LDH-66 – Pyrénées Orientales

TRIBUNE COLLECTIVE « LES DROITS DES INVESTISSEURS NE DOIVENT PAS ÊTRE MIEUX PROTÉGÉS QUE CEUX DES CITOYENS OU DE LA PLANÈTE », PUBLIÉE DANS LE MONDE

TRIBUNE

 

Chargement de containers sur un cargo français dans le port de Singapour, le 19 février 2018.
Chargement de containers sur un cargo français dans le port de Singapour, le 19 février 2018.

 

Dans une tribune au « Monde », 27 associations, syndicats et ONG, dont la Ligue des droits de l’Homme appellent les députés européens à rejeter un projet d’accord commercial entre l’UE et Singapour, comparable au très contesté Ceta.

Dans la lignée du CETA, les eurodéputés doivent se prononcer le 13 février sur un nouveau traité de protection des investissements avec Singapour qui contient un mécanisme similaire de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS en anglais). La Commission et les États membres ont-ils pensé qu’un accord avec un si petit territoire passerait inaperçu ? La portée de ce vote est pourtant considérable : l’adoption de ce texte ouvrirait la voie à toute une série de traités bilatéraux d’investissement équivalents finalisés avec le Vietnam ou Mexico ou en cours de négociations avec le Japon, le Chili, la Chine, l’Indonésie, la Malaisie ou la Birmanie. Il appartient aujourd’hui au Parlement européen d’enrayer cette fuite en avant et de prendre exemple sur le Canada qui vient de décider d’abandonner l’ISDS dans l’accord commercial renégocié avec les États-Unis.

L’ISDS permet aux entreprises multinationales d’attaquer les États qui adoptent des politiques publiques d’intérêt général contraires à leurs intérêts et d’exiger des centaines de millions d’euros de compensation pour le manque à gagner. Il a été utilisé par Philip Morris pour contester les politiques de santé publique en Uruguay et en Australie ou l’énergéticien Vattenfall pour attaquer l’Allemagne après sa décision de sortir du nucléaire. Si les entreprises n’obtiennent pas toujours gain de cause, elles savent manier cet outil pour dissuader les États de légiférer. En France, l’entreprise canadienne Vermillon a ainsi récemment contribué à affaiblir la loi Hulot sur les hydrocarbures par la simple menace auprès du Conseil d’État d’un recours à l’arbitrage.

Cette justice d’exception a été au cœur de la vague de mobilisation européenne contre les accords transatlantiques avec plus de 3,3 millions de citoyens signataires de la pétition demandant leur abandon. En dépit de l’échec des négociations du TAFTA et de l’adoption au forceps du CETA, la Commission et les États membres refusent de revoir leur politique en la matière. Ils entendent continuer à étendre les droits des investisseurs et négocier toujours plus de traités incluant ce fameux mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, dans une version à peine remaniée.

Sans compter que Singapour est un paradis fiscal notoire et un hub financier stratégique en Asie du Sud-Ouest. Qualifié de centre financier offshore y compris par le service de la Commission européenne, Eurostat, Singapour est classé par le Tax Justice Network comme le cinquième pays le plus nocif en matière d’opacité fiscale. Sans surprise, un demi-million de documents du scandale des “paradise papers” provenait ainsi d’une entreprise de service offshore singapourienne. Son vaste réseau de traités fiscaux fait de lui une plaque tournante majeure pour soustraire les investissements à l’impôt. Plus de 10 000 entreprises européennes ont ainsi leurs bureaux régionaux à Singapour.

Les droits des investisseurs apparaissent aujourd’hui bien mieux protégés que ceux des citoyens ou de la planète et trop souvent à leur détriment.  Il est urgent de corriger ce déséquilibre. Les entreprises multinationales ne doivent plus pouvoir disposer de tels privilèges qui leur permettent d’exercer un droit de regard sur les politiques publiques adoptées démocratiquement par les États. En quelques jours, plus de 300 000 citoyens européens ont soutenu la  campagne «   Stop Impunité   »  lancée par plus de 150 organisations dans plus de 16 pays européens. Ils demandent aux décideurs européens de mettre fin à l’arbitrage entre investisseurs et États et de soutenir à la place l’élaboration d’un traité contraignant à l’ONU pour exiger le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises multinationales. A quelques semaines des élections, tous les regards se tourneront vers les parlementaires européens pour l’examen de cet accord d’investissement avec Singapour.

