NOUVELLE ESCALADE RÉPRESSIVE À L’ENCONTRE DE MILITANTS ÉCOLOGISTES DANS LE TARN

01.03.2024

Communiqué de la LDH

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) exprime sa plus vive inquiétude au regard des méthodes de maintien de l’ordre et d’expulsion mises en œuvre à l’encontre des défenseur-e-s de l’environnement, dits « les Ecureuils », qui occupent des arbres sur le chantier de l’A69 dans le Tarn.

Nos militantes et militants sur le terrain observent, depuis la mise en place de la Zad sur le site de la “Crem’Arbre” (Saïx) contre le projet autoroutier de l’A69, une répression et une criminalisation de ce mouvement de plus en plus fortes prenant plusieurs formes :

  • des entraves au droit d’observer des observatrices et observateurs indépendants, malgré leur statut reconnu par l’ONU et le Conseil d’Etat reconnaissant la nécessité d’y conformer le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) ;
  • des entraves à la liberté de la presse, exercées par la gendarmerie nationale qui empêche les journalistes d’accomplir leur travail en les tenant à distance ;
  • une disproportion des moyens mis en place, caractérisée par un escadron complet de gendarmerie stationné en permanence depuis le début des opérations d’expulsion, appuyé par deux véhicules blindés de type « Centaure » ;
  • un usage immodéré de la force face à quelques dizaines de manifestantes et manifestants écologistes au plus fort des tensions : grenades explosives, nouveaux lanceurs de balles de défense, usage important des gaz lacrymogènes ;
  • des comportements contraires à l’éthique des représentants de l’Etat exerçant la force publique rapportés par de nombreux témoins (insultes, menaces et gardes à vue visant à humilier…) ;
  • une obstruction clairement observée et documentée à l’accès aux secours par la gendarmerie, les CRS et les pompiers.

La LDH est particulièrement inquiète de ces constats, d’autant qu’ils font directement échos à des situations qu’elle a déjà dénoncées par le passé et qui ont conduit à des drames, comme à Sivens avec la mort de Rémi Fraisse ou plus récemment à Sainte-Soline où plusieurs personnes ont été grièvement blessées.

Elle s’associe donc également aux CONCLUSIONS DE MICHEL FORST, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la convention d’Aarhus, à la suite de sa visite des 22 et 23 février 2024, et demande au ministre de l’Intérieur et aux pouvoirs publics de donner toutes instructions pour qu’il soit immédiatement mis fin aux mises en danger des défenseur-e-s des droits en matière d’environnement.

La LDH appelle l’ensemble des responsables publics, notamment ceux liés au projet autoroutier, à la retenue dans leur expression sur celles et ceux qui défendent des droits en matière d’environnement engagés dans le mouvement de protestation contre le chantier.

Enfin, elle demande au gouvernement, qui porterait une lourde responsabilité en cas de nouveau drame, d’adopter au plus vite les mesures d’apaisement nécessaires à un débat démocratique, dans la volonté affichée d’éviter que la tragédie ne se répète.

Paris, le 1er mars 2024

« Un après-midi dans les gaz lacrymogènes » : le rapport détaillé de l’observatoire des pratiques policières à Toulouse

Publié sur france3regions.francetvinfo.fr le 30 juillet 2021

L’Observatoire des Pratiques Policières (OPP) à Toulouse analyse depuis plus de quatre ans la gestion des manifestations de rue par les forces de l’ordre. Il publie aujourd’hui un rapport détaillé du comportement des policiers lors de la mobilisation contre le pass sanitaire samedi 24 juillet.

L’Observatoire toulousain des Pratiques Policières (OPP) est né en 2017. A l’époque des militants de la Ligue des Droits de l’Homme et de la fondation Copernic constatent une dégradation du maintien de l’ordre dans les manifestations, notamment la mobilisation contre la loi travail et contre le barrage de Sivens dans le Tarn. « On a eu l’impression que les policiers avaient franchi un pas », explique Pascal Gassiot de la fondation Copernic.

