La problématique :
Elle est définie par deux interventions devant le parlement européen le 13 avril.
Celle de Constance Le Grip : « Lutter contre l’espionnage économique et industriel, le pillage dont sont victimes nos entreprises européennes, protéger notre innovation et notre recherche, défendre notre compétitivité européenne, toutes ces choses communément appelées « secrets d’affaires » ».
Et celle de Michèle Rivasi qui en souligne les risques » cette directive, au départ, a été proposée pour protéger le savoir-faire des entreprises face à des pratiques déloyales. Il est néanmoins à craindre qu’un tel texte de loi favorise encore davantage la culture du secret et le manque de transparence de la part des entreprises ».
Les enjeux :
Les intérêts industriels ne sont pas toujours les intérêts des citoyens. Les risques associés aux pratiques industrielles sont nombreux. Ces risques peuvent être liés à des process de fabrication (production d’électricité d’origine nucléaire, usine ATOCHEM à Saint Avold…), à la composition des produits proposés à la vente (prothèses mammaires, scandale du Médiator SERVIER… )
Préserver les intérêts industriels, certes, mais en prévoyant aussi les dispositifs d’alerte, et la protection des lanceurs d’alerte.
Il est donc important d’arriver à un texte équilibré. Analyse de texte, d’extraits :
Article 2 définitions
Aux fins de la présente directive, on entend par:
1) « secret d’affaires », des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes:
a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles;
b) elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes;
c) elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes;
2) « détenteur de secrets d’affaires », toute personne physique ou morale qui a le contrôle d’un secret d’affaires de façon licite;
3) « contrevenant », toute personne physique ou morale qui a obtenu, utilisé ou divulgué un secret d’affaires de façon illicite;
4) « biens en infraction », des biens dont le dessin ou modèle, les caractéristiques, le fonctionnement, le procédé de production ou la commercialisation bénéficient de manière significative de secrets d’affaires obtenus, utilisés ou divulgués de façon illicite.
Article 5
Dérogations
Les États membres veillent à ce qu’une demande ayant pour objet l’application des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive soit rejetée lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation alléguée du secret d’affaires a eu lieu dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
a) pour exercer le droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la Charte, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias;
b) pour révéler une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ;
c) la divulgation par des travailleurs à leurs représentants dans le cadre de l’exercice légitime par ces représentants de leur fonction conformément au droit de l’Union ou au droit national, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice;
d) aux fins de la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national.
Nicole Marie Meyer, conseillère anti-corruption de Transparency International France (Alter eco +) » considère que parmi les exceptions au secret, une protection des lanceurs d’alerte est certes prévue, mais avec une définition restreinte aux violations de la loi et une inversion de la charge de la preuve (qui repose sur le lanceur d’alerte (ou l’auteur de l’alerte), contrairement aux standards internationaux).
Le contenu de cette directive en l’état (article 5 b) , avec une définition maximaliste du secret et minimaliste du lanceur d’alerte, signifie la mise à mal des avancées introduites dans les législations européennes sur l’alerte depuis 25 ans. Irène Frachon qui a révélé l’affaire du Mediator ou Antoine Deltour, à l’origine des révélations sur le scandale LuxLeaks, ne pourraient bénéficier d’une protection. Ce dernier a dénoncé une optimisation fiscale agressive, et non pas, si l’on s’en tient à la définition de la directive, « une activité illégale » »
Michèle Rivasi, lors du débat au parlement, s’appuie sur les affaires récentes : « Combien de scandales sanitaires, environnementaux et humains ont été passés sous silence à cause de l’incapacité des institutions à obtenir des informations classées « confidentiel »? Nous avons de nouveaux cas tous les jours. Par exemple, concernant le glyphosate, nous n’arrivons pas à obtenir les études qui sont classées « confidentiel » par les entreprises. Quant aux essais cliniques, ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui disent qu’il s’agit de secrets d’affaires. À chaque fois qu’un scandale a éclaté, que l’opinion publique a été informée et que le législateur a pris les mesures nécessaires en réaction, cela a été grâce au courage de quelques lanceurs d’alerte zélés. Aujourd’hui, ce texte remet en question la capacité de ces personnes hors du commun de révéler des informations qu’elles étaient censées taire. J’aurais aimé que, par rapport à cette directive, vous proposiez auparavant une directive pour protéger les lanceurs d’alerte. Les deux vont ensemble; il ne s’agit pas de choisir l’une ou l’autre ».
C’est ce déséquilibre qui suscite la réaction de citoyens européens qui s’opposent à cette directive.
Plus de 500 000 personnes ont signé la pétition pour s’opposer à cette directive en l’état.
Le texte doit être validé par le conseil européen, et une nouvelle pétition circule pour s’y opposer.
Pour en savoir plus:
Le communiqué de la LDH et du collectif relatif à cette directive
http://www.ldh-france.org/reponse-leurope-aux-panama-papers-nouveau-droit-lopacite-les-multinationales/
L’article d’Alter Eco du 15 avril
http://www.alterecoplus.fr/libertes/mauvaise-nouvelle-pour-les-lanceurs-dalerte-201604141855-00003328.html
Le texte de la directive
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2016-0131&language=FR&ring=A8-2015-0199
Les interventions lors du débat
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+CRE+20160413+ITEM-022+DOC+XML+V0//FR&language=FR#top