Loi séparatisme : le Conseil constitutionnel laisse passer les monstres

Publié sur rue89bordeaux.com le 19/08/2021

Par

Pierre-Antoine Cazau
Président de la section de Bordeaux de la Ligue des Droits de l’Homme

La loi « séparatisme », censée renforcer les principes républicains, vient de passer le filtre du Conseil constitutionnel. Ce dernier « n’a rien vu à redire à l’ouverture de la dissolution d’une association en raison des agissements d’un de ses membres », déplore Pierre-Antoine Cazau, docteur en droit et président de la section de Bordeaux de la Ligue des Droits de l’Homme, bien qu’il s’agisse selon lui d’ « une des dispositions les plus liberticides de ces dernières décennies ».

La loi « confortant le respect des principes de la République », dite loi « séparatisme » est non seulement un texte stigmatisant les musulmans, mais c’est aussi un véritable fourre-tout qui a servi notamment à restreindre les libertés associatives au profit d’un plus grand contrôle des pouvoirs publics. Face à une menace aussi importante, le mouvement associatif a difficilement tenté de se mobiliser, notamment contre le « contrat d’engagement républicain ». La majorité n’a toutefois rien entendu de ses inquiétudes et a adopté toutes les dispositions liberticides.

Le texte étend la possibilité de dissoudre les associations. Auparavant, les hypothèses de dissolution étaient cantonnées aux cas très graves notamment de provocations à des manifestations armées, d’atteinte à l’intégrité du territoire et de la forme républicaine du gouvernement, d’opposition au rétablissement de la légalité, de discrimination et de haine, de terrorisme ou encore les groupes de combats et milices privées. Ces hypothèses, déjà nombreuses, permettaient déjà de couvrir un champ large d’atteintes graves à l’ordre public.

Non satisfaite de ne pouvoir dissoudre à tout va, la majorité a adopté deux extensions qui, combinées, mettent gravement en danger la liberté associative. Face à ces reculs sans précédent des libertés associatives, le Conseil constitutionnel n’a pas trouvé les mesures disproportionnées

Boîte de Pandore

S’agissant du nouveau cas de dissolution visant les violences faites aux personnes et aux biens, le Conseil constitutionnel a estimé que les garanties étaient suffisantes, le texte de loi prévoyant que la dissolution administrative intervienne en cas de graves troubles à l’ordre public débouchant sur des « violences » aux personnes et aux biens. Or l’appréciation du caractère « grave » de l’ordre public est soumise aux interprétations des juges et peut varier grandement. Croire que le qualificatif serait suffisamment protecteur est une illusion.

Pire, le texte de loi ne se limite pas à opposer les dissolutions aux cas de violences faites aux personnes, ce qui pourrait s’entendre, mais également aux violences faites « aux biens ». S’il est facile d’identifier une violence faite à une personne, il en va autrement des violences faites aux « biens », et ce d’autant plus que, contrairement au droit pénal qui ne sanctionne que les destructions des biens d’une certaine importance, la loi séparatisme n’indique rien ni quant aux biens concernés ni quant aux types de « violences ».

C’est l’ouverture de la boîte de Pandore. Faut-il considérer comme une violence faites aux biens un tag ? l’intrusion dans les centrales nucléaires par les associations de défense de l’environnement ? les actions anti-publicités ou encore celles contre l’éclairage nocturne ?

Les biens et la propriété sont l’objet d’un véritable culte, au point qu’on s’interroge parfois sur la hiérarchisation des valeurs d’une société qui les place au-dessus de la protection des personnes. Quand on voit l’émoi généralisé lorsque des vitrines sont détruites en manifestation en comparaison de celui, beaucoup plus faible, suscité par les victimes des gestions calamiteuses du maintien de l’ordre, il y a de quoi s’inquiéter. Les associations pratiquant la désobéissance civile sont ainsi particulièrement menacées (Act Up, Greenpeace, ANV COP, L214, ATTAC…).

Act Up n’y aurait pas survécu https://t.co/tctxqxpdlR— Didier Lestrade (@minorites) August 13, 2021

Police des adhérents

L’ouverture de la dissolution des associations en raison des agissements d’un de leurs membres est elle-aussi particulièrement grave. Jusqu’à présent, une association n’était responsable que de ses propres agissements, effectués par ses représentants ou par les personnes ayant expressément reçu mandat d’agir en son nom. Désormais la dissolution pourrait intervenir lorsque l’acte aura été commis par un·e simple adhérent·e.

