Les tests d’âge osseux pour les mineurs étrangers légalisés

Dès 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) préconisait leur suppression, en souligant leur « inadaptation ». Cet avis succédait à celui de la défenseur des droits de l’époque, allant dans le même sens. Plus récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un avis du 24 juin 2014 préconisait de « mettre fin aux pratiques actuelles d’évaluation de l’âge » (source : Le Monde).

Les tests osseux, (lire également ici) qui consistent en une radiographie du poignet et de la main, sont utilisés pour déterminer l’âge d’une personne, singulièrement d’un étranger qui demande l’asile et prétend être mineur. Le résultat du test, basé sur les statistiques, est reconnu par l’ensemble du corps médical comme peu fiable, la marge d’erreur se situant entre 1 et 2 ans. Et comme généralement ces tests concluent à la majorité de l’étranger, cela représente autant d’économies, puisque, s’il était mineur, le jeune entrerait de droit dans les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les conséquences sont donc particulièrement lourdes pour les « mineurs étrangers isolés », arrivés seuls en France après un parcours la plupart du temps dramatique.

Un amendement présenté par les députés Coronado, Molac, Duflot et Mamère, demandait l’interdiction de recourir à ces tests pour déterminer l’âge de ces jeunes : « Art 388-4. – L’évaluation selon la méthode des tests osseux ne peut déterminer la minorité d’un individu. » (source ici).

Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 novembre, la secrétaire d’Etat chargée de la Famille, de l’Enfance, des Personnes âgées, et de l’Autonomie, auprès de la ministre des Affaires sociales, défendait son projet de loi sur la protection de l’enfance : les tests osseux y sont maintenus. Certes, on s’entoure de précautions. Malheureusement, il ne s’agit pas de précautions scientifiques, mais uniquement de précautions de forme : ils ne pourront être réalisés qu’avec un magistrat, et avec le consentement du jeune (le refus vaudra sans doute aveu de « culpabilité »), l’expert qui lira la radiographie se verra demander de « préciser la marge d’erreur qu’il estime » et « le doute sur un résultat devra profiter au jeune en valorisant une présomption de minorité ». « Protection de l’enfance »…

Le réseau Education sans frontière, qui s’occupe des mineurs étrangers isolés, et qui connaît parfaitement le sujet, a publié un communiqué qui dénonce cette pratique. Le voici :

TESTS D’ÂGE OSSEUX : LA PROCEDURE ROSSIGNOL LEGALISEE

Les événements dramatiques du 13 novembre et leurs suites nous ont dissuadés de commenter immédiatement la décision de l’assemblée nationale d’autoriser l’utilisation des tests d’âge osseux sur les mineurs isolés étrangers. Le gouvernement n’avait pas eu cette décence. L’émotion soulevée par les attentats de Paris et St-Denis ne l’a pas empêché de faire adopter par l’assemblée nationale ce qui s’appelle désormais la procédure Rossignol : le détournement d’un examen médical pour réaliser des économies en jetant des enfants à la rue.

Des amendements présentés par des députés de tous les groupes de gauche, communistes, écologistes, radicaux et socialistes demandaient que soit interdit le recours aux tests d’âge osseux pour attribuer un âge civil aux mineurs isolés étrangers. Ces tests comportent en effet, selon toutes les autorités médicales, scientifiques et éthiques, une marge d’erreur de 18 mois à deux ans qui les rend incapables de déterminer avec un minimum de fiabilité l’âge d’un individu entre 16 et 20 ans. Chacun le sait, Madame Rossignol compris. Mais la volonté de faire des économies au détriment d’une population sans défense (de très jeunes gens puisque mineurs, sans famille et sans relations puisqu’isolés et étrangers de surcroit) et une façon sournoise de s’opposer aux immigrés font qu’on ne s’embarrasse pas de ces détails. Au prétexte d’encadrer ces tests, on les inscrit dans la loi.  Les prétendues garanties introduites dans le texte n’en sont évidemment pas. Le fait que le mineur doive donner son accord pour que ces examens soient pratiqués est une amère plaisanterie : les refuser est systématiquement interprété comme un aveu de mensonge et entraîne la mise à la rue immédiate. La ministre le sait, la ministre s’en fout. Les tests osseux ne peuvent être ordonnés que par un magistrat… ce qui était déjà le cas !

