Coronavirus et manifestation au CRA du Mesnil-Amelot (Paris-Vincennes): le choix de la répression au détriment de la protection

Communiqué de presse – 14 avril 2020

Coronavirus et manifestation au CRA du Mesnil-Amelot : le choix de la répression au détriment de la protection

Les étrangers enfermés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot ont exprimé leur colère dans la nuit de samedi à dimanche 12 avril 2020. Ils sont révoltés d’être privés de liberté dans des conditions indignes et d’êtres mis en danger. L’administration est dans l’impossibilité de respecter les règles sanitaires de base en période de crise sanitaire du coronavirus. La Cimade demande la fermeture immédiate de tous les CRA.

Depuis le début du confinement, les intervenant·e·s de La Cimade accompagnent les personnes retenues à distance. Selon les témoignages recueillis ce mardi, les étrangers enfermés au CRA du Mesnil-Amelot ont exprimé leur colère samedi 11 avril dans la soirée en refusant de réintégrer les bâtiments. Ils ont sorti les matelas dans la cour et ont souhaité passer la nuit dehors pour manifester leur désaccord avec la poursuite de la politique d’enfermement et d’expulsion menée par le gouvernement.

Deux personnes présentaient des symptômes du covid-19 et ils étaient légitimement inquiets pour leur propre santé. Par ailleurs, ils sont pleinement conscients de l’impossibilité de mettre en œuvre les expulsions et donc du caractère illégal de leur enfermement.

Les récits des événements révèlent une action policière pour mettre fin à la manifestation avec un usage de la force qui paraît disproportionné. Les autorités du CRA ont identifié 8 hommes comme étant les « meneurs » de la manifestation, puis elles les ont isolé et transféré vers d’autres centres de rétention : 3 au CRA de Rouen et 5 au CRA de Lille.

52 personnes étaient enfermées samedi dernier au CRA du Mesnil-Amelot n°2, ce mardi 14 avril elles sont 47. Le CRA n°3 a été fermé par l’administration le 25 mars, elle a préféré regrouper toutes les personnes dans certains bâtiments du CRA n°2 alors qu’il existait la possibilité de prévenir les risques sanitaires de contamination en isolant a minima les personnes.

Cette manifestation de colère légitime au CRA du Mesnil-Amelot intervient alors que déjà trois cas ont été testés positifs au covid-19 au CRA de Paris-Vincennes.

Après nos diverses interpellations du gouvernement et du ministre de l’intérieur, la requête rejetée au Conseil d’État le 27 mars, les événements de ce week-end appellent La Cimade a demander une nouvelle fois la fermeture immédiate de tous les centres de rétention administrative. Nos raisons sont exactement les mêmes que celles exprimées par les étrangers enfermées : prévenir les risques sanitaires et ne pas enfermer illégalement des personnes que les préfectures ne peuvent pas expulser.

Contact presse

Rafael Flichman : +33 6 42 15 77 14 / rafael.flichman@lacimade.org

Au nom du coronavirus, l’État met en place la société de contrôle (Reporterre)

Publié sur Reporterre  6 avril 2020 / Gaspard d’Allens

Couvre-feux, contrôles policiers multiples, toute-puissance de l’administration, emballement de l’industrie technosécuritaire : la pandémie de Covid-19 se traduit, en France, par un contrôle accru des populations, suspectées par principe de ne pas participer à la « guerre » contre le virus.

« Nous ne renoncerons à rien, surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer, surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été, surtout pas à la liberté », affirmait Emmanuel Macron le 11 mars dernier, il y a seulement trois semaines, dans le cadre la première journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme. Depuis, avec le confinement, tout semble avoir changé, le monde a basculé.

Des drones équipés de haut-parleur survolent les rues des métropoles françaises, intimant aux passants l’ordre de rentrer chez eux. Le gouvernement a décrété l’état d’urgence sanitaire et des couvre-feux ont été instaurés dans une centaine de villes, qui comptent au total plus de 2 millions d’habitants.

