De retour du Forum Social Mondial de Tunis de 2015

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Au sommaire

  • Préambule / Le Forum Social Mondial de Tunis
  • Témoignage / Récit et impression générale
  • Remarque / La participation des Algériens au FSM 2013
  • Réunion du CRID / Intervention de Kamel Jendoubi
  • Forum / Islam et gouvernance politique
  • Ateliers / L’abolition des armes nucléaires
  • Forum / Maghreb – Afrique et situation au Mali
Deux albums de photos [ICI] complétent ce dossier. L’un refléte la participation des Tunisiens au FSM parmi les autres peuples du monde. L’autre montre une manifestation (indépendante du FSM) de femmes tunisiennes devant le Ministére de la Femme à Tunis.
Rédacteurs : Francine, Nesroulah et Jean-Luc – Photos : Annie
 

Préambule / Le Forum Social Mondial de Tunis

Un FSM est un forum international de rencontre et de débat entre organisations et individus considérant que «  Un autre monde est possible ». Adhérer à la Charte des principes du Forum social mondial, suppose de s’opposer au néo-libéralisme et à la mondialisation et de chercher ensemble des solutions alternatives (idée d’alter-mondialisation).

Les participants sont des associations, des syndicats et des individus, la «  société civile », sans la présence de partis politiques. Le Premier FSM s’est tenu à Porto Alegre en 2001. Celui de Tunis en 2013 est le 12° du nom.

Le FSM de Tunis a regroupé plusieurs dizaines de milliers de personnes (on cite de chiffre de 70 000) dans plusieurs milliers d’ateliers et de forums. La première chose qui frappe au FSM de Tunis est la présence massive de Tunisiennes et de Tunisiens, jeunes pour la plupart, venus, voir, entendre et débattre.

La moitié des jeunes femmes présentes portaient un foulard ce qui ne les a pas empêché d’intervenir fréquemment dans les ateliers. La participation Européenne est forte également.

Les habitués des FSM constatent que la participation de l’Amérique Latine est en retrait par rapport aux premiers forums qui se déroulaient dans ces pays latino-américains qui sortaient de la dictature. Il y a peu de membres de pays d’Asie, très peu même en regard de ‘l’importance de ce continent sur la scène internationale (Chine, Indonésie, Malaisie, Japon…). Une délégation assez visible de l’Inde toutefois.

Le présent document n’est pas un compte-rendu exhaustif, c’est la retranscription de ce qu’on vu et entendu les membres de la LDH Paris 20° qui sont allés à ce FSM à de titres divers et avec des centres d’intérêts particuliers. Cette retranscription est donc subjective et soumise à contradiction, surtout sur les sujets dont les rédacteurs ne sont pas experts, mais simples auditeurs ou débatteurs. On trouvera le compte-rendu et les communications officielles du FSM sur le site http://www.fsm2013.org/fr .
 

Témoignage / Récit et impression générale

J’avoue que j’ai été agréablement surpris par l’ambiance qui régnait en Tunisie lors de mon cours séjour d’autant plus que l’image noircie et véhiculée par les médias français et certains ami(e)s tunisien(ne)s, vivant en France ou en Tunisie, ne correspondait pas du tout à ce que j’ai vu sur place.

Discussion dans les allées du FSM de Tunis

J’ai passé trois jours à Bizerte ensuite quatre jours à Tunis pour le FSM 2013. C’était à la fois pour moi l’occasion de rencontrer des tunisien(ne)s sur place et de renouer des contacts avec des personnes que j’avais perdu de vue depuis longtemps. Je précise que je ne me suis pas rendu en Tunisie depuis plusieurs années, mon statut de réfugié ne me le permettant pas du temps de Ben Ali et même après.

Pendant mon séjour, J’ai rencontré de nombreuses personnes de tout bord (sauf des islamistes), J’ai vu la pauvreté, un prêche d’islamiste radical ainsi que quelques drapeaux salafistes à Bizerte. A Tunis j’ai assisté à plusieurs conférences et ateliers durant la journée. Le soir, j’ai participé à des discutions politiques, souvent houleuses, avec des familles tunisiennes.