Ils ne peuvent être utilisés qu’en dernier recours, soutient Madame Rossignol. C’est faux, chacun le sait, elle la première. Dans les faits, en dehors de la production de documents d’identité, les tests d’âge osseux sont souvent la première et la seule « preuve » de la majorité d’un jeune. Pour la ministre, quand on n’a pas de réponse adaptée à un problème, il suffit d’avoir recours à une solution qu’on sait fausse et malfaisante !

La solution existe pourtant : que les jeunes soient pris en charge quelques mois avec les moyens d’entrer en relation avec leur pays d’origine pour en faire venir les documents établissant leur identité.

La procédure Rossignol est donc pour le moment entrée dans la loi. Des centaines de gamins vont la subir et en payer très cher les effets : mis à la rue avec leur sac du jour au lendemain puisque déclarés majeurs sans aucun secours. L’Aide sociale à l’enfance les chasse comme majeurs mais le 115 et le SAMU social ne les prennent pas plus en charge car leurs documents d’identité les disent mineurs !

Pour autant, la bataille n’est pas finie. De nouvelles actions destinées à dénoncer la procédure Rossignol seront lancées dans les prochains jours

 

 

Nous ne céderons pas : l’appel de 68 associations

Nous ne céderons pas : l’appel est lancé, pour le moment (la liste n’est pas close), par 68 associations. Un appel qui met le doigt sur le danger que court la démocratie dans cette période où la peur (souvent provoquée par les politiques, de tous bords, qui espèrent en tirer bénéfice) sert d’alibi pour saper les fondements de la démocratie, en s’attaquant aux libertés fondamentales. Provisoirement, disent-ils. On connaît bien des mesures provisoires qui durent encore…

Cet appel prouve que, si elle est menacée, la démocratie est bien vivante, et que ses partisans ne sont pas prêts à la brader. Il est finalement une preuve de sa bonne santé.

Certes, il faut faire preuve de courage politique pour ne pas céder aux sirènes des extrémistes de droite qui distillent le venin contagieux. On est en droit de l’exiger des responsables politiques.

Une dernière chose. Il faut lire attentivement la liste des signataires de cet appel. Elle est réconfortante.

Nous ne céderons pas

Ceux qui, au nom de Daech, ont fait subir à Paris et à Saint-Denis un moment d’inhumanité absolue ne nous feront pas céder. Rien ne peut justifier ces assassinats, ici ou ailleurs. Chacune des victimes vit en nous parce que nous appartenons à la même humanité. Notre solidarité à leur égard et à l’égard de leurs familles est totale. Ce crime est immense mais c’est en continuant à vivre librement et fraternellement que notre réponse sera à la hauteur.

Nous ne sommes pas naïfs : nous savons que ces actes de terrorisme appellent des réponses à la mesure du danger qu’ils représentent. Comme nous savons que le rôle des forces de l’ordre et de la justice est essentiel pour protéger nos libertés. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux réponses que notre société doit apporter à ces actes et à celles déjà mises en œuvre.

C’est la démocratie qui est mise à mal quand le Parlement est appelé à délibérer d’un jour à l’autre, sous la pression de l’émotion et les assauts de démagogie de responsables politiques qui cultivent la peur.

Après la prorogation de l’état d’urgence et l’extension des pouvoirs de police, d’autres mesures sont encore annoncées par le président de la République.

Il nous paraît essentiel de rappeler que rien ne doit nous faire sortir de l’Etat de droit et nous priver de nos libertés. L’état d’urgence ne peut devenir un état permanent et les conditions de sa mise en œuvre ne sauraient entraver la démocratie sociale, l’exercice de la citoyenneté et le débat public.

Depuis 1986, les lois accordant plus de pouvoirs aux forces de l’ordre, organisant une justice d’exception et restreignant nos libertés, au prétexte de lutter contre le terrorisme, s’empilent. L’adoption d’autres dispositifs législatifs, y compris d’ordre constitutionnel, exige de poser la question de leur efficacité et de l’atteinte supplémentaire aux libertés qu’ils constituent. Avant de modifier la loi et de conférer à l’Etat des pouvoirs accrus, il faut que celui-ci s’interroge sur ce qui n’a pas permis d’éviter une telle abomination. La réponse des autorités se veut martiale, elle n’est pas une assurance de sécurité et ne garantit en rien le respect de nos libertés.

