Hongkong/Droits humains : plus de répression, plus de frustration, plus de révolte…

Dossier Hongkong : plus de répression, plus de frustration…

Publié par Alencontre le 30 – juillet – 2019

Par Lily Kuo (Hongkong)

Hongkong a connu sa troisième journée consécutive de mobilisation de masse avec des affrontements – dans plusieurs endroits de la ville – entre manifestants et policiers anti-émeutes qui ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc.

Des dizaines de milliers de manifestants, vêtus de noir et «armés» de parapluies et de casques, ont défié les ordres de la police de limiter le rassemblement de dimanche 28 juillet à un parc du centre de Hongkong. Ils se sont dispersés dans toute la ville en début de soirée. Ils évoluaient d’ouest en est, occupant les routes principales, érigeant des barricades et chantant: «Reconquérir Hongkong!»

Alors que la ville a enduré un calme tendu lundi, tous les regards étaient tournés vers Pékin, où l’on s’attendait à ce que le Bureau des affaires de Hongkong et de Macao – le plus haut organe chinois de l’ancienne colonie britannique – tienne une conférence de presse à 15 heures, heure locale (7 heures GMT).

Il semble que c’est la première fois que cette instance tient une conférence de presse depuis que Hongkong a été remis à Pékin en 1997 et que la région se trouve au milieu d’une vague de condamnation des protestations par les médias d’Etat chinois.

Dans sa dernière série d’éditoriaux, China Dailya affirmé que des «forces extérieures» et des «ingérences extérieures» étaient à l’origine des troubles.

Cela vient après que les manifestants eurent de nouveau fait du Bureau de représentation de Pékin à Hongkong une cible de leur colère exprimée dimanche.

La police anti-émeute a bloqué un groupe de manifestants sur le chemin de ce bâtiment et, à mesure que la foule grandissait, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Les manifestants ont réagi en lançant des parapluies, des pierres, des œufs et des bouteilles sur les policiers. Les manifestants ont créé une sorte de porte tambour à l’aide de panneaux de signalisation et de barrières de circulation alors qu’ils tentaient de tenir leur position.

«Ça a duré une minute entière. Il y a eu au moins 10 assauts», a dit Long, un volontaire médical de 25 ans qui a affirmé qu’il avait aidé à retirer les manifestants de la ligne de front quand ils trébuchaient et ne pouvaient pas voir.

Au cours des trois derniers jours, les manifestants se sont rassemblés pour condamner l’attaque perpétrée le week-end dernier contre des utilisateurs du métro par des présumés gangs des triades, un incident qui a conduit à des accusations de collusion gouvernementale, démenties par les autorités de Hongkong.

Samedi, une marche pacifique dans la ville de Yuen Long [district situé à l’ouest des Nouveaux Territoires de Hongkong] a tourné au chaos lorsque la police a tiré des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades-éponges [armes anti-émeutes normalement non létales mais infligeant des traumatismes contondants], et a chargé des manifestants dans une gare ferroviaire. Des milliers de manifestants se sont joints aux travailleurs de l’aviation à l’aéroport durant un sit-in de 11 heures vendredi 26 juillet.

L’ancienne colonie britannique est confrontée à sa crise politique la plus grave depuis son retour sous contrôle chinois en 1997. Aux termes de cet accord, la région semi-autonome devait maintenir un «haut degré d’autonomie» grâce à un système judiciaire indépendant, une presse libre et une économie de marché ouverte, un cadre appelé «Un pays, deux systèmes».

Les manifestations de dimanche ont marqué le huitième week-end consécutif durant lequel les Hongkongais sont descendus dans la rue pour protester contre un projet de loi d’extradition qui aurait permis d’envoyer des suspects recherchés en Chine continentale.

Alors que la police tirait continuellement des grenades lacrymogènes sur les foules dimanche 28, certains manifestants sont tombés à terre, s’étouffant. Un groupe s’est réfugié dans un immeuble d’habitation voisin lorsque des résidents ont ouvert la porte et les ont fait entrer. Les manifestants se sont effondrés dans la cage d’escalier, certains d’entre eux pleurant.

«Même si les manifestants sont pacifiques, les policiers continuent à tirer des gaz lacrymogènes. Je ne sais pas pourquoi ils continuent à le faire», a dit Hinton, 16 ans, qui avait les larmes aux yeux après avoir été gazé.