Ce que je peux dire sur le FSM :

  • Un programme très riche et divers- des conférences de qualité – des personnalités internationales venues parler de leurs expériences
  • Beaucoup de jeunes des deux sexes dont une majorité d’autochtones déterminés à ne se laisser pas faire
  • 1 200 bénévoles
  • Beaucoup de monde (le défi d’atteindre les 30 000 personnes a été largement dépassé)
  • Une organisation flottante au démarrage mais très vite maîtrisée
  • Une ambiance festive sur place et au centre ville durant toute la journée et en soirée
  • Quelques petits incidents insignifiants
  • La naissance d’un nombre impressionnant d’associations tunisiennes démontre l’émergence d’une société civile organisée et déterminée ainsi que la volonté d’un peuple à ne pas se faire voler la révolution. « Plus jamais cela » est le mot d’ordre.
  • Des services de santé vigilants faisant de la prévention et distribuant des préservatifs partout dans le campus 

Remarque / La participation des Algériens au FSM 2013

La présence des quelques associations algériennes, dont de nombreux jeunes, qui ont participé au FSM est déjà un bon point en soi, vu que trois mois auparavant elles ignoraient la tenue même du FSM. A partir du moment où certaines associations ont commencé à s’organiser en Algérie, les autorités ont répondu par des interdictions de réunions des syndicalistes autonomes, des descentes de police dans les hôtels, suivies d’arrestations  musclées et de reconduites à la frontière de militants chômeurs maghrébins – Maroc, Mauritanie et Tunisie.

Les organisations (SNAPAP, SOS disparus, RAJ…) algériennes avaient prévu une caravane, composée de quatre cars, qui devait se rendre à Tunis en partance d’Alger. Deux cars passaient par Annaba et les deux autres par Tébessa. A Annaba la police des frontières a dans un premier temps refusé tout passage vers la Tunisie pour ensuite faire descendre les militants et les laisser aller à pied avec leurs bagages.

A Tébessa, un refus catégorique a été signifié aux deux autres cars et leurs occupant. Certains d’entre eux sont retournés à Alger pour prendre l’avion mais là aussi la police des frontières est intervenue pour leur interdire l’accès. Si certains algériens ont réussi à participer au FSM, toute l’organisation a été chamboulée car de nombreux documents sont restés dans les bus.

Les associations présentes ont alerté les organisateurs du FSM, un tract a été diffusé et un rassemblement organisé devant l’ambassade d’Algérie à Tunis pour dénoncer et condamner ces pratiques. Les quelques membres de SOS disparus présents, de par le manque d’encadrants et de documents restés dans les cars, se sont limités à faire de la sensibilisation- information sur le campus.

D’un autre côté  les associations algériennes pro- gouvernementales ainsi que de nombreux officiels algériens étaient présent à Tunis. 

Réunion du CRID / intervention de Kamel Jendoubi

Le CRID http://www.crid.asso.fr/ est un collectif d’associations et un des organisateurs majeurs des FSM. Le CRID a organisé une rencontre la veille du Forum de Tunis. Kamel Jendoubi y est intervenu. Kamel Jendoubi est tunisien et militant des droits de l’homme. Il est président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme http://www.euromedrights.org/fra/ . Il est également président de l’ISIE, instance chargée d’organiser les élections en Tunisie http://www.isie.tn/Fr/ . A ce titre il a organisé les premières élections démocratiques après la chute de Ben Ali.

Résumé de l’intervention de Kamel Jendoubi

La révolution Tunisienne, après des années de souffrances et de chape de plomb, a entrainé l’explosion d’une parole chaotique dans le pays, car cette révolution n’a pas été préparée. Elle a réussi à décapiter le système mais pas son corps. Le pays manque de maturité politique et est en retard, comme beaucoup de pays du monde arabe, sur 3 points essentiels : le statut de la femme, l’éducation et la liberté. Et avant d’organiser des élections, il aurait fallu saper les bases du système. C’est pourquoi, le peuple qui a fait la révolution n’est pas celui qui a gagné les élections.