Vouloir priver de leur nationalité jusqu’aux personnes nées françaises, c’est délivrer une nouvelle fois le message d’une France divisée. Le silence du président de la République, lors de la réunion du Parlement, sur l’indispensable engagement de l’Etat en faveur de l’égalité des droits, de la justice sociale, sur le développement des services publics, contre toutes les discriminations et contre toutes les manifestations de racisme accroît dramatiquement le sentiment d’exclusion que vit toute une partie de notre peuple. Il donne ainsi un peu plus corps à la stigmatisation croissante qui s’exerce mettant en péril notre volonté de vivre ensemble.

Nous voulons que ces dramatiques événements soient, au contraire, l’occasion de construire un autre chemin que celui qui nous est proposé. Un chemin qui refuse de désigner des boucs émissaires et qui refuse que la France soit en guerre contre elle-même. Un chemin qui donne à la paix et à l’égalité des droits toute leur place et qui s’engage en faveur d’une France solidaire, ouverte à l’autre, accueillante, libre et fraternelle.

Pour nos libertés, pour une société où la fraternité a toute sa place, nous ne céderons pas à la peur dans laquelle veulent nous faire vivre ceux et celles qui font de la mort leur raison de vivre.

Nous appelons les femmes et les hommes de ce pays à rester solidaires et à lutter contre toute forme de racisme. Nous appelons aussi à la défense des libertés car nous ferons prévaloir en toutes circonstances notre liberté d’information, d’expression, de manifestation et de réunion. Nos organisations construiront, partout en France, ces lieux qui nous permettront de débattre et nous exercerons une vigilance permanente afin que nos droits et libertés soient préservés et que nul ne soit victime de discriminations.

Premiers signataires :

  1. AFD International,
  2. Agir pour le changement démocratique en Algérie (Acda),
  3. Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort),
  4. Association des Marocains en France (AMF),
  5. Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF),
  6. Association des Tunisiens en France (ATF),
  7. Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip),
  8. Association française des juristes démocrates (AFJD),
  9. Association France Palestine solidarité (AFPS),
  10. Association Grèce France Résistance,
  11. Association interculturelle de production, de documentation et de diffusion audiovisuelles (AIDDA),
  12. Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes (ARDLFM),
  13. Associations démocratiques des Tunisiens en France (ADTF),
  14. Attac,
  15. Cadac,
  16. Cedetim,
  17. Confédération générale du travail (CGT),
  18. Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal),
  19. Collectif national pour les droits des femmes (CNDF),
  20. Collectif 3C,
  21. Collectif des 39,
  22. Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE),
  23. Comité pour le développement et le patrimoine (CDP),
  24. Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT),
  25. Commission islam et laïcité,
  26. Confédération syndicale des familles (CSF),
  27. Collectif des musulmans de France (CMF),
  28. Coordination des collectifs AC !,
  29. Droit au logement (Dal),
  30. Droit solidarité,
  31. Droits devant !!,
  32. Emmaüs France,
  33. Emmaüs International,
  34. Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR),
  35. Fédération nationale de la Libre pensée,
  36. Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH),
  37. Filles et fils de la République (FFR),
  38. Fondation Copernic,
  39. Fédération syndicale unitaire (FSU),
  40. Genepi,
  41. Ipam,
  42. La Cimade,
  43. La Quadrature du Net,
  44. Le Mouvement de la paix,
  45. Ligue des droits de l’Homme (LDH),
  46. Le Gisti,
  47. Les Amoureux au ban public,
  48. Les Céméa,
  49. Maison des potes,
  50. Mamans toutes égales (MTE),
  51. Médecins du monde,
  52. Mrap,
  53. OIP – section française,
  54. Organisation de femmes égalité,
  55. Planning familial,
  56. Réseau éducation sans frontières (RESF),
  57. Réseau euromaghrébin culture et citoyenneté (REMCC),
  58. Réseau Euromed France (REF),
  59. SNPES-PJJ/FSU, Snuclias-FSU,
  60. Syndicat des avocats de France (Saf),
  61. Syndicat national des journalistes (SNJ),
  62. SNJ-CGT,
  63. Unef,
  64. Union des travailleurs immigrés tunisiens (Utit),
  65. Union juive française pour la paix (UJFP),
  66. Union nationale lycéenne (UNL),
  67. Union syndicale de la psychiatrie (USP),
  68. Union syndicale Solidaires

Les perquisitions se multiplient, les abus aussi

Noël Mamère, un des six députés qui n'ont pas voté la prolongation de l'état d'urgence pendant trois mois.

