Lean management : marche ou crève !

C’est la société Toyota qui a initié cette méthode de « management » : après la seconde guerre mondiale, le Japon, ruiné, devait relancer son économie et, si possible, dépasser les Américains. Toyota a alors  imaginé un système de gestion de la production, qui, une fois théorisé et systématisé, est devenu le « lean management ». Lean signifie « maigre » en anglais : il s’agissait donc de se débarrasser du « gras », qui parasite la production, et donc la ralentit. Le lean management est donc une méthode de rationalisation de la production. Pour les patrons : un système « gagnant – gagnant ». Pour les syndicats, les médecins du travail : « marche ou crève ».

Une méthode particulièrement vicieuse, puisqu’un de ses principes est d’associer étroitement les salariés à son élaboration : ce sont eux qui vont proposer des solutions pour améliorer la production, en chassant tout ce qui peut la ralentir. Il peut s’agir du gaspillage de matières premières, de modification des machines pour les rendre plus performantes… mais aussi de faire la chasse au gaspillage de temps, pour rendre chaque geste du salarié efficace. Au final, on soumet les salariés à des cadences infernales, qui ne laissent aucune seconde de répit au salarié. Tout ceci s’accompagne d’un vocabulaire très aseptisé : l’ouvrier devient un opérateur, par exemple.

Cette méthode a été utilisée dans les premiers temps par l’industrie, avec des résultats économiques impressionnants, accompagnés de dégâts sanitaires, autant physiques que psychologiques, aussi spectaculaires. Aujourd’hui, elle n’est plus réservée à la production : on la transfert aux services, dans lesquels chaque geste est analysé, chronométré. Et la fonction publique a commencé à l’adopter : France Télécom (on se souvient de la vague de suicides qui s’est produite il y a quelques années), la Poste, et, plus grave encore, les hôpitaux. Une méthode destructrice, que les syndicats dénoncent avec force.

Fance Inter a consacré au Lean un numéro de son magazine « interception », notamment sur les conséquences à l’hôpital, tandis le magazine de Canal+, « Spécial investigation lui a consacré un numéro intitulé « Boulot, métro, chrono ».

A la Poste, le système est doublement intéressant : la durée des tournées de facteurs est réduite de façon spectaculaire. Et, si le facteur ne la fait pas dans le délai défini « scientifiquement » (au centième de seconde près…), tant pis pour lui, on ne comptera que le temps qui lui avait été imparti sur sa fiche de paye : pas d’heures supplémentaires. Et pas le temps, bien entendu, d’échanger quelques mots avec les personnes seules, isolée en pleine campagne. Le facteur court,  brûle des stops, dépasse la vitesse autorisée… et malgré cela il dépasse le temps « scientifiquement » déterminé. Ceci dans le cadre sans doute du rôle social que la Poste aime à s’attribuer.

A l’hôpital, c’est encore pire si ça peut l’être. Parce que là, on travaille sur la vie, et donc la mort. Les démissions d’infirmiers, d’aides soignants, d’agents hospitaliers augmentent chaque année. Là aussi, pas question de « perdre » du temps à discuter avec les patients : efficacité avant tout.

Dans les petites entreprises artisanales, on commence à le lean apparaître. Les ouvriers courent du début à la fin de la journée. Et les maladies professionnelles explosent.

C’est ça, le gagnant – gagnant…

Le cadeau de Nono pour les Droits en fête 2015

L’édition 2015 des Droits en fête aura lieu le samedi 28 mars, à partir de 14h, à la salle des fêtes de Plémet (Côtes d’Armor). Et pour cette troisième édition, le dessinateur de presse Nono, qui publie quotidiennement des dessins dans le journal Le Télégramme, nous a fait un beau cadeau : il a  illustré l’affiche de la manifestation par un superbe dessin. On y reconnaît l’humour délicat du dessinateur : le dessin met en scène de personnages coiffés du bonnet prhygien devenu l’emblême de la Ligue des droits de l’Homme, qui constatent avec sagesse : « Mieux vaut droits en fête que les droits dans le mur ! ».

Vous verrez cette affiche prochainement dans les commerces, librairies, bibliothèques, mairies, salles de spectacle des Côtes d’Armor, accompagnée du flyer qui présente le programme détaillé de la journée. N’hésitez pas à nous en demandez si vous le souhaitez.

A gauche, l’affiche, et ci-dessous le flyer, recto et verso.

 

« Of Men and War » présenté par son réalisateur à Loudéac et Saint-Brieuc les 26 et 28 février

Des guerres, une fois terminées, on retient le nombre de morts, de blessés, de disparus ; on évalue les dégâts matériels. On se réjouit de voir revenir ceux qui ne sont ni morts ni blessés…  parce qu’on s’en tient aux blessures visibles. Les autres, on en parle peu, ou pas. Parce que ceux qui en souffrent n’en parlent eux aussi que peu, ou pas. Ceux-là, les guerres « modernes » en produisent de plus en plus, à tel point que les Etats qui les ont envoyés combattre ont fini par être obligés de s’en occuper. C’est le sujet du film de Laurent Bécue-Renard, « Of Men and War », « Des hommes et des guerres », qui a fait partie de la sélection du festival de Cannes dans la catégorie « Séances spéciales », en 2014.