Les députés doivent rédiger une nouvelle constitution, ce qui est extrêmement  difficile, et on est loin de la fin de sa rédaction et de nouvelles élections. Or le pays traverse une phase très difficile : la situation économique, sociale et sécuritaire se dégrade.

La crise de confiance envers les politiques augmente et entraine une crise de légitimité, due à une mauvaise gestion de l’appareil d’état et à l’inexistence d’une justice transitionnelle.

L’assassinat de l’avocat Chokri Belaïd, militant politique anticonformiste, anti-islamiste convaincu, mais défenseur de tous ceux qui ont soufferts de la tyrannie,  a augmenté cette crise. La transition démocratique doit se construire, mais elle ne se fera pas sans connaitre la vérité sur cet assassinat. 

Forum / Islam et gouvernance politique

Sous le titre « Islam et gouvernance à l’ère du printemps arabe : référentiel éthique ou projet alternatif » plusieurs centaines de personnes sont venues écouter Tariq Ramadan, islamologue, Alain Gresh, directeur adjoint du Monde Diplomatique et Nejmeddine Hamrouni, membre du parti au pouvoir Ennahda et conseiller politique auprès de l’ancien chef du gouvernement Hamad Jebali.

Lors du forum « Islam et gouvernance politique », FSM Tunis

Le forum est organisé par l’association Jeunes Tunisiens de France. La très grande majorité de l’assistance est composée de jeunes tunisiens, hommes et femmes, voilées et non voilées. Quelques familles tunisiennes également. Peu d’Européens. L’amphithéâtre est rempli, il y a du monde dans le hall d’entré et sur la cour, une sono a été placée à l’extérieur de la salle.

La question est cruciale : Comment associer, démocratie politique, système économique source de progrès social, référentiel religieux islamiste ? L’Islam peut-il servir de référentiel pour un projet de gouvernance ?

« Jusqu’à présent, leur programme, c’était « l’islam est la solution ». Je ne vois pas de réflexion réelle, dans les partis islamistes, sur les alternatives économiques et sociales possibles » déclare Alain Gresh qui dit que les islamistes sont « à l’épreuve du pouvoir ».

Même mise en garde de la part de Tariq Ramadan : « La Tunisie est aujourd’hui dans une situation économique et politique fragile, qui risque de la faire tomber sous la coupe du FMI et de la Banque mondiale ». Faute de réussir à définir un  système économique et politique alternatif, c’est le système dominant actuellement dans le monde (et en Arabie Saoudite ou dans le Golfe) qui dominera en Tunisie également.

Le référentiel islamique peut-il ici servir ? Etre le socle ? Tariq Ramadan et Nejmeddine Hamrouni, engagés à des titres divers dans la politique au côté des partis islamistes, expliqueront qu’il faut gérer la diversité sociale, culturelle et religieuse, se méfier du populisme et du nationalisme. La Tunisie doit se construire au sein du monde arabe, sur le continent africain.

« Bon, alors qu’est-ce que l’on fait ? »  dit mon voisin. Il partira sans réponse. Toutefois, comme les orateurs, restons « raisonnablement optimiste » : un message est clair et semble crucial dans le contexte politique actuel de la Tunisie et de la région : prendre la question dans toute sa complexité, gérer le pluralisme et la diversité, ne pas plaquer son idéologie… même si on a la légitimité de gouverner du fait d’avoir gagné les élections…

Intégralité du forum (env. 1 heure) sur http://www.youtube.com/watch?v=QHFR3JYRN9k 

Ateliers / L’abolition des armes nucléaires

Quelques ateliers du FSM ont eu pour thème l’abolition des armes nucléaires : « pour une méditerranée débarrassée des armes atomiques », « les armes nucléaires et leurs conséquences humanitaires » où des jeunes tunisiens, espagnols, canadiens, brésiliens ou japonais ont discuté des programmes nucléaires, de leur coût, des déchets atomiques et de leurs effets sur la santé.

