
Le chroniqueur Thomas Legrand suspendu par France Inter pour des propos sur Rachida Dati
La décision a été prise ce vendredi par la station de radio. Le journaliste a été filmé à son insu lors d’une discussion avec des cadres du Parti Socialiste. Il est suspendu à titre conservatoire.
Alors qu’on est encore en plein débat sur la réforme de l’audiovisuel public et que la ministre de la Culture est renvoyée devant le tribunal correctionnel, cette sanction interroge.
Il est intéressant de noter que la source de l’information émane de L’Incorrect, qui est un magazine mensuel français dont le positionnement se situe entre la « droite de la droite » et l’extrême droite, s’affirme comme « conservateur » et prône l’union des droites. Il fut fondé en 2017 par Jacques de Guillebon, Laurent Meeschaert, Benoît Dumoulin et Arthur de Watrigant, tous proches de Marion Maréchal et sont donc peu susceptibles de n’être pas engagés pour l’extrême-droite.
On aurait au moins pu supposer que la direction de France Inter se tournerait vers des sources objectives et désintéressées, animées par le seul souci de l’information.
Thomas Legrand s’en est expliqué ce dimanche : « Un journal d’extrême-droite a diffusé, ce week-end, des images filmées à mon insu. Si mes propos tronqués et décontextualisés peuvent prêter à confusion, je revendique le droit d’exercer ma fonction d’éditorialiste : libre des opinions que j’affiche dans mes billets, aligné sur rien ni personne. »
Profitons de l’occasion pour tenter un voyage mouvementé dans le temps et comprendre les enjeux de l’audiovisuel de nos jours et du principe de la liberté de la presse qui devrait dominer le débat.
En 1922, en France l’administration des PTT ( Postes-Télégraphe-Téléphone ) exploite la technique de la Télégraphie Sans Fil (TSF). C’est donc au sein de cette institution que la radiodiffusion voit le jour.
Dès 1926, l’administration des PTT crée un Service de Radiodiffusion qui doit s’assurer de l’installation et de l’exploitation technique du réseau d’Etat. L’Etat soumet les postes privés à un régime d’autorisation.
En 1939, la Radiodiffusion devient une administration publique autonome rattachée à la Présidence du Conseil sous le nom de Radiodiffusion Nationale. Elle conservera ce nom durant la guerre sous le gouvernement de Vichy.
En mars 1940 un Commissariat général à l’Information est créé.
Les programmes de la Radiodiffusion Nationale installée à Vichy et à Marseille et ceux de Radio Paris sont les principaux autorisés.
On trouvera ci-dessous un exemple du contenu des programmes de la Radiodiffusion Nationale, ayant pour sigle « RN », ce qui ne s’invente pas.
Cette sombre période de la radio en France a fait l’objet d’une étude très intéressante que nous vous invitons à consulter.
En avril 1944, le Comité français de libération nationale réfléchit à une nouvelle organisation de la radiodiffusion qui s’appellera à la Libération la Radiodiffusion de la Nation Française (RNF). Le ministre de l’Information modifie l’intitulé dès septembre 1944 en Radiodiffusion Française (RDF).
Le 23 mars 1945, une ordonnance est promulguée nationalisant toutes les stations. La Radiodiffusion Nationale Française disparaît. Un établissement public, la Radiodiffusion française (RDF), est créé pour exercer ce monopole d’État sur la radiodiffusion et la télévision.
En 1949, elle deviendra, avec le développement de la télévision, la Radiodiffusion – Télévision Française (RTF) puis l’Office de la Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF) le 27 juin1964.
L’ORTF n’a pour raison d’être que le service du pouvoir et, tout particulièrement, celui de Charles de Gaulle, président de la République du 3 juin 1944 au 20 janvier 1946 puis du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969.
Ce n’est que le 1er janvier 1975 que Radio France apparaît sous sa forme actuelle.