« Avec des copains militants, on s’est dit : il faut que l’on témoigne sur une longue durée mais on n’imaginait pas que l’on partait pour un travail de plus de quatre ans. »

Le travail de ces observateurs s’est en effet intensifié en novembre 2018 avec les manifestations des Gilets Jaunes. En avril 2019, les membres de l’OPP dénoncent dans un premier rapport « un dispositif de maintien de l’ordre disproportionné et dangereux pour les libertés publiques. »

Des Gilets Jaunes aux manifestants contre le pass sanitaire

Avec le Covid et le confinement, les Gilets Jaunes ont cessé de manifester. Mais depuis l’annonce de la mise en place d’un pass sanitaire et d’une vaccination obligatoire, les manifestations de rue rassemblant de simples citoyens ont repris. A Toulouse, des milliers de personnes se sont ainsi retrouvées dans la rue plusieurs samedis de suite pour dire non à ce qui ressemble, selon elles, à des entraves à la liberté.
Les membres de l’observatoire toulousain des pratiques policières sont là, à leurs côtés. Ils ont décidé désormais de publier leurs rapports détaillés régulièrement quand ils le jugeront nécessaire. A chaque manifestation un groupe de quatre observateurs est présent.

Toulouse - Des observateurs de l'Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP à la manifestation du 24 juillet 2021.
Toulouse – Des observateurs de l’Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP à la manifestation du 24 juillet 2021. • © Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP

Le rapport du 24 juillet a été baptisé « un après-midi dans les gaz lacrymogène ». Il raconte, minute par minute, le déroulé de la manifestation contre le pass sanitaire qui a eu lieu ce jour-là dans les rues de Toulouse. Une manifestation interdite dans le centre-ville et qui a rassemblé plus de 3 000 personnes. Deux groupes de quatre observateurs sont présents.

« Un homme est couché à terre »

Voici quelques extraits de ce rapport qui comporte également des photos.

-« A 14h05,  un demi-escadron  d’EGM, (Escadron de gendarmes mobiles) 7 fourgons avec les gendarmes non casqués, est positionné sur les allées Roosevelt. Les manifestants sont, pour partie, regroupés devant les anciens locaux d’Air France. La manif s’élance en direction de Jeanne d’Arc. »

-« Vers 15h34, des CDI, avec une commissaire de police (bien connue de nos services…) sont positionnés en haut des marches d’accès à la dalle du quartier Saint-Georges. Certains  manifestants les invectivent et l’attitude de l’un des policiers, juste à côté de la commissaire qui ne réagit pas, n’est absolument pas professionnelle ; on peut qualifier son comportement de «narquois» : il fait des petits signes de la main en joignant par exemple des doigts en forme de cœur… Ce qui a pour effet, bien évidemment, de faire augmenter le niveau d’énervement des manifestants en question. »

-« 18h11.Un homme est couché à terre et les secouristes volontaires sont à la manœuvre sous la «surveillance» des policiers et gendarmes. Une cinquantaine de personnes sont maintenues à distance par des cordons de gendarmes et de policiers. Nous rejoignons les autres observateur·es et constatons que les deux personnes dont l’interpellation, pour le moins malvenue, a fait dégénérer la situation sont assises sur le trottoir et menottées. La situation s’éternise en attendant l’arrivée du SAMU ».

« Le maintien de l’ordre c’est complexe »

« On est neutre d’un point de vue du comportement », explique Pascal Gassiotmembre fondateur de l’observatoire toulousain des pratiques policières. « On garde de la distance. On ne nie pas qu’il y a des jets de cailloux ou de canettes mais ce policier cité dans le rapport qui nargue des manifestants, ce n’est pas professionnel, cela ne joue pas l’apaisement. Dans le rapport, on montre aussi, photo à l’appui, un manifestant qui donne un coup de tête dans le bouclier d’un policier qui réagit immédiatement en lui donnant un coup de bouclier ».

Toulouse - manifestation du 24 juillet 2021.
Toulouse – manifestation du 24 juillet 2021. • © Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP.

Un gendarme mobile ou un CRS n’aurait pas réagi selon Pascal Gassiot. Là, il s’agissait d’un policier de la CDI (compagnie départementale d’intervention), des hommes qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre explique l’observateur. « On ne cherche pas à justifier les violences contre la police mais le maintien de l’ordre c’est quelque chose de complexe. On dénonce la présence, dans les manifestations, des policiers de la CDI et de la BAC (Brigade anti criminalité). Ils réagissent de manière fébrile et non proportionnée. »

« Avec le temps, dit Pascal Gassiot, on  espère qu’il y aura une prise de conscience de la police et de la population. On pense qu’en continuant à faire ce travail, avec le temps, les choses vont évoluer, mais c’est long ».

En France, une douzaine d’observatoires similaires ont vu le jour ces dernières années. Une réunion nationale est prévue à Toulouse fin septembre, début octobre.

