De quoi le naufrage idéologique des Klarsfeld est-il le nom ?

Coordination nationale de l’UJFP 15/10/22Communiqués de l’UJFP |

Serge et Beate Klarsfeld ne sont plus à présenter. Le rescapé de la Shoah et la militante allemande antifasciste ont consacré leur vie à traquer les nazis qui étaient parvenus à se dissimuler dans les sociétés allemande et autrichienne d’après-guerre. Mais voilà que ce vendredi, ils ont accepté l’invitation du maire de Perpignan Louis Aliot, candidat à la succession de Marine Le Pen à la présidence du Rassemblement national, à inaugurer l’association « Zakhor Pour La Mémoire » consacrée à la mémoire du génocide juif. Ils ont également accepté de la part de ce maire, la médaille de la ville de Perpignan.

Les racines du parti dans le fascisme historique et dans la collaboration sont pourtant largement documentées.  Que sont-ils donc allés faire dans cette galère ?

L’ancrage à droite du couple était connu. Ils avaient en effet apporté leur soutien à la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007. Mais de là à soutenir une initiative à la symbolique aussi forte émanant d’une figure de proue de l’extrême-droite… D’autant qu’ils avaient appelé à faire barrage à Marine Le Pen en 2017. Alors pourquoi soutenir aujourd’hui une association dont on perçoit aisément le rôle politique – effacer les stigmates de l’antisémitisme qui balafrent encore le parti et bon nombre de ses dirigeants – ? Pourquoi contribuer à cette opération culottée de dédiabolisation du Rassemblement national ?

Ce qui apparaît comme une aberration sur le plan historique prend sens dans le contexte politique actuel. Le détournement de la mémoire juive au service d’une vision réactionnaire du monde est particulièrement opérant en France. Une politisation désastreuse du souvenir du génocide qui, dans un double mouvement, entend enterrer notre mémoire dans un passé supposément révolu tout en faisant de cette reconnaissance un outil de réaffirmation de l’autorité et de la légitimité de l’État. Nous refusons de voir notre mémoire ainsi désincarnée, et dont le hold-up évacue toute l’actualité politique.

La mémoire du génocide juif est également l’objet d’une intense instrumentalisation opérée par la propagande israélienne et mise au service du récit national sioniste et de la dépossession du peuple palestinien.

Force est de constater queles positions politiques des Klarsfeld et celles défendues par les forces politiques néofascistes s’alignent lorsqu’il s’agit d’Israël.

Les partis d’extrême-droite ont en effet en commun une adhésion au sionisme comme concrétisation d’un projet ethno-national homogène faisant écho à leur fond idéologique et à leur conception de la nation1.

Les Klarsfeld, et notamment le père et le fils, n’ont jamais caché leur soutien sans faille à l’État hébreu. Comment ne peuvent-ils pas voir qu’en allant inaugurer l’association à Perpignan et en acceptant la médaille, ils participent de la banalisation de l’extrême-droite, déjà aux portes du pouvoir ? Sont-ils à ce point aveuglés par leur nationalisme, qu’ils en délaisseraient sciemment le combat contre la dénazification, dès lors que leurs ennemis historiques se rangeraient du côté de Tel Aviv ?

La cérémonie de Perpignan devrait susciter une levée de boucliers de la part d’organisations se réclamant de la communauté juive et, au-delà, de l’ensemble du mouvement démocratique. Nous espérons que leur silence assourdissant n’est qu’un oubli, et pas un signe d’une proximité idéologique de plus en en plus assumée avec l’extrême-droite…

L’UJFP, quant à elle, condamne fermement l’appropriation de la mémoire de la Shoah par le parti des collabos et des nostalgiques du fascisme, de même que le naufrage idéologique des Klarsfeld qui fait le jeu de la progression de l’extrême-droite. Nous nous opposons à l’instrumentalisation du génocide au service de partis et de politiques racistes.Notre mémoire juive nous oblige.

La Coordination nationale de l’UJFP, le 15 octobre 2022

2 MAI 2022 – TRIBUNE DE MALIK SALEMKOUR “UNE FRANCE À RESSOUDER” PUBLIÉE SUR MEDIAPART

02.05.2022

Tribune de Malik Salemkour, président de la LDH

LIRE LA TRIBUNE SUR MEDIAPART

Les résultats de l’élection présidentielle de 2022 laissent un goût amer de lourdes insatisfactions et inquiétudes sur l’état de notre société, de notre démocratie et de nos institutions. Des leçons sont à tirer de l’issue d’une confuse campagne tronquée et d’un scrutin final marqué par des votes de rejet.

Une extrême droite dangereusement banalisée

Pour la troisième fois sur les cinq élections présidentielles tenues depuis 2002, l’extrême droite a été placée au second tour. Certes Marine Le Pen n’a pas été élue. Mais, avec 13,3 millions de voix soit 2,6 millions de plus qu’en 2017, et 41,5 % des suffrages exprimés contre 33,9 % cinq ans auparavant, ces scores inédits en forte hausse sont une nouvelle alerte démocratique très sérieuse. L’évènement d’une extrême droite aux portes du pouvoir en France, qui inquiète tous les commentateurs internationaux, n’a pas suscité de réactions unitaires massives dans les rues malgré des tentatives, ni de mobilisation claire dans les urnes. Cette situation apparaît banale, voire normale, même pour une part de ses naturels opposants. Elle prospère sur l’image adoucie faussement sociale de la candidate d’extrême droite jouant à contre-pied de la liberté, de l’égalité, de l’autoritarisme, dans une posture d’illusionniste et en maquillage d’un projet fasciste et xénophobe radicalement contraire aux valeurs de notre République. Depuis des années, ses idées se diffusent et s’imposent dans le débat public, sans être contrecarrées. Au contraire, ses boucs émissaires et thèmes de prédilection sont légitimés par des forces politiques à la remorque et par le vote démagogique de multiples lois opportunistes. Des électrices et des électeurs n’hésitent plus à utiliser ces bulletins sulfureux porteurs de risques qu’ils minimisent ou mettent sciemment de côté pour exprimer leurs colères, leur sentiment d’injustice et d’abandon social ou territorial, comme leur impatience à voir traiter leurs conditions de vie difficiles. Le vote de rejet d’Emmanuel Macron par un électorat des campagnes, de l’outre-mer, d’ouvriers et employés, de personnes précaires ou démunies signe la sanction d’un dirigeant jugé méprisant et de politiques ultralibérales ne répondant toujours pas à leurs préoccupations.

