, l’état d’urgence n’ajoute pas grand-chose à ce qui est devenu permanent. Les mesures antiterroristes, les lois sur le renseignement, on les a déjà, et cela ne fonctionne pas ».

Lisez l’interview de Jean-Pierre Dubois du 14 novembre 2015 par Robin Prudent, ici.

Et relisez son interview du 8 janvier 2015 par Xavier Delaporte ici.

Projets du président de la République : l’état d’urgence en permanence

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme publié lundi 16 novembre dans la soirée, après la déclaration de François Hollande devant le congrès réuni à Versailles.

On ne peut qu’être inquiet des projets du président de la République. La logique de guerre qu’il a mise en avant conduit à modifier en profondeur plusieurs aspects de l’Etat de droit : qu’il s’agisse de la Constitution, de la procédure pénale ou des règles de la nationalité, ou d’autres encore.

Ces mesures, loin d’être limitées dans le temps, vont s’inscrire dans la durée comme l’actuel état d’urgence qui va être prorogé pour trois mois, soit au moins jusqu’au mois de février 2016, sans qu’on en comprenne la raison.

Le peu de précisions apportées par le président de la République quant au contenu exact des réformes envisagées et la rapidité avec laquelle le Parlement est sommé de les entériner atteste que le pouvoir exécutif entend imposer sa vision d’une démocratie où ce dernier l’emporte sur les autres pouvoirs et sur les libertés individuelles.

Cette démarche est d’autant plus inquiétante que le président de la République a observé un silence total sur les causes profondes de la situation actuelle, les échecs observés et ne présente qu’une seule alternative : un pouvoir fort ou le terrorisme, sans se préoccuper d’assurer la cohésion sociale et l’égalité des droits.

La LDH exprime son inquiétude face à des projets délibérés sur injonction, dans la précipitation et usant de l’émotion provoquée par les attentats commis.

D’ores et déjà, elle désapprouve la prorogation de l’état d’urgence et souhaite que les pouvoirs publics ne se contentent pas de faire référence au respect de l’Etat de droit mais qu’ils le respectent effectivement.

Refonder la légitimité de la police

Après les attentats à Paris et Saint-Denis, le 13 novembre dernier, la Ligue des droits de l’Homme mettait en garde le gouvernement contre un aggravation des mesures tendant à limiter encore davantage les libertés publiques, qui, depuis de nombreuses années, n’en finissent pas de subir des attaques au nom de la lutte contre le terrorisme. La dernière attaque consiste à introduire une sorte de « présomption de légitime défense », qui autoriserait la police à faire usage d’une arme alors même que la légitime défense n’est pas établie, mais qu’on a affaire à des personnages tels que des tueurs en série ou des terroristes comme ceux de Paris. Ce projet ne fait pas l’unanimité, y compris dans certains syndicats policiers, qui  estiment que l’arsenal juridique actuel est suffisant pour que les personnels puissent se défendre.

Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient, dans l’éditorial de LDH info, l’organe mensuel de la LDH, sur deux événements récents, emblématiques de ces menaces sur les libertés :

  • Le verdict du procès des policiers impliqués dans le décès des deux jeunes gens dans un site EDF il y a 10 ans ;
  • Le décès de Rémy Fraisse en octobre 2014 sur le site du futur barrage de Sivens.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le procès de la police. Mais ne pas dénoncer les abus, qui sont le fait d’une minorité de personnes, ne peut que contribuer à ternir l’image de la police, notamment chez les jeunes ; et cette rupture entre police et citoyens peut avoir des conséquences tragiques. Comme le dit Françoise Dumont, « Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police ». Dans l’intérêt de tous, y compris des policiers.

Police, l’inquiétant bilan

Editorial de Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme dans le numéro d’octobre de LDH Infos.

