Des journalistes interpellés et en garde à vue, canons à eau et gaz lacrymogènes utilisés pour disperser les manifestants…

« Sécurité globale » : comment des journalistes ont été interpellés à Paris en marge de la manifestation contre la proposition de loi

La proposition de loi liberticide « Sécurité globale » est d’une extrême gravité pour nos droits et libertés. La répression du rassemblement pacifique du 17 novembre a fait au total 33 interpellations dont plusieurs reporters et journalistes. La LDH dénonce cette politique et appelle les citoyens à manifester et à alerter les députés avant le vote de la loi.

Publié sur francetvinfo.fr le 19 novembre 2020

Mardi soir, près de l’Assemblée nationale, les policiers ont fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, sans distinguer les médias présents sur place.


Des personnes filment devant les canons à eau de la police, lors de la manifestation contre la proposition de loi sur « la sécurité globale », le 17 novembre 2020 à Paris. (ADNAN FARZAT / NURPHOTO VIA AFP)

Il régnait au départ une « ambiance bon enfant ». Des centaines de personnes se sont rassemblées sur la place du Président-Edouard-Herriot, derrière l’Assemblée nationale à Paris, mardi 17 novembre, à partir de 16 heures. Elles ont répondu à l’appel notamment de syndicats de journalistes et d’associations de défense des droits de l’homme, pour protester contre la proposition de loi sur la « sécurité globale ». Elles s’opposaient en particulier à l’article 24 du texte porté par LREM et Agir, qui encadre la diffusion de l’image des policiers et des gendarmes.

Tandis que, dans l’Hémicycle, le débat est vif entre les députés qui commencent l’examen de la proposition de loi, à l’extérieur, les prises de parole des organisateurs s’enchaînent au micro pour dénoncer les « dangers », selon eux, du texte.

#LoiSecuriteGlobale #PPLSecuriteGlobale Beaucoup de monde sur la petite place Edouard Herriot, à Paris, à l’appel de syndicats de journalistes, de réalisateurs et d’ONG de défense des droits de l’Homme. Les gestes barrières vont être compliqués (même si le masque est très porté) pic.twitter.com/nnD4Jk0z4M— Mathilde Goupil (@mathilde_goupil) November 17, 2020

Des « gilets jaunes », qui fêtent les deux ans de leur mouvement, se joignent à la foule. Des enseignants-chercheurs et des étudiants manifestent, non loin de là, contre le projet de loi de programmation de la recherche, et s’ajoutent aussi à ce « melting-pot », résume à franceinfo Louis Witter, manifestant et photojournaliste indépendant.

« Ping-pong » entre manifestants et policiers

La nuit tombe et le rassemblement grossit, jusqu’au boulevard Saint-Germain. Les premières tensions apparaissent vers 18h45. « Les manifestants ont brandi des pancartes devant la police. Certains criaient le slogan ‘tout le monde déteste la police’, transformé ensuite en ‘tout le monde veut filmer la police' », décrit Louis Witter.

Les forces de l’ordre forment un cordon entre les deux stations du métro parisien à proximité, Assemblée nationale et Solférino. « Un jeu de ping-pong se met en place : quand les manifestants se font gazer d’un côté, ils vont de l’autre », constate le photojournaliste. « Il y a des allers-retours sur le boulevard, devenu une grande nasse », confirme à franceinfo son confrère Simon Louvet, qui travaille pour le site Actu Paris. Selon lui, une manifestation sauvage se crée, mais les CRS parviennent à la contrer.

Cortège massif, au moins 2000 manifestants. #PPLSécuritéGlobale pic.twitter.com/PKPPkb1JSo— actu Paris (@actufrparis) November 17, 2020

La situation reste tendue. Simon Louvet raconte avoir vu des gendarmes pris à partie par des manifestants, alors qu’ils tentaient de laisser un accès à des pompiers pour éteindre un feu de poubelles. « Puis le canon à eau de la police arrive, il est utilisé contre les manifestants pour les disperser », poursuit-il. Les gaz lacrymogènes fusent. Lors de ces heurts, dix personnes ont été blessées légèrement, dont neuf forces de l’ordre, selon la préfecture de police de Paris.