« Men and wars » sera projeté au cinéma Quai des images de Loudéac, mercredi 25 février, à 20h, puis à Saint-Brieuc, vendredi 27 février, à 20h également, au cinéma Le Club. Les deux séances se dérouleront en présence de Laurent Bécue-Renard, réalisateur, qui répondra aux questions des spectateurs.  La projection de Loudéac sera suivie, le lendemain matin mercredi 26 février, de la projection de « De guerre lasses » (non, il n’y a pas de faute d’orthographe !), du même réalisateur, (premier volet du dityque dont Of Men and War est le second) et qui traitait des traces de la guerre et du difficile retour à la vie des femmes de Bosnie. Les deux films sont soutenus par la Ligue des droits de l’Homme. Voici ce qu’elle en disait dans sa revue Hommes et libertés, et sur son site :

LA LDH SOUTIENT LE FILM DOCUMENTAIRE « OF MEN AND WAR », DE LAURENT BÉCUE-RENARD

Sélectionné dans la catégorie « Séances spéciales » du Festival de Cannes 2014

En 2003, nous avions soutenu le film de Laurent-Bécue-Renard, De Guerre lasses, qui traitait des traces de la guerre et du difficile retour à la vie des femmes de Bosnie. Of Men and War est le second volet d’un dytique : cette fois, il s’agit du retour d’Irak ou d’Afghanistan de jeunes vétérans survivants. Ils souffrent de stress post-traumatique. Dévastés par leurs guerres, ils connaissent des hallucinations, des crises de violence ou de panique, la rage, des pulsions suicidaires. Ils se sentent humiliés et sont totalement incapables de revenir à leur vie antérieure, au sein de familles impuissantes à les aider.

On les retrouve dans un centre thérapeutique californien, où ils sont traités à la fois individuellement et en groupe. Le respect du thérapeute et l’effet de miroir produit par la présence d’autres qui souffrent comme eux libèrent progressivement la parole, les souvenirs terrifiants, la culpabilité d’avoir tué, surtout des innocents, les atroces « dégâts collatéraux ». Le refoulement de la mémoire diminue et, avec lui, le risque d’explosion. Peu à peu se tissent des liens entre eux, avec leurs femmes quand elles ne les ont pas quittés, avec leurs enfants quand ils en ont. Par petits morceaux, ils réapprennent à vivre, même s’il est impossible de redevenir ceux qu’ils étaient auparavant.

Leur colère n’est pas adressée. En tout cas pas à quelque George Bush, fauteur de guerre, ni à leur pays : ils participent gentiment à un défilé à l’américaine en leur hommage, avec drapeaux et majorettes, scène profondément ironique pour le spectateur. C’est de la guerre que le film fait le procès comme d’un crime contre l’humanité, la guerre qui tue des enfants et rend fous les survivants.

La caméra était présente lors des séances de groupe et intégrée à la thérapie. Cette confiance autorise les confidences stupéfiantes d’hommes qui sont précisément terrifiés par l’image qu’ils offrent d’eux-mêmes, filmés au ras des larmes et des mains qui ne peuvent s’arrêter de trembler.

Beau travail de plusieurs années, qui se termine alors qu’on commémore le début de la guerre qui devait être la « der des der ».

Of Men And War

Une généalogie de la colère, second récit

Film documentaire, France, Suisse, 2014

Durée : 2h22

Réalisation : Laurent Bécue-Renard

Production : Alice Films

Site du film : http://WWW.OFMENANDWAR.COM

Bande annonce ici

Stop le contrôle au faciès !

On s’y attendait : les attentats de janvier ont aggravé les atteintes aux droits et les discriminations dont sont victimes prioritairement les jeunes, singulièrement les jeunes de couleur. À commencer par les « contrôles au faciès », dénoncés par de nombreuses associations depuis des années, et dont le président de la République avait promis de les supprimer pendant sa campagne électorale. Résultat, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy avait remplacé cette mesure par une prétendue « charte de déontologie » destinée aux policiers, qui, pour résumé, se contentait de faire coudre leur numéro matricule sur leur uniforme aux policiers. C’était encore trop pour eux.

Fort opportunément, le nouveau défenseur des droits, M. Toubon, revient sur cette mesure, et a publié des observations qui démontrent l’urgence de réformer ce système, et que le harcèlement qui découle de cette situation et dont sont victimes les jeunes cesse au plus vite. Ce harcèlement est naturellement contre-productif, et ne peut aboutir qu’à des situations conflictuelles qui peuvent vite dégénérer.

La Ligue des droits de l’Homme, qui se soucie depuis de nombreuses années de ce problème essentiel a publié lundi, avec d’autres associations, un communiqué qui expose clairement quelles devraient être les mesures propres à apaiser les relations jeunes – police.

Contrôles d’identité abusifs et discriminatoires : les observations du Défenseur des droits doivent aboutir à une réforme en profondeur des contrôles d’identité

(Paris – 13 février 2015) Les huit organisations signataires se réjouissent des observations que le Défenseur des droits vient de rendre publiques le 9 février. Elles constituent une contribution essentielle au débat sur les contrôles d’identité en affirmant clairement que, pour respecter ses obligations en matière de droits humains, la France doit en réformer le régime.