À Perpignan (Pyrénées-Orientales), la sirène retentit tous les soirs pendant cinq longues minutes à 19 h 50. À 20 h, plus rien ne bouge, seuls les véhicules de police patrouillent, les gyrophares allumés. La nuit, à Nantes (Loire-Atlantique) et à Rennes (Ille-et-Vilaine), un hélicoptère de la gendarmerie, muni de caméras infrarouges, guette « les récalcitrants » et les« indisciplinés ». Nous baignons dans un univers dystopique où les libertés individuelles sont progressivement rognées pour mener « la guerre » au Covid-19 et où la population est mise, massivement, sous surveillance.

« Une surenchère locale »

La situation touche toute la France « avec une surenchère locale », estime Henri Busquet, président de la Ligue des droits de l’Homme à Nice (Alpes-Maritimes), joint par Reporterre. À Sanary-sur-Mer (Var), ville de 16.000 habitants, le maire a pris un arrêté interdisant de se déplacer pour acheter des produits à l’unité, puis un autre interdisant les sorties à plus de 10 mètres [sic] de son domicile. « J’anticipe les mesures du gouvernement », se justifie simplement l’édile, interrogé par 20Minutes.

« On assiste à une compétition, observe Henri Busquet. À Nice, à Cannes, à Menton ou à Saint-Laurent-du-Var, les maires ont tous mis en place des couvre-feux avec à chaque fois des horaires différents, à tel point que le préfet des Alpes-Maritimes a dû prendre un arrêté sur l’ensemble du département pour harmoniser le tout. »

« Impuissants face au virus, les élus en ajoutent une couche et aggravent les mesures coercitives nationales pour tenter de rassurer leur population, dit à Reporterre Serge Slama, professeur de droit public. L’efficacité de ces mesures n’est pas pour autant prouvée, le risque, c’est l’interaction sociale et non le fait de sortir de chez soi ». En Isère, le préfet a interdit l’accès aux montagnes et aux forêts. « Pour les ruraux qui habitent à proximité, c’est incompréhensible, ils sont assignés à résidence et ne peuvent même pas se balader autour de chez eux », déplore le juriste. Dans les Alpes-Maritimes, un arrêté interdit de se baigner…

Les autorités ont distribué plus de PV que de masques aux citoyens

Au quotidien, 100.000 membres des forces de l’ordre quadrillent le territoire national. Mercredi 1er avril, après deux semaines de confinement, on dénombrait plus de 5,3 millions de contrôles et 359.000 amendes pour non-respect du confinement. Les autorités ont distribué aux citoyens plus de PV que de masques. Dans ses carnets de confiné, le journaliste David Dufresne parle d’un « déballage de contrôle qui coûte un bras — ou un respirateur de réanimation ».

Les syndicats de police, même s’ils déplorent le manque de matériel, affichent dans leur nouvelle mission un zèle menaçant. « La personne qui ne respecte pas le confinement à la suite du Covid-19, je m’occuperai personnellement de son cas », lance, bravache, un policier au volant de sa moto dans un clip vidéo promotionnel surréaliste du syndicat Unité SGP Police.

Sur France Info, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a récemment déclaré que les gendarmes avaient « le droit de fouiller les sacs de course s’ils ont le sentiment que la personne les bluffe ». Le spectre d’une société de contrôle n’a jamais été aussi palpable. L’arbitraire règne, alimentant un climat de défiance. Dans un communiqué publié le 26 mars dernier, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l’Homme et une vingtaine d’autres associations et syndicats ont dénoncé des « contrôles abusifs qui menacent la cohésion nationale ».

Sur Twitter, une femme s’en est émue : « J’ai demandé à mon chéri de me ramener des serviettes hygiéniques lundi soir, il était en règle, attestation, carte d’identité, etc… mais il a reçu 135 € d’amende “parce que si madame en avait vraiment besoin, elle avait qu’à sortir les chercher elle-même”. » Des parents se sont aussi fait verbaliser pour avoir accompagné à deux leur enfant chez le pédiatre.