Là encore, le Conseil constitutionnel n’y a rien trouvé à redire, estimant que les garanties étaient suffisantes dès lors qu’il fallait, pour justifier la dissolution, que le dirigeant ait eu connaissance des agissements du membre en lien avec l’objet de l’association et qu’il n’ait rien fait pour l’en empêcher. Les dirigeants d’association vont donc devoir effectuer une police de leurs adhérents.

Comment ? Le texte est particulièrement flou – il leur faudra réussir à prouver qu’ils n’ont pas eu connaissance d’un agissement d’un de leur membre ou qu’ils auront bien agi pour l’en empêcher. Le législateur n’a prévu aucune garantie procédurale en matière de charge de la preuve.

Combinées, les conséquences de ces deux élargissements des cas de dissolutions des associations sont vertigineuses.

S’emparer de l’idée de « libertés publiques »

Le Conseil constitutionnel n’a censuré qu’une seule disposition sur ce sujet : la suspension pendant six mois des associations sur simples demandes du ministre de l’intérieur, le temps de la procédure « contradictoire ». Une disposition dont on se demande comment elle a pu être votée par un Parlement bien incapable de voir les dangers gigantesques que représente un tel pouvoir entre les mains d’un ministre…

Le quitus global donné par le Conseil constitutionnel a de quoi inquiéter et nous oblige. Il est impératif que les citoyen·ne·s s’emparent à nouveau de l’idée de « libertés publiques », ces libertés qui ne sont pas que de simples libertés individuelles, ou, comme on l’entend parfois « LA liberté », concept vague dans lequel chacun met ce qu’il veut pour lui-même. La liberté associative est une liberté politique, et donc un pilier de la démocratie. Condition des autres libertés, les libertés publiques méritent à ce titre qu’on les défende.

Pierre-Antoine Cazau
Président de la section de Bordeaux de la Ligue des Droits de l’Homme

« Un après-midi dans les gaz lacrymogènes » : le rapport détaillé de l’observatoire des pratiques policières à Toulouse

Publié sur france3regions.francetvinfo.fr le 30 juillet 2021

L’Observatoire des Pratiques Policières (OPP) à Toulouse analyse depuis plus de quatre ans la gestion des manifestations de rue par les forces de l’ordre. Il publie aujourd’hui un rapport détaillé du comportement des policiers lors de la mobilisation contre le pass sanitaire samedi 24 juillet.

L’Observatoire toulousain des Pratiques Policières (OPP) est né en 2017. A l’époque des militants de la Ligue des Droits de l’Homme et de la fondation Copernic constatent une dégradation du maintien de l’ordre dans les manifestations, notamment la mobilisation contre la loi travail et contre le barrage de Sivens dans le Tarn. « On a eu l’impression que les policiers avaient franchi un pas », explique Pascal Gassiot de la fondation Copernic.

« Avec des copains militants, on s’est dit : il faut que l’on témoigne sur une longue durée mais on n’imaginait pas que l’on partait pour un travail de plus de quatre ans. »

Le travail de ces observateurs s’est en effet intensifié en novembre 2018 avec les manifestations des Gilets Jaunes. En avril 2019, les membres de l’OPP dénoncent dans un premier rapport « un dispositif de maintien de l’ordre disproportionné et dangereux pour les libertés publiques. »

Des Gilets Jaunes aux manifestants contre le pass sanitaire

Avec le Covid et le confinement, les Gilets Jaunes ont cessé de manifester. Mais depuis l’annonce de la mise en place d’un pass sanitaire et d’une vaccination obligatoire, les manifestations de rue rassemblant de simples citoyens ont repris. A Toulouse, des milliers de personnes se sont ainsi retrouvées dans la rue plusieurs samedis de suite pour dire non à ce qui ressemble, selon elles, à des entraves à la liberté.
Les membres de l’observatoire toulousain des pratiques policières sont là, à leurs côtés. Ils ont décidé désormais de publier leurs rapports détaillés régulièrement quand ils le jugeront nécessaire. A chaque manifestation un groupe de quatre observateurs est présent.

Toulouse - Des observateurs de l'Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP à la manifestation du 24 juillet 2021.
Toulouse – Des observateurs de l’Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP à la manifestation du 24 juillet 2021. • © Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP

Le rapport du 24 juillet a été baptisé « un après-midi dans les gaz lacrymogène ». Il raconte, minute par minute, le déroulé de la manifestation contre le pass sanitaire qui a eu lieu ce jour-là dans les rues de Toulouse. Une manifestation interdite dans le centre-ville et qui a rassemblé plus de 3 000 personnes. Deux groupes de quatre observateurs sont présents.