Pour consulter et télécharger le rapport d’observation (Fondation Copernic/LDH/Syndicat des Avocats de France) , cliquer ICI

Lors de l’assemblée générale des membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières – OPP qui s’est tenue le 7 juillet 2021, il a été décidé de restituer publiquement de manière régulière les travaux d’observation et d’analyse des pratiques policières lors des manifestations de rue à Toulouse.

Jusqu’à ce jour et plus de quatre années après l’observation des premières manifestations, l’OPP a rendu public deux rapports, plutôt consistants, en avril 2019 et en avril 2021 ainsi qu’une dizaine de communiqués de presse.

Le fait de rendre public certains rapports internes de l’OPP va dans le sens d’une restitution plus régulière du travail d’observation.

Loi Sécurité globale : camouflet pour le gouvernement, demi-victoire pour les libertés

Communiqué de la Coordination nationale Loi-sécurité-globale dont la LDH est membre

Le 20 mai 2021, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions phares de la loi dite Sécurité globale adoptée le 15 avril dernier. Cela constitue une victoire incontestable pour un ensemble d’organisations de défense des droits humains réunies au sein de la Coordination #StopLoiSécuritéGlobale qui n’a eu de cesse, depuis novembre dernier, de dénoncer le caractère liberticide de ce texte. Plus d’une vingtaine de saisines du Conseil constitutionnel ont été effectuées par nos organisations membres et des collectifs régionaux opposés à la loi.

Cela représente surtout une victoire pour les libertés de chaque citoyenne et citoyen en France.

Le gouvernement se fait ainsi tancer concernant des dispositifs policiers sur lesquels il avait misé politiquement en faisant montre d’une insatiable soif sécuritaire : exit le délit de provocation à l’identification des forces de l’ordre, qui avait conduit des centaines de milliers de personnes à défiler partout en France. Il sera toujours possible pour chaque citoyen.ne de documenter l’action de la police. Exit l’usage généralisé et incontrôlé des drones ; exit aussi le transfert des pouvoirs de police judiciaire à la police municipale.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a aussi validé un certain nombre de dispositions problématiques, qui accentuent la logique d’un appareil policier surpuissant et peu ou pas contrôlé.

Cette décision du Conseil constitutionnel donne néanmoins quelques bouffées d’oxygène et montre que la lutte collective mérite de se poursuivre ardemment et plus que jamais, alors que s’amoncellent d’autres projets de loi, tout aussi liberticides.

Après la décision du Conseil constitutionnel, Gérald Darmanin a dit vouloir légiférer à nouveau sur les dispositions censurées. La coordination #StopLoiSécuritéGlobale estime que ces déclarations traduisent la volonté du ministre de l’Intérieur de continuer à s’en prendre aux libertés fondamentales en France.

Les organisations de la Coordination continueront d’alerter et de se mobiliser pour défendre nos libertés collectives. La défense de l’État de droit est à ce prix.

Des dispositions dangereuses censurées

Le Conseil a déclaré contraires à la Constitution cinq articles essentiels de cette loi :

  • l’article 1er sur la police municipale, qui prévoyait, à titre expérimental, de confier des compétences judiciaires très larges aux policiers municipaux et aux gardes-champêtres. Le Conseil a estimé, conformément à notre analyse, que le contrôle direct et effectif de l’autorité judiciaire sur ces agents n’était pas assuré, et que la formation des directeurs et chefs de service de police municipale n’était pas à la hauteur de ces nouvelles prérogatives ;
  • l’article 41 sur le placement sous vidéosurveillance des personnes retenues dans les chambres d’isolement des centres de rétention administrative et des personnes en garde à vue. Le Conseil a entendu qu’il n’était pas possible de confondre aussi indignement sécurité de ces personnes enfermées et protection de leur vie privée ;
  • quasi intégralement l’article 47 sur l’utilisation des drones, le Conseil considérant que ce dispositif à « l’impact intrusif » était ouvert trop largement et ne présentait pas de garanties suffisantes notamment au regard du droit au respect de la vie privée. Toutefois, il valide le principe général de cet outil de surveillance de masse ;
  • l’article 48 sur les caméras embarquées qui permettaient la captation, l’enregistrement et la transmission d’images y compris de l’intérieur des immeubles ainsi que de leurs entrées, sans dûment en informer le public, et dans certaines hypothèses sans limite fixée de durée et de périmètre, le tout sans autorisation ni même information d’une autorité de contrôle ;
  • et enfin l’article 52 anciennement 24 sur le – devenu si célèbre – délit de provocation malveillante à l’identification d’un agent des forces de l’ordre. Le Conseil a censuré cette disposition au nom de l’exigence d’intelligibilité de la loi en estimant, sans le dire aussi frontalement que nous, que cette incrimination pénale était incompréhensible.