La conférence de consensus a retenu deux  propositions :

  1. L’idée d’une coalition des sociétés civiles des pays riverains de la méditerranée pour une zone sans armes atomiques avec comme étape, d’abord l’interdiction d’accoster pour les navires et les sous-marins porteurs d’engins nucléaires dans tous les ports méditerranéens, puis l’interdiction de transit de ces mêmes navires, et enfin le démantèlement des bases atomiques de l’OTAN et des USA, de l’Italie à la Turquie, et en premier lieu les bases françaises à Istres et à Toulon. Cette zone pourrait être rattachée à la zone sans armes de destructions massives au Moyen Orient, englobant l’Iran et Israël, et réclamée par l’Egypte et l’ONU.
  2. L’adoption de l’alternative à la « sécurité collective » des états, sommés de se ranger sous le parapluie atomique des 5 membres du club nucléaire, il s’agit de  « la sécurité humaine », avec un droit nouveau pour tous les êtres humains sur la planète: celui de ne plus être la cible quasi exclusive des dissuasions nucléaires des 5 grands mais aussi des 4 nouveaux pays atomiques: l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord.

Le FSM a recommandé d’inscrire à l’ordre du jour du futur forum thématique à Sarajevo en 2014 (à l’occasion du centenaire de la déclaration de la guerre de 14-18), la question de la paix et de la sécurité humaine.

De nombreux ateliers ont proposé dans des domaines différents une coalition des peuples méditerranéens avec des objectifs variés comme l’immigration, la discrimination, la lutte contre les méfaits de la mondialisation et de la crise économique qui frappe le nord comme le sud, et surtout  l’émancipation des femmes. La question nucléaire peut s’immerger dans cette coalition.

Il faut des actions concrètes comme la mise sur pied d’une « commission vérité » proposée par nos amis italiens particulièrement concernés par la question de la mer Méditerranée, véritable poubelle de déchets toxiques et nucléaires « gérés » par les mafias, et leur exportation éventuelle en Afrique du Nord ; mais aussi développer une vision commune d’élimination des armes nucléaires à partir des conséquences humanitaires intolérables des programmes atomiques (comme à Hiroshima, Nagasaki, mais aussi à Tchernobyl et Fukushima, et comme en Algérie et en Polynésie Française pour les populations exposées aux séquelles des essais atomiques français).

C’est dans cet esprit que la campagne ICAN (campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires) dont la LDH est signataire, doit se développer dans cette zone. La campagne ICAN, est mondiale et elle recouvre de nombreuses réalités. La situation en Méditerranée en est une. 

Forum / Maghreb – Afrique et situation au Mali

L’ENDA est une organisation internationale tiers-mondiste fondée à Dakar au Sénégal et aujourd’hui implantée dans plusieurs pays du monde http://endatiersmonde.org/instit/. L’ENDA a organisé au FSM de Tunis une série de conférences sur le thème de la construction de la nation.

Aminata Traoré, FSM Tunis

 L’une des conférences portait sur : « MaghrAfrique : migrations trans-sahariennes, héritages communs, constructions postcoloniales et invention d’un nouveau futur de solidarité et d’intégration ». La question posée est celle de la création d’un étroit réseau de lien entre l’Afrique Noire et le Maghreb au-delà des dissensions voire des racismes réciproques qui peuvent trouver leurs racines dans le passé.

L’invitée était Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali qui est intervenue également sur la situation de son pays et sur l’intervention française au Mali. Elle se dit effondrée de voir que son pays s’est retrouvé dans une situation telle que la seule issue aux yeux de la majorité de ses concitoyens du sud du Mali est une intervention militaire de la France. L’ancien colonisateur dont le Mali s’est débarrassé revient en guerrier libérateur.