C’est ce que réclament, depuis de nombreux mois, nos huit organisations (Graines de France, Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’Homme, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Justice Initiative, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature). C’est pourquoi elles invitent le gouvernement, de toute urgence, à :

  • modifier l’article 78-2 du Code de procédure pénale qui encadre les contrôles ;
  • mettre en place une traçabilité des contrôles – donc un récépissé – assurant un recours effectif en cas de dérive.

Le 9 février 2015, le Défenseur des droits a déclaré dans un communiqué avoir présenté des observations devant la cour d’Appel de Paris, dans la procédure initiée par 13 personnes qui ont intenté une action visant à engager la responsabilité de l’État pour des contrôles d’identité discriminatoires. Son intervention rappelle que l’État français doit prendre des mesures pour lutter de manière efficace contre les contrôles au faciès.

Les observations du Défenseur des droits soulignent que les autorités doivent non seulement éviter toute discrimination, mais également adopter des mesures fermes et concrètes, propres à prévenir et à réprimer de telles pratiques. L’absence de ces mesures constitue un manquement équivalent « à fermer les yeux sur la gravité de tels actes et à les considérer comme des actes ordinaires… ». Il précise qu’il est nécessaire d’encadrer suffisamment les pratiques de contrôles, de sorte que tout contrôle soit basé sur des critères objectifs, et non sur des critères subjectifs, tels que le « ressenti » ou l’ « instinct » » des agents, comme c’est actuellement le cas. En effet, ces critères subjectifs donnent régulièrement lieu à des contrôles d’identité basés sur des critères discriminatoires tels que l’origine ethnique, comme nos organisations l’ont démontré à maintes reprises.

Le Défenseur des droits souligne par ailleurs l’importance de garanties suffisantes contre le risque d’arbitraire, qui impose, en particulier, un aménagement de la charge de la preuve et la garantie d’un contrôle effectif par le juge. Il note à cet égard que : « L’absence de motivation et de procédure écrite, en particulier de toute trace du contrôle effectué (précisant a minima la date et le lieu du contrôle, le nom de l’agent contrôleur et de la personne contrôlée et les raisons ayant  justifié la mesure), […] entrave l’accès au contrôle juridictionnel et peut priver celle-ci de la possibilité de contester utilement la légalité de la mesure et de dénoncer son caractère discriminatoire. »

Au regard de ces observations, nos huit organisations demandent au gouvernement de prendre des initiatives réellement efficaces pour lutter contre ces pratiques discriminatoires, et ainsi a minima :

  • proposer au Parlement de modifier l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Cet article définit les circonstances autorisant les contrôles d’identité et les motifs légaux justifiant de tels actes. La généralité et l’imprécision de sa rédaction actuelle favorisent les dérives qui contribuent aux violations graves et répétées des droits fondamentaux. Plusieurs alinéas de cet article devraient être abrogés ou amendés afin de limiter le champ des contrôles aux stricts impératifs de la prévention ou la répression d’actes de délinquance ;
  • instaurer une traçabilité des contrôles qui fournirait à une personne contrôlée des informations sur les raisons ayant motivé son contrôle afin qu’elle puisse, le cas échéant, contester la légalité du contrôle et dénoncer son caractère discriminatoire.

Nos organisations affirment qu’une telle réforme ne réduirait en rien l’efficacité des forces de police, bien au contraire, et rappellent, en ce sens, que les expériences réalisées dans d’autres pays ont clairement démontré la possibilité à la fois de réduire la prévalence des pratiques discriminatoires et d’améliorer l’efficacité des contrôles de police, expériences d’autant plus probantes qu’elles ont associé tous les acteurs concernés : élus locaux, magistrats et avocats, policiers, associations, citoyens, experts.

Le candidat à la Présidence de la République, François Hollande, s’était engagé en 2012 à faire une réforme pour lutter « contre le « délit de faciès » par la mise en place d’une « procédure respectueuse des citoyens ». Cependant, depuis son élection, les différents gouvernements n’ont adopté aucune mesure susceptible de mettre fin aux contrôles d’identité discriminatoires.

Avec ces observations du Défenseur des droits, le gouvernement n’a plus à décider « si » il doit respecter son engagement de reformer les contrôles d’identité, mais seulement « quand » il le fera. Compte tenu des impacts dévastateurs de ces contrôles sur les personnes contrôlées, le sentiment d’injustice et d’humiliation qu’ils alimentent chez des personnes qui se sentent discriminées, nos huit organisations réaffirment fermement que cela doit être fait désormais sans plus tarder.

Solidarité « émotionelle » : danger !