« Un homme est couché à terre »

Voici quelques extraits de ce rapport qui comporte également des photos.

-« A 14h05,  un demi-escadron  d’EGM, (Escadron de gendarmes mobiles) 7 fourgons avec les gendarmes non casqués, est positionné sur les allées Roosevelt. Les manifestants sont, pour partie, regroupés devant les anciens locaux d’Air France. La manif s’élance en direction de Jeanne d’Arc. »

-« Vers 15h34, des CDI, avec une commissaire de police (bien connue de nos services…) sont positionnés en haut des marches d’accès à la dalle du quartier Saint-Georges. Certains  manifestants les invectivent et l’attitude de l’un des policiers, juste à côté de la commissaire qui ne réagit pas, n’est absolument pas professionnelle ; on peut qualifier son comportement de «narquois» : il fait des petits signes de la main en joignant par exemple des doigts en forme de cœur… Ce qui a pour effet, bien évidemment, de faire augmenter le niveau d’énervement des manifestants en question. »

-« 18h11.Un homme est couché à terre et les secouristes volontaires sont à la manœuvre sous la «surveillance» des policiers et gendarmes. Une cinquantaine de personnes sont maintenues à distance par des cordons de gendarmes et de policiers. Nous rejoignons les autres observateur·es et constatons que les deux personnes dont l’interpellation, pour le moins malvenue, a fait dégénérer la situation sont assises sur le trottoir et menottées. La situation s’éternise en attendant l’arrivée du SAMU ».

« Le maintien de l’ordre c’est complexe »

« On est neutre d’un point de vue du comportement », explique Pascal Gassiotmembre fondateur de l’observatoire toulousain des pratiques policières. « On garde de la distance. On ne nie pas qu’il y a des jets de cailloux ou de canettes mais ce policier cité dans le rapport qui nargue des manifestants, ce n’est pas professionnel, cela ne joue pas l’apaisement. Dans le rapport, on montre aussi, photo à l’appui, un manifestant qui donne un coup de tête dans le bouclier d’un policier qui réagit immédiatement en lui donnant un coup de bouclier ».

Toulouse - manifestation du 24 juillet 2021.
Toulouse – manifestation du 24 juillet 2021. • © Observatoire toulousain des Pratiques policière-OPP.

Un gendarme mobile ou un CRS n’aurait pas réagi selon Pascal Gassiot. Là, il s’agissait d’un policier de la CDI (compagnie départementale d’intervention), des hommes qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre explique l’observateur. « On ne cherche pas à justifier les violences contre la police mais le maintien de l’ordre c’est quelque chose de complexe. On dénonce la présence, dans les manifestations, des policiers de la CDI et de la BAC (Brigade anti criminalité). Ils réagissent de manière fébrile et non proportionnée. »

« Avec le temps, dit Pascal Gassiot, on  espère qu’il y aura une prise de conscience de la police et de la population. On pense qu’en continuant à faire ce travail, avec le temps, les choses vont évoluer, mais c’est long ».

En France, une douzaine d’observatoires similaires ont vu le jour ces dernières années. Une réunion nationale est prévue à Toulouse fin septembre, début octobre.

Pour consulter et télécharger le rapport d’observation (Fondation Copernic/LDH/Syndicat des Avocats de France) , cliquer ICI

Lors de l’assemblée générale des membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières – OPP qui s’est tenue le 7 juillet 2021, il a été décidé de restituer publiquement de manière régulière les travaux d’observation et d’analyse des pratiques policières lors des manifestations de rue à Toulouse.

Jusqu’à ce jour et plus de quatre années après l’observation des premières manifestations, l’OPP a rendu public deux rapports, plutôt consistants, en avril 2019 et en avril 2021 ainsi qu’une dizaine de communiqués de presse.

Le fait de rendre public certains rapports internes de l’OPP va dans le sens d’une restitution plus régulière du travail d’observation.