« Avec le confinement, il y a une recrudescence des violences policières »

Les contrôles touchent, tout particulièrement, les quartiers populaires. De nombreuses plaintes remontent. Le 24 mars, aux Ulis (Essonne), Sofiane, agent logistique de 21 ans, se rendait à son travail — il est livreur pour Amazon — et avait oublié son attestation. Après avoir pris la fuite devant les policiers, il a été rattrapé et violemment tabassé. La veille, dans la même commune, Yassin sortait acheter du pain, les forces de l’ordre se sont jetées sur lui avant même qu’il puisse montrer son attestation. Il a désormais le visage tuméfié. À Barbès, à Paris, une jeune fille de 17 ans a été plaquée au sol devant sa mère par une dizaine de CRSÀ Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 19 mars, une jeune mère de 19 ans a été frappée par un Taser pour ne pas avoir montré son attestation. Des violences qui ont entraîné cinq jours d’ITT. « Je voulais juste chercher à manger pour mon bébé », expliquait-elle.

Les exemples s’accumulent avec de nombreuses vidéos qui circulent sur la toile, ici ou . Les journalistes Taha Bouhafs et Sihame Assbague ont lancé des appels à témoin. Sur Mediapart, le 18 mars, David Dufresne recensait déjà sept signalements. Les compteurs ont, depuis, largement explosé. « Avec le confinement, il y a une recrudescence de la pression et des violences policières qui frappent en majorité des jeunes racisées », atteste Sihame Assbague.

Contacté par Reporterre, Pierre-Antoine Cazau, président de la section LDH de Bordeaux (Gironde), souligne les dangers de la situation. « À cause du confinement, nos organisations ne peuvent plus jouer leur rôle d’observateur ni vérifier si les contrôles sont proportionnés ou justifiés. »

En quelques semaines, la situation s’est accélérée, prenant tout le monde de court. « Le 5 mars, le président de la République allait au théâtre, enjoignant les Français à sortir, le 15 mars nous étions invités aux urnes, mais le 22 on risquait d’aller en prison, voilà l’agenda français sous Emmanuel Macron », s’emporte l’historienne Ludivine Bantigny dans un tweet.

En effet, en cas de récidive, après trois violations du confinement le même mois, les individus encourent désormais jusqu’à 6 mois de prison ferme et 3.750 euros d’amende. Depuis la semaine dernière, plusieurs cas défilent devant les tribunaux et des dizaines de personnes ont déjà été mises en garde à vue. Lundi 30 mars, un habitant de Cavaillon (Vaucluse) de 35 ans a été condamné à deux mois de prison ferme après avoir été verbalisé quatre fois en, à peine, six jours.

Sur France Bleu, l’avocat Arié Alimi fustige « une mesure disproportionnée, contre-productive et inconstitutionnelle. Remplir les prisons en période de contamination, c’est du grand n’importe quoi », dit-il.

L’Observatoire parisien des libertés publiques regrette aussi dans un communiqué que « les autorités publiques aient opté pour une politique de surarmement pénal en lieu et place d’une réelle volonté d’apaisement et de pédagogie ».

Nul ne conteste la nécessité de lutter contre la propagation du Covid-19 mais « l’exceptionnelle gravité de la situation sanitaire ne saurait justifier des restrictions arbitraires et disproportionnées aux libertés publiques », estime l’Observatoire.

« L’état d’urgence sanitaire est une loi scélérate »

La mise en place de l’état d’urgence sanitaire risque de laisser des traces. Votée au sein d’un Parlement confiné, devenu « un cluster » (une « grappe », en français) du Covid-19, cette loi a été adoptée sans grand débat, dans un climat de précipitation et de panique. Selon Me Raphaël Kempf, contacté par Reporterre« l’état d’urgence sanitaire signe l’abandon de l’état de droit. C’est une loi scélérate, qui représente la part sombre d’une République aux abois ».