Des dispositions « fourre-tout » qui, sous couvert de continuum de sécurité, ont été introduites dans cette loi, ont également été censurées. Le Conseil a en effet considéré comme contraires à la Constitution plusieurs articles, n’ayant aucun lien, même indirect, avec la loi.

Ainsi, notamment, le Conseil a censuré le paragraphe I de l’article 2 qui modifiait l’article 226-4 du code pénal, réprimant la violation de domicile (délit « anti-squat »), et portait à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende les peines encourues, validant ainsi l’argumentaire des associations de défense des sans-abris ayant dénoncé l’utilisation de cette disposition pour criminaliser de nouveau les personnes vulnérables.

Il est néanmoins regrettable que le Conseil n’ait pas censuré le paragraphe II de cet article 2 qui vient élargir la notion de domicile à tout local professionnel, commercial, industriel ou agricole, permettant de criminaliser encore davantage les militants dans leurs actions salvatrices de désobéissance ou d’expression de leurs revendications.

Des dispositions problématiques validées

En revanche, le Conseil a validé un certain nombre de dispositions – et non des moindres – qui portent atteinte, selon nous, à des principes fondamentaux, comme :

  • le renforcement des pouvoirs de la police municipale en matière de fouille de bagages et de palpation de sécurité alors que l’on sait que ces méthodes policières sont extrêmement intrusives et sont de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et venir et à la vie privée. Le Conseil a simplement émis une réserve d’interprétation relative à la nécessaire exigence de non-discrimination dans la mise en œuvre de ces vérifications, une gageure lorsque l’on connaît les dérives discriminatoires à l’œuvre en ce domaine ;
  • l’élargissement des missions de surveillance sur la voie publique des agents privés de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme, laquelle ne devrait pourtant être confiée qu’aux seuls policiers et gendarmes nationaux dûment formés à ces prérogatives si exigeantes. Le Conseil a seulement émis une réserve d’interprétation pour limiter ces missions itinérantes aux seuls abords immédiats des biens dont ces agents privés ont la garde, ce qui promet de longs débats sur ce concept inédit d’« itinérance encerclée » ;
  • l’élargissement de l’accès aux images de vidéosurveillance par les services chargés du maintien de l’ordre, qui pourront ainsi être destinataires d’images de vidéosurveillance réalisées afin d’assurer la protection des parties communes des immeubles collectifs à usage d’habitation. Le Conseil sanctuarise ainsi l’idée que les halls d’immeuble sont décidément des lieux de tous les dangers, alors qu’ils sont très majoritairement de simples lieux de repli pour certaines personnes vivant dans des quartiers où les services publics ont été continuellement asséchés ;
  • l’instauration d’une condition de durée de détention d’un titre de séjour pour les étrangers souhaitant exercer une activité de sécurité privée, instituant ainsi une discrimination fondée sur la nationalité ;
  • le renforcement de l’utilisation de caméras individuelles par les forces de l’ordre alors que les pouvoirs publics n’ont pas démontré l’utilité de telles caméras dans la gestion de l’ordre public. Au nom des droits de la défense et du droit à un procès équitable, le Conseil a du reste validé ce dispositif à la condition que soient garanties, jusqu’à leur effacement, l’intégrité des enregistrements réalisés ainsi que la traçabilité de toutes leurs consultations ;
  • la suppression du bénéfice des crédits de réduction de peine en cas de condamnation pour certaines infractions d’atteintes aux personnes, notamment au préjudice de personnes dépositaires de l’autorité publique. Le Conseil fait ainsi mine de ne pas savoir qu’il n’existe pas de corrélation entre la sévérité d’une peine et le risque de récidive et qu’une telle mesure n’aura pas pour effet de protéger davantage les policiers ;
  • l’autorisation pour les policiers et les gendarmes d’être armés, en dehors de leur service, dans un établissement recevant du public, avalisant par là le phénomène de militarisation de l’espace public.

Correction après diffusion: suppression de la mention de la conservation des drones pour la surveillance des frontières, le CC ayant bien censuré cet alinéa.