Liberté de la presse – Perquisitions judiciaires

Lorsque la question de la conciliation entre le secret de l’instruction et la liberté de la presse se retrouve dans les prétoires français, c’est en général en faveur du secret de l’instruction qu’elle est tranchée.

Pour rappel, l’article 11 du code de procédure pénale dispose que « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». « Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal »
Sur le fondement de cet article, sont régulièrement condamnés du délit de recel de violation du secret de l’instruction, des journalistes qui publient, pendant la période de l’instruction, des informations obtenues par des personnes tenues au secret.

La décision QPC du Conseil constitutionnel du 8 mars 2018 entérine une nouvelle limite au libre exercice de la liberté d’information. Les sages de la rue de Montpensier ont en effet validé une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère, depuis un arrêt du 10 janvier 2017, que la présence d’un journaliste lors d’une perquisition, même autorisée par l’autorité publique, « porte nécessairement atteinte au secret de l’instruction et aux droits de la défense ». Elle en tire comme conséquence qu’il s’agit d’une cause de nullité sans que la personne concernée n’ait à démontrer un grief, c’est-à-dire une atteinte à ses droits.

L’arrêt pose donc un principe absolu auquel ni l’autorisation des forces de l’ordre, ni l’autorisation de la personne concernée par la mesure ne permet de déroger. Malgré cela, le Conseil constitutionnel juge que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est «nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi ».

La décision du Conseil constitutionnel est critiquable à double titre. D’une part, elle ouvre incontestablement la voie à un élargissement de la jurisprudence de la chambre criminelle à d’autres actes d’instruction. Les journalistes risquent, dans un futur proche, d’être interdits de participer à des interpellations ou encore à des gardes à vue. D’ailleurs, dans une dépêche du 27 avril 2017, le ministère de la justice a d’ores et déjà recommandé aux parquets de France d’interdire la présence de journalistes dans tous les actes d’instruction.

D’autre part, elle ne prend pas en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les restrictions admissibles à la liberté d’expression. Certes le juge européen tolère les atteintes à la liberté d’expression dans la mesure où celles-ci sont prévues par la loi, répondent à un but légitime et sont nécessaires dans une société démocratique. En l’espèce les deux premières conditions ne posent pas de difficulté. L’atteinte au droit de recevoir ou de communiquer des informations est prévue par le code de procédure pénale dans le but légitime de protéger la présomption d’innocence des personnes mises en examen et de garantir l’efficacité de l’enquête pénale. En revanche, c’est sur la dernière condition que pourrait intervenir la censure du juge européen. En effet cette condition impose, à la Cour, un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte à la liberté et le besoin social impérieux. A cet égard, la Cour va apprécier si l’interdiction des journalistes lors des perquisitions est le seul moyen de garantir la présomption d’innocence et l’efficacité de l’enquête.

S’agissant de l’efficacité de l’enquête, il semble que le régime préexistant d’autorisation délivrée aux journalistes par l’autorité publique suffisait à garantir cet objectif. Sur la présomption d’innocence certaines garanties pourraient être prises, à savoir soumettre la participation des journalistes au consentement de la personne concernée ou encore floutée les images qui permettent l’identification de la personne concernée et de son domicile. Notons que la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle qui limitait la sanction de la nullité de la perquisition filmée par des journalistes aux hypothèses dans lesquelles la personne mise en cause pouvait démontrer une atteinte à ses droits, était beaucoup moins attentatoire à la liberté d’expression.

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence de la chambre criminelle et du Conseil constitutionnel risque de ne pas passer le filtre du contrôle de proportionnalité. De surcroît, en dépit de son attachement à la présomption d’innocence, la Cour de Strasbourg rappelle avec constance que lorsqu’un débat d’intérêt général est en cause, les atteintes au travail des journalistes doivent s’apprécier avec la plus grande prudence. Dans une recommandation de 2003, le comité des ministres du Conseil de l’Europe souligne l’importance des reportages réalisés sur les procédures pénales pour informer le public et permettre à celui-ci d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système de justice pénale. La position sans nuance des juges français expose donc la France à une condamnation de la Cour européenne.

Pour le quatrième pouvoir cela signifie que la décision du Conseil constitutionnel ne sonne peut-être pas le glas des reportages sur les perquisitions. A charge cependant pour les journalistes de démontrer, au juge européen, l’utilité de leurs reportages dans le débat démocratique. Amateurs de sensationnalisme s’abstenir !

Grâce FAVREL