Elles étaient peu nombreuses, les voix qui s’étaient élevées pour oser s’interroger sur les dérives possibles qu’allait vraisemblablement générer l’état d’urgence et ses mesures liberticides. On nous avait dit, « ça n’est rien », juste quelques perquisitions en plus. Et ils étaient encore moins nombreux, les députés qui craignaient ces dérives : seulement 6…

Et ça n’a pas traîné…

« Les dégâts colatéraux », d’abord. Les attaques contre les personnes d’origine maghrébine ont explosé en quelques jours. Les rumeurs les plus folles ont commencé à se répandre, jusques et y compris en zone rurale : rumeur de propos faisant l’apologie des terroristes, de mosquées qui n’existent pas, de personnes qui ont refusé la minute de silence…

Les perquisitions n’ont en effet pas tardé à se multiplier : le 24 novembre, Mediapart recensait « En dix jours, une salve de 1 200 perquisitions administratives [ont été] opérées en France, sur ordre des préfets, aiguillés par les services de renseignement ». Et le journal s’interroge : « pour quelle efficacité ? » (source). « Le gouvernement ne communique surtout pas sur la nature exacte des procédures ouvertes. Car à l’évidence, le millier de « descentes » a essentiellement alimenté les procureurs de la République en infractions dites de « droit commun » (stupéfiants, etc.), qui font déjà leur pain quotidien, et dont la répression ne mérite peut-être pas ces mesures d’exception. Il n’est même pas certain qu’une perquisition administrative ait nourri ces derniers jours les magistrats antiterroristes – questionnés sur ce point, les ministères de l’intérieur et de la justice n’ont pas répondu ». Il y a eu certes des résultats, notamment la découverte d’armes (« 230 armes, dont un véritable arsenal de guerre près de Lyon, et la découverte de stupéfiants dans 77 cas au moins »).

Les « bavures » se multiplient. Certes, il n’y a pas eu mort d’homme, ni de blessés. Mais que d’humiliations ! que de casse dans les maisons et les appartements, portes défoncées, meubles renversés… Que de réputations mises à mal, avec les conséquences qu’on imagine en zone rurale…

Un restaurant de Saint-Ouen l’Aumône a lui aussi fait les frais d’une perquisition musclée : le récit en est fait par le journal Le Monde.

Autre liberté bafouée : la liberté de manifester. La Ligue des droits de l’Homme vient de publier un communiqué à ce sujet :

« La LDH apprend avec consternation que le ministère de l’Intérieur a transmis au procureur de la République les photos de plusieurs personnes qui auraient manifesté, dimanche 22 novembre 2015, en faveur des réfugiés.

Le gouvernement a décidé de mettre à profit l’état d’urgence pour interdire toute manifestation publique. Après avoir interdit la marche qui devait accompagner la COP21, le gouvernement s’engage dans une voie répressive et de la manière la plus inutile qui soit.

Empêcher toute expression sur la voie publique ou autoriser seulement ce qui agrée au gouvernement, c’est porter une atteinte directe à la liberté d’expression que rien ne justifie.

La LDH appelle le gouvernement à respecter le droit de manifester ».

Et la LDH participera, dimanche 29 novembre, à l’initiative de la Coalition climat 21, comme elle l’indique dans un second communiqué :

« La LDH va participer à l’action « chaîne humaine » de la Coalition Climat 21 qui remplacera dimanche prochain à Paris  la marche pour le climat interdite en raison de l’état d’urgence.

Il s’agit de former sur les trottoirs du boulevard Voltaire, de République à Nation, une chaîne humaine de citoyens qui se tiendra sur les trottoirs, sans barrer les rues aux intersections avec le boulevard, qui portera nos revendications à l’ouverture de la COP21. Cette action, qui aura certainement un fort retentissement médiatique, n’est pas illégale et la Préfecture de police, qui en a été avertie, ne s’y est pas opposée ».

Conseil d’Etat : les associations nationales jugées recevables à contester les décisions locales liberticides

C’est une grande victoire que vient de remporter la Ligue des droits de l’Homme : à sa demande, le conseil d’État vient de juger que les associations nationales – c’est le cas de la LDH – sont « recevables à contester les décisions locales liberticides ». Une décision d’une importance majeure, qui va permettre à de nombreuses associations de défense des droits d’agir avec davantage d’efficacité.