Colombie : de nouvelles manifestations au 15e jour de la crise sociale

Au moins 41 morts parmi la population et les manifestants et des centaines de civils blessés victimes des forces de répression de ce gouvernement autoritaire et criminel. Cette terrible répression, la pire dans l’histoire de la Colombie, avec de nombreux viols et actes de torture, fait suite à un vaste mouvement social pacifique avec la jeunesse à sa tête. Les manifestants réclament une politique plus sociale et demandent le retrait de la réforme de la santé, qui vise à restreindre l’accès universel à des soins de qualité. Ils souhaitent également des aides pour les entreprises qui ont souffert de la crise sanitaire, ou encore l’accès à une éducation gratuite pour tous. Ils dénoncent aussi  les abus des forces de l’ordre, accusées de recourir à la violence envers les manifestants.

Publié sur francetvinfo.fr le 13 mai 2021 avec AFP

Cette mobilisation est marquée par des violences meurtrières dans ce pays dont l’économie s’est détériorée avec la pandémie de Covid-19.

La colère ne faiblit pas. Des milliers de personnes manifestaient à nouveau en Colombie, mercredi 12 mai, au 15e jour d’une forte mobilisation sociale contre le gouvernement. Ce mouvement est marqué par des violences meurtrières dans ce pays dont l’économie s’est détériorée avec la pandémie de Covid-19.

Le président de droite Ivan Duque a rencontré, mercredi, des représentants des jeunes, qui sont en première ligne de la protestation, après avoir promis pour les plus modestes la gratuité des frais d’inscription à l’entrée dans les universités publiques.

« Je vais mettre toute mon énergie, toute ma capacité et toute l’équipe gouvernementale pour que ce processus [de négociation] se passe bien », a déclaré le président lors de cette rencontre avec des étudiants à Bogota.

Au moins 42 morts

Les affrontements, qui ont marqué certaines de ces journées depuis le 28 avril, ont fait au moins 42 morts, dont un membre des forces de l’ordre, selon le Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits humains.

De son côté, le ministère de la Défense, dont relève la police en Colombie, maintient un chiffre de 849 agents blessés, dont douze par armes à feu, et 716 civils mais sans préciser le nombre de ceux blessés par balles.

Il s’agit des manifestations les plus sanglantes qu’ait jamais connues ce pays de 50 millions d’habitants, appauvri par la pandémie, qui a fait près de 79 000 morts. La Colombie est également confrontée à une recrudescence de la violence des groupes armés financés par le narco-trafic.

Colombie. Les disparitions forcées et violences sexuelles dont des manifestant·e s ont été victimes

Publié par Amnesty International sur amnesty.org

7 mai 2021, 13:08 UTC

En dépit de l’indignation croissante suscitée au niveau national et international, l’intervention militarisée et la répression policière déployées face à des manifestations très majoritairement pacifiques se poursuivent dans différentes villes de Colombie. La police a recouru à la force de manière disproportionnée et sans discernement, et le nombre de signalements de violences sexuelles et de disparitions forcées est alarmant, a déclaré Amnesty International vendredi 7 mai. Les disparitions forcées et les violences sexuelles imputées aux autorités sont des crimes de droit international pour lesquels n’importe quel État est habilité à mener une enquête et lancer des poursuites.

« Les autorités colombiennes doivent garantir le droit de réunion pacifique et s’abstenir de pointer du doigt et de réprimer les manifestations ayant lieu à travers le pays depuis le 28 avril. La garantie du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique des personnes qui manifestent de manière pacifique doit être au cœur de l’action des autorités, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

Amnesty International a précédemment dénoncé certains agissements, comme par exemple lorsque les forces de sécurité ont employé des armes létales et à létalité réduite sans discernement. Malgré le tollé international provoqué par ces événements, l’organisation continue à recenser des cas graves de recours excessif à la force contre des manifestant·e·s. Après la vérification et l’analyse de séquences audiovisuelles, l’organisation a, par exemple, pu établir que des membres de l’unité antiémeutes de la police (ESMAD) ont tiré des grenades de gaz lacrymogène très près des manifestant·e·s à Cali. Dans un autre cas confirmé par Amnesty International, la police de Bogotá a utilisé une arme à feu contre une personne tandis que celle-ci fuyait. L’organisation a également reçu des signalements selon lesquels, le soir du 4 mai, dans le quartier Siloé de Cali, des manifestant·e·s ont été directement visés par des tirs d’arme à feu, et ont été victimes de menaces et d’actes de torture.

La garantie du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique des personnes qui manifestent de manière pacifique doit être au cœur de l’action des autorités, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains. 

Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International

…/… (la suite sur le site)