L’avocat pointe notamment les nouvelles mesures de mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être malades et les mesures d’isolement des malades. « Pourquoi faudrait-il que l’administration puisse forcer un malade à rester chez lui alors que l’avis du médecin et le bon sens suffisent ? Ce gouvernement ne pense pouvoir gérer la population que par la contrainte et la discipline — au besoin pénalement sanctionnée, analyse-t-il. Mais ces mesures sécuritaires ne doivent pas servir à compenser l’incompétence sanitaire des autorités. »

Toutes les dérives possibles sont déjà en germe. Face à un législateur affaibli, l’état d’urgence permet à l’exécutif de gouverner par ordonnance. Au-delà de la rhétorique guerrière de plus en plus banalisée, l’époque actuelle consacre également les militaires. Des conseils de défense sont organisés chaque semaine, les armées sont mobilisées et le général Richard Lizurey vient d’être nommé auprès d’Édouard Philippe pour évaluer la gestion interministérielle de la crise du Covid-19. L’ancien directeur de la gendarmerie nationale s’était auparavant fait remarquer en menant l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes et en réprimant le mouvement des Gilets jaunes.

Mais il n’y a pas que les militaires. En pleine épidémie, la bureaucratie tatillonne triomphe. Elle développe tout « un art de l’attestation de déplacement dérogatoire ». Invité dans une émission d’Arrêt sur image, Gilles Babinet, vice-président du Conseil national du numérique, expliquait redouter « la toute-puissance de l’administration. C’est-à-dire la toute-puissance du contrôle, du formulaire, du fichage, de la sanction, toutes sucreries courtelinesques dont l’administration est friande, qui la justifient, qui la légitiment ».

La lutte contre le Covid-19 nourrit ces penchants. En quelques semaines, le format de l’attestation dérogatoire a été modifié à plusieurs reprises, il s’est complexifié en obligeant les citoyens à inscrire leur date et lieu de naissance. De nombreuses personnes ont été verbalisées pour avoir « mal rempli » leur attestation, avoir omis des informations ou l’avoir écrite simplement au crayon de papierÀ Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans une vidéo, un informaticien de Santé publique France témoigne d’un contrôle policier accompagné d’insultes racistes. Il a dû payer 135 euros d’amende pour avoir oublié d’inscrire son année de naissance. Sur les réseaux, les exemples sont légion. Un site les recense.

« La gendarmerie rêve de pouvoir développer le drone du quotidien »

Aux contrôles physiques se greffe maintenant toute une panoplie de gadgets high-tech et de surveillance. Auparavant, les drones étaient déployés occasionnellement pour le maintien de l’ordre. Leur emploi désormais se généralise. On en compte une vingtaine en fonctionnement, rien qu’à Paris. Ils sont devenus des auxiliaires indispensables. La gendarmerie rêve de pouvoir développer « le drone du quotidien » et espère dans le futur en avoir un par compagnie.

Dans le secteur, les affaires fonctionnent. En l’espace d’une semaine, la société Flying Eye, installée à Sophia-Antipolis, près de Nice, a vendu une trentaine de drones de la marque chinoise DJI, équipés d’un haut-parleur intégré, à des organismes chargés d’appliquer les consignes de confinement. Sur BFM TV, son directeur dit recevoir en ce moment « toutes les deux heures un appel pour [lui] commander du matériel ».

Pour Félix Tréguer, sociologue et membre de l’association la Quadrature du net, « l’industrie technosécuritaire a senti le filon. Avec le coronavirus, elle tente de se donner un verni et de se recycler, dit-il à ReporterreAujourd’hui le solutionnisme technologique est brandi comme une manière de gérer la crise. Il permet aussi de masquer les failles des politiques publiques en matière de santé et de prévention ».