Depuis quelque temps, les tribunaux administratifs avaient considéré, dans différentes affaires concernant notamment des communes, les décisions contestées n’entraient pas dans le champ d’action de la Ligue, puisqu’elle est une association nationale, et qu’elle attaquait une décision à portée locale. Les tribunaux ne jugeaient donc pas les affaires concernées sur le fond, mais uniquement sur la forme. Ce qui équivalait à rendre impossible toute action de la Ligue contre un arrêté municipal liberticide par exemple. Ou alors, la Ligue aurait dû revoir ses statuts, et se transformer en confédération de sections ayant chacune statut d’association et personnalité juridique, ce qui était impossible. Les sections de la Ligue ont une autonomie d’action, mais n’ont pas le statut d’association relevant de la loi de 1901.

Voici le communiqué que la Ligue a publié ce mardi 24 novembre pour annoncer cette décision, qui ne concerne évidemment pas qu’elle : toutes les associations de défense des droits étaient concernées par cette interprétation contestable du droit.

LES ASSOCIATIONS NATIONALES JUGÉES RECEVABLES À CONTESTER LES DÉCISIONS LOCALES LIBERTICIDES

Par un arrêt rendu le 4 novembre 2015, la haute juridiction administrative, tout en rappelant le principe selon lequel une association ayant un ressort national n’a pas intérêt à agir à l’encontre d’une décision ayant un champ d’application uniquement local, y apporte une importante exception lorsque la décision contestée comporte des implications, notamment dans le domaine des libertés publiques (CE Sect., 4 nov. 2015, « Association « Ligue des droits de l’Homme » » n° 375178).

Cette décision fait suite à un long contentieux, opposant la LDH au maire de La Madeleine qui avait répandu, dans la presse locale, son souhait de chasser les personnes d’origine rom de la commune et avait cru bon interdire la mendicité puis la fouille de poubelles. La commune avait opposé en défense l’irrecevabilité de la LDH, association nationale, à contester une décision n’ayant d’effets que purement locaux, et avait été suivie par la cour administrative d’appel de Douai.

La LDH, représentée par maître Paul Mathonnet (cabinet Roger-Sevaux-Mathonnet), a porté ce contentieux devant le Conseil d’Etat, qui a donc fait droit à son pourvoi.

Cette importante décision va conforter l’action des associations nationales en lutte contre les mesures liberticides, prises notamment par de nombreux élus municipaux, en leur permettant de contester utilement toutes décisions ayant une incidence sur les libertés, au premier rang desquelles celles visant à exclure de la cité les personnes en situation de grande précarité.

Paris, le 24 novembre 2015

Ligue des droits de l’Homme : « On doit lutter contre le terrorisme sans porter atteinte à nos libertés »

Maître Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme.

La Ligue des droits de l’Homme continue à mettre en garde les hommes politiques contre les risques qu’un état d’urgence mal maîtrisé et non contrôlé par le parlement peut faire courir à la démocratie. C’est le sens de son dernier communiqué, publié ce matin, jeudi 19 novembre :

Comme on pouvait le craindre, le projet du gouvernement de proroger de trois mois l’état d’urgence pose de graves problèmes de libertés publiques et individuelles.

Pendant trois mois, pour les motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, soixante-six millions de personnes pourront :

      • voir la police entrer chez elles de jour et de nuit afin de perquisitionner leur lieu de travail ou leur domicile et prendre une copie du contenu de leur ordinateur ou de leur téléphone mobile. Pour cela, il suffit qu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » ;
      • être assignées à résidence si leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » et se voir interdire d’être en contact avec d’autres personnes présentant la même menace.

Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.

Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.

Ce que le gouvernement veut imposer au Parlement d’adopter à marche forcée illustre bien les craintes déjà exprimées par la LDH : ce qui est ici en cause, ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.

