Contrôles : ce que les forces de l’ordre ont le droit (ou pas) de faire – Etat d’urgence sanitaire-

Publié sur franceinter.fr par Ariane GriesselLorélie Carrive le 1 avril 2020 

Policiers et gendarmes ont-ils le droit de regarder ce qu’il y a dans mon cabas ? Est-ce à eux d’évaluer ce qui est ou non de première nécessité ? Ont-ils le droit de me raccompagner chez moi ?
lls sont chargés de veiller au bon respect des mesures de limitation de nos déplacements :  sur l’ensemble de la France, policiers et gendarmes ont déjà dressé quelque 359 000 procès verbaux pour non respect du confinement, a annoncé ce mercredi 1er avril le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner.

Mais dans le même temps, des témoignages ubuesques fleurissent sur les réseaux sociaux, dénonçant des contrôles jugés abusifs. Bien qu’appelés à faire preuve de « discernement », certains membres des forces de l’ordre profiteraient-ils du flou généré par cette situation nouvelle pour abuser de leur autorité ? Tour d’horizon de ce qui leur est permis de faire, et de ce qui ne l’est pas.

Policiers et gendarmes ont-ils le droit de regarder ce qu’il y a dans mon cabas/sac/chariot ?

Comme le rappelle l’Observatoire parisien des libertés publiques dans un document très étayé, un policier ou un gendarme n’a pas le droit de vous fouiller d’office, ni même d’inspecter vos affaires : pour contourner cet obstacle, les forces de l’ordre vous demanderont donc d’ouvrir vous-même votre sac, ou de sortir les objets contenus dans vos poches.

Dans la situation où vous venez de faire des courses par exemple, vous êtes alors tenu de présenter le contenu de vos sacs, « afin de justifier votre achats de produits de première nécessité », nous explique-t-on sur le tchat spécialement mis en place par la police nationale le temps de la crise sanitaire.

Est-ce à eux d’évaluer ce qui est ou non de première nécessité ?

Cette observation amène à une autre question : qu’est-ce qu’un produit de « première nécessité » ?

Je suis sortie acheter des serviettes hygiéniques et là un flic m’arrête et veut me verbaliser parce que c’est pas « vital » ? Donc des gens qui font la queue sur 50m pour des clopes, c’est ok, mais une nana qui veut acheter des tampons c’est un scandale ???????

— Maurice Lafeuille (@buesheel) March 23, 2020

Le décret publié au Journal officiel ne précise pas ce point. Nous avons donc de nouveau posé la question sur le tchat de la police nationale. Voici la réponse obtenue :

« La vérification des denrées alimentaires et la désignation des biens de première nécessité sont des critères subjectifs et incontrôlables. Il suffit de présenter son attestation correspondant au motif de la sortie temporaire du confinement et de l’achat de denrées »

L’Observatoire parisien des libertés publiques va plus loin : « Une contravention qui se fonderait sur l’absence de nécessité du bien acheté pourrait être contestée, pour absence de prévisibilité de l’infraction ».

Autrement dit, le décret pris par le gouvernement décide des magasins qui peuvent rester ouverts et de ceux qui doivent fermer. Dès lors, la police n’a pas son mot à dire sur ce que vous y achetez.

Ont-ils le droit de me demander la raison de mon déplacement à la pharmacie ou chez le médecin ?

Tout comme à votre retour du supermarché, les membres des forces de l’ordre qui vous contrôlent peuvent vous demander ce que vous avez acheté à la pharmacie, « afin de vérifier que vos achats sont en accord avec votre attestation », nous dit la police.

Concernant votre visite chez le médecin, le décret du 23 mars restreint les déplacements autorisés aux consultations ne pouvant être différées ou assurées à distance. Si votre consultation n’est pas annulée, il vous faut cocher la case « motif de santé » de votre attestation de déplacement, éventuellement en précisant sur la feuille le nom du praticien qui vous suit. Une convocation peut également faciliter les choses, mais en aucun cas, vous n’avez à divulguer aux forces de l’ordre la raison de votre visite chez le médecin. Ce que confirme la police nationale sur son tchat :

Question posée sur le tchat mis en place par la police nationale / Capture d’écran

Ont-ils le droit de me raccompagner chez moi pour s’assurer que je retourne bien à mon domicile ?