Les médias se sont régalés cette semaine avec cette histoire en forme de conte de Noël d’un ouvrier américain, James, qui, depuis une dizaine d’années, se rend à pied à son travail, à 33km de chez lui. Sa voiture l’a lâché il y a dix ans et son salaire ne lui permet pas de la remplacer. On aurait pu se scandaliser que le salaire d’un travailleur ne lui permette pas d’acheter ne serait-ce qu’une petite voiture d’occasion. Mais non. Ce qui a retenu l’attention, c’est le courage de cet homme (incontestable évidemment) qui n’a pas manqué une seule journée de travail pendant ces longues années. Et pendant ce temps-là des chômeurs se prélassent chez eux avec des indemnités supérieures au salaire de James ? Les médias n’ont tout de même pas osé. Ils se sont contentés de saluer, outre le courage de James, l’élan de solidarité qui s’est constitué autour de lui, et qui a permis de récolter l’équivalent de 60.000€ en très peu de temps. C’est assurément rassurant de constater que, malgré tout ce qu’on entend sur l’individualisme ravageur qui sévirait désormais, la solidarité existe toujours.

Ces mêmes médias font aussi leur choux gras, en France, assez régulièrement, avec ces histoires de « don de RTT » qui permettent à des parents de rester auprès de leur enfant malade (soyons cyniqes : si le gamin est mourant, c’est encore mieux). Là encore, comment pourrait-on ne pas se réjouir de cette manifestation de solidarité. On en a même fait une loi ! Désormais, ce « don » est simplifié, et codifié. Elle est pas belle la vie ?

Sauf que…

Imaginons deux ou trois situations.

Imaginons que le père de l’enfant malade se prénomme Chérif. Sommes-nous certain que le même mouvement de solidarité aurait eu lieu ?

Imaginons que le père de l’enfant malade ait un sale caractère, qu’il ait mauvaise presse parmi ses collègues. Se seraient-ils mobilisés de la même façon ?

Imaginons que le père de l’enfant malade soit au chômage : il n’a pas de collègues. Que se passe-t-il ?

C’est là toute la différence entre la solidarité spontanée, née d’un émotion, aussi sincère et aussi désintéressée soit elle, avec la solidarité collective, organisée, assurée, codifiée par l’État.

L’Etat ne fera pas la différence entre Chérif et Marcel, entre un « mauvais coucheur » et un brave type, entre quelqu’un qui a un cercle d’amis suffisamment important et quelqu’un que la société a déjà mis sur la touche.

Cette loi dite « don de RTT » ne peut avoir que des conséquences graves sur le système de solidarité nationale : la sécurité sociale est en faillite ? Organisez –vous ! et comme vous y parvenez plutôt bien, pourquoi conserver cette satanée assurance qui fait de vous des assistés et lèse ces pauvres patrons déjà harcelés par le fisc… et si ça ne marche pas, il y a peut-être une raison, non ? et de victimes, les parents de l’enfant vont devenir responsables.

Quand on voit les attaques dont fait l’objet le système de protection sociale, on ne peut qu’être inquiet devant le vote d’une telle loi.

Le Journal du Net, dans l’article qu’il a consacré à cette loi le 5 mai 2014 avait titré : « Don de RTT : une charité mal ordonnée ». On ne peut mieux dire, la critique qu’il fait de cette loi est particulièrement pertinente.

Terrorisme : savoir raison garder !

Communiqué publié par la Ligue des droits de l’Homme, ce lundi 2 février

Un gamin traîné au commissariat pour « apologie de terrorisme », un prof de philo suspendu et incriminé sur la base d’un propos indirect, et à ce jour non porté à la connaissance de l’enseignant en question, des agents municipaux inquiétés pour avoir refusé de participer à une minute de silence, des syndicalistes menacés de licenciement… Il est temps de se reprendre et de revenir à la raison ! Quoi de plus déraisonnable, en effet, que la confusion qui s’installe entre vigilance nécessaire et chasse aux sorcières ! Ni la restriction de la liberté de parole des adultes, ni les interrogatoires policiers d’enfants de 8 ans ne favoriseront notre sécurité. Ces mesures, à l’inverse, exacerbent un climat de défiance tous azimuts, incitent chacune et chacun à chercher autour de soi qui un terroriste, qui un terroriste potentiel… Un tel climat de recherche à tout va de boucs émissaires est insupportable ; pire, il est hautement contre-productif. Promouvoir les valeurs de liberté, de fraternité, expliquer au quotidien ce qu’est la laïcité, bref, vivre la République, implique de pouvoir en débattre, de façon libre, ouverte, confiante.

Privilégier la dénonciation et la mise à l’écart, c’est au contraire engendrer des situations insupportables au regard des droits élémentaires des personnes visées, alimenter amertumes et contentieux, donner finalement le sentiment d’une République essentiellement répressive.

La Ligue des droits de l’Homme avait déjà poussé un cri d’alarme après les invraisemblables décisions rendues en comparution immédiate, qui ont entraîné parfois des peines lourdes pour une divagation alcoolique.

Il est temps de calmer les esprits. Le gouvernement doit s’y employer et se rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait trouver une quelconque efficacité en dehors du respect de la lettre et du principe de l’Etat de droit.

Steeve Briois honoré par le Trombinoscope : la LDH entend rafraîchir les mémoires !

La distinction attribuée au maire d’Hénin-Beaumont (front national) qui a été nommé « élu local de l’année » par « le Trombinoscope » continue de faire des vagues. Si certains hommes politiques et commentateurs s’en réjouissent, la grande majorité s’en offusque.