Gendarmes coincés dans une entrée d’immeuble. #PPLSécuritéGlobale pic.twitter.com/C4dIEk7otG— actu Paris (@actufrparis) November 17, 2020

« Il y a des rassemblements statiques qui avaient été autorisés. Ces autorisations s’arrêtent à partir d’une certaine heure. Des personnes sont restées sur place une fois cette heure dépassée », justifie le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, mercredi, lors du compte rendu du Conseil des ministres. Et d’ajouter : « Dans ces conditions il se passe toujours la même chose : les forces de l’ordre font des appels à la dispersion avec des mégaphones. Ensuite, il y a des sommations et enfin une évacuation (…) Cela a été fait dans un cadre classique du maintien de l’ordre », insiste-t-il.

« Etre journaliste n’a pas changé grand-chose »

Malgré l’évacuation en cours, les échauffourées se poursuivent. Aux alentours de 20h30, alors que des CRS repoussent des manifestants encerclés, un policier assène à Simon Louvet un coup de matraque dans le dos, selon lui. « Il se dirige vers moi, je me tourne pour montrer ma carte de presse. Je dis que je suis journaliste. Des confrères, comme Remy Buisine, crient : ‘C’est la presse !' », rapporte Simon Louvet. « Le fait que je sois journaliste n’a pas changé grand-chose », soupire ce reporter qui couvre régulièrement les mouvements sociaux.

Le journaliste @simonlouvet_ se fait repousser à la matraque et au bouclier par plusieurs CRS malgré son brassard et sa carte de presse apparente. #Paris #PPLSecuriteGlobale #StopLoiSecuriteGlobale #17novembre #LoiSecuriteGlobale #AssembleeNationale pic.twitter.com/S3dDOJOWkT— Yazid Bouziar (@ybouziar) November 17, 2020

Malgré tout, il décide de rester jusqu’à la fin de la manifestation. « Premières sommations pour les journalistes ! », hurle un policier un peu avant 21 heures. « C’est très inquiétant de travailler dans ces conditions. On a la sensation d’être perçus comme ceux qui provoquent des violences, mais ce n’est absolument pas le cas. Je filme autant des manifestants qui détruisent un kiosque à journaux que des policiers qui les traînent au sol », développe le journaliste. Mardi soir, quand il voit des CRS tirer une jeune femme par les cheveux, il enregistre la scène. Simon Louvet ne le sait pas encore, mais elle s’appelle Hannah Nelson-Gabin, a 18 ans, et travaille pour le site Taranis News, fondé par Gaspard Glanz. Depuis, les images de son interpellation ont été abondamment relayées sur les réseaux sociaux.

Des interpellations. #Paris #PPLSécuritéGlobale #LoiSecuriteGlobale #StopLoiSecuriteGlobale pic.twitter.com/HvrP8hMotB— actu Paris (@actufrparis) November 17, 2020

« Ce n’était pas ciblé contre Hannah, mais elle était en première ligne quand les policiers ont chargé. Ils l’ont attrapée par la capuche pour l’interpeller, rapporte à franceinfo Ulysse Logéat, collègue et ami qui a assisté à la scène. J’ai hurlé au flic de la lâcher, j’ai été violent avec lui, je ne le cache pas. D’autres policiers m’ont donné trois coups de matraque. On m’a mis sur le côté. Je ne me souviens pas de la suite. » Il apprend plus tard qu’elle est en garde à vue au commissariat du 10e arrondissement de Paris. Elle a été relâchée mercredi, à 15 heures, devant le bâtiment, avec un rappel à la loi et la confiscation de son masque à gaz.

Au total, 33 interpellations ont eu lieu mardi soir, a appris franceinfo de la préfecture de police de Paris, qui n’a pas donné suite à nos questions supplémentaires. Parmi les personnes arrêtées, plusieurs reporters, déplore le Syndicat national des journalistes. Un reporter de France Télévisions est resté 12 heures en garde à vue sans « aucun motif », a dénoncé le groupe qui parle d’une « arrestation arbitraire ». Il a écopé d’un rappel à la loi, selon la préfecture.