Au niveau des contrôles, tout s’accélère. Ces outils technologiques démultiplient les possibilités de surveillance« Il y a un mois et demi, quand on voyait les drones chinois dans les airs diffuser des messages à la population, ça semblait de la science-fiction. Mais aujourd’hui, c’est la réalité, ça se passe chez nous, souligne le sociologue. La pandémie donne une occasion rêvée au pouvoir de légitimer tout un tas de solutions qui paraissaient controversées et très sensibles. Elles peuvent désormais se déployer au grand jour ».

Des start-up profitent de la situation pour faire des offres promotionnelles. À Metz (Moselle), l’entreprise Two-i, spécialisée dans la vision assistée par ordinateur, a transmis gratuitement aux forces de l’ordre sa technologie pour détecter les attroupements. « Nous mettons nos licences à disposition des centres de sûreté urbaine, en accès libre , explique l’un de ses fondateurs dans Le Journal des entreprisesCe n’est pas de la surveillance de masse mais un outil qui pourrait permettre de sortir plus rapidement du confinement, en s’assurant qu’il est respecté. »

Pour Félix Tréguer, « cette start-up peinait auparavant à obtenir des marchés publics, elle développait aussi des projets de reconnaissance faciale, la crise leur donne l’occasion de mener une belle campagne de marketing », dit-il.

« Quand il y a une technologie disponible, à la fin on finit par l’utiliser »

Justement, à l’aune de l’épidémie, les débats autour de la reconnaissance faciale réapparaissent. Le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, a appelé mardi 25 février à l’expérimenter pour éviter qu’elle ne finisse par s’imposer brutalement et sans débat : « Ce que l’histoire montre, c’est que quand il y a une technologie disponible, à la fin on finit par l’utiliser. »

Autre inquiétude, les données stockées via les téléphones et les smartphones : En pleine crise sanitaire, le Canard enchaîné a révélé mercredi 25 mars que le ministère de l’Intérieur avait obtenu les données privées des opérateurs télécoms pour évaluer précisément combien de Parisiens avaient quitté la capitale. Orange a exploité les données non seulement de ses propres abonnés, mais aussi de toutes les personnes qui se sont connectées sur le réseau mobile. Le groupe de télécommunications a néanmoins assuré transmettre à ses partenaires des agrégats statistiques et non des données individuelles et « identifiantes ».

Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a aussi annoncé dans Le Figaro qu’il travaillait déjà avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) « pour voir comment les données peuvent être utiles pour gérer la propagation de l’épidémie (…) Elles pourraient aussi être utilisées pour mesurer l’efficacité des mesures de confinement comme en Italie ».

Derrière se profile l’enjeu du « back tracking », une technique déjà utilisée dans de nombreux pays, qui consiste à conserver la trace des déplacements des individus via la géolocalisation de leur smartphone. En France et en Europe, plusieurs initiatives vont dans ce sens.

La Commission européenne a réclamé des données d’opérateurs téléphoniques pour évaluer l’effet des mesures de confinement. La demande a été formulée par Thierry Breton, l’actuel commissaire européen au Marché intérieur — par ailleurs ancien dirigeant de France Télécom. À l’Élysée, un Comité analyse recherche et expertise (Care), composé de douze chercheurs et médecins, a été installé. « Il accompagnera la réflexion des autorités (…) sur l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées », explique la présidence de la République.

Interrogé sur le back tracking, mercredi 1er avril à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Édouard Philippe, a déclaré que l’« on pourrait peut-être, sur le fondement d’un engagement volontaire, utiliser ces méthodes pour mieux tracer la circulation du virus et les contacts (…) de chacun ».