Une abstention expressive

L’abstention de 12,8 millions de personnes au premier tour (26,3 %) témoignait moins d’un désintérêt de la chose publique, qui au contraire reste fort, que d’une défiance sur l’offre politique proposée, tant à droite du fait d’une ligne politique hésitante, qu’à gauche dans une désunion préjudiciable. Le scrutin arrivait à l’issue d’une campagne tronquée par la crise sanitaire et d’un Président sortant dans l’esquive, se déclarant tardivement, bloquant tout débat sur son projet, puis placé en chef de guerre par l’invasion en Ukraine. Ce refus de vote s’est accru au deuxième tour (13,6 millions soit 28 %,) à un niveau jamais vu à ce type d’élection depuis 1969, où la gauche avait aussi été écartée. Cette abstention, avec de surcroît 3 millions de bulletins blancs ou nuls, exprime le rejet des deux candidatures finales, renvoyées dos-à-dos et considérées comme de même nature, confirmant la banalisation préoccupante de l’extrême droite.

Un Président réélu aux lourdes responsabilités

Emmanuel Macron est réélu sans gloire à 58,5 % des suffrages exprimés, en forte baisse par rapport à 2017 (66,1 %), à nouveau sans adhésion majoritaire à son projet, avec près de la moitié des suffrages obtenus motivés par un rejet républicain de l’extrême droite. Sa responsabilité est lourde dans ces résultats, en échec flagrant de sa promesse de l’époque de la faire reculer et de gouverner autrement, à l’écoute et dans le respect des Françaises et des Français. Hélas, les alertes et attentes sociales ou environnementales sont restées sans réponses structurelles à la mesure des enjeux, ouvrant de nombreux conflits sociaux sévèrement réprimés face à des réformes injustes imposées ou des services publics exsangues. L’absence de suites au « grand débat national » organisé après la crise des « gilets jaunes » ou la dénaturation du travail de qualité de la Convention citoyenne pour le climat ont discrédité la parole présidentielle et, avec elle, celle de l’Etat. Il se doit aussi de corriger rapidement les séquelles d’un premier quinquennat marqué par la violence et l’autoritarisme avec une succession de lois liberticides, d’états d’urgence sécuritaire puis sanitaire qui ont profondément déstabilisé l’Etat de droit, affaibli la place du Parlement, des élus locaux, de la justice et des contre-pouvoirs, du dialogue social et civil, qui auront tous été régulièrement méprisés.

Face aux divisions, une démocratie à refonder

L’exercice du pouvoir ne peut se poursuivre sans risque, dans le présidentialisme exacerbé vécu jusqu’ici. Au-delà de la pratique, un débat est à ouvrir pour réviser nos institutions dans le sens d’une revalorisation de la délibération publique, d’une plus grande participation citoyenne et du rapprochement des instances de décision au plus près des sujets à traiter. Au terme de cette élection, la France est divisée et déboussolée mais son appel à l’idéal républicain est entier. A la veille de législatives incertaines qui devront aboutir à une majorité parlementaire pour gouverner et répondre à ce large désarroi populaire, le combat contre les idées d’extrême droite, particulièrement du Rassemblement national et du parti Reconquête ! d’Eric Zemmour, est à reprendre de manière fédératrice face aux dangers fondamentaux qu’ils portent en dévoilant leur visage de haine et leur programme asocial et d’inégalités. Ce chantier auquel la LDH participera activement est à mener sur le terrain du débat politique, des faits et rappels historiques, de l’éducation populaire, en redonnant leur sens aux valeurs de la République qu’ils détournent comme devant la justice pour faire condamner chaque propos ou acte illégal, incitant à la haine, au racisme, à la discrimination ou à la violence. C’est une condition nécessaire mais insuffisante si ne sont pas mis en débat en même temps les enjeux sociaux et environnementaux pour construire des réponses durables aux préoccupations quotidiennes de toutes et tous, avec la réaffirmation de la force de l’égalité des droits et des libertés individuelles et collectives. Elles aideront à guider les choix à faire pour les prochaines législatives de juin prochain. Dans tous les cas, le dialogue social avec les syndicats devra retrouver sa vigueur pour des négociations sérieuses qui tiennent compte des revendications du monde du travail. Le dialogue civil avec les associations sera à revaloriser à tous les niveaux, en écoute de leurs propositions déjà prêtes issues de leur expertise et expérience au service de l’intérêt général. Après le coup de semonce de la présidentielle, les responsables politiques doivent changer et porter une démocratie refondée qui s’appuie sur toutes ses citoyennes et citoyens, à réunir dans la construction d’un avenir apaisé de justice et d’égalité.

Malik Salemkour, président de la LDH