En Birmanie, les Rohingyas victimes d’un génocide, estiment les États-Unis

Publié sur le site information.tv5monde.com le 21/03/2022

21 MAR 2022 Mise à jour 21.03.2022 à 17:21 par Matthieu Vendrely AFP

L’armée birmane a-t-elle commis un génocide de la minorité Rohingya ? Oui, estiment les États-Unis. L’annonce de cette reconnaissance a été faite le 21 mars par le chef de la diplomatie américaine, lors d’une visite au musée de l’Holocauste à Washington.

En décembre 2021, en visite en Malaisie, Anthony Blinken l’affirme : les Etats-Unis cherchent « très activement » à savoir si le traitement de la communauté rohingya pourrait « constituer un génocide« .

Cinq mois plus tard, Washington semble avoir obtenu les réponses à ses interrogations. La reconnaissance du génocide des Rohingyas a été officialisée à l’occasion d’une exposition qui leur est consacrée au Musée de l’Holocauste, à Washington.

Des centaines de milliers de Rohingyas -musulmans- ont fui la Birmanie – majoritairement bouddhiste- après une répression militaire en 2017. Un rapport publié par le département d’État en 2018, cité par CNN, décrivait la violence contre les Rohingyas dans l’État Rakhine, dans l’Ouest de la Birmanie, comme « extrême, à grande échelle, généralisée et apparemment destinée à la fois à terroriser la population et à chasser les résidents rohingyas« . 

Aujourd’hui, environ 850.000 Rohingyas se trouvent dans des camps au Bangladesh voisin de la Birmanie et 600.000 autres membres de la communauté sont demeurés dans l’Etat Rakhine en Birmanie. 

Ces dernières semaines, des centaines de Rohingyas ont également accosté en Indonésie.

La situation ne s’est pas améliorée au cours des derniers mois. Le 15 mars dernier, un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme portant sur la période ayant suivi le putsch du 1er février 2021 a accusé l’armée birmane de possibles crimes contre l’humanité et crimes de guerre depuis le coup d’Etat et appelé la communauté internationale à prendre immédiatement des mesures. Le rapport de l’ONU fait état de 1600 tués et plus de 12000 arrestations. 14 millions de Rohingyas auraient aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire d’urgence, mais l’acheminement de cette assistance reste largement bloquée par l’armée, selon les Nations unies.

Quelles conséquences ?

Le chef de la diplomatie américaine n’a pas accompagné cette reconnaissance de nouvelles sanctions contre la Birmanie.

Les États-Unis ont déjà imposé une série de sanctions aux dirigeants birmans et, à l’instar d’autres pays occidentaux, restreignent depuis longtemps leurs exportations d’armes pour les militaires birmans, lesquels ont été accusés avant même le coup d’Etat militaire du 1er février 2021 de crimes contre l’humanité pour leurs exactions envers les Rohingyas.

Le sort de la minorité rohingya ne fait plus la une des journaux ces derniers mois. Elle préoccupe néanmoins. Le dossier est notamment entre les mains de la Cour internationale de justice (CIJ, basée à La Haye, aux Pays-Bas) à l’initiative de la Gambie qui a porté plainte contre la Birmanie dès 2019.

Sur la Birmanie lire les articles suivants:

Rapport de la commission Duclert sur l’extermination des Tutsis en 1994

Malgré la responsabilité de la France la commission considère qu’il n’y a aucune complicité des autorités françaises. La complicité avec les génocidaires est pourtant pointée dans cet article paru dans liberation.fr

Génocide au Rwanda: la France responsable mais pas complice

Publié sur liberation.fr le 26 mars 2021 par Maria Malagardis

Le rapport de la commission Duclert sur l’extermination des Tutsis en 1994 a été remis à Emmanuel Macron vendredi. Les historiens pointent le rôle accablant de Paris et de responsables politiques, dont François Mitterrand.

«Que ça vous plaise ou non, ce qui s’est passé au Rwanda fait partie de l’histoire de France», souligne l’un des personnages de Murambi, le livre des ossements, le roman que l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a consacré au génocide, en 1994, des Tutsis du Rwanda. De fait, c’est bien une «histoire rwandaise de la France» qu’évoque le rapport de la commission Duclert, utilisant d’ailleurs cette expression dans ses conclusions.