La police a déclaré avoir utilisé des gaz lacrymogènes afin de disperser les manifestants qui leur lançaient des briques, mais les manifestants ont insisté sur le fait que la police a tiré en premier. «Nous essayons de protéger notre propre liberté. Nous faisons cela pour ce lieu, notre lieu. Je vais être honnête, j’ai jeté des choses parce que je suis très en colère», a déclaré un manifestant, Angus, 24 ans.

Les manifestants ont ensuite été repoussés sur des routes plus petites à Sheung Wan, un quartier normalement très fréquenté qui s’est transformé en ville fantôme après la fermeture des magasins et l’avertissement donné aux résidents de rester chez eux. Les touristes et les résidents ont fui la scène en courant, se protégeant les yeux et la bouche.

Avant minuit, la police avait encerclé les manifestants qui se protégeaient avec des planches de bois et des panneaux de signalisation. Des gaz lacrymogènes ont été lancés sur les manifestants depuis toutes les directions, encerclant la route et forçant les manifestants à entrer dans une station de métro et de partir.

Certains manifestants ont déclaré que la police semblait intensifier ses attaques. Les policiers tiraient plus tôt et plus fréquemment sur les manifestants. «Je ne peux même pas compter combien de grenades lacrymogènes ils ont utilisées», dit Roy Chan, 39 ans.

Dans un communiqué, le gouvernement a déclaré que les manifestants avaient poussé un chariot de carton en flammes contre la police, «menaçant la sécurité des policiers et des membres du public». Le gouvernement a déclaré qu’il continuerait à «appuyer pleinement la police pour qu’elle applique strictement la loi afin de mettre fin à tous les comportements violents».

La police a déclaré que 49 personnes avaient été arrêtées dans le cadre de la manifestation de dimanche, pour rassemblement illégal présumé et possession d’armes offensives.

Les organisateurs de l’événement de dimanche avaient initialement prévu de marcher du centre de Hongkong à Sheung Wan afin de condamner la police pour avoir tiré des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur des manifestants le week-end dernier. La police n’a pas accordé d’autorisation pour la marche – c’est la deuxième fois que les autorités ont rejeté une demande de protestation – suite à une interdiction de rassemblement le samedi à Yuen Long.

Les manifestants craignent que les autorités n’adoptent davantage cette orientation à l’avenir. Dimanche, l’un des organisateurs du rassemblement de Yuen Long, Max Chung, a été arrêté par la police, soupçonné d’incitation à une réunion illégale.

Certains disent que la situation risque de dégénérer en une spirale incontrôlable car une partie de la population doute de la capacité du gouvernement de Hongkong à gouverner et que Pékin est susceptible de faire pression sur les autorités de Hongkong pour qu’elles adoptent une position plus dure envers les manifestants. Alors que ces derniers continuent de se heurter à la police, les gens sont de plus en plus frustrés, ce qui alimente encore plus de réactions.

«Il y a beaucoup de colère dans l’opinion publique et je ne pense pas que cela va bientôt disparaître», a déclaré James Yip, 27 ans, membre du groupe de manifestants qui quittait Sheung Wan. «Je pense que tout le monde est épuisé des deux côtés, les pro-gouvernement et les pro-démocratie.»

L’épuisement des protestations semble également s’être installé. Amy Yeung, 26 ans, a assisté à autant de manifestations qu’elle le pouvait. «Je suis mentalement fatiguée. En regardant les nouvelles, on pleure», dit-elle. «Mais au moins, en restant ici, nous donnons le message que nous ne sommes pas seuls.»

Dimanche, les manifestants ont déclaré qu’ils étaient plus en colère qu’épuisés et qu’ils continueraient. Jonathan, 19 ans, qui se reposait sur un trottoir loin de la ligne de front entre deux tirs de gaz lacrymogènes, a dit: «Ils nous voient comme une menace parce que nous avons un impact.»

L’influence de Pékin sur Hongkong s’est accrue ces dernières années, car des militants ont été emprisonnés et des députés pro-démocratie ont été disqualifiés pour se présenter aux élections ou occuper un poste. Des libraires de livres critiques [études sur le régime chinois] avaient «disparu» de Hongkong, pour réapparaître en Chine continentale où ils ont fait face à des accusations graves. C’est ce que les critiques du projet de loi sur l’extradition font souvent valoir comme exemple.