C’était aussi le sens de l’intervention d’Henri Leclerc, avocat, et président d’honneur de la LDH, dans son intervention à France Inter mardi 17 novembre : « Je voudrais que les gens comprennent que l’état d’urgence, ce n’est pas rien » a-t-il martelé (à écouter ici). C’est également le sens de l’interview que Jean-Pierre Dubois (professeur de droit constitutionnel et lui aussi président d’honneur de la ligue des droits de l’Homme) a accordé jeudi 19 à  Jean-Baptite Jacquin, journaliste au Monde : il évoque pour sa part le risque d’une « perte des repères démocratiques » : l’état d’urgence devrait être contrôlé par le Parlement. Tout en reconnaissant que l’état d’urgence est justifié (« Sur le principe, la réponse est oui. On aurait du mal à nier le caractère exceptionnel de la situation »), il s’empresse d’ajouter : « La question est comment on utilise cette possibilité et pour com­bien de temps. Nous comprenons que l’on prenne des mesures exceptionnelles compte tenu de ce qu’il s’est passé le 13  novembre. Mais la tradition républicaine est la proportionnalité et le contrôle. Les mesures doivent être proportionnelles à la situation. Ce qui me dérange est que le président de la République a d’emblée prévenu que le gouvernement demandera une prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Je ne com­prends pas que la durée soit aussi longue, même au regard de la gravité de la situation. Pourquoi donnerait-on un blanc-seing aussi long ? ». Il trouve dans l’interdiction des manifestations liées à la réunion de la COP21 (annoncée par le premier ministre) une illustration de ses craintes : « (…) justifier [cette interdiction] en disant que les rassemblements constituent des cibles est aberrant. Tout est une cible : le métro, les musées, les ministères… On ne va pas arrêter la Nation ! Utiliser une situation dramatique pour museler une expression citoyenne est une voie dangereuse. Et on va le faire devant les caméras du monde entier ». L’interview complète de Jean-Pierre Dubois est à lire ici.

Jean-Pierre Dubois : « Nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Jean-Pierre Dubois, au congrès de la LDH à Reims en 2011.

A en croire les médias, piller le fonds de commerce idéologique de la droite c’est faire preuve d’une « grande habileté politique ». Si tel est le cas, alors, oui, chapeau bas M. Hollande.

Ce pillage, dont le président de la république avait chargé sa créature, M. Macron, de l’accomplir au niveau social et économique, il l’a assumé lui-même, au niveau des libertés et de la « sécurité » devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, lundi. Il avait déjà bien commencé le boulot, avec les lois sécuritaires, il le poursuit aujourd’hui sans vergogne, allant même jusqu’à recycler des propositions de d’Edouard Balladur…

Objectif atteint : Mme Le Pen elle-même salue l’exercice…

Lundi, le congrès, convoqué par le président de la République, s’est réuni à Versailles. « Le Parlement n’est pas encore une Chambre bleu horizon, comme en 1919, puisque la gauche est au pouvoir. Mais il est de toute évidence une Chambre bleue, convertie à la nécessité de la « guerre » et prête à approuver des mesures d’exception », commente Mathieu Magnaudeix dans Médiapart.

Rares sont les voix qui se lèvent pour dénoncer ce que tout le monde aurait dénoncé si cela avait été proposé par la droite.

On en entend cependant quelques-unes. Rafraichissantes. Celle de Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, par exemple. Qui, dans Rue 89, déclare : « nous sommes dans une logique de l’impuissance guerrière ».

Interrogé par  Robin Prudent, qui lui rappelle : « Après les attentats de Charlie Hebdo, vous nous mettiez en garde contre une possible « hystérie sécuritaire », Jean-Pierre Dubois répond : « Après les attentats de janvier, on a entendu dans la bouche de certains gouvernants, notamment Manuel Valls et François Hollande, que nous étions en guerre.

C’est exactement ce que l’on entend de nouveau.

Si on est dans une logique de guerre, les mots n’ont pas beaucoup de sens, parce que personne ne sait comment faire la guerre à des gens qui ne sont pas un Etat. Comment fait-on la guerre à des gens qui ouvrent le feu au hasard avec des armes rudimentaires que l’on peut trouver très facilement ?

Surtout, cela signifie que nous allons vers ce qui est le sort des démocraties en guerre : l’état d’exception.

L’état d’urgence a été proclamé. Dans un premier temps, on peut se dire que c’est une situation exceptionnelle et que l’on ne peut pas y répondre autrement que par des mesures exceptionnelles.

Sauf que quand on regarde bien, l’état d’urgence n’ajoute pas grand-chose à ce qui est devenu permanent. Les mesures antiterroristes, les lois sur le renseignement, on les a déjà, et cela ne fonctionne pas ».