Constituée d’une quinzaine d’historiens et présidée par Vincent Duclert, un spécialiste de l’affaire Dreyfus, elle a remis vendredi son rapport au président Macron. Depuis deux ans cette équipe avait été chargée d’éplucher les archives françaises sur le Rwanda, même les plus confidentielles, gardées depuis plus d’un quart de siècle au sein de différentes administrations. Un tel accès illimité était d’emblée inédit et répondait aux incessantes demandes, depuis plusieurs années, de tous ceux qui en France souhaitaient mieux connaître, ou comprendre, une page sombre de l’histoire commune des deux pays : cette période, entre 1990 et 1994, où Paris sera le principal allié d’un régime dont les dérives vont conduire à l’avant-dernier génocide du XXe siècle (avant celui de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine).

Moins de frilosité

Certes, nombreux sont ceux qui auraient préféré un accès ouvert à tous des archives qui concernent un sujet aussi important impliquant notre pays dans une «solution finale africaine». Le choix de désigner plutôt une commission a pu paraître biaisé, mais il faut reconnaître à Emmanuel Macron d’avoir eu moins de frilosité que ses prédécesseurs qui ont tous refusé d’ouvrir cette boîte de Pandore. Et malgré les soupçons initiaux, la commission Duclert a su établir un constat qui aura valeur historique, désignant sans détour «les responsabilités, lourdes et accablantes» de la politique française menée au Rwanda.

La France s’est «longuement investie aux côtés d’un régime qui encourageait les massacres racistes», constate le rapport qui reprend l’enchaînement chronologique qui mène de l’intervention militaire en faveur d’un régime menacé par l’irruption d’une rébellion tutsie en 1990, jusqu’à la fin 1994. Il couvre ainsi dans la foulée la période du génocide – avec l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994- et de l’intervention, en juin, de l’opération Turquoise, si souvent soupçonnée d’avoir été déclenchée quand les massacres s’achèvent, pour venir en aide à l’armée génocidaire alors en déroute.

La commission relève une «impression d’enfermement des autorités françaises dans des logiques avec lesquelles, la rupture s’avère difficile même pendant la crise génocidaire». Et dénonce l’obsession des décideurs de l’époque, pour lesquels, même pendant le génocide, la seule vraie menace est représentée par cette rébellion tutsie du Front Patriotique Rwandais (FPR), associée à l’influence anglo-saxonne, puisque ce mouvement composé d’enfants d’exilés tutsis a été créé dans l’Ouganda anglophone.

Responsabilité personnelle de Mitterrand

Alors que le FPR est le seul à se battre contre les forces génocidaires, cette perception ne change pas. Et confirme une «lecture ethniste» de la situation au Rwanda, déniant tout rôle politique légitime à une minorité: les Tutsis ou le FPR. Mais de cette façon, Paris épousait de facto la thèse des extrémistes hutus qui vont commettre le génocide au nom du «peuple majoritaire».

Au fond, c’est une idéologie empreinte de relents colonialistes et racistes qui a conduit la France à se fourvoyer au Rwanda. On le savait déjà. Beaucoup de livres et d’études ont été publiées à ce sujet. Mais le fait qu’une commission française l’admette marque un changement. De même en dénonçant la «désinformation» qui a visé le FPR, le 6 avril 1994, au moment où l’avion du président Habyarimana est abattu, donnant ainsi le signal du génocide orchestré par les faucons de son camp, le rapport Duclert tranche avec un storytelling qui s’est longtemps imposé en France tendant à rendre le mouvement rebelle responsable de cet attentat.

Bien plus, non seulement le rapport pointe la faiblesse de l’équilibre des pouvoirs en France, qui a permis à un petit groupe au sommet du pouvoir de jouer les apprentis sorciers au Rwanda, mais il souligne également la responsabilité personnelle du président François Mitterrand, et «son alignement sur le pouvoir rwandais». D’autres responsables de l’époque sont également désignés, comme Christian Quesnot, le chef d’état-major particulier de Mitterrand, connu pour ses virulentes positions anti-FPR, et qui au lendemain de l’attentat «ne dit pas un mot sur les assassinats ciblés des opposants hutus et les massacres systématiques des Tutsis» préfigurant le début du génocide.