«Il nous semble que c’est notre dernière chance. Si nous ne le faisons pas maintenant, nous ne pourrons pas le faire plus tard», a déclaré Eunice Chan, 55 ans, qui a grandi à Hongkong avant qu’elle retombe sous contrôle chinois en 1997. (Article publié dans The Guardian, le 29 juillet 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

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Quand les porte-parole de Pékin affirment que «la loi c’est la loi»

Par Holms Chan

Le porte-parole Yang Guang

Le principal bureau chinois chargé des affaires de Hongkong a tenu une conférence de presse lundi 29 juillet à Pékin pour exprimer «sa position et ses vues sur la situation actuelle de Hongkong».

C’était la première fois que le Bureau des affaires de Hongkong et de Macao du Conseil d’Etat tenait un point de presse sur la ville depuis 1997.

Le porte-parole du bureau, Yang Guang, a condamné les actions des manifestants contre la loi sur l’extradition au cours des dernières semaines, affirmant qu’ils «ont dépassé les limites de la protestation acceptable».

Après une récapitulation des récents événements de protestation, Yang a fait trois suggestions: il a appelé tous les secteurs de la société de Hongkong à «s’opposer clairement à la violence», à «défendre fermement l’Etat de droit» et à sortir de l’impasse politique pour se concentrer plutôt sur les questions de développement et de conditions de vie.

«Nous comprenons et comprenons tout particulièrement la pression énorme que subissent la police et leurs familles», a ajouté M. Yang, ajoutant que la Chine soutenait pleinement la police et les forces de l’ordre.

Il a affirmé que «certaines personnes et certains médias ayant des arrière-pensées» ont profité de la méconnaissance par le public du système juridique chinois pour s’opposer au projet de loi sur l’extradition proposé par le gouvernement.

«Si Hongkong continue d’être plongée dans le chaos, cela aura un coût pour la société», a-t-il dit.

Interrogé sur l’idée de désobéissance civile, Yang a rejeté l’idée: «La violence est violence, enfreindre la loi est enfreindre la loi.»

La porte-parole Xu Luying

Répondant aux questions de la presse, la porte-parole Xu Luying a déclaré que le gouvernement central «soutient pleinement» le travail accompli par la cheffe de l’exécutif Carrie Lam, et qu’il continuera à la soutenir, elle et son administration, pour gouverner Hongkong conformément à la loi.

«Nous avons vu que l’administration de Hongkong a opéré une réflexion sur son action» concernant l’affaire du projet de loi sur l’extradition, a-t-elle ajouté [Carrie Lam a déclaré le «projet de loi mort», mais ne l’a pas retiré].

Comme la conférence de presse se terminait, les journalistes ont adressé des questions avec force aux porte-parole du Bureau des affaires de Hongkong, y compris la question: «Pourquoi ne condamnez-vous pas la police pour avoir battu des gens et pourquoi Carrie Lam ne s’est-elle pas déjà retirée?»

La députée Starry Lee, qui dirige le parti pro-Pékin DAB [Democratic Alliance for the Betterment and Progress of Hong Kong, créé en 1992], s’est félicitée de la déclaration du Bureau des affaires de Hong Kong et Macao. Elle a affirmé que les trois principaux points soulevés par le porte-parole – s’opposer à la violence, défendre l’Etat de droit, développer l’économie et améliorer les conditions de vie – représentent également les attentes de la population.

Elle a affirmé que le gouvernement central était très préoccupé et suivait de près la situation à Hongkong.

Lorsqu’on lui a demandé si, selon elle, le soutien de la Chine rendrait le gouvernement de Hongkong réticent à mener une enquête indépendante, Mme Lee a répondu qu’il y avait des difficultés à mettre sur pied une telle commission d’enquête.

Le chef du Parti démocrate Wu Chi-wai a déclaré que le gouvernement central avait mal jugé la situation et avait «coupé court aux voies possibles pour aller de l’avant». Le soutien de Pékin à Carrie Lam signifie qu’il y aura un recours croissant à la police comme solution, a-t-il ajouté. «Pékin estime que les manifestations contre l’extradition peuvent être violemment réprimées par la police, et n’a jamais envisagé de résoudre un problème politique par des moyens politiques», a-t-il dit. «Une fois que la police augmentera la force de leur répression, la résistance des Hongkongais s’intensifiera, créant un cercle vicieux.»