Signataires : Action aid France – Peuples solidaires, AEDH, AITEC, Amis de la terre, Attac France, Bloom, CCFD-Terre solidaire, Ceras, CGT, Collectif Éthique sur l’étiquette, Collectif Stop Tafta/Ceta, Comité Pauvreté et politique, Commerce équitable France, Confédération paysanne, Crid, Emmaüs International, Fédération syndicale unitaire, Foi et justice Afrique Europe, Fondation Nicolas Hulot, Foodwatch France, France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand, Institut Veblen, Ligue des droits de l’Homme, Notre affaire à tous, React, Sherpa, Union syndicale Solidaires

Paris, le 12 février 2019

TRIBUNE DE MALIK SALEMKOUR ET DIMITRIS CHRISTOPOULOS « RÉPRESSION EN EGYPTE : COMMENT AL-SISSI ACHÈTE LE SILENCE FRANÇAIS »

Tribune de Malik Salemkour et Dimitris Christopoulos « répression en Egypte

–> Publié dans liberation.fr

Le président français est en visite au Caire pendant trois jours jusqu’à ce mardi. Les relations commerciales entre les deux pays sont florissantes, surtout pour les ventes d’armes. Ces dernières ont des conséquences directes sur la détérioration de la situation des droits humains en Egypte, à défaut d’avoir éradiqué le terrorisme dans la région.

Tribune. L’énorme gâteau offert par le président Al-Sissi au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l’occasion de son anniversaire en juillet dernier, a été interprété par beaucoup comme un excellent signe pour les négociations en cours sur la vente par la France à l’Egypte de 24 nouveaux Rafales, ou de 30 nouveaux drones Patroller. La visite en Egypte du président Macron devrait encore confirmer que les relations commerciales entre Paris et Le Caire sont au beau fixe, particulièrement dans les ventes d’armes. Des liens qui font de l’Egypte le premier client de la France au niveau mondial dans ce domaine, hissant au passage l’Hexagone au troisième rang des pays exportateurs d’armes dans le monde.

Cet intérêt manifeste du président égyptien pour l’armement made inFrance est pour le moins suspect. Al-Sissi voudrait en effet acheter le silence de Paris qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Or jusqu’à aujourd’hui, tout tend à prouver que cette stratégie fonctionne. Lors de la dernière visite de son homologue égyptien à Paris, en octobre 2017, et alors que l’Egypte avait déjà passé des contrats pharaoniques dans le domaine de la défense, Emmanuel Macron avait bien pris soin de préciser qu’il n’avait «aucune leçon à donner» en matière de droits humains.

Renforcement de l’appareil répressif

Officiellement, ces ventes d’armes se font dans le cadre du «partenariat privilégié» entretenu par les deux pays au nom de la lutte antiterroriste. Un prétexte fallacieux pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à la situation intérieure égyptienne, où la répression de toute opinion dissidente est devenue le seul axe politique clair d’un pouvoir de plus en plus totalitaire. Le soutien sans faille apporté par l’Elysée au président égyptien, a des conséquences directes sur la détérioration de la situation des droits humains en Egypte. Il cautionne une suppression sans précédent des libertés en Egypte, tandis que les exportations par la France d’armes et de technologies de surveillance, d’interception de masse, ou encore de contrôle des foules, servent vraisemblablement bien plus les objectifs d’une répression tous azimuts qu’une lutte efficace contre le terrorisme, loin de porter ses fruits en Egypte et dans les pays voisins. Parmi les firmes incriminées, on peut citer l’ex-Amesys devenue Nexa Technologies, MBDA, Arquus, Safran, Thales, ou encore Suneris et Idemia.

Autant de contrats juteux qui expliquent le silence des autorités françaises face à la dérive autoritaire du président égyptien. Plusieurs mesures liberticides ainsi ratifiées cette année sont venues renforcer encore davantage l’arsenal répressif égyptien. La loi sur la cybercriminalité permet, notamment, aux autorités égyptiennes de bloquer tout site internet qui constituerait une «menace à la sécurité nationale», et inflige jusqu’à deux ans d’emprisonnement aux personnes gérant ou créant ces sites internet.

Une autre loi sur les médias adoptée en 2018 criminalise la publication de contenus définis en des termes très larges et permet la censure par un Conseil suprême de la régulation des médias sur des critères flous. Au point que l’Egypte se place aujourd’hui au 161e rang sur 180 pays dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, et compte plus de 30 journalistes derrière les barreaux. Les attaques contre les défenseurs des droits humains, tels que Malek Adly, Ibrahim Metwally ou encore Amal Fathy, ne font que s’accentuer. Le «coup de filet» de novembre dernier a inclus l’arrestation de 40 activistes des droits humains. Le secteur artistique n’est pas épargné, avec la publication du décret 1238 en juillet qui encadre drastiquement la liberté des artistes. Nulle réaction du Quai d’Orsay ou de l’Elysée face à cette censure généralisée à l’échelle nationale. Pas de «leçons à donner», on vous dit.

