Fracture sociale vaccinale

École, travail… Pourquoi le pass sanitaire risque de renforcer l’exclusion des plus pauvres

Représentants sociaux et institutions dénoncent le risque d’effets indésirables du pass sanitaire sur les inégalités

Le HuffPost

CORONAVIRUS – Responsable du Secours populaire dans le Puy-de-Dôme, Nicole Rouvert est déchirée lorsqu’elle repense à cette famille, refusée à l’entrée d’un parc animalier. “Ils n’avaient pas de pass sanitaire”, se remémore l’aidante. L’initiative de l’association caritative devait permettre aux plus précaires de profiter du lieu, une occasion rare. Résultat: certains n’ont même pas franchi les portes du bus qui les y conduisait.

Comme Nicole Rouvert, de nombreux acteurs sanitaires et sociaux craignent que l’extension du pass sanitaire n’exclue davantage les plus démunis, déjà moins vaccinés contre le Covid-19 que le reste de la population. “Il faut que tout le monde puisse se faire vacciner, mais il faut faire plus de pédagogie et ne pas infliger une double peine à des personnes qui déjà, se privent de tout”, confie-t-elle à l’AFP.

Face à la flambée de l’épidémie de Covid-19, le pass sanitaire, déjà obligatoire depuis le 21 juillet dans les lieux culturels et de loisirs, doit être étendu dès le 9 août aux cafés, restaurants, aux TGV et Intercités, vols intérieurs ainsi qu’aux patients non urgents et visiteurs dans les établissements de santé et maisons de retraite. Le périmètre est encore variable, il dépend de la décision du Conseil constitutionnel, saisi par le gouvernement et des députés de gauche. Elle devrait être rendue jeudi 5 août. La Suite Après Cette Publicité

Le pass va “accroître encore un peu plus les inégalités sociales”

En attendant, l’aile gauche de l’opposition conteste la généralisation “disproportionnée” du pass, marquant “plusieurs ruptures du principe d’égalité”, menaçant de se transformer en double peine pour les plus pauvres.

Pour le député communiste de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, “le pass sanitaire risque d’exclure davantage”. Au sein des entreprises, d’abord. Selon lui, “la loi introduit également dans le Code du travail une différenciation entre les salariés en CDD ou intérimaires et les autres, avec une menace de perte sèche d’emploi” en cas de non-vaccination.

Autre sujet d’inquiétude, l’école. Le nouveau protocole sanitaire va “accroître encore un peu plus les inégalités sociales”, selon ce député. En effet, les collégiens, à partir de la 5e, et lycéens non vaccinés devront suivre les cours à distance si un cas de Covid était détecté dans leur classe.La Suite Après Cette Publicité

Dans un avis paru le 20 juillet, la Défenseur des droits alerte, elle aussi: “Les nouvelles mesures comportent le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités”, écrit Claire Hédon.

Une fracture sociale vaccinale

Dans Le Monde du 25 juillet, le géographe de la santé Emmanuel Vigneron s’appuyait sur les dernières données de l’Assurance maladie pour mettre au jour les disparités vaccinales. La France est bien plus vaccinée dans l’Ouest et le Nord et en retard dans le Sud-Est, la couverture vaccinale est meilleure dans les villes qu’aux périphéries et est plus forte dans les communes les plus aisées que dans les plus défavorisées.

Un écart qui ne relève pas majoritairement de l’hésitation ou de l’opposition, selon Stéphane Peu: “La Seine-Saint-Denis est le département le plus contaminé et le moins vacciné, pas parce qu’il y a plus d’antivax. Dans ce département, 30% des habitants n’ont pas de médecin traitant”, insiste le député communiste. La Suite Après Cette Publicité

“La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Les nouvelles mesures comportent ainsi le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités”, souligne la Défenseur des droits, Claire Hédon, qui s’interroge “sur les moyens supplémentaires qui seront mis en place pour toucher les personnes en situation de pauvreté”.

Lundi, l’Ordre des médecins s’est également “vivement” inquiété “des conditions de la mise en œuvre” du pass sanitaire dans les établissements de santé “qui ne doit pas priver des patients de soins”. Une étude de la Dress (le service statistique des ministères sanitaires et sociaux), parue en juillet, montre que les personnes pauvres ont trois fois plus de risques de renoncer à des soins que les autres.

“Il faut plus de moyens pour aller vers ces personnes et les convaincre”, insiste Franck Dubois, responsable des solidarités familiales au Secours catholique. “Le pass sanitaire enfante les inégalités: les pouvoirs publics, en voulant nous protéger, ne font que les accroître.”