« Culpabiliser les individus pour éviter toute rébellion »

Plusieurs applications smartphones fonctionnent déjà. Dans une forme de flou juridique. CoronApp a été créée en 78 h. Son slogan : « Mieux qu’un vaccin une application. » Elle se présente comme « une démarche citoyenne »« Le principe est simple, l’application suit les mouvements des utilisateurs pendant 14 jours. Si un porteur du virus se déclare comme infecté par le Covid-19, l’algorithme va retracer son parcours pour vérifier les personnes qu’il/elle a croisées et les informera via une notification [sur smartphone] de l’heure et de la date à laquelle ils ont été en contact avec cette personne. »

Au-delà des questions techniques que soulèvent ces applications, la Ligue des droits de l’Homme y voit une approche dangereuse : « une forme de servitude volontaire » qui pourrait se transformer plus tard en contrainte avec l’ injonction d’être « un citoyen responsable ». De manière générale, les défenseurs des libertés publiques dénoncent un discours qui transfère la responsabilité de la crise sur les individus et leur comportement.

« Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué », analyse, dans une tribune reprise par Bastamag, un membre d’Attac Italie, Marco Bersani. « Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible. »

Après l’épidémie, cette société de contrôle a de fortes chances de se pérenniser. Une fois mises en œuvre, les mesures perdureront dans le temps. Le scénario s’est déjà répété avec l’état d’urgence de 2015 et son inscription dans le droit commun. Pour le philosophe Giorgio Agamben« tout comme les guerres ont laissé en héritage à la paix une série de technologies néfastes, il est bien probable que l’on cherchera à continuer après la fin de l’urgence sanitaire les expériences que les gouvernements n’avaient pas encore réussi à réaliser ».

La tragédie des migrants de Paris-nord dans le cadre de la pandémie et de « l’état d’urgence sanitaire »

Article de  mediapart/leblog publié sur la tragédie des migrants de Paris-nord dans le cadre de la pandémie et de « l’état d’urgence sanitaire » terme masquant l’état d’urgence qui suspend toutes les libertés et en particulier celles  des migrants (parents et enfants) et les confinent dans l’exclusion la plus totale en les rapprochant de la mort la plus certaine.
Romane Elineau est  bénévole à l’association Paris d’exil et militante de plusieurs collectifs d’aide aux réfugiés. Elle raconte la semaine de ces exilés abandonnés et réprimés par l’État.

Le «journal de confinement» des exilé·e·s du nord-est de Paris

par Romane Elineau  23 MARS 2020 – BLOG : LE BLOG DE ACCUEIL DE MERDE

Puisque la mode est au «journal de confinement» et que chacun s’amuse à décrire son quotidien bousculé par l’ennui ou par l’exil vers une résidence secondaire en bord de mer… Romane Elineau, membre de plusieurs collectifs qui viennent en aide aux refugié·e·s et autres exilé·e·s du nord-est de Paris, a décidé de tenir le sien… ou plutôt le leur.
Il me semble quand même important de témoigner du quotidien des moins privilégiés. Ceux contre qui l’Etat est réellement en guerre et n’accorde aucune trêve, pas même en ces temps de crise sanitaire. Dans le Nord de Paris, des centaines de personnes survivent dans des campements de fortune et sont donc particulièrement exposées au Covid19. Cette semaine nos dirigeants ont encore démontré tout le mépris qu’ils ont pour la vie de ces hommes, femmes et enfants.

CONFINEMENT – SEMAINE 1

[Contexte général : Depuis des années les campements de rue se succèdent dans Paris, résultat d’une politique de maltraitance où l’objectif est de pourrir la vie des gens pour les dissuader de vivre ici, ou de vivre tout court. Alors l’Etat supprime le droit à l’hébergement et au revenu de subsistance pour des milliers de demandeurs d’asile, créée des systèmes administratifs kafkaïens et arbitraires. Il envoie sa police pour confisquer les tentes et obliger des hommes et des femmes à se terrer sous les ponts au milieu des rats, là où on ne les voit pas. Après les évacuations médiatisées de février (porte de la Chapelle / Aubervilliers) de nombreux exilés ont été remis à la rue. D’autres sont arrivés. Un campement s’est reformé, dans un terrain vague bien caché, à l’abri des policiers présents 24h/24 dans le quartier. Ils sont entre 400 et 500 personnes à survivre dans ce lieu horrible. Pour reprendre leurs mots, s’ils sont aujourd’hui en danger, c’est à cause de cette politique inhumaine. ]