Fabrique de terroristes

Des arrestations contre plusieurs figures de l’opposition ont également eu lieu, au point que l’on évoque aujourd’hui près de 60 000 prisonniers politiques en Egypte. Les disparitions forcées sont également monnaie courante, avec 129 morts en détention en 2017. Les procès arbitraires et de masse des mois d’août et septembre derniers ont également démontré la parodie de justice qui se jouait dans le pays, où 739 personnes arrêtées (vraisemblablement avec l’appui de blindés français) lors des manifestations de Rabaa ont été jugées coupables par la cour pénale du Caire. Les condamnations à mort se sont également poursuivies : au moins 482 peines de mort ont été prononcées en première instance et au moins 74 exécutions effectives ont été conduites depuis juillet 2017.

Dans ce contexte, les inévitables erreurs judiciaires, mais aussi les innombrables bavures de l’armée, dans le Sinaï particulièrement, et les exécutions extrajudiciaires de «terroristes», créent une situation inverse à celle recherchée, avec la création d’un ressentiment d’une partie de la population, largement exploité par des groupes islamistes sans scrupule. La répression d’Al-Sissi est l’un de leurs meilleurs atouts, favorisant la mise en place d’une véritable fabrique de terroristes susceptibles de menacer l’Egypte, la sous-région, ou l’Europe. Avec là encore la participation discrète, mais très appréciée, de la France.

La France doit respecter ses obligations

Cette situation désastreuse ne peut continuer à laisser le président Macron indifférent. Sa visite doit être l’occasion d’interpeller Al-Sissi, et de demander des comptes sur sa politique «antiterroriste». Parallèlement, la France doit envisager une remise en question sérieuse de sa politique de soutien inconditionnel à Al-Sissi et se pencher sur la question des ventes d’armes. Le respect des obligations internationales de la France n’est en effet pas optionnel.

Les ventes de technologies de surveillance et d’armes doivent être suspendues aussi longtemps que seront rapportées de graves violations des droits humains, en application du Traité sur le commerce des armes, dont la France est signataire. Le Parlement français doit également jouer son rôle de contre-pouvoir et se saisir de cette question, en posant des questions à l’exécutif, en exigeant d’obtenir les informations aujourd’hui classées secret-défense qui permettront de débattre des ventes et de leur légalité, et enfin en créant une commission parlementaire permanente chargée du contrôle des exportations françaises de matériel militaire et de surveillance. La participation française au renforcement du projet totalitaire d’Al-Sissi, au mépris des souffrances du peuple égyptien, doit prendre fin.

Dimitris Christopoulos président de la FIDH Malik Salemkour Président de la Ligue des Droits de l’Homme.

Quand le prix des Droits de l’Homme de la République française dérange les autorités de la République

Tribune de  Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH et Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH publiée sur Mediapart

La CNCDH a décidé de remettre un de ses prix annuels à deux organisations, l’une est israélienne B’Tselem, l’autre palestinienne Al Haq. Ce prix devait être remis le 10 décembre par la garde des Sceaux. A 48 heures de distance, celle-ci s’est désistée. Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH et Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH s’insurgent de cette nouvelle défausse du gouvernement.

La CNCDH [1] a décidé de remettre un de ses prix annuels à deux organisations. L’une Israélienne B’Tselem, l’autre palestinienne Al Haq. Leur particularité ? De travailler ensemble pour dénoncer les violations de droits supportées par les palestiniens, avec, pour ce qui concerne Al Haq, le fait de s’opposer aussi aux violations de droits commises par l’autorité palestinienne. Est-il besoin de dire qu’elles sont sous pression ? B’Tselem fait l’objet de menaces constantes et de mesures discriminatoires de la part du gouvernement israélien. Al Haq n’est pas mieux loti. Précision qui n’est pas un point de détail, ces deux organisations reçoivent des financements de nombreuses fondations, de l’Union européenne et de nombreux gouvernements occidentaux dont la France…

Ce prix devait être remis le 10 décembre par la garde des Sceaux. A 48 heures de distance, celle-ci s’est désistée, retenue officiellement par une entrevue avec le Premier ministre, et il ne s’est trouvé aucun ministre pour la substituer, pas même le plus obscur secrétaire d’Etat !