2/ Il a fait son métier de journaliste. Il a filmé ce qu’il voyait et notamment plusieurs interpellations. Il avait son téléphone dans une main, sa carte de presse de l’autre qu’il exhibait aux policiers. Un commandant lui a dit d’arrêter. Il a expliqué qu’il faisait son métier..— Aude Blacher (@audeblacher) November 18, 2020

« Des violences inacceptables »

Cette attitude des forces de l’ordre, Clément Lanot, journaliste freelance, notamment pour l’agence Line Press, la critique également. Il était à la manifestation de mardi pour travailler. Alors qu’elle touche à sa fin, il suit un groupe de « gilets jaunes » qui part en direction de Matignon. « Je voulais voir ce qui allait se passer. Je n’ai pas pu les suivre : ils ont été stoppés par des gaz lacrymogènes. Et on m’a demandé de me disperser. C’est la première fois depuis 2016 », s’étonne auprès de franceinfo Clément Lanot, qui assure n’avoir jamais connu d’incident ni d’interpellation en quatre ans.

Un policer menace de m’interpeller.

Malgré ma carte de presse, caméra : un policier me demande d’arrêter de travailler et quitter la zone sous peine de garde à vue.

J’étais en dehors des tensions à ce moment et identifiable.

Ce n’est pas normal. pic.twitter.com/COK6IvX9Gj— Clément Lanot (@ClementLanot) November 17, 2020

Son tweet a fait réagir le ministre de l’Intérieur, qui a désigné Clément Lanot sans le nommer. « Ce journaliste ne s’est pas rapproché de la préfecture de police de Paris, contrairement à certains de ses collègues (…) Je rappelle donc que, si des journalistes couvrent des manifestations conformément au schéma du maintien de l’ordre, ils doivent se rapprocher des autorités », affirme Gérald Darmanin.

Ecoutez bien cette courte déclaration de @GDarmanin qui parle de @ClementLanot journaliste menacé hier d’être interpellé en faisant son travail de journaliste sur la #Manifestation anti #PPLSecuriteGlobale avec caméra et carte de presse. 1/4 pic.twitter.com/CJpjT7jhM3— LINE PRESS (@LinePress) November 18, 2020

Cible de vives critiques après ses propos, le ministre de l’Intérieur s’est repris mercredi soir, affirmant dans un tweet que le schéma national du maintien de l’ordre, qu’il a présenté en septembre, « prévoit que les journalistes peuvent, sans en avoir l’obligation, prendre contact avec les préfectures en amont des manifestations ».

L’objectif ? Que chacun puisse faire son travail dans les meilleures conditions possibles. Cela vaut particulièrement en fin de manifestation. Quoi de plus normal ? 2/2— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 18, 2020

Puis, peu après, à l’Assemblée, où il s’est rendu pour l’examen de la proposition de loi sur la « sécurité globale », Gérald Darmanin a fustigé « des violences inacceptables » « Alors que des représentants du peuple allaient légitimement discuter d’un texte de loi, il y avait une pression sur les représentants de la Nation pour ne pas discuter librement. » Il n’est pas le seul : le député LR Marc Le Fur a dénoncé une manifestation d’« une extrême violence », et demandé qu’il soit mis fin aux fonctions du préfet de police Didier Lallement. Et ce, alors qu’une nouvelle mobilisation contre la proposition de loi se profile samedi.

Maryse Martinez, présidente du MRAP-66 convoquée au commissariat de Perpignan jeudi 19 novembre 2020

Maryse Martinez, présidente du MRAP, a été convoquée jeudi 19 novembre à 11h au commissariat de Perpignan à propos d’une action contre le mal logement rue Emile Zola, dans des bâtiments appartenant à la mairie de Perpignan.

La nouvelle municipalité RN de Mr Aliot ne ménage pas ses efforts pour réprimer les militants et militantes engagé.e.s dans cette lutte citoyenne.

La Ligue des droits de l’Homme apporte tout son soutien à Maryse Martinez et aux autres personnes qui sont mises en cause dans cette affaire.

