Idées suicidaires en hausse : les jeunes les plus touchés.

par Jean Camus



Des jeunes de plus en plus nombreux, c‘est la tendance révélée par Santé publique France. Les pensées suicidaires déclarées ont été multipliées par plus de deux depuis 2014 (échantillon de plus de 30000 personnes) chez les jeunes de 18 à 25 ans passant de 3,3 % à 7,2 %. Quand elles stagnent pour les autres classes d’âge à 4,2 %.

Une rupture, les suicides déclarés les douze derniers mois ont augmenté de plus de 60 % (de 0,7 % en 2017 à 1,1 % en 2021) pour cette tranche d’âge, de 50 % sur la même période (de 6,1 % à 9,2%) pour l’ensemble de la vie. Depuis 2000, les différents baromètres à intervalles réguliers donnaient pour ces âges, des résultats inférieurs ou comparables. Un changement important note Santé publique France, cette tendance semble se poursuivre.

Passée la période du COVID -19, la demande de soins ne faiblit pas. Au contraire : services saturés en pédopsychiatrique, en psychiatrie, délais pour accéder à une consultation qui s’allongent (jusqu’à 6 mois pour une Tentative de Suicide) alors qu’un contact dans le mois suivant est préconisé.  Ni l’hôpital, ni la médecine de ville ne voient baisser la vague.

Ces prises en charge plus tardives ont de lourdes conséquences, peu ou pas de prévention, peu de possibilités pour désamorcer les crises. Au CHU de Nantes, le service est passé de six médecins à un médecin en quelques mois.

Et ce constat remonte à tous les niveaux. Lancée en 2021, la plate-forme d’écoute, d’orientation et d’intervention a dépassé les 50 000 appels.  Lille, Montpellier, Brest recevaient en moyenne 600 à 800appels quotidiens. « On est aujourd’hui plutôt à 1 000 appels par jour ». « Cesbesoins interrogent les moyens, mais au-delà, l’organisation des soins qu’il faut remettre en question ». C.E Notre -Dame responsable de la plate -forme.

En France, le suicide représente la deuxième cause de décès chez les 15- 24 ans juste après les accidents de la route. Il est le plus élevé des pays européens.  Un adolescent sur cinq souffre de troubles dépressifs. La prescription des psychotropes explose chez les mineurs. Les admissions pour troubles alimentaires connaissent une augmentation de 30 % à 40 %. Pour les 13 % d’enfants et adolescents nécessitant des soins en neuropsychiatrie (soit 1,6 million de jeunes), on compte 600 psychiatres sur toute la France. La plupart des pays européens ont lancé un plan pour répondre à l’urgence. En France, pas de plan, ni décennal, ni quinquennal, ni triennal, aucun. Certes il y a tant de raisons de vouloir mourir que s’il fallait s’occuper de tous les désespérés, on n’en finirait pas. Raisonnement fallacieux s’il en est. Il en va de nos enfants. On s’inquiète pour nos vieux jours alors que les jeunes vont si mal.

Pour expliquer cette tendance qui s’établit dans le temps long, ces professionnels rappellent que cette phase de la vie est celle « de toutes les vulnérabilités, un moment de transition, une transformation de constructions et d’acquisition de l’autonomie ». « Unepériode d’apprentissages, de découvertes, d’expériences, mais aussi de doutes, d’inquiétudes, de peurs ».

Est-ce plus vrai aujourd’hui qu’hier ? Les fragilités sont-elles devenues plus fortes? Tous les cadres censés protéger sont questionnés aujourd’hui ; la famille, l’école, l’université. Un sentiment d’isolement parfois même au sein des familles « s’ils parlent de leur mal -être à leurs parents ?» la réponse est souvent la même : « je ne veux pas les inquiéter » « comme si nous-mêmes adultes apparaissions trop fragiles ». « Un sentiment d’enfermement  à l’heure où les réseaux sociaux et les écrans donnent pourtant l’impression d’être hyperconnecté.

 Des dépressions de plus en plus précoces. La crise du COVID-19 a marqué un tournant, mais avant des dépressions se manifestaient de plus en plus tôt. « Avant les idées noires, les TS concernaient plutôt des jeunes de 14-15 ans. Maintenant la majorité a plutôt entre 11 et 14 ans avec une singularité ; on voit plus de filles que de garçons »quand les morts par suicide sont plus des garçons que des filles.