Il est utile de rappeler que cette « distinction » doit récompenser notamment « l’action accomplie » par l’élu distingué. En l’occurrence, en seulement quelques mois, M. Briois a certes été actif, mais d’une manière, disons, plutôt négative : expulsion, dès son  élection, de la Ligue de droits de l’Homme du local dont elle disposait depuis des dizaines d’année, arrêté « anti mendicité agressive » (qui a été annulé par le tribunal administrif qui également condamné Briois à 1000€ de dommages et intérêts à verser à la Ligue des droits de l’Homme), organisation en conseil municipal d’une pétition contre une enseignante, interdiction à un élu de l’opposition de participer à une commémoration patriotique…

L’attitude pitoyable des membres du jury de cette mascarade était pathétique : incapable d’assumer leur décision, ils ont fait appel à une salariée de l’entreprise (Le Trombinoscope est une entreprise qui édite chaque année l’annuaire des élus) pour remettre son prix à Briois, qui, de son côté, bien entendu, jubilait, tandis que la petite fille Le Pen proférait des menaces contre un journaliste…

La section de la Ligue des droits de l’Homme d’Hénin-Beaumont a bien entendu réagi à cette mascarade, par la publication d’un communiqué dont voici le texte :

Steeve Briois honoré par le Trombinoscope :

la LDH entend rafraîchir les mémoires !

Ainsi donc le jury du Trombinoscope a décerné à Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, Vice-président du FN, le prix de « l’élu local de l’année », destiné en principe à saluer « l’action et le professionnalisme de personnalités politiques qui se sont particulièrement illustrées durant l’année écoulée dans le cadre de leur mandat ou de leur fonction ».

Décision pour le moins surprenante, pour ne pas dire ahurissante, pour nombre d’observateurs. Car il ne s’agit hélas pas d’un canular et même si Arlette Chabot, présidente du jury, a pris la peine de rappeler qu’il s’agit « non pas de récompenser un bilan mais de mettre en évidence la percée du FN et son implantation locale », on ne peut ignorer la portée d’une telle décision.

C’est d’ailleurs bien ainsi que l’a compris le maire d’Hénin-Beaumont.

À cet égard, la section LDH d’Hénin-Carvin tient à saluer la décision de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, de ne pas assister à la cérémonie de remise des prix.

Que Monsieur Briois ait, des années durant, « labouré le terrain », qu’il ait fait en 2014 une campagne « lisse » et banalisée en jouant à fond la carte rassurante de « l’enfant du pays », n’est certes pas niable.

De là à estimer que cela suffise à expliquer son élection est tout de même un peu court.

C’est faire bon ménage du terreau économique et social de la ville mais surtout de l’impensable division des forces démocratiques, des coups bas, des trahisons, des réactions à contre temps, des maladresses impardonnables qui ont permis au FN de conquérir la mairie d’Hénin-Beaumont.

Qui a-t-on ainsi voulu mettre à l’honneur ?

Le maire FN qui, à peine élu, a pris la décision inouïe de chasser de son local la LDH, provoquant une immense onde de choc, jusqu’au-delà de nos frontières ?

Celui qui, après avoir déclaré à la presse qu’il serait respectueux de ses adversaires, dénigre et brocarde systématiquement ses opposants, allant jusqu’à interdire à l’un d’eux d’être physiquement présent lors des manifestations patriotiques ?

Celui qui permet qu’une enseignante fasse l’objet d’une motion en conseil municipal réclamant pour elle des sanctions de l’administration ?

Celui qui prend un arrêté « anti-mendicité agressive, arrêté qui a depuis lors été suspendu par décision de justice, la ville se voyant condamnée à verser 1000 euros à la Ligue des droits de l’Homme ?

Celui qui est Vice-président d’un parti dont le président d’honneur avait osé qualifier les chambres à gaz de « point de détail de l’Histoire » ?

Résultat de l’opération dont Monsieur Briois doit se réjouir : il fait désormais partie de « l’establishment », aux côtés de personnalités du Nord comme Pierre Mauroy ou Jean-Louis Borloo ! Comment le FN pourra-t-il dès lors continuer à dénoncer le système politico-médiatique comme il le fait depuis des années ?

Le 29 janvier 2015

La double lecture d’une manifestation historique, par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue de droits de l’Homme

Michel Tubiana

Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, livre sa lecture, ou plus exactement les deux lectures possibles du gigantesque rassemblement de soutien à Charlie Hebdo et aux victimes des attentats, dimanche 11 janvier. Et il en profite pour s’adresser aux chefs d’Etat qui y ont participé.

L’extraordinaire marée humaine qui a envahi les rues de Paris est un de ces moments qui s’ancrera dans notre inconscient collectif comme un de ces instants précieux d’unité. Quoi qu’en disent ceux qui désignent des boucs émissaires, c’est bien un sentiment de fraternité qui a prévalu le 11 janvier 2015. Ce que le peuple de France, ses habitants de toutes religions (ou sans…), de toutes origines, de toutes nationalités ont exprimé, c’est l’exigence de vivre ensemble, avec cette tolérance qui n’est pas une démission mais une volonté de partage, dans un pays libre qui refuse la peur. Cette première lecture a fait effectivement, l’instant d’un dimanche, de Paris la capitale du monde par le message délivré à tous les idolâtres de la mort comme à tous les peuples et à leurs gouvernements : il n’est qu’une Humanité et la liberté ne se négocie pas.