Revenons un peu en arrière pour nous intéresser aux institutions ayant en charge cette usine à gaz qu’est l’ORTF, devenu ensuite Radio-France. C’est le 31/07/1963, soit un peu moins d’un an avant la naissance de l’ORTF, que naît le Service de Liaison Interministérielle pour l’Information (SLII) rattaché au ministère de l’Information, alors dirigé par Alain Peyrefitte. Le SLII coordonne des politiques d’information et assure les relations presse sur l’action gouvernementale. Y succéderont le Comité interministériel pour l’information (CII- 25 décembre 1968), la Délégation générale à l’information (DGI – 12 juin 1974), le Service d’information et de diffusion (SID – 06 décembre 1976), le SID devient le SIG (Service d’information du Gouvernement). Celui-ci reste placé sous l’autorité du Premier ministre (Circulaire du 15 janvier 1996). Le décret du 18 octobre fait évoluer les missions du SIG qui désormais comprennent l’analyse de l’opinion publique et le contenu des médias, la diffusion d’informations sur l’action gouvernementale auprès de divers publics (grand public, médias, élus), la conduite d’actions de communication interministérielles d’intérêt général, tant sur le plan national que local (en lien avec les préfets et les ambassadeurs), l’assistance technique aux administrations et la coordination de leur politique de communication (notamment pour les campagnes d’information et les études d’opinion). Le Service d’information du Gouvernement emménage le 22 novembre au 20, avenue de Ségur (Paris 7e), dans une logique de regroupement géographique des services du Premier ministre. Le 3 mai 2024, paraît le décret n° 2024-410 modifiant celui du 18 octobre 2000 relatif au Service d’information du Gouvernement, chargé de « mettre en cohérence la communication de l’Etat ».
Le ministère de l’Information apparaît pour la première fois sous la IIIe République, en mars 1938, sous le nom de ministère de la Propagande dans le second cabinet Léon Blum. Conservé au sein des gouvernements du régime de Vichy, le ministère continue d’exister sous la Quatrième République sous le nom de ministère de l’Information. En 1958, Charles de Gaulle revient aux affaires et institue la Cinquième République, prescrivant au ministère de l’Information une mission : réformer et organiser la radiotélévision d’État. Tantôt érigé en ministère, tantôt en secrétariat d’État, ce département de l’Information joue le rôle principal – dans les années 1960 – du contrôle des chaînes de télévision. Supprimé en 1968 en tant que ministère puis en 1969 en tant que secrétariat d’État, ce ministère ne sera pas reconduit sous le premier gouvernement de la présidence de Georges Pompidou mais rétabli en avril 1973 lors des trois gouvernements de Pierre Messmer, puis disparaît définitivement en mai 1974.
Il a pour missions d’éduquer, informer et distraire et tentera de garder sous sa coupe durant toute son existence tous les moyens de communication, qu’ils soient d’Etat mais aussi, avec plus ou moins de bonheur, les quelques médias indépendants d’alors.
Radio France est créée le 1er janvier 1975 sous sa forme actuelle et ce, jusqu’à aujourd’hui. Depuis peu, on assiste à une sorte de tentative de reprise en main de la part de certains de nos dirigeants qui n’apprécient pas la liberté de ton de certaines émissions. On a pu déjà assister à la réduction , voire la suppression, du temps d’antenne de certain(e)s journalistes ou chroniqueur(se)s sur des antennes nationales et cela pose un certain nombre de questions.
Du côté du ministère de la Culture, créé le 24/07/1959 et qui chapeaute toutes les antennes nationales, on assiste parfois à un certain tangage, selon la couleur politique du pouvoir en place, et à des réformes qui ne portent pas toujours leur nom.
En 2009, 50 ans après sa création, on a pu assister en guise de jubilé à une modification des attributions de ce ministère régalien, qui prend de plus en plus les tournures d’une officine placée sous la souveraineté du chef de l’Etat et de ses serviteurs. Christine Albanel, ministre de la Culture et désormais de la Communication écrit:
« Cinquante ans après sa création, le ministère de la Culture et de la Communication, œuvre collective bâtie sous l’autorité de 19 ministres successifs, vit un tournant de son histoire. C’est ce qui rend cette célébration tout à fait singulière.
On célèbre le plus souvent des personnalités disparues, des événements inscrits dans le passé. Le cinquantenaire du ministère de la Culture est un anniversaire actif, tourné vers l’avenir, puisqu’il coïncide avec une réforme profonde, sans précédent, de cette prestigieuse institution. Cela fait des années que les acteurs et les observateurs du milieu culturel attirent l’attention sur la nécessaire modernisation de ce ministère qui a toujours évolué en ajoutant des directions et des établissements les uns aux autres.
Le ministère fêtera donc ses cinquante ans en faisant peau neuve, avec la création de trois grandes directions générales (patrimoines de France, création et diffusion, médias et économie culturelle), d’un secrétariat général renforcé, et d’une fonction d’inspection rénovée. Il fêtera ses cinquante ans avec l’arrivée historique de la direction du développement des médias, qui lui est officiellement rattachée. Il fêtera ses cinquante ans, enfin, avec des directions régionales des affaires culturelles qui comptent désormais parmi les huit grandes directions régionales de l’État. »
15 ans plus tard, Rachida Dati, dont on se demande encore comment elle a bien pu échouer à ce poste, engage l’audiovisuel dans une nouvelle réforme. Et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.