La crise du Covid-19 a provoqué un accélérateur ; son effet s’éloigne maintenant. « On devrait constater des signes d’amélioration. Or, il n’en est rien, c’est même l’inverse » une cheffe du service pédiatrie.

Cette tranche d‘âge est un moment difficile, ces jeunes ne se reconnaissent plus comme relevant de la pédopsychiatrie, mais il leur est difficile de se diriger vers e service adulte. Ces jeunes ont pourtant des besoins. L’âge de ‘’transition’’ correspond au « pic d’émergence » des troubles psychiatriques, 75 % apparaissent avant l’âge de25 ans.

Par endroits, s’amorcent des dispositifs innovants ouverts, pour les patients atteints du trouble borderline, des séances de psychothérapie de groupe (hospices civils de Lyon), avec un binôme de soignants qui changent à chaque séance très impliqués dans le programme.  Très vite, le groupe dégage des catégories de symptômes, des « critères » ; sentiment de vide, d’abandon, de colères intenses, des comportements auto dommageables – drogue, automutilations. « On dit souvent que la TS est un appel à l’aide, mais pour moi c’est surtout une manière de poser une limite ». « C’est aussi une manière d’éteindre la douleur. Et pourtant, moi, j’aime la vie » . Les participants mettent des mots sur les maux « avec une maturité assez déconcertante» de l’avis de tous au sein du service.

D’autres modèles thérapeutiques sont proposés ailleurs. Mais les possibilités de prise en charge sont limitées. Pourtant les diagnostics sont de plus en plus fréquents parmi les 16-30 ans. Les lits sont tous occupés avec un âge moyen de 27-28 ans, quand il se situait plutôt après 30 ans, il y a une décennie. « On a fait le pari d’une prise en charge reposant sur le consentement et sur la collaboration du sujet ». Le « virage de l’ambulatoire » a permis de réduire le temps d’hospitalisation. « Une prise en charge précoce, avant que le mal-être ne se chronicise, peut permettre de vivre le mieux possible ».

Le dilemme aussi vaste et complexe que possible de la fin de vie ne peut escamoter et faire passer au second plan la santé mentale des jeunes.


JC

Sainte-Savine, mars 2024

Santé mentale : les enfants les plus pauvres sont trois fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques que les autres


Selon cette étude de l’Assurance maladie et de Santé publique France, chez les deux à trois millions d’enfants les plus modestes, les pathologies psychiatriques, notamment des retards mentaux ou affectifs, sont plus fréquentes.

Lire ICI


Les pygmalions parlementaires de la psychiatrie sécuritaire ?

Rappel: CINÉ-DÉBAT ORGANISÉ PAR L’UNAFAM


Ce soir  à 19h30

A la Maison de l’Animation et de la Culture

10, avenue Michel Berger à Pont-Sainte-Marie


En partenariat avec la LDH dans le cadre de la semaine de la santé mentale




Suggestion de lecture

Récit d’un journaliste infiltré en hôpital psychiatrique
Au moment où les soignants dénoncent l’état catastrophique de la psychiatrie en France, Alexandre Macé Dubois infiltre un service psychiatrique en se faisant passer pour schizophrène. Il va partager le quotidien des patients et découvrir la triste réalité : l’absence de suivi personnalisé, de psychothérapie, une lourde médicamentation standardisée. Il décrit des malades livrés à eux-mêmes et un système en souffrance. Un témoignage assorti de données statistiques et d’avis de professionnels qui, plus que jamais, tirent la sonnette d’alarme sur le manque de moyens, alors que le nombre de personnes atteintes de pathologies psychiatriques ne cesse d’augmenter.

EAN : 9782752913746
208 pages
PHÉBUS (05/10/2023)

19 €

En psychiatrie, la nécessité de « rompre le silence et les complicités autour de la contention » 



MAIL

Attacher des patients pendant des heures voire des jours reste une pratique courante en psychiatrie en France. Dans l’ouvrage Abolir la contention, le psychiatre Mathieu Bellahsen appelle à sortir de cette « culture de l’entrave ». Extrait.

Lire ICI

« Il ne faut pas que l’ensemble des patients psychiatriques subissent la stigmatisation sécuritaire »


Après le meurtre de l’infirmière du CHU de Reims, un discours mêlant insécurité et troubles psychiatriques monte. Le psychiatre Mathieu Bellhasen déconstruit ce schéma stéréotypé dans un entretien avec « l’Obs ».

Lire ICI