A cette lecture de cette journée, sans doute historique, s’en ajoute une autre qui, si nous n’y prenons garde,  risque d’aboutir à l’inverse de ce que nous avons souhaité.

La prééminence donnée à la présence de plusieurs dizaines de chefs d’Etat a conduit à enfermer les manifestants dans une nasse. Pour symbolique que cela soit, l’espace de quelques heures le pavé parisien a été confisqué à ses occupants naturels. La présence de dirigeants qui n’ont rien à faire de la liberté de la presse, pratiquent un racisme et un antisémitisme ouvert, embastillent d’autres peuples ou, tout simplement, se moquent totalement des principes démocratiques, montre que ce ne sont pas les principes de la République et de la démocratie que sont venus défendre ces dirigeants, c’est l’union sacré des Etats contre le terrorisme. Et si la minute de silence observée, sans doute sincère, a permis une belle exposition médiatique, elle a dû avoir aussi un goût amer pour certains.

Bien sûr, nul ne saurait s’opposer, encore moins les démocraties, à ce que l’on jugule les agissements qui, sous un nom ou un autre, n’ont aucun respect pour la vie humaine et n’ont que la haine à la bouche.

Mais ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de dire que se donner les moyens de combattre ce mal n’est pas incompatible, d’une part, avec les règles de l’Etat de droit, et, d’autre part, avec un traitement de fond des causes d’un phénomène qui n’a rien de spontané.

Demain, la France et l’Europe devront répondre aux questions des moyens de lutte contre le terrorisme. Ce débat est légitime. Il ne saurait pourtant être enfermé par les Etats dans l’exploitation de la peur ou dans leur tendance naturelle à déposséder les citoyens de leurs libertés au prétexte d’assurer leur sécurité.

On voit bien le tribut que les Etats-Unis paient à leur déclaration de guerre à « l’empire du mal ». On sait les conséquences ravageuses du Patriot Act et autres Guantanamo pour la dignité de ce pays, sa cohésion, pour son image dans le monde et la sécurité de celui-ci. Sachons apprendre de cette expérience, ne recommençons pas les mêmes erreurs. Résistons à la facilité de croire qu’un empilement de restrictions de nos libertés nous apportera une sécurité sans faille aussi illusoire que ravageuse pour la démocratie. A défaut, c’est l’espoir d’une France apaisée, celle que le peuple a appelé de ses vœux le 11 janvier, qui reculera.

Apologie du terrorisme : « fermeté de signifie pas prison ferme ! »

L’application du nouveau délit « d’apologie du terrorisme » aboutit, depuis la semaine dernière, à des sentences démesurées, qui visent aussi bien des individus vraiment dangereux, que des pauvres types, et même des enfants.

À propos d’enfant, le témoignage d’une éducatrice, qui s’est occupée d’un garçon de 14 ans placé en garde à vue pendant 24h pour avoir dit « ils ont eu raison » (les terroristes ) pendant la minute de silence au collège. Ce qui ne l’a pas empêché de faire cette minute de silence quelque temps plus tard avec son équipe de foot : « c’était bien, on était tous en rond, on se tenait tous par le cou », raconte-t-il. Tout s’emballe : le principal reçoit l’ordre de l’académie de porter plainte : « J’ai porté plainte sur consigne de l’académie mais je croyais que les policiers allaient faire un rappel à la loi, que ça s’arrêterait là. »

Ça ne s’est pas arrêté là : conseil de discipline (le principal demandera une exclusion avec sursis, garde à vue de 24h, menottes… Tout s’emballe. L’éducatrice conclut : «  J’ai peur pour ce petit poisson, pour ses parents. Je suis effrayée par la réaction Vigipirate des institutions de la République, sans plus de raison, de discernement, chacun suivant les directives de sa hiérarchie, démultipliant la rigueur pour mieux exposer aux médias la réaction des institutions. Parce qu’un des arguments pour ces réactions en chaîne, le premier souvent avancé, c’est celui-là : « On est sous le regard des médias, de l’opinion publique. »

Boris Manenti  recense, dans un article publié sur le site Temps réel Le Nouvel observateur, 17 condamnations déjà prononcées. Que constate-t-on ?

  • Que le délit d’apologie du terrorisme accompagne généralement un autre délit : vol, agression, conduite en état d’ébriété…
  • Que les individus sont généralement déjà connus et ont été déjà condamnés (pas forcément pour cela).
  • Qu’il s’agit pratiquement uniquement d’hommes (une jeune fille est en attente de jugement), jeunes (entre 19 et 38 ans, le plus âgé ayant 51 ans).
  • La plupart du temps cela se produit dans des situations de grande tension et d’énervement.

On est quand-même loin du profil des frères Kouachi ! L’apologie du terrorisme n’est en fait qu’une manière d’insulter les forces de l’ordre, exceptées peut-être lorsque les propos sont tenus sur Facebook, cas dans lequel on peut imaginer que la personne est dans son état « normal ».