Claudia Mo, responsable du camp pro-démocratie [et membre du Conseil législatif], a qualifié de «décevante» la réponse de Pékin, ajoutant qu’elle n’était pas en phase avec les sentiments locaux. Le député Ray Chan a ajouté que Pékin aurait également dû condamner les attaques de Yuen Long par des voyous vêtus de blanc [une quarantaine de gangsters des triades qui ont attaqué brutalement les manifestants dans le métro].

Le projet de loi sur l’extradition permettrait à la ville de traiter au cas par cas le transfert de personnes dites recherchées vers des juridictions avec lesquelles n’existe aucun accord préalable, notamment la Chine. Selon certains critiques, les résidents de Hongkong risquent d’être extradés vers le continent, dans lequel les Droits de l’homme ne sont pas respectés. Depuis juin, des manifestations à grande échelle se sont transformées en manifestations de dissidence à propos de la diminution des libertés, de la démocratie, des brutalités policières alléguées et d’autres griefs de la communauté. Le 9 juillet, la directrice générale, Carrie Lam, a déclaré le projet de loi «mort», mais n’a adopté aucun mécanisme pour le retirer ou accepter de le retirer. (Article publié dans le Hong Kong Free Press,le 29 juillet 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

«Ce n’est plus une colonisation israélienne, mais un seul État d’apartheid»

Publié sur blogs.mediapart.fr

Lundi, soixante-dix habitations palestiniennes ont été détruites à l’Est de Jérusalem pour des raisons de “sécurité”, créant un dangereux précédent. Entretien avec Jeff Halper, activiste israélien et co-fondateur d’ICAHD, qui lutte depuis 20 ans contre les exactions d’Israël et soutient la solution à un État.
Des habitants palestiniens devant leur maison pour empêcher sa destruction par les forces israëliennes. © ICAHDDes habitants palestiniens devant leur maison pour empêcher sa destruction par les forces israëliennes. © ICAHD

Selon Jeff Halper, anthropologue et activiste israélien, co-fondateur de l’organisation ICAHD, crée en 1997, l’intensification de la colonisation et de l’occupation israélienne a tué la solution à deux États. Avec de nombreux autres acteurs nationaux et internationaux, notamment des activistes et chercheurs palestiniens, ICAHD est partisan d’une solution à un État. Cela consisterait à démanteler le régime colonial d’apartheid qui a été imposé sur la Palestine historique. Il serait remplacé par un système démocratique qui repose sur une égalité civile complète, où le droit de retour des réfugiés palestiniens serait appliqué et accompagné d’aides et de compensations, dans un système qui reconnaît les crimes commis et entame la réconciliation.

Cette solution n’est, pour l’instant, pas saisie par les représentants politiques palestiniens et israéliens, ni par les puissances internationales; même si elle a ré émergé ces dernières années. Face à la destruction des soixante-dix habitations à l’est de Jérusalem, l’Europe a déclaré que la politique israélienne de démolition « affaiblit la viabilité de la solution à deux États et les perspectives d’une paix durable ». Du côté israélien, la solution à un État démocratique, supprimerait la suprématie juive sur le territoire. Cela signifierait la fin de l’idée d’un foyer exclusivement juif et du droit d’autodétermination des Juifs. L’avantage démographique serait du côté palestiniens et se ressentirait lors des suffrages.

Au niveau international, malgré les discours pro palestinien en Europe et dans les pays arabes, personne ne semble vouloir se mouiller et repenser le statu quo actuel. La question politique est écartée et laisse place à l’aide humanitaire. Les intérêts économiques et géopolitiques et le droit de veto du Conseil de Sécurité des Nations-Unies bloque toutes propositions d’intervention pour faire appliquer le droit international. Le dévoilement en juin dernier du plan économique de cinquante milliards de dollars des États-Unis a été très mal reçu par les palestiniens qui estiment qu’il ne peut y avoir de prospérité économique sous l’occupation. Ils estiment qu’insister sur la prospérité économique normalise l’occupation, et qu’il faut d’abord régler le problème politique.

Le volet politique du plan des États-Unis devrait être dévoilé à l’automne. L’élection de Trump instaure un contexte particulièrement défavorable aux Palestiniens. L’Ambassade américaine a été déplacée à Jérusalem, reconnaissant de facto la ville comme capitale “éternelle et indivisible” d’Israël et justifiant l’occupation de Jérusalem-Est. Le plan économique américain arrive après le retrait de plus de 500 millions de dollars d’aides américaine à la Palestine, la fin du financement américain de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens et de nombreuses décisions en faveur d’Israël. Le président américain Trump est persuadé qu’il arrivera à une solution à deux États.