Une trentaines de personnes, militant.e.s d’associations, sont arrivé.e.s rapidement devant le commissariat de Perpignan pour soutenir Maryse Martinez. La contrariété et la tension étaient palpables dans la police : on appelle les RG. Face aux militants présents en soutien, un des policiers de l’accueil ne se contrôle plus : il déclare « on va les gazer! » . Sa collègue lui répond sèchement « on ne gaze pas les gens comme ça! » Au bout d’un moment, un agent de police est venu dire à Maryse que la personne qui devait l’auditionner avait dû partir sur une urgence, et qu’elle reprendrait contact avec elle pour un autre rendez-vous…

Enquêtes sur des soupçons de violences policières dans un commissariat du 19e arrondissement de Paris

Publié sur lemonde.fr le 13 novembre 2020

Dans le sillage de la parution du livre « Flic », « Streetpress » et « Mediapart » publient des témoignages mettant en lumière des violences policières. L’IGPN a été saisie.

Deux mois après la sortie du livre Flic, un journaliste a infiltré la police (éditions Goutte d’Or), le commissariat du 19e arrondissement de Paris fait à nouveau parler de lui pour des soupçons de violences en son sein. Des enquêtes ont été ouvertes en juillet en raison de soupçons de violences de la part de policiers sur des gardés à vue dans ce commissariat parisien, a appris l’Agence France-Presse (AFP), auprès du parquet de Paris, après la publication jeudi 12 novembre de témoignages par Streetpress et Mediapart.

Parmi les récits publiés par Streetpress, celui d’un dénommé Moha, 37 ans. Interpellé dans la nuit du 7 au 8 juillet à la suite d’une altercation dans la rue alors qu’il avait bu, il dit avoir été roué de coups par des policiers dans la voiture des forces de l’ordre et au commissariat.

Cet homme, incarcéré jusqu’à la mi-août pour l’altercation, a déposé plainte contre les agents. « Une enquête a été ouverte le 22 juillet du chef de violences par personne dépositaire de l’autorité publique », a fait savoir le parquet de Paris à l’AFP, précisant que les investigations avaient été confiées au service de déontologie de la préfecture de police de Paris (SDSE).

Plusieurs affaires, l’IGPN saisie

Le site reprend le témoignage d’un autre homme, également placé en garde à vue dans ce commissariat en juillet 2020 avec d’autres jeunes qui participaient à une soirée privée dans un appartement. Les policiers, intervenus pour tapage, avaient interpellé plusieurs fêtards, les accusant de « violences » envers eux. Plusieurs interpellés, affirmant de leur côté avoir été victimes de coups et d’insultes au commissariat, avaient ensuite déposé plainte.

Sur cette affaire, déjà révélée dans la presse, une enquête a été ouverte le 13 juillet et confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique », a précisé le parquet à l’AFP. Le même jour, une enquête a également été ouverte pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique et outrages ».

Streetpress évoque aussi le cas de deux hommes placés en garde à vue dans la même cellule qui racontent au site avoir assisté à des violences et des insultes de la part de policiers.

Ce commissariat, situé dans le nord-est de Paris, est déjà visé par d’autres enquêtes. Début septembre, le parquet avait notamment ouvert une enquête après la parution du livre Flic, dans lequel Valentin Gendrot raconte deux années d’immersion au sein de ce commissariat, évoquant des « tabassages » et des pratiques « racistes ».

Interrogée par l’AFP, la préfecture de police a rappelé avoir signalé les faits rapportés dans le livre Flic au procureur de la République et avoir saisi l’IGPN à titre administratif. « Toute personne peut signaler les faits dont elle s’estime victime auprès des services de police ou de l’institution judiciaire », a ajouté la préfecture.

Pour sa part, Mounir Mahjoubi, député La République en marche (LRM) du 19e arrondissement de Paris, a interpellé le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « pour que toute la lumière soit faite sur ces agissements ».

Je condamne fermement les faits rapportés par plusieurs médias concernant des policiers de #Paris19. J’ai écrit à… https://t.co/SmduCjZBkA— mounir (@Mounir Mahjoubi)