Regard un peu naïf

Vendredi, à l’Elysée on ne manquait pas de souligner combien le travail de la commission Duclert marque une étape historique, alors que jamais «on n’a été aussi loin dans la qualification du rôle de la France». Le diable se niche dans les détails et il faudra du temps avant de digérer les 1 200 pages du rapport pour en mesurer l’impact réel. Mais d’ores et déjà, quelques lacunes se dessinent. En affirmant que la France avait mené «une politique pour le moins passive en avril et en mai 1994», pendant le génocide, tout en reconnaissant qu’elle avait mis du temps à se dissocier du gouvernement extrémiste créé après la mort de Habyarimana dans les locaux de l’ambassade de France, la commission fait l’impasse sur des archives qu’on connaît déjà.

Celles-ci évoquent notamment la visite de hauts gradés rwandais, notamment en mai, reçus à Paris et auxquels on aurait promis soutien militaire et financier, tout en discutant tranquillement de la meilleure façon de retourner l’opinion internationale. De la même façon, la commission n’a visiblement rien trouvé de très accablant contre l’Opération Turquoise, mentionnant comme une évidence «les consignes très strictes de neutralité vis-à-vis des belligérants». Sauf qu’il ne s’agit pas d’une guerre civile mais d’un génocide.

Les historiens portent également un regard un peu naïf sur le sommet de la Baule au cours duquel, en 1990, François Mitterrand avait soudain lié aide financière et démocratisation. Le fait qu’aucun d’entre eux ne soit africaniste explique peut-être cette acceptation de l’histoire officielle, alors même que les grands principes de la Baule n’ont jamais empêché l’Elysée de continuer à soutenir nombre de régimes autoritaires sur le continent.

Enfin, tout en reconnaissant de graves responsabilités dans la gestion de la crise rwandaise, la commission écarte le soupçon de complicité, affirmant n’avoir rien trouvé dans les archives qui indiquerait une compromission directe dans le génocide. Mais accueillir à Paris des génocidaires et leur prodiguer des conseils ne suggère-t-il pas une forme de «complicité» ? Et l’ancien gendarme de l’Elysée Paul Barril a bien signé des contrats d’armements et de soutiens militaires avec les forces génocidaires. Il est d’ailleurs visé par une plainte pour complicité de génocide depuis 2013. «Les archives françaises ne suffisent pas à elles seules à rendre compte de façon exhaustive de l’histoire du rôle et de l’engagement de la France au Rwanda», reconnaît le rapport de la commission, qui suggère également avoir été empêchée d’accéder à certains fonds d’archives et n’hésite pas à dénoncer «un certain état d’esprit régnant au plus haut sommet de l’Etat» qui a pu «gêner» certaines recherches.

Crimes environnementaux en Amazonie

Brésil: l’orpaillage illégal, venu du Suriname, menace des villages indigènes du Pará

Publié sur blogs.mediapart.fr 13 OCT. 2020PAR PINDORAMABAHIAFLANEUR

Dans les reculées terres indigènes Tumucumaque, dans l’est du Pará, l’orpaillage illégal est déjà une menace. Une large zone d’exploitation a été découverte il y a quelques semaines et sème la panique parmi les communautés habituées à suivre à distance l’avancée des crimes environnementaux, ailleurs au Brésil. Traduction, manuelle, d’un reportage de The Intercept Brasil (TIB).

Un territoire isolé à l’extrême nord du Brésil, où se trouve une base militaire et n’est accessible que par avion affrété. Même là-bas, sur les terres indigènes de Tumucumaque, au Pará, l’extraction de l’or est déjà une menace. La zone minière illégale, qui exploite l’or, a été découverte il y a quelques semaines au Suriname et sème la panique dans une communauté habituée à suivre à distance la progression des crimes environnementaux dans d’autres régions du pays.

« Nous pensions que [l’orpaillage illégal] n’arriverait pas jusqu’ici et nous constatons que cela arrive et que cela affecte des proches tant ici au Brésil qu’au Suriname. Ils pratiquent l’orpaillage, et nous pensons que c’est illégal, parce que la rivière est sale et que les gens sont armés, ils se cachent et maintenant ils ont apporté des quads et des tronçonneuses », m’a dit Mitore Cristiana Tiriyó Kaxuyana. Elle vit dans la mission Tiriyó, le plus grand village sur la terre indigène, avec 3 millions d’hectares occupés par environ 1.700 personnes des ethnies Tiriyó, Katxuyana et Txikyana.

En dépit d’être dans le pays voisin, l’exploitation minière est très proche de la frontière et dans une zone centrale des communautés. Sur les trente-quatre villages, installés sur les marges des rivières Paru de Oeste et Marapi, vingt-trois sont dans un rayon allant jusqu’à quarante kilomètres des zones illégales d’extraction minière. Pour aggraver les choses, les garimpeiros envahissent fréquemment le territoire brésilien pour chasser, selon les peuples autochtones.