Le Syndicat de la magistrature a appelé, mardi 20 janvier, « la justice » à faire preuve de « sérénité » et « à résister à l’injonction de la répression immédiate ». Et il ajoute : « Il y a un défaut d’individualisation. Réponse ferme ne veut pas dire prison ferme ».

Le célèbre blogueur Maître Eolas, avocat, dont les avis éclairés sont toujours passionnants, s’élève avec ironie contre cette escalade : « Heureusement, face à la menace terroriste, la justice sait frapper promptement et sévèrement à côté de la cible » ! Et il apporte une explication à cette frénésie judiciaire : « Une enquête terroriste prend beaucoup de temps. L’instruction de l’affaire Merah est, par exemple, toujours en cours. Ici, après les événements tragiques qui se sont produits, pour de pures raisons de communication, il faut donner l’impression de réagir vite. » (Source, Temps réel le Nouvel observateur). Et c’est la raison pour laquelle il conseille à ses collègues avocats de refuser la comparution immédiate, pour reculer le procès dans le temps, en espérant que la sérénité soit revenue.

Pendant ce temps-là, Boris Le Lay, ce fasciste autonomiste breton qui répand son vomi sur son blog « breizato »  à longueur de journées coule des jours heureux chez sa maman. Que fait-il, sinon l’apologie du terrorisme, et ce depuis des années ? Menaces de mort accompagnées de photos de tombe et de poteaux d’éxécution, menaces de viols, toutes adressées nominativement à des militants des droits de l’Homme, propos antisémites et racistes d’une rare violence, projet « politique » ( ?) dont le préalable consiste à « liquider » physiquement les opposants (sa liste est prête)… Le Lay, dont le blog est naturellement hébergé hors de France, ce qui rend sa fermeture difficile, a été condamné à plusieurs reprises, à plusieurs milliers d’euros d’amendes et de dommages et intérêt, à de la prison avec sursis, et tout récemment à de la prison ferme, continue de sévir. Les nouvelles lois vont-elles permettre de mettre cet individu dangereux et ses quelques fidèles hors d’état de nuire ? Il ne faut pas oublier que certains des mouvements qui gravitent autour de Le Lay organisent des stages dans lesquels les sports de combat ont une large place (Le Télégramme).

Alors, les 24h de garde à vue de ce garçon de 14 ans laissent un peu rêveur…

 

 

Mineurs étrangers isolés : proscrire les tests d’âge osseux

La loi fait obligation aux conseils généraux de porter  assistance aux « mineurs isolés étrangers ». Il s’agit de ces jeunes migrants qui arrivent seuls en France, généralement au terme de parcours difficiles, souvent dramatiques, et que se retrouvent dans des situations de détresse matérielle et morale absolues. Ils sont alors, selon la loi, confiés à l’ASE, « l’aide sociale à l’enfance ». Mais cette prise en charge n’est pas éternelle : elle s’arrête à la majorité. De ce fait, le jour de ses 18 ans, le mineur est livré à lui-même, sans ressource, sans hébergement.

La diminution des budgets des collectivités locales est telle que les dépenses sont regardées à la loupe, et que celles qui sont consacrées à ces mineurs devient insupportable politiquement pour certains élus. On sait aussi que beaucoup de pays d’où viennent ces adolescents n’ont pas d’état civil, et quand ils en ont, ils ne sont souvent pas très fiables. Par ailleurs, certains de ces mineurs n’ont simplement plus de papiers. Se pose alors la question de leur âge. Les élus que leur situation insupportent s’engouffrent alors dans cette brèche, en contestant l’âge déclaré de ces jeunes. Et pour « prouver » qu’ils sont plus âgés qu’ils le prétendent, on leur fait passer « des tests osseux », qui, à partir de radiographies du poignet et de données statistiques, prétendent être capables de déterminer l’âge réel d’une personne, et par conséquent, de déterminer s’il est ou non majeur.

Cette technique est contestée depuis des années aussi bien par des scientifiques, des médecins, des juristes. Des institutions, y compris gouvernementales, parfois internationales, les dénoncent régulièrement : en vain, la technique continue d’être utilisée. Avec des conséquences tragiques : expulion du territoire, mais également peines de prison, amendes…

De nombreuses personnes, chercheurs, scientifiques, médecins, représentants d’institutions, d’associations…lancent un nouvel appel dans le journal Le Monde pour que le recours à cette méthode cesse enfin. Ils invitent à signer la pétition qu’ils ont mis en ligne. Elle peut être signée sur le site du Réseau éducation sans frontière (RESF) ici.

Mineurs étrangers isolés : proscrire les tests d’âge osseux

Depuis 2012, huit jeunes étrangers au moins, de ceux que l’on appelle mineurs isolés étrangers (MIE), ont été traduits devant les tribunaux lyonnais. Le Conseil général du Rhône qui les avait pris en charge s’est porté partie civile et les a déclarés majeurs sur la base de tests physiologiques, et en particulier des tests d’âge osseux. Tous ont été condamnés en première instance à des peines de plusieurs mois de prison, assorties ou pas du sursis, à des années d’interdiction du territoire ainsi qu’à de lourdes sanctions financières (jusqu’à 260 000 €). Ils ont fait face à des accusations d’usurpation d’identité, de faux et d’usage de faux dès l’instant où un test d’âge osseux les décrète majeurs, et une certaine presse locale leur reproche « d’avoir vécu aux crochets du contribuable ».

