Lettre ouverte du Syndicat des Avocats de France – Nantes et de la section Nantes et pays nantais de la Ligue des droits de l’Homme – Nantes le 17/11/20
Madame
la députée, Monsieur le député,
Madame
la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Vous serez amené-e le 17 novembre à vous prononcer sur la proposition de loi « Sécurité globale ». Nous voulons vous interpeller sur les points suivants ;
1)
une procédure d’urgence
Ce projet de loi
qui modifie considérablement l’équilibre républicain des droits
et libertés est passé en procédure d’urgence et par la voie
d’une proposition parlementaire, évitant ainsi de passer par une
étude d’impact juridique. Cette
procédure restreint de facto l’examen approfondi du contenu du
texte et l’information éclairée de la société et ainsi de la
représentation nationale :
il y a là un déni démocratique auquel vous ne pouvez vous
associer,
2)
une conception conflictuelle du maintien de l’ordre
Ce projet de loi renforce la
conception conflictuelle du maintien de l’ordre, déjà contenue
dans le Schéma National du Maintien de l’Ordre. Élargissant le
recours aux moyens technologiques de l’imagerie, il permet :
*
l’exploitation en direct au cours des manifestations par la police
des images de ses caméras
piéton : c’est rendre possible de relier ces images à ses
nombreux fichiers – notamment le Traitement d’antécédents
judiciaires (TAJ) dont elle contrôle le contenu –
et, par là,
de
renforcer les tactiques d’intervention à chaud qui créent tant de
violence,
* le développement de la surveillance des manifestations par drone ce qui accroîtra également le pouvoir d’un commandement hors du terrain, déshumanisant la relation à la foule et générant ainsi des prises de décision toujours plus éloignées des fonctionnaires sur le terrain et des citoyens.
3)
une loi contre-productive pour le respect de la police
Comme
le souligne la défenseure des droits, une police respectée est une
police contrôlée.
Or,
l’article 24 de la proposition de loi prévoit de sanctionner très
lourdement le fait de diffuser des vidéos dans lesquelles des
policiers ou gendarmes seraient identifiables dans
le but de leur porter atteinte « à l’intégrité physique ou
psychique ».
Au-delà de l’inquiétude majeure résidant dans la rédaction
particulièrement floue de ce texte (notamment s’agissant de la
notion d’intégrité psychique), cette disposition fait quasiment
disparaître
la possibilité de faire des vidéos en direct, par peur de la
sanction et constitue donc un risque majeur pour la liberté
d’informer.
Elle
comporte par ailleurs un risque, plus global, d’auto-censure des
journalistes et
observateurs
C’est
donc encore la
liberté d’expression qui est
ainsi
attaqués.
Une
telle disposition ne
peut que renforcer
une forme de culture de l’impunité contre-productive puisqu’elle
contribuerait à dégrader, un peu plus, le lien de confiance
nécessaire entre les forces de l’ordre et la population.
À
ce titre, l’exemplarité de la police légitimement attendue tant par
les citoyens contribuables que par les responsables politiques ne
peut encore qu’en
souffrir.
4)
Ce projet de loi, porte gravement atteinte à l’équilibre
républicain des force de police et de sécurité
Au
nom de la théorie du « continuum de sécurité », ce
projet de loi étend certaines compétences de la police nationale
aux polices municipales ce qui autorisera notamment des surenchères
locales de la part de maires. De plus, il organise une privatisation
de la police en contradiction flagrante avec les normes
constitutionnelles en déléguant aux agents privés de sécurité
des pouvoirs réservés à la police judiciaire.
Ainsi
l’État
se déresponsabilise d’une manière dangereuse en remettant aux
organes locaux et à des organismes privés le soin de gérer et de
financer une mission régalienne essentielle. Une telle démarche
porterait ainsi une grave atteinte à l’unité républicaine sur le
territoire national. Ce
n’est pas créer un « continuum » mais l’organisation
de la confusion !
Non,
Madame la députée,
Monsieur le député, Madame
la sénatrice, Monsieur le sénateur
vous ne pouvez pas associer votre nom à une telle évolution.
Dans
l’attente d’une réponse de votre part, veuillez agréer, Madame,
Monsieur, l’expression de notre respectueuse considération.