Le récit figure dans une lettre du Conseil des chefs et dirigeants autochtones Tiriyó, Kaxuyana et Txikuyana (CCLTKT), datée du 1er octobre 2020. Dans le document, des images aériennes enregistrées par des peuples autochtones du Suriname le 30 septembre 2020 étaient jointes. Les photos montrent le camp de mineurs à côté d’une piste d’atterrissage. Il est également possible de voir le lit de la rivière en cours d’exploration, teinté d’une couleur sombre.

Les villages les plus proches, à seulement huit kilomètres de la mine, sont ceux de Turunkane et de Mesepituru, où vivent une dizaine de familles. Selon le chef ( » cacique « ) du village de Mesepituru, Zaqueu Tiriyó, les avions survolent fréquemment la région. « De votre village, vous pouvez même voir l’éclairage la nuit. Ils ont vu des structures de tentes, des moteurs, des débroussailleuses, de l’eau, dans le camp installé près de la piste d’atterrissage », a noté le CCLTKT dans la lettre.

Le mardi 6 octobre 2020, l’Organisation autochtone du Suriname, l’OIS, a accompagné une délégation du gouvernement surinamais sur le site. Selon l’OIS, deux hommes ont été arrêtés et emmenés dans la capitale Paramaribo pour faire leurs dépositions. La délégation est restée un peu plus d’une heure sur le site et n’a trouvé aucune preuve d’activité minière aurifère. L’armée brésilienne, en revanche, dit qu’elle s’est rendue sur le site et n’a trouvé aucun envahisseur, tandis que la Funai [dont le dernier président a été nommé par Bolsonaro] n’a pas répondu à notre équipe de reportage.

Mais pour Rodrigo Cambará, un fonctionnaire de l’Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité, l’ICMBio, avec une expérience dans la lutte contre l’exploitation minière en Amazonie, il ne fait aucun doute que quelqu’un extrait du minerai sur le site. « Cette couleur de l’eau du fleuve est typique de l’exploitation minière alluviale, où l’or est mélangé dans la zone, dans le sable au bord du fleuve », garantit Cambará, qui a déjà coordonné l’une des unités de conservation les plus problématiques du pays, la forêt nationale de Jamanxim, dans l’Etat du Pará.

Pour lui, les machines doivent être cachées quelque part plus haut sur la rivière, et les arrestations ne signifient pas que le problème est résolu. « Ces gars-là ne font pas un point sans un nœud. Nous arrivons souvent à ces endroits et n’avons que deux ou trois personnes, les autres ont fui. Ces deux ou trois sont là pour nous faire penser que l’opération a réussi et nous lâchent ».

Pour Mitore Kaxuyana, la plus grande crainte est la contamination de l’eau des villages par le mercure. « Cette rivière arrive sur notre territoire et peut contaminer la rivière Paru do Oeste, infectant nos proches qui sont plus au sud », m’a-t-il dit. La rivière qui apparaît sur les photos est la Mamia, qui naît sur la montagne du même nom, selon Aventino Nakai Kaxuyana Tiriyó, président de l’Association des peuples autochtones de Tiriyó, Kaxuyana et Txikuyana. « C’est la montagne qu’ils explorent et elle se trouve juste à la frontière des deux pays. Certainement, après avoir exploité tout l’or de l’autre côté, ils voudront exploiter ce côté-ci », poursuit-il.

La base militaire doit protéger la frontière
À moins de 2 km en ligne droite de la  » mission  » Tiriyó, où réside Mitore Kaxuyana, se trouvent une base de l’armée de l’air brésilienne (avec une piste d’atterrissage) et le Pelotão Especial de Fronteira (1° PEF) composé de 50 hommes. Le 1er PEF est à 30 km au nord-est de l’exploitation minière. Dans la lettre adressée aux autorités brésiliennes, les chefs demandent « l’envoi d’urgence de personnel militaire dans cette zone frontalière, avec la création d’un camp militaire pour le soutien et la protection des familles indigènes du village de Mesepituru ».