Entretient avec Jeff Halper.

Comment le gouvernement israélien justifie-t-il la destruction d’habitations ?

La sécurité. C’est le maître mot. Il y a une manipulation de la peur pour justifier les crimes commis et l’Autorité Palestinienne, l’Europe et l’ONU ont dénoncé ces destructions. Le ministre israélien de la Sécurité Intérieure, des Affaires stratégiques et de l’information, Gilad Erdan, a déclaré que les habitations trop près du mur étaient illégales et constituaient un danger pour l’exercice des forces armées. Pourtant, cette partie du territoire est en zone A, zone exclusivement sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. Surtout, le mur est illégal au regard du droit international. Il n’y a pas de fondement juridique à une telle opération, mais un ordre militaire de 2011 qui interdit la construction d’habitations palestiniennes à moins de 250 mètres du mur. Long de plus de 700 kilomètres, si toutes les habitations palestiniennes proches du mur sont sous ordres de démolition, les conséquences seront désastreuses pour les palestiniens.

« Quand les habitations sont détruites, les palestiniens n’ont aucun recours. Ils ne sont parfois même pas prévenus, n’obtiennent aucune compensation et peuvent même recevoir une contravention. »

Il est très rare qu’ils obtiennent un permis de construire et les ordres de démolition sont souvent justifiés par une accusation de construction illégale. Concernant les anciennes habitations, les palestiniens ne possèdent parfois pas de permis de construction formel et se retrouvent aussi dans l’illégalité. Les procédures d’enquêtes pénales ne donnent rien. Une fois leur habitation détruite, les familles sans logements et ayant souvent investi tout leur argent dans la construction, doivent se débrouiller seules. Elles vont le plus souvent habiter avec leurs proches dans des logements en forte promiscuité.

Un bulldozer israélien détruit une habitation palestinienne. © ICAHDUn bulldozer israélien détruit une habitation palestinienne. © ICAHD

Dès 1967, Israël a “zoné” Jérusalem-Est, en consacrant des “zones vertes” bloquants de facto la construction d’habitations palestiniennes. Cette interdiction est contournée quand il y a une volonté de construire une colonie israélienne. Au conseil de planification urbaine, les israéliens sont les seuls à décider. Aujourd’hui, 40 % de la population de Jérusalem est palestinienne, mais seulement 8 % des territoires urbains leur sont accordés.

Pourquoi la solution à deux États est-elle obsolète ?

Factuellement aujourd’hui il n’y a pas deux États. Il n’y a plus qu’un État qui impose son pouvoir arbitraire sur tout le territoire. À la colonisation intense et l’occupation militaire, s’ajoutent la construction d’autoroutes ségréguées, les centaines de checkpoints, le mur d’apartheid, les bases militaires et les clôtures.

« À ce titre, Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza, sont réduits à de minuscules cantons isolés, qui ne peuvent pas être considérés comme un État palestinien. »

L’autorité palestinienne n’a pas de réel pouvoir, il n’y a aucune continuité territoriale palestinienne et la Cisjordanie est complètement morcelée. Israël contrôle les dépenses publiques, et l’armée exerce une occupation militaire illégale et arbitraire sur le territoire palestinien.

En France, il arrive d’entendre dans les médias ou ailleurs, qu’il est normal qu’Israël détruise et tue parce que c’est une guerre et que si elle ne le fait pas, c’est elle qui sera anéantie. Que répondez-vous à cela ?

Ce n’est pas une guerre, ni un conflit. Pour qu’il y ait conflit, il faut qu’il y ait deux côtés et qu’il y ait négociation. Or là, il y a une colonisation unilatérale de peuplement, comme les Français en Algérie. Il n’y a pas eu de demande préalable. Des colons sionistes ont conquis le territoire, les palestiniens ont été déplacés et leurs droits bafoués. Aujourd’hui y a une asymétrie de pouvoir, qui empêche de construire des négociations sur un rapport de force équilibré.

“Le pouvoir est du côté israélien et la volonté du gouvernement est de « judéiser » le pays et de le « désarabiser ».”