Soumis aux mêmes tests, d’autres jeunes, plusieurs centaines vraisemblablement, sont exclus de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et se retrouvent à la rue.

Pris en charge par l’ASE à leur arrivée en tant que mineurs au vu des documents qu’ils ont produits, ils sont accusés d’avoir menti sur leur âge, souvent à quelques mois de leur majorité. Ils sont alors soumis à des tests d’âge osseux ainsi qu’à des examens physiologiques, notamment des organes génitaux, particulièrement dégradants pour ces jeunes filles et garçons.

Les tests osseux consistent le plus souvent en une radiographie du poignet. On compare ensuite les résultats à des données statistiques collectées dans les années 1930 et l’on attribue à ces enfants un âge fixé de manière arbitraire, parfois de 19 à 34 ans. Les instances médicales et éthiques récusent la validité de ces tests et en condamnent l’utilisation à des fins autres que médicales.

Ainsi, dès juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) soulignait « l’inadaptation de ces méthodes », comme l’avait fait auparavant la Défenseure des enfants. Tour à tour, l’Académie nationale de médecine, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, l’ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Haut Conseil de la santé publique, le Défenseur des droits, ont émis sur ce point les plus expresses réserves. Récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un avis du 24 juin 2014 préconisait de « mettre fin aux pratiques actuelles d’évaluation de l’âge ».

Une intégration sociale avortée

C’est pourtant sur la base de ces examens que presque tous ceux qui les subissent sont déclarés majeurs (entre 18,5 et 35 ans). À Lyon, certains sont en outre poursuivis et emprisonnés.

Ces mineurs seraient-ils des délinquants si dangereux qu’il faille les arrêter à l’audience, les écrouer sur l’heure ? Que fait-on de leur scolarité, pourtant prévue par la loi française même en cas de présence irrégulière sur le territoire ? De leurs stages ? La justice n’en veut rien savoir, c’est à l’instant, tout de suite, qu’ils doivent payer leur prétendue dette à la société. Même s’ils n’ont commis aucun autre délit que celui, non prouvé, voire inventé, d’avoir dissimulé leur âge, ils ont été enfermés au milieu de délinquants, ont purgé jusqu’à quatre mois de prison à Lyon-Corbas.

Narek est russe ; Mohamed, Alkasim, Carine, Chernor, Kelson, Kélétigui, Mamoudou sont Africains, du Tchad, de Guinée, de Sierra Leone, d’Angola, de République Démocratique du Congo. Des noms de pays qui parlent d’instabilité politique, de guerre civile, de misère, d’Ebola. Des zones qu’ils ont quittées pour de longs et dangereux voyages, de plusieurs mois, quelquefois des années. Ces huit jeunes sont les emblèmes du refus choquant de collectivités publiques d’appliquer la loi qui leur impose la protection des mineurs. Un scandale qui touche des centaines de mineurs isolés en France.

Interdisons cette pratique

Le président de la République souhaitait faire de son quinquennat celui de la jeunesse. La ministre de la justice avait, le 31 mai 2013, défini un dispositif de mise à l’abri, et d’orientation, imposant aux conseils généraux d’assurer la prise en charge des MIE. Une mesure positive… qui, c’est à regretter, n’interdit pas explicitement le recours aux tests d’âge osseux, devenus systématiques dans certains départements.

La place de ces mineurs n’est ni dans la rue ni en prison. Nous demandons l’interdiction des tests d’âges osseux et autres examens uniquement physiologiques qui manquent de fiabilité pour déterminer leur âge légal. On sait en effet aujourd’hui que le développement physique des jeunes qui ont subi de forts retards de croissance dans leur enfance, notamment du fait de la malnutrition et des traumatismes, ne peut être comparé à celui des jeunes qui n’ont pas eu la même histoire. C’est la raison essentielle pour laquelle la communauté scientifique se refuse désormais à leur accorder toute crédibilité.

Renonçons donc à cette pratique, comme l’ont déjà fait plusieurs pays voisins du nôtre : il y va de l’avenir de ces jeunes gens. Il y va aussi des valeurs qui, selon nous, doivent régir la société. La protection des mineurs – de tous les mineurs ! – doit s’exercer pleinement.

 

Parmi les signataires : Michèle Barzach (présidente d’UNICEF France), Thierry Brigaud (président de Médecins du monde), Barbara Cassin (philosophe, directrice de recherche au CNRS), Françoise Héritier (anthropologue, professeur au Collège de France), Jean-Pierre Rosenczveig (président du Bureau international des droits de l’enfant), Mégo Terzian (président de Médecins sans frontières). Retrouvez ici la liste complète des signataires.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/17/interdisons-les-tests-d-age-osseux-sur-les-jeunes-immigres_4558355_3232.html#YMfRjfBYXazTREoC.99

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