Lisez l’interview de Jean-Pierre Dubois du 14 novembre 2015 par Robin Prudent, ici.

Et relisez son interview du 8 janvier 2015 par Xavier Delaporte ici.

Projets du président de la République : l’état d’urgence en permanence

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme publié lundi 16 novembre dans la soirée, après la déclaration de François Hollande devant le congrès réuni à Versailles.

On ne peut qu’être inquiet des projets du président de la République. La logique de guerre qu’il a mise en avant conduit à modifier en profondeur plusieurs aspects de l’Etat de droit : qu’il s’agisse de la Constitution, de la procédure pénale ou des règles de la nationalité, ou d’autres encore.

Ces mesures, loin d’être limitées dans le temps, vont s’inscrire dans la durée comme l’actuel état d’urgence qui va être prorogé pour trois mois, soit au moins jusqu’au mois de février 2016, sans qu’on en comprenne la raison.

Le peu de précisions apportées par le président de la République quant au contenu exact des réformes envisagées et la rapidité avec laquelle le Parlement est sommé de les entériner atteste que le pouvoir exécutif entend imposer sa vision d’une démocratie où ce dernier l’emporte sur les autres pouvoirs et sur les libertés individuelles.

Cette démarche est d’autant plus inquiétante que le président de la République a observé un silence total sur les causes profondes de la situation actuelle, les échecs observés et ne présente qu’une seule alternative : un pouvoir fort ou le terrorisme, sans se préoccuper d’assurer la cohésion sociale et l’égalité des droits.

La LDH exprime son inquiétude face à des projets délibérés sur injonction, dans la précipitation et usant de l’émotion provoquée par les attentats commis.

D’ores et déjà, elle désapprouve la prorogation de l’état d’urgence et souhaite que les pouvoirs publics ne se contentent pas de faire référence au respect de l’Etat de droit mais qu’ils le respectent effectivement.

Refonder la légitimité de la police

Après les attentats à Paris et Saint-Denis, le 13 novembre dernier, la Ligue des droits de l’Homme mettait en garde le gouvernement contre un aggravation des mesures tendant à limiter encore davantage les libertés publiques, qui, depuis de nombreuses années, n’en finissent pas de subir des attaques au nom de la lutte contre le terrorisme. La dernière attaque consiste à introduire une sorte de « présomption de légitime défense », qui autoriserait la police à faire usage d’une arme alors même que la légitime défense n’est pas établie, mais qu’on a affaire à des personnages tels que des tueurs en série ou des terroristes comme ceux de Paris. Ce projet ne fait pas l’unanimité, y compris dans certains syndicats policiers, qui  estiment que l’arsenal juridique actuel est suffisant pour que les personnels puissent se défendre.

Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient, dans l’éditorial de LDH info, l’organe mensuel de la LDH, sur deux événements récents, emblématiques de ces menaces sur les libertés :

  • Le verdict du procès des policiers impliqués dans le décès des deux jeunes gens dans un site EDF il y a 10 ans ;
  • Le décès de Rémy Fraisse en octobre 2014 sur le site du futur barrage de Sivens.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le procès de la police. Mais ne pas dénoncer les abus, qui sont le fait d’une minorité de personnes, ne peut que contribuer à ternir l’image de la police, notamment chez les jeunes ; et cette rupture entre police et citoyens peut avoir des conséquences tragiques. Comme le dit Françoise Dumont, « Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police ». Dans l’intérêt de tous, y compris des policiers.

Police, l’inquiétant bilan

Editorial de Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme dans le numéro d’octobre de LDH Infos.

Il y a tout juste dix ans, Bouna Traoré et Zyed Benna trouvaient la mort dans un site EDF, et un troisième jeune était grièvement brûlé. Leur crime ? Avoir voulu fuir un contrôle de police. L’annonce de la mort prématurée de ces deux adolescents avait enflammé les banlieues pendant plusieurs semaines. Le procès des deux policiers mis en cause a traîné pendant dix ans, pour aboutir finalement à une décision tragique et scandaleuse : la relaxe définitive.