Le mot “terroriste” n’est pas juste, car il est seulement appliqué aux acteurs non-étatiques et pas à l’État d’Israël. Concernant la violence entre les deux peuples, de fait, dans plusieurs territoires en Israël, juifs et arabes cohabitent. Même si dans l’État israélien actuel, les arabes israéliens sont oppressés, dans un État de droit, il n’y a pas de contradiction à une telle cohabitation.

Pourquoi avoir quitté les États-Unis et fondé une association israélienne non violente ?

J’ai quitté les États-Unis, car j’étais opposé à l’élection de Nixon et à la Guerre du Vietnam. J’ai immigré en Israël, qui était pour moi un autre “front de la révolution”.

“Je ne suis pas un sioniste désillusionné et je ne me vois pas comme un colon non plus. J’estime qu’il y a un lien entre les Juifs et cette terre, mais je m’oppose fermement au sionisme et à un État d’apartheid exclusivement juif.”

Je condamne le processus de colonisation de peuplement mené par Israël depuis 1948 au détriment des palestiniens. Je suis persuadé que les Arabes palestiniens et les Juifs peuvent cohabiter sur ce territoire dans un État de droit.

J’ai co-fondé ICAHD (The Israeli Committee Against House Demolitions). C’est une organisation israélienne et pas palestinienne, car en tant qu’Israéliens nous nous devions de prendre la responsabilité de ce qu’il se passait dans notre pays. Nous travaillons spécifiquement contre la démolition des habitations. En partant de ce problème, cela nous permet de porter une réflexion plus large sur la stratégie israélienne de colonisation.

“Ce n’est pas aux Palestiniens de venir reconstruire leurs maisons mais c’est à nous, Israéliens, de nous y opposer et de tenir notre gouvernement responsable.”

Nous travaillons main dans la main avec les Palestiniens. Notre action est non violente, parce qu’au bout du compte, nous devons vivre ici ensemble et la violence nous transforme en ennemis. Utiliser la violence rendrait notre objectif plus difficile à atteindre, cela augmenterait le niveau de haine. Notre approche non-violente est moins philosophique, que tactique. Pour autant, nous nous opposons physiquement aux bulldozers israéliens en occupant les lieux de destruction et en reconstruisant les habitations. Nous documentons les exactions d’Israël et exerçons un plaidoyer international. La situation ne viendra pas de l’intérieur. Il n’y a que très peu d’Israéliens, quelques milliers, qui s’opposent fermement aux exactions d’Israël. C’est pour ça qu’il faut exercer une pression internationale. L’Europe ne finance plus nos projets, car nous sommes politiques. Elle joue contre nous.

 « Avec nos partenaires palestiniens, nous avons choisi de ne pas basculer dans l’humanitaire ou le développement, car nous ne voulons pas normaliser la situation d’Apartheid. Nous ne recevons plus de subventions de l’Europe »

Comme beaucoup d’organisations politiques, nous avons fermé nos bureaux. Nous n’avons plus de salariés, nous sommes juste des activistes.

Quelles sont vos relations avec vos partenaires palestiniens ?

Nous avons créé une vraie relation de confiance avec eux. En 1997, quand nous avons commencé comme activistes, nous ne connaissions pas bien les Palestiniens.

“Parce que nous sommes les oppresseurs c’est une relation complexe.”

Cela pourrait être facile pour nous qui avons le pouvoir, l’argent et dont l’habitation n’est pas menacée; d’imposer nos solutions. Nous pourrions hausser le ton et laisser nos partenaires palestiniens nous dire oui, parce qu’ils n’oseraient peut-être pas nous dire non.

“Nous avons appris à les écouter, à leur donner du pouvoir et à perdre du nôtre. Nous ne voulons pas les déposséder de leur combat et y nuire.”

Par exemple, il arrive qu’ils nous disent que nous ne devrions pas mener d’actions cette semaine là. Même s’ils ne nous expliquent pas pourquoi. Nous savons que c’est un signal et qu’il faut les écouter. Nous ne savons pas ce qu’il se passe dans leur environnement, s’il y a de la peur, ou si quelqu’un dans leur communauté est hostile à notre intervention. Nous ne les obligeons pas à tout partager avec nous. Il s’agit de faire preuve d’une grande sensibilité.

Petite fille dans les gravas d'une habitation palestinienne détruite. © ICAHDPetite fille dans les gravas d’une habitation palestinienne détruite. © ICAHD