Tout ceci serait un non évènement si, d’une part, cette petite lâcheté des autorités françaises ne répondait pas aux injonctions de ceux et celles qui, en France, ont choisi de se faire les porte-paroles du gouvernement de B. Netanyaou et de l’extrême-droite israélienne et, d’autre part, si ce même gouvernement français ne s’apprêtait à entériner, au sein de l’Union européenne, une définition de l’antisémitisme incluant la critique de la politique israélienne.

Dès l’annonce des récipiendaires du prix de la CNCDH, le Crif est entré en action, accompagné d’un député français, ancien du Betar [2] et fidèle du premier ministre israélien, Meyer Habib. La lecture du site du Crif, dont l’actuel président est aussi un ancien du Betar, les sites de cette mouvance et l’écoute des propos du député Meyer Habib attestent d’une très grande capacité de désinformation et de fake news. Terroristes, complicité du terrorisme, antisémitisme, boycott, tout y passe. Inutile de répondre à cette volée de propos aussi ineptes qu’inexacts. Sauf peut-être sur un point parce qu’il en dit long sur le sentiment de propriété de la Palestine occupée qu’éprouvent le Crif et autres soutiens du gouvernement israélien. Notre préoccupation de faire respecter le droit, en exigeant de la France qu’elle ne participe pas au processus économique de colonisation, devient une manifestation de délégitimation de l’Etat d’Israël…

Par ailleurs, la volonté des autorités françaises d’accepter la définition de l’antisémitisme proclamée par l’IHRA [3] serait aussi sans importance tant cette définition est édulcorée et simpliste si elle ne s’accompagnait d’exemples d’interprétations qui sont, pour la plupart, relatifs à la critique de la politique israélienne !

En boycottant la remise d’un prix des droits de l’Homme qu’elles décernent et en enfourchant la démarche de l’IHRA, le tout sous la pression d’organisations dites communautaires, les autorités françaises persistent à jouer un jeu déplorable et dangereux.

On avait déjà relevé l’erreur du président de la République qui s’était aventuré à assimiler antisionisme et antisémitisme et avait intronisé M. Netanyaou comme représentant des juifs du monde entier.

On avait aussi constaté que la politique officielle de la France, fidèle à l’existence de deux Etats et à une Jérusalem partagée, n’allait pas jusqu’à reconnaître l’existence de la Palestine en tant qu’Etat.

Cette accumulation de gestes de confiance à l’égard de l’extrême droite israélienne et de ses relais en France finit par faire question.

Quel est, en effet, le sens exact de la politique française si celle-ci ressemble de plus en plus à un pâté d’alouette ? Des affirmations de principe ne suffisent plus à compenser des actes qui les démentent.

Une telle attitude confère une sorte d’impunité aux agissements des autorités israéliennes qui, de la colonisation en « Etat juif » en passant par leurs attaques répétées contre une partie de la société civile israélienne, tentent de rendre impossible la solution à deux Etats et divisent les citoyens d’Israël en ceux disposant de la plénitude de leurs droits et les autres.

C’est ainsi que l’on encourage la grande majorité des israéliens à cultiver l’idée folle qu’ils pourront maintenir indéfiniment sous leur domination un autre peuple, au risque d’accumuler tant de haine et de ressentiment qu’ils empêcheront toute solution rationnelle.

S’il ne peut s’agir de décréter le boycott de M. Netanyaou, ne peut-on espérer que les signes donnés par la France ne le renforcent pas ?

De la même manière, céder de manière répétée au chantage qu’exerce le Crif, c’est accréditer que toute critique de la politique israélienne est une manifestation d’antisémitisme.

Doit-on rappeler au gouvernement français comme au Crif que l’Etat d’Israël a ses propres intérêts qui le conduisent, par exemple, à soutenir V. Orban et ses campagnes antisémites contre G. Soros ou à cautionner, contre l’avis du comité scientifique de Yad Vashem, la loi négationniste du gouvernement polonais ?

En donnant satisfaction au Crif, le gouvernement français donne d’abord satisfaction au gouvernement israélien et ne lutte en rien contre l’antisémitisme.

Les petites lâchetés peuvent aussi avoir de grandes conséquences.

 

Patrick BAUDOUIN                                                                         Michel TUBIANA

Président d’honneur de la FIDH                                           Président d’honneur de la LDH

 

[1] La Commission nationale consultative des droits de l’Homme a été créée par René Cassin. Elle est une autorité indépendante installée auprès du Premier ministre et elle est chargée de donner son avis et de faire des propositions en matière de droits de l’Homme.

[2] Mouvement d’extrême droite sioniste.

[3] International Holocauste Remembrance Alliance.