Ce qui est arrivé le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois renvoie au caractère systémique des contrôles d’identité abusifs et à leur impact dévastateur sur les personnes contrôlées. Ce n’est pas une coïncidence si l’Etat vient de contester cinq arrêts de la cour d’appel de Paris, le condamnant pour « faute lourde » pour cinq contrôles d’identité reconnus comme ayant été effectués « au faciès ». Le gouvernement avait l’opportunité de tirer les conséquences des décisions de la cour d’appel de Paris en introduisant, comme nous le demandons de longue date avec d’autres, un système de récépissé des contrôles et une modification du cadre législatif qui les autorise. Au lieu de cela, il s’est pourvu en cassation. Ce pourvoi était prévisible mais il reflète un choix : celui de laisser perdurer, pire, de légitimer des pratiques policières discriminatoires, au rebours des engagements du candidat Hollande. Il faudra expliquer comment une telle démarche peut être compatible avec la lutte contre le racisme, pourtant proclamée « grande cause nationale » pour 2015.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre 2014, il y a tout juste un an, Rémi Fraisse trouvait la mort sur le site du barrage de Sivens. Cette mort ne suscita pas les mêmes explosions de violence que celle de Zyed et Bouna. Alain Finkielkraut n’eut pas l’occasion de parler de « pogrom antirépublicain » ou de « conflit ethnico-religieux », mais on se souvient avec colère des réactions officielles au lendemain du drame. Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils tenté de dissimuler, de nier parfois jusqu’à l’évidence, la réalité des faits ? Pourquoi avoir attribué cette mort à la violence « démesurée » des manifestants antibarrage, victime comprise ? La LDH a alors constitué une Commission d’enquête citoyenne visant à faire la lumière, toute la lumière, sur ces événements. Mobilisant une vingtaine de personnes, cette Commission a procédé à une trentaine d’auditions auprès des protagonistes directs ou indirects de ce drame. Ce travail d’investigation a abouti à la rédaction d’un rapport qui dresse un bilan accablant de ce qui s’est passé, mais qui formule aussi un certain nombre de préconisations.

La LDH, en cette affaire, a joué pleinement son rôle de vigile et de contre-pouvoir. Sa démarche, hier comme aujourd’hui, n’est évidemment pas de dresser le procès des forces de police qui accomplissent souvent un travail difficile dans des conditions dégradées. Elle s’est toujours battue pour la mise en place d’une police républicaine qui joue pleinement son rôle de protection de l’ensemble des citoyens. Force est pourtant de constater qu’on en est loin. On le mesure à voir ces images de forces de l’ordre repoussant violemment les avocats du palais de justice de Lille, ou lorsque les syndicats de policiers appellent à manifester sous les fenêtres de la garde des Sceaux, au prétexte que la politique pénale serait laxiste et la justice hors des réalités.

Il y a urgence à refonder la légitimité des services de police. Il y a urgence à instaurer un débat public avec la population sur les conditions démocratiques de la sécurité. Car la dégradation du climat est bien celle de la démocratie elle-même. Les déclarations martiales et autres bombements de torse à l’Assemblée nationale ne sont pas à cet égard de bon augure.

Ils pourraient n’être que pathétiques ; au vu du bilan et des enjeux, ils sont inquiétants.

La leçon de morale donnée à Mme Morano par un jeune Français d’origine sénégalaise

Seydi Diamil Niane est un jeune Français d’origine sénégalais, doctorant en islamologie à l’université de Strasbourg. Les propos infâme prononcés par Mme Morano dans l’émission « On n’est pas couché », la semaine dernière, l’ont profondément choqué. Il a donc écrit une lettre ouverte à la femme politique qui nous a depuis longtemps habitués à ses saillies composées essentiellement d’inepties, de grossièretés, de mensonges, le plus souvent teintés de xénophobie et de racisme, et toujours d’une vulgarité inégalable. On peut lire le texte d’intégral de sa lettre ici.

Un passage de cette lettre nous interpelle particulièrement à la veille du bistrot de l’histoire consacré au massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française, en 1945 à Thiaroye : Seydi Diamil Niane met en parallèle ce drame dont  la France peine à reconnaître la responsabilité et les propos de Mme Morano. Les voici :

« (…) Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benot, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benot que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroy, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes […] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »

 Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable. (…) ».

En quelques phrases, Sydi Diamil Niane montre l’actualité de ce drame, et l’importance qu’il y à à empêcher qu’il sombre dans l’oubli. Raison de plus pour assister au Bistrot de l’histoire, ce vendredi 2 octobre à partir de 18h à la salle des fêtes de Trévé ! Lire ici pour en savoir plus.