Oui, nous explique-t-on du côté de la police. Aucun texte ne les en empêche, en tous cas.

Quelles démarches si je veux contester ?

Pour rappel, l’amende pour non respect du confinement démarre à 135 euros. Si vous souhaitez la contester, vous avez 45 jours pour le faire, 30 jours s’il s’agit d’une amende majorée. Une fois la contravention reçue dans votre boite aux lettres, il vous est possible de renvoyer le formulaire par voie postale ou bien de vous connecter directement sur le site internet de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions.

En cas de contestation, l’Observatoire parisien des libertés publiques insiste sur l’importance, si possible, de trouver un témoin, et surtout de ne pas payer l’amende, ce qui reviendrait à accepter la contravention. Il dit noter une « multiplication » des cas litigieux, notamment sur les réseaux sociaux, mais juge qu’il est encore trop tôt pour dire que les abus sont systématiques.

Les autorités, elles, reconnaissent parfois des maladresses, mais appellent à tenir compte du contexte. « Une personne qui passe dix fois acheter un article, même de première nécessité, ça fait beaucoup », explique-t-on du côté de la police.

Dans les squats de Bordeaux, « les personnes vont mourir de faim, pas du Covid-19 » (le Monde)

Article publié sur lemonde.fr  jeudi  avril 2020

Dans les squats de Bordeaux, « les personnes vont mourir de faim, pas du Covid-19 »

Dans les bidonvilles et squats de Bordeaux, les quelque 2 500 habitants, qui se retrouvent souvent sans emploi, craignent le manque de nourriture.

« Alors, deux baguettes, six bananes, une boîte d’œufs, trois tomates, un filet de patates… Reculez ! Reculez ! » La file indienne s’est transformée en un serpentin confus. Une bénévole tente de maintenir un semblant d’ordre tandis qu’une quinzaine de personnes essayent d’avancer vers elle. Certaines se cachent le bas du visage avec un bout d’écharpe ou le col d’une doudoune. Personne n’a de masque ni de gants. Les enfants gigotent dans les poussettes.

Face à eux, des stocks de pâtes, des cageots d’asperges, des boîtes de céréales… entreposés sur des grandes tables, que tente de répartir un petit groupe de personnes, dans l’agitation et la nervosité. Mercredi 1er avril, dans le plus grand bidonville de Bordeaux, une distribution de nourriture a été organisée. Une première, rendue nécessaire en cette période de confinement.

Etalés sur deux hectares d’une friche industrielle de la rive droite de la Garonne, les lieux abritent quelque 350 personnes, en majorité des familles roms de Bulgarie, installées dans des caravanes ou des cabanes de fortune. Et qui redoutent aujourd’hui une pénurie alimentaire.

Les chantiers du bâtiment sont à l’arrêt, les hôtels et restaurants sont fermés, les activités de ferraillage et de mendicité sont rendues impossibles par le confinement, de même que les points d’aide alimentaire se sont raréfiés… « On ne peut plus travailler, ni sortir », rapporte Kalinka, une jeune femme de 19 ans. Elle-même ne s’est pas aventurée en dehors du bidonville depuis trois semaines. « Pour nous, c’est difficile de manger », reconnaît-elle. Kalinka faisait la manche en attendant que la saison agricole reprenne. De mai à octobre, la jeune femme et son mari travaillent dans un domaine viticole de l’appellation Pessac-Léognan. Mais cette année, l’incertitude menace : « Pour l’instant, le patron ne veut pas nous faire signer de nouveau contrat », confie-t-elle.

Bricolage

« Les personnes nous alertent parce qu’elles vont mourir de faim, pas du Covid-19 », résume Morgan Garcia, coordinateur de la mission squat et bidonville de Médecins du monde (MDM), présent mercredi aux côtés des associations Les enfants de Coluche et Bienvenue. « Tout ce joli monde s’est regroupé au travers d’un appel de la métropole, explique un des membres des Enfants de Coluche. Le comité d’entreprise de la SNCF nous a mis ses locaux à disposition pour stocker les aliments et le Parti communiste de Bègles a loué un camion frigorifique. » Plusieurs tonnes de denrées, surtout issues des banques alimentaires, ont été distribuées. De quoi tenir quelques jours. « C’est une situation exceptionnelle », souligne Morgan Garcia. Mais elle se reproduit à de maintes reprises sur le territoire.