Il y a tout juste dix ans, Bouna Traoré et Zyed Benna trouvaient la mort dans un site EDF, et un troisième jeune était grièvement brûlé. Leur crime ? Avoir voulu fuir un contrôle de police. L’annonce de la mort prématurée de ces deux adolescents avait enflammé les banlieues pendant plusieurs semaines. Le procès des deux policiers mis en cause a traîné pendant dix ans, pour aboutir finalement à une décision tragique et scandaleuse : la relaxe définitive.

Ce qui est arrivé le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois renvoie au caractère systémique des contrôles d’identité abusifs et à leur impact dévastateur sur les personnes contrôlées. Ce n’est pas une coïncidence si l’Etat vient de contester cinq arrêts de la cour d’appel de Paris, le condamnant pour « faute lourde » pour cinq contrôles d’identité reconnus comme ayant été effectués « au faciès ». Le gouvernement avait l’opportunité de tirer les conséquences des décisions de la cour d’appel de Paris en introduisant, comme nous le demandons de longue date avec d’autres, un système de récépissé des contrôles et une modification du cadre législatif qui les autorise. Au lieu de cela, il s’est pourvu en cassation. Ce pourvoi était prévisible mais il reflète un choix : celui de laisser perdurer, pire, de légitimer des pratiques policières discriminatoires, au rebours des engagements du candidat Hollande. Il faudra expliquer comment une telle démarche peut être compatible avec la lutte contre le racisme, pourtant proclamée « grande cause nationale » pour 2015.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre 2014, il y a tout juste un an, Rémi Fraisse trouvait la mort sur le site du barrage de Sivens. Cette mort ne suscita pas les mêmes explosions de violence que celle de Zyed et Bouna. Alain Finkielkraut n’eut pas l’occasion de parler de « pogrom antirépublicain » ou de « conflit ethnico-religieux », mais on se souvient avec colère des réactions officielles au lendemain du drame. Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils tenté de dissimuler, de nier parfois jusqu’à l’évidence, la réalité des faits ? Pourquoi avoir attribué cette mort à la violence « démesurée » des manifestants antibarrage, victime comprise ? La LDH a alors constitué une Commission d’enquête citoyenne visant à faire la lumière, toute la lumière, sur ces événements. Mobilisant une vingtaine de personnes, cette Commission a procédé à une trentaine d’auditions auprès des protagonistes directs ou indirects de ce drame. Ce travail d’investigation a abouti à la rédaction d’un rapport qui dresse un bilan accablant de ce qui s’est passé, mais qui formule aussi un certain nombre de préconisations.

La LDH, en cette affaire, a joué pleinement son rôle de vigile et de contre-pouvoir. Sa démarche, hier comme aujourd’hui, n’est évidemment pas de dresser le procès des forces de police qui accomplissent souvent un travail difficile dans des conditions dégradées. Elle s’est toujours battue pour la mise en place d’une police républicaine qui joue pleinement son rôle de protection de l’ensemble des citoyens. Force est pourtant de constater qu’on en est loin. On le mesure à voir ces images de forces de l’ordre repoussant violemment les avocats du palais de justice de Lille, ou lorsque les syndicats de policiers appellent à manifester sous les fenêtres de la garde des Sceaux, au prétexte que la politique pénale serait laxiste et la justice hors des réalités.

Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police. Il y a urgence à instaurer un débat public avec la population sur les conditions démocratiques de la sécurité. Car la dégradation du climat est bien celle de la démocratie elle-même. Les déclarations martiales et autres bombements de torse à l’Assemblée nationale ne sont pas à cet égard de bon augure.

Ils pourraient n’être que pathétiques ; au vu du bilan et des enjeux, ils sont inquiétants.

La leçon de morale donnée à Mme Morano par un jeune Français d’origine sénégalaise

Seydi Diamil Niane est un jeune Français d’origine sénégalais, doctorant en islamologie à l’université de Strasbourg. Les propos infâme prononcés par Mme Morano dans l’émission « On n’est pas couché », la semaine dernière, l’ont profondément choqué. Il a donc écrit une lettre ouverte à la femme politique qui nous a depuis longtemps habitués à ses saillies composées essentiellement d’inepties, de grossièretés, de mensonges, le plus souvent teintés de xénophobie et de racisme, et toujours d’une vulgarité inégalable. On peut lire le texte d’intégral de sa lettre ici.