Le Commandement militaire du Nord (CMN) a indiqué que « l’armée avec des troupes du PEF a récemment patrouillé sur le site et qu’à l’époque la présence d’étrangers illicites et d’orpailleurs n’a pas été identifiée », notant que « la zone est entièrement située sur le territoire du Suriname, ce qui rend plus difficile l’obtention de données plus précises ». Toujours selon le CMN, il y aura une augmentation du nombre de militaires et « des liens seront établis avec les agences fédérales du pays voisin pour renforcer la sécurité dans la région ». L’ambassade du Suriname au Brésil n’a pas répondu à notre questionnement.

Pour Angela Kaxuyana, de la Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne (COAIB), l’armée met trop de temps à agir. « Ce qui nous rend le plus perplexe, c’est qu’il s’agit d’un territoire situé dans une zone frontalière, où il y a la présence d’un peloton de militaires, ce qui devrait au moins être un facteur intimidant pour les illicites dans la région. Mais ça n’en a pas l’air », se plaint-il.

La présence des forces armées à Tumucumaque est ancienne : elle remonte aux années 1960, lorsque les premiers contacts ont été établis avec les peuples de la région. La dictature voulait « civiliser » les indigènes – ce qui serait fait par les prêtres franciscains, toujours présents dans la mission – et les préparer à « s’intégrer dans la société brésilienne ». L’intégration se ferait via la  route BR-163, qui traverserait le nord du Pará jusqu’au Suriname. Les travaux ont cependant été stoppés à la hauteur de Santarém, sur les rives du fleuve Amazone.

En 2019, le projet de construction de la route a été relancé par le gouvernement de Jair Bolsonaro, afin de contenir une série de « menaces », comme une invasion improbable des Chinois par le Suriname. Aucune de ces menaces prévues, cependant, n’était celle de l’exploitation minière – la plus réelle de toutes, comme cela a maintenant été prouvé.

La paranoïa des invasions par le nord s’exprimait par la voix du général Maynard Marques de Santa Rosa, alors secrétaire spécial aux affaires stratégiques de la présidence de la République. Lors d’une réunion tenue en avril 2019 au siège de la Fédération de l’agriculture et de l’élevage du Pará, à Belém, Maynard Marques de Santa Rosa a accusé la Chine de promouvoir une politique d’immigration de masse vers le pays voisin, comme forme d’occupation de la frontière avec le Brésil. Une autre justification de la construction de la route serait la prétendue campagne mondialiste des ONG internationales pour l’occupation de l’Amazonie.

L’extension de la route fait partie d’un projet plus large, le « Barão de Rio Branco », qui comprend aussi la construction d’une centrale hydroélectrique à Oriximiná et d’un pont sur le fleuve Amazonas dans la ville d’Óbidos. Le chantier de tous ces travaux serait le nord du Pará, une superficie de 28 millions d’hectares de forêt pratiquement intacte, de la taille du Royaume-Uni, qui a 80% de son territoire protégé par des unités de conservation, des terres indigènes et des quilombolas. Le tracé prévu pour l’extension de la route BR-163 couperait quatre unités de conservation, six zones de quilombolas et deux terres indigènes – parmi lesquelles Tumutumaque. La route traverserait également la Réserve Nationale de Cuivre et associés, de 46.450 km2, riche en minéraux.

Jair Bolsonaro, qui s’est déjà qualifié d’ « orpailleur dans l’âme », a encouragé les activités illégales en Amazonie. En novembre de l’année dernière, il a reçu un groupe de prospecteurs devant le palais de Planalto et a promis qu’il interdirait l’incendie des machines saisies lors de l’inspection de l’Ibama. En février de cette année, le président a envoyé au Congrès un projet de loi autorisant l’exploitation minière sur les terres autochtones. Deux mois plus tard, trois fonctionnaires de l’Ibama – dont le coordinateur général de l’Inspection de l’environnement, Renê Luiz de Oliveira – ont été disculpés après une opération de l’agence contre les mineurs prospecteurs sur les terres indigènes du sud du Pará.

Nouvelle ruée vers l’or
L’orpaillage est une activité répandue au Suriname. Les estimations indiquent environ quatre mille champs miniers dans le pays, qui est légèrement plus grand que l’Etat du Ceará. Historiquement, cependant, les garimpos sont situés dans la région orientale, près de la frontière avec la Guyane française. Il y a deux raisons à cela. La première est qu’il y a la Greenstone Belt (ceinture de Pierre Verte), une formation géologique particulièrement favorable à la formation de l’or. Deuxièmement, cette partie du pays est plus facile d’accès, car elle possède des routes.