« Dénonçant l’« obstruction » de la gauche, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a dégainé l’arme constitutionnelle du vote bloqué lors de l’examen de la réforme de l’audiovisuel public au Sénat, vendredi 11 juillet au matin, pour accélérer l’examen du texte avant les congés parlementaires. Cette stratégie a permis d’aboutir à l’adoption du texte en deuxième lecture par la chambre, dans l’après-midi, par 194 voix contre 113. »
Il semble bien que l’on assiste au retour de l’ORTF dont la ministre semble si nostalgique.
« Le projet gouvernemental prévoit une holding, qui serait baptisée « France Médias’, comprenant France Télévisions, Radio France et l’Ina (Institut national de l’audiovisuel) en 2025. Cette phase transitoire sera suivie d’une fusion au 1er janvier 2026. Avec pour l’instant une interrogation sur l’intégration de l’audiovisuel extérieur (France 24, RFI, Monte Carlo Doualiya) dans la future société fusionnée. »
Et, si l’on veut, de façon totalement anachronique, ramener le gouvernement dans la salle à manger des Français, “Il y a un problème en France, c’est que l’on n’arrive pas à couper le cordon ombilical qui relie le pouvoir à la radio et à la télévision de service public”, estime de son côté Christian Delporte. “Même avec les instruments que l’on a mis en place, la crainte que l’on peut avoir, c’est qu’en centralisant tout, on contrôle davantage. C’est pourquoi le parallèle est fait avec l’ORTF. Évidemment, ce qui nous arrive ne ressemblera pas à l’ORTF, mais l’esprit de relier la radio ou la télévision de service public directement à l’État, c’est évidemment dangereux dans un pays, dans une démocratie où le pluralisme de l’information, le pluralisme culturel, sont des outils essentiels à la construction des citoyens”.
Rachida Dati, en bonne maîtresse de maison, n’hésite pas à piétiner les règles les plus élémentaires de la démocratie, de la liberté de la presse, de l’indépendance des journalistes et finit par tomber le masque.
« Désormais, ses actes n’ont plus rien d’officieux. Tout comme elle affiche sans détour sa volonté de conquérir la mairie de Paris l’an prochain (elle aurait accepté un ministère contre l’absence de candidat·e LREM à Paris en 2026), Rachida Dati semble revendiquer son mépris pour la liberté de la presse. Alors que les équipes de France TV et Radio France annoncent une grève illimitée dès le 30 juin pour se battre contre la fusion de l’audiovisuel public et que la Macronie se montre inflexible sur le projet, la ministre a baissé son masque. Place à la pratique : en garde. »
Assiste-t-on à une fin de règne, au cours de laquelle des événements plus ou moins attendus semblent prendre forme ? Face à un « vote de confiance » qu’il a lui-même appelé de ses voeux, François Bayrou risque ce lundi 8 septembre de devoir faire ses bagages pour rejoindre Pau où ont été déposées 217 plaintes recensées par le collectif de victimes de Bétharram, dont une centaine porte sur des faits à caractère sexuel. Et même si « aucune infraction relevant de la compétence de la Cour de justice de la République ne paraît susceptible d’être caractérisée à l’encontre de François Bayrou », il est susceptible de ne pas échapper cette fois aux signalements déposés contre lui pour « non-dénonciation de mauvais traitements sur mineurs » et « abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit portant atteinte à l’intégrité des personnes » dans le cadre de l’affaire Bétharram et qui ont été classés sans suite.
Par contre, l’action de la justice devrait à présent pouvoir reprendre son cours et notamment pour Rachida Dati. Renvoyée devant le tribunal correctionnel dans l’affaire Ghosn, mardi 22 juillet, la ministre est également visée par une information judiciaire en lien avec la détention au Qatar, en 2020, d’un lobbyiste franco-algérien.
Il va lui devenir difficile d’échapper à ses responsabilités et aura peut-être tout intérêt à respecter un peu plus les journalistes qu’elle aura pris tellement plaisir à maltraiter. Car il ne fait aucun doute qu’ils vont poursuivre leur travail d’information dans le souci d’objectivité qui les a toujours guidés et qui consiste à rapporter les faits, rien que les faits, de façon juste et équitable.
RD
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