Lundi :

Distribution de repas à porte d’Aubervilliers par la Gamelle de Jaurès. Des centaines de personnes attendent. Parmi elles des dizaines de familles, de jeunes enfants. Avec l’annonce du confinement, peu d’associations ont distribué pendant le week-end. Certaines nous disent qu’elles n’ont pas mangé depuis 24h. Et puis, pour elles aussi, il y l’appréhension face à cette situation extraordinaire. Nous ne savons pas comment vont s’organiser les choses, si les distributions et les maraudes pourront être maintenues. La faim, la peur de manquer, l’épuisement… Les gens se heurtent, se battent pour attraper une barquette repas, un bout de pain.

Plus tard dans la nuit : Des dizaines de familles exilées à la rue. Utopia 56 essaye tous les soirs de les loger chez des hébergeurs solidaires. Dans le contexte actuel, ce n’est plus possible. Alors elles posent leur tente à porte d’Aubervilliers, sur leur lieu de rassemblement habituel. Bien sûr, la police intervient. Les CRS disent qu’elles ne peuvent pas rester là. Elles n’ont nulle part où aller, il est tard… Les policiers repartent, pour l’instant, et annoncent qu’une décision sera prise le lendemain quant au sort de ces familles.

Mardi :

A 8h du matin, les policiers sont de retour. Ils réveillent les familles et les chassent. Ils disent que pour être tranquille il ne faut pas rester dans Paris, il faut passer le périph… En somme être invisible et « hors secteur » pour que la Ville de Paris puisse tranquillement se déresponsabiliser et les laisser mourir dehors.
Les Restos du Cœur et Solidarité Migrants Wilson sont présents ce soir pour distribuer des repas. Malgré les effectifs restreints, le manque de matériel, le risque sanitaire, les assos s’organisent avec les moyens du bord pour ne pas laisser les gens crever de faim. Car, hormis envoyer sa police, l’Etat ne fait rien.

Les exilés sur le campement d’Aubervilliers sont inquiets. Depuis plusieurs jours les associations transmettent les informations relatives à l’épidémie : symptômes, N° vert, gestes barrière. Tout cela leur paraît dérisoire. « Ici il n’y a pas d’eau, pas de douches. Il n’y a même pas de toilettes ». « On dort à 3 ou même 4 par tente ». Ils veulent sonner l’alarme et crier leur colère (voir leur message ici). Ils nous envoient des images du campement, décrivent leur condition de vie et écrivent leur revendication : « une mise à l’abri pour toutes les personnes du campement. Toutes sans exception ». On leur dit qu’on fera de notre mieux pour diffuser leur message. En attendant, la police continue de sévir.

Mercredi :

Cet après-midi c’est la police montée (à cheval) qui arrive sur le campement d’Aubervilliers. Ils nassent les exilés et les empêchent de sortir pendant plusieurs heures. Les exilés se retrouvent confinés de force sur le campement, sans eau, sans nourriture, sans toilettes. Médecins du Monde est sur place à ce moment-là. Un bénévole tente de filmer la scène et se fait interpeller. Les policiers menacent l’équipe de médecins du monde de « représailles s’ils témoignent ».
Malgré les menaces, Médecins du monde s’indigne sur les réseaux sociaux et rédige une lettre au Préfet. Face au scandale qui commence à monter, le Préfet de région annonce que le campement sera évacué prochainement. Plusieurs familles accèdent à un hébergement dans la soirée.
Il y a un peu d’espoir ce mercredi soir. Peut-être que cette fois ci, tout le monde sera mis à l’abri. Peut-être que la préfecture et la police vont calmer leurs ardeurs répressives…

Jeudi :