La partie sud, qui a une frontière avec le Brésil, n’est accessible que par avion via la piste d’atterrissage qui apparaît sur l’image aérienne capturée par les peuples autochtones – et qui a été ouverte par le gouvernement du Suriname dans les années 1960. L’exploitation minière qui y est ouverte est illégale, car elle se trouve à l’intérieur de la réserve naturelle de Sipaliwini, et était désactivée pendant environ quarante ans. C’est pourquoi, selon l’Organisation autochtone du Suriname (OIS), les peuples autochtones du pays voisin sont aussi surpris que les Brésiliens.

Derrière la réactivation de l’exploitation aurifère se cache la hausse du prix de l’or, qui rend à nouveau rentables les hauts lieux logistiques. « C’est une région beaucoup plus chère à explorer, car l’accès est très difficile, mais le prix élevé de l’or conduit à une reprise de zones qui n’étaient auparavant pas considérées comme intéressantes », explique Gustavo Geiser, un expert de la police fédérale à Santarém, qui lutte contre les délits environnementaux dans le nord du Pará.

La hausse du prix de l’or est le reflet de la pandémie. L’instabilité des marchés financiers conduit les investisseurs à rechercher des actifs plus sûrs – l’or en fait partie. À mesure que la demande augmentait, le prix augmentait. En douze mois, le prix a augmenté de plus de 25% et, en juillet, a battu un record : 10.000 R$ (1.900 US$) les 31 grammes. Selon une étude de l’Institut Escolhas, au cours des quatre premiers mois de 2020, la valeur des exportations brésiliennes d’or a augmenté de 14,9% par rapport à la même période en 2019 – sans parler de l’exploitation illégale, que personne ne peut estimer. Au cours de la même période, la déforestation résultant de l’extraction de l’or a augmenté de 13,4 % sur les terres autochtones de l’Amazonie brésilienne, par rapport à la même période l’année dernière. L’enquête est de l’ONG Greenpeace, basée sur les données de l’Institut national de recherche spatiale (INPE).

Alors que le crime environnemental se déroule de l’autre côté de la frontière, Gustavo Geiser dit que la police fédérale ne peut rien faire. Pour lui, c’est au gouvernement du Suriname de détruire l’exploitation minière, ce qui doit être fait le plus tôt possible. « Le coût initial de la recherche du filon d’or et de l’ouverture de l’exploitation aurifère est élevé, mais une fois établi, la tendance est de faciliter la tâche des criminels, de voir plus de monde, la logistique est structurée et de là il est de plus en plus difficile de s’en sortir ».

Le bilan est le même que celui de Décio Yokota, coordinateur exécutif adjoint d’Iepé, une ONG qui travaille avec les autochtones de Tumucumaque depuis plus de vingt ans. Il explique que l’extraction de l’or comporte généralement deux phases. La première est la recherche, lorsque les prospecteurs vérifient la quantité d’or qui peut se trouver à cet endroit. Si la mine est prometteuse, de plus en plus de gens viennent. « L’espoir est qu’ils partiront tout de suite, car ils ont découvert que cela n’en valait pas la peine. Mais, si cela commence à rapporter de l’argent, nous verrons rapidement cette affaire tourner », prévient-il.

La perspective est un cauchemar dans une région où la frontière est purement imaginaire. Les peuples autochtones, par exemple, voyagent continuellement entre les deux pays pour rendre visite à leurs proches, car les mêmes ethnies vivent des deux côtés de la frontière.

« La frontière ne fait aucune différence, en particulier pour les peuples autochtones isolés », explique Geiser, se référant aux peuples autochtones qui avaient peu ou pas de contact avec l’homme blanc. Selon les données de la Funai, il existe treize  enregistrements de ces peuples dans le nord du Pará, mais un seul d’entre eux a été confirmé et a son territoire délimité.

Pour Leonardo Lenin, de l’Observatoire des droits de l’homme des peuples autochtones isolés et de contact récent (OPI), ces groupes sont particulièrement vulnérables, soit en raison de leur sensibilité aux maladies, comme le covid-19, soit en raison de leur dépendance totale à la nature. Il craint que ces peuples ne soient dévastés par des projets comme le « Barão de Rio Branco ». Et Leonardo d’ajouter : « il y a un nouveau processus d’occupation de l’Amazonie et des personnes isolées sont sur les tracés en prévision. Comme c’est une région où les enregistrements de groupes isolés ne sont pas confirmés, la crainte est grande qu’ils soient ignorés par ces projets de développement ».

Fernanda Wenzel