Un passage de cette lettre nous interpelle particulièrement à la veille du bistrot de l’histoire consacré au massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française, en 1945 à Thiaroye : Seydi Diamil Niane met en parallèle ce drame dont  la France peine à reconnaître la responsabilité et les propos de Mme Morano. Les voici :

« (…) Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benot, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benot que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroy, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes […] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »

 Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable. (…) ».

En quelques phrases, Sydi Diamil Niane montre l’actualité de ce drame, et l’importance qu’il y à à empêcher qu’il sombre dans l’oubli. Raison de plus pour assister au Bistrot de l’histoire, ce vendredi 2 octobre à partir de 18h à la salle des fêtes de Trévé ! Lire ici pour en savoir plus.

 

 

Bistrot de l’histoire : Tirailleurs sénégalais, le retour tragique 1944-1945, Trévé le 2 octobre

Vendredi 2 octobre, à partir de 18h, à la salle des fêtes de Trévé, l’association « Les Bistrots de l’histoire » présentera son 45ème « Bistrot ». Il sera consacré aux Tirailleurs sénégalais de la seconde guerre mondiale, et plus précisément à leur retour tragique en Afrique, qui s’est soldé par le massacre de Thiaroye, près de Dakar.

La section Loudéac de la Ligue de droits de l’Homme est associée à cette soirée : c’est elle qui, en 2011, a organisé une journée consacrée à ces tirailleurs, dont 30 d’entre eux ont été internés pendant deux mois à Trévé, après le refus de rentrer au pays tant que leur solde ne leur avait pas été versé. Cette journée avait été précédé par un long travail de collectage de témoignages, auprès de Trévéen(ne)s  pour la plupart adolescents à l’époque, qui ont ensuite été réunis par Jérôme Lucas dans un livret édité par les éditions « Récits », intitulé « Nous n’avions jamais vu de Noirs ». Quelques-uns de ces témoignages ont été filmés et les vidéos mises en ligne dans le dossier consacré à ce sujet sur ce site (cliquer sur Dossiers, à gauche de l’écran, rubrique Oubliés d’hier, oubliés d’aujourd’hui). Ce travail avait été réalisé par Jérôme Lucas, Annie et Noël Lagadec, en collaboration avec l’historienne Armelle Mabon, auteure d’un livre sur ce sujet. Pendant cette manifestation, le film tiré de l’ouvrage d’Armelle Mabon avait été projeté, et Joseph Collet, maire de Trévé, avait annoncé l’érection d’une stèle à la mémoire de ces soldats. Elle a été réalisée par Annie Lagadec, et inaugurée le 11 novembre 2011. Cet été, des jeunes Sénégalais ont pu s’y recueillir pendant le camp international qui les a réunis avec des jeunes Allemands et Français, dans un camp organisé par les Bistrots de l’histoire.

Nous n’avions jamais vu de Noirs

L’ouvrage publié aux éditions Récits est toujours disponible, on peut le commander à l’adresse suivante :

http://vosrecits.com/histoires-de-vie-et-temoignages/article/nous-n-avions-jamais-vu-de-noirs

La souscritpion est bien évidemment fermée !

Ci-dessous, le programme de la soirée de vendredi, qui promet d’être passionnante, et à laquelle la section Loudéac centre Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme participera, notamment avec un stand.

 

45ème Bistrot de l’histoire en Bretagne

2 octobre 2015 à Trévé – Salle des fêtes de 18h à 22h30

Entracte et restauration sur place – entrée libre

 

Témoins, historiens, artistes et lecteurs relatent dans un esprit convivial, un vécu commun afin de valoriser la mémoire collective dans un devoir d’Histoire.

Le sujet du Bistrot de l’histoire portera sur le retour tragique des troupes coloniales en 1944 et 1945.