Une dizaine de camions de police stationnent autour du parc et du rond-point de la porte d’Aubervilliers. Des familles ont tenté de dormir ici cette nuit, celà ne leur a pas plu. En pleine crise sanitaire la priorité pour la police est donc d’empêcher des gosses de dormir dans un endroit un peu moins glauque qu’une bretelle de périphérique.
Sur le campement tout le monde se demande quand aura lieu l’évacuation. On fait des attestations de déplacement. Un homme est désespéré car son audience à la CNDA est annulée. Cela faisait plus d’un an qu’il attendait… Un autre se demande : « Que va-t-il se passer si je me fais contrôler avec un récépissé expiré ? » La préfecture, fermée, a annoncé la prolongation de la validité des documents. Mais il n’a pas confiance en la police et a peur d’être arrêté. Certains n’osent même pas appeler le 15 ou le N° vert. A force d’être maltraités par toutes les institutions publiques, tout ce qui relève de l’Etat apparaît comme une menace… Un monsieur éthiopien est au bord des larmes, il s’est fait voler toutes ses affaires. Certains nous disent qu’il y aurait eu un mort sur le campement, un monsieur âgé. Les associations sont entrain de se renseigner auprès des autorités (pas de confirmation pour le moment).

Vendredi : 

Aujourd’hui, les exilés ont pu avoir des bouteilles d’eau. Victoire bien dérisoire.
Des policiers me demandent de « transmettre les instructions » aux personnes exilées : il ne faut pas qu’elles sortent du campement.
« Je ne veux pas vous voir dans les rues », dit un flic à un groupe d’Afghans qui passe au bord du canal. « Il faut rentrer ». Traduction : transmettez vous ce foutu virus entre vous, mourrez ensemble dans votre trou à rat, on s’en fout. Mais surtout ne contaminez pas les autres. Nous avons le droit de vivre, pas vous.

Week-end :

On attend toujours l’évacuation annoncée. Peut-être demain, peut-être la semaine prochaine ou celle d’après. Sûrement dans des gymnases, sûrement dans la promiscuité, sûrement sans dépistages.

Pour de nombreuses personnes hébergées, la situation n’est guère mieux. Des mères isolées sans papiers, qui n’ont aucune ou peu de ressources, qui ne peuvent pas cuisiner dans leur chambre de 10m2 et craignent de se faire contrôler par la police si elles sortent. Dans les foyers, d’autres sans papiers n’ont d’autres choix que de continuer à travailler, parfois sans protection. Exploités sur les chantiers, exploités par Uber et compagnie pour livrer aux Parisiens leur brunch du dimanche, ils s’exposent tous les jours pour « faire tourner notre économie ». Des mineurs isolés en hôtel qui ne peuvent plus se nourrir. L’ASE leur délivre, pour leurs repas quotidiens, des tickets restos utilisables uniquement au Kebab du coin, désormais fermé. Des mineurs isolés sans attestation de déplacement qui se font casser la gueule par la BAC du 18e arrondissement…

Et on apprend que l’Etat a expulsé au moins 10 personnes cette semaine. Vers le Maroc, l’Algérie, le Congo, le Mali, le Sénégal, la Roumanie, la Georgie et même les Pays Bas pour un dubliné… Corona ou pas, rien ne les arrête !

Ceci n’est QUE ce dont nous avons connaissance et ce n’est QUE la première semaine. Résumé non exhaustif pour ceux qui ne savent pas, pour ceux qui peuvent se mobiliser malgré le confinement. Pour faire face à cette pandémie, pour que tout le monde soit protégé, il va falloir faire barrière à leur politique criminelle, à leur racisme visiblement sans limite#SolidaritéCovid19
Résumé aussi pour ne pour ne pas oublier. Pour l’après. Lorsque sera venu le temps de leur faire payer !
#NiOubliNiPardon

Informations recensées via : les exilés du campement, Paris d’Exil, Solidarité Migrants Wilson, La Gamelle de Jaurès, Utopia 56, Médecins du Monde, La Cimade, Infos Migrants, Urgence Notre Police Assassine, mes yeux et mes oreilles.

#Covid19 #ConfinésDehors #Journaldeconfinement