De Morlaix à Trévé, puis à Thiaroye, commune proche de Dakar, où l’armée française ouvrit le feu devant des prisonniers, combattants de la Libération qui demandaient à juste titre le versement équitable de leurs soldes.

Trois cents tirailleurs sénégalais pour ces mêmes raisons, refusèrent d’embarquer sur le Circassia, en novembre 1944 et furent conduits dans des baraquements abandonnés par les troupes allemandes à Trévé, bien accueillis par la population locale puis gardés par des FFI venus du Trégor.

La mairie de Trévé a inauguré en novembre 2O11, une stèle en l’hommage de ces tirailleurs.

C’est une des rares communes de France à avoir ainsi honoré les tirailleurs sénégalais et cette stéle devient un lieu emblématique et symbolique de la participation de ces combattants à la libération.

Ce Bistrot de l’histoire exceptionnel a été préparé, du 1er au 10 août, par des jeunes âgés de 14 à 18 ans.

Cette rencontre internationale franco-allemande-sénégalaise a été organisée par la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor, en partenariat avec la Mairie de Trévé, la Ligue des droits de l’homme de Loudéac, le Cac Sud 22 et l’association des Bistrots de l’histoire.
Plusieurs témoins sénégalais seront présents, dont des petits-enfants de tirailleurs et leurs professeurs venus de Thiaroye (lycée).
Des habitants de Trévé, enfants ou adolescents au moment des faits, évoqueront le souvenir de ces tirailleurs, bien accueillis par la population à l’époque.

Anne Cousin auteur, évoquera les conditions difficiles pour ces combattants venus des garnisons de Versailles, de la Sarthe et de Bretagne, lors du départ du navire Circassia à Morlaix.

L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, enseignante à l’Université Paris 7 Diderot, spécialiste de l’Afrique, évoquera les recherches historiques en cours, concernant le massacre de Thiaroye, lors duquel plusieurs dizaines de soldats furent tués, blessés ou emprisonnés.

Monsieur Collet, maire de Trévé, fera part de son implication et celle de son conseil municipal dans l’organisation des rencontres internationales lors du chantier de jeunes en août 2015.
Le vidéaste sénégalais M’Baye Sow, présentera des extraits de son reportage réalisé en 2015 à Thiaroye puis Trévé en lien avec des jeunes des deux pays.

Un enregistrement numérique de la soirée sera réalisé tout comme un film vidéo par M’Baye Sow.

 

Josiane Lancien, présidente et Pierre Fenard, réalisateur

Les Bistrots de vie du pays briochin, 18 rue Abbé Vallée – 22 000 Saint-Brieuc

contact@bistrotsdelhistoire.com  – O7 82 51 84 38

www.bistrotsdelhistoire.com

 

 

Réfugiés : manifestation de solidarité mercredi 9 septembre à Saint-Brieuc (22)

Photo Ouest-France

Il a fallu une photo, celle d’un enfant mort sur une plage, pour qu’enfin l’Europe prenne conscience du drame de ceux que certains appellent « migrants », et d’autres « réfugiés ». Il aura aussi fallu que Mme Merkel, chancelière allemande, élève la voix, pour que les dirigeants du « pays des droits de l’Homme », la France, se manifestent… pas très glorieux de recevoir une leçon d’humanité d’une femme de droite.

Un mouvement de solidarité s’est déclenché dans plusieurs pays, et le mot solidarité recommence enfin à être utilisé : on n’y était plus habitué ! Des responsables politiques prennent enfin position, pressés par la population. Il ne faut cependant pas surestimer ce beau mouvement : l’opinion publique ne s’est pas retournée miraculeusement en quelques jours, et la xénophobie et l’égoïsme étriqué ont encore pignon sur rue. Plus de 55% de la population reste hostile à l’accueil de ces hommes, ces femmes et ces enfants, avec pour prétexte toutes les idées fausses qui circulent sur l’immigration : « ça coûte cher » (alors que le solde est positif) et autres.

À propos du choix des termes, « migrants » ou réfugiés. Il est judicieux effectivement de faire la distinction. Mais il est indigne d’effectuer une distinction entre les motivations des « migrants » : fuir la misère, qui débouche la plupart du temps sur la mort, serait-il lâcheté, et fuir une dictature héroïsme ? Les migrants « économiques » comme on les appelle, qui sont-ils ? Sont-ils les français qui fuient l’impôt dans les paradis fiscaux ? Indigne aussi la discrimination sur la religion : accueillir les « chrétiens » d’Orient, pas de problème ; les musulmans… faut voir.

La Ligue des droits de l’Homme s’est emparée de ce problème depuis longtemps, et en ce moment elle multiplie les initiatives pour faire en sorte que ce mouvement de solidarité ne s’essouffle pas aussi vite qu’il est apparu. C’est pourquoi la section de Saint-Brieuc de la LDH appelle à une manifestation de solidarité avec les réfugiés mercredi 9 septembre, à 18h30, devant la préfecture de Saint-Brieuc (place du général De Gaulle).

L’appel du président de la section de Saint-Brieuc de la Ligue des droits de l’Homme

La violence de la photo d’Aylan Kurdi, enfant de 3 ans mort échoué sur une plage choque.

Elle nous renvoie en boomerang notre propre violence vis-à-vis des réfugiés, celle de notre indifférence, de notre inaction.

Elle nous rappelle qu’au-delà des frontières, tous les êtres humains ont des Droits Fondamentaux. Notre émotion ne peut pas suffire.

 

La Ligue des Droits de l’Homme des Côtes d’Armor appelle chaque citoyen à comprendre, se révolter et agir.

  • Comprendre: 630 000 réfugiés demandent asile dans l’Union Européenne (UE), recherchant liberté et Etat de Droit, fuyant des guerres que les pays occidentaux ont parfois démarrées (Irak, Libye…). Ils représentent à peine plus de 1% de la population de l’UE, la 2ème économie du monde. L’Europe a des ressources pour faire face à ce drame sans dresser des murs de barbelés.
  • Se révolter ensuite face au manque de courage des gouvernements, notamment en France, qui se défaussent en disant « qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». La France ne brille pas par son hospitalité. Si on regarde la part des demandes d’asile qui reçoivent une réponse positive, la France est 23e sur 28 ! Pourtant, ces réfugiés peuvent enrichir notre pays, en travaillant, souvent en faisant des emplois difficiles que nous ne voulons pas, en contribuant à la solidarité nationale par l’impôt, en revitalisant nos territoires marqués par la désertification.

Agir enfin. Que peut-on faire ?

  • Affirmer ses valeurs face à la lepénisation des esprits. Non, le réfugié n’est pas la cause des près de 5 millions d’inscrits à pôle emploi. Non, il ne risque pas sa vie pour faire du « tourisme social ». Non, il ne va pas mettre en danger la République parce qu’il a une culture ou une religion différente. Au quotidien, il faut relever la tête et combattre fièrement toutes ces idées reçues.
  • Accueillir : si vous avez une chambre de libre chez vous et que vous souhaitez offrir l’hospitalité, n’hésitez pas à contacter la ligue des Droits de l’Homme : plusieurs jeunes étrangers sont actuellement hébergés chez des particuliers et nous sommes toujours à la recherche d’hôtes (contact ldh.st-brieuc@wanadoo.fr )
  • Faire entendre sa voix pour appeler le gouvernement français à l’action : Pour ce faire, un rassemblement est organisé devant la préfecture mercredi 9 septembre à 18h30 devant la préfecture. Tous les citoyens sont les bienvenus !
  • Mobiliser les collectivités publiques : nous appelons les pouvoirs publics à favoriser en urgence et en tous point du territoire l’accueil des réfugiés, favoriser la scolarisation systématique des enfants, délivrer les autorisations de travail quand un emploi est trouvé, mettre en place des procédures administratives laissant le temps aux migrants de démontrer leur situation.

Hervé Guihard, Président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme, Saint Brieuc