Le Conseil constitutionnel s’apprête à rendre sa décision sur la très controversée loi immigration. Et l’hypothèse d’une censure partielle du texte de 86 articles, largement amendé par la droite sénatoriale, est plus que probable. Dans ces conditions LR demandera un nouveau projet de loi et remettra sur la table son projet de révision de la Constitution.
Les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), chargés de statuer sur le dossier des demandeurs d’asile, sont en grève ce jeudi. Ils dénoncent la pression de la direction, qui les pousse à rendre toujours plus vite une décision d’asile. Une politique du chiffre qui vise à raccourcir les délais de traitement des demandes, mais qui forcent les agents à traiter les dossiers dans l’urgence.
Depuis le 2 octobre 2023, de nouveaux types de titres de séjour doivent être demandés via le téléservice « administration numérique pour les étrangers en France » (Anef).
Nous pouvons nous faire à juste titre quelques soucis à cette annonce de l’extension de la dématérialisation des démarches administratives, censée pourtant les simplifier, lorsqu’on connaît les dysfonctionnements récurrents de ces services depuis leur mise en place…
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Il est important de signaler qu’en 2022, les préfectures ont mis en application la dématérialisation des démarches administratives engagée depuis la fin des années 1990. Ainsi, il n’est plus possible de déposer un dossier (demande de titre de séjour, notamment) autrement que par la voie numérique sur le site service-public.fr du gouvernement.
Malgré l’encadrement par le Conseil d’Etat dès juin 2022 de cette dématérialisation et l’obligation des préfectures de garantir un accueil et un accompagnement non dématérialisé des usager.e.s, la situation ne cesse d’empirer au point d’en devenir kafkaienne, les services internet dysfonctionnant de façon telle qu’ il est impossible de mener à bien une démarche et que les dossiers non dématérialisés (sur papier) ne sont en réalité plus traités, l’administration n’étant plus en mesure de le faire, faute de moyens, de personnel et… de bonne volonté, voire d’instructions cohérentes.
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Faire valoir ses droits au RSA ou à une allocation devient de plus en plus compliqué. Des sociétés privées se saisissent de cette opportunité et de la désorganisation des caisses de sécurité sociale pour marchander l’accès aux aides.
La dématérialisation des rendez-vous en préfecture, amplifiée avec la crise sanitaire, a boosté un marché parallèle. Certaines personnes déboursent plusieurs centaines d’euros pour mettre fin à des mois d’attente et obtenir un rendez-vous en quelques semaines. Mais les arnaques fleurissent aussi.
Les atteintes aux droits et les « entailles » aux principes qui fondent la société française se multiplient, notamment pour les étrangers, s’inquiète la défenseure des droits dans son rapport annuel, publié lundi 17 avril.
Les Caisses d’allocations familiales (CAF) ont pour mission d’être au service des allocataires, comme le veut l’article L583-1 du Code de la Sécurité sociale, et sont aujourd’hui des acteurs essentiels des politiques de solidarité. Or nous constatons chaque jour, à travers nos pratiques, les difficultés grandissantes des allocataires pour faire valoir leurs droits et les conséquences délétères d’une gestion tournée vers la diminution du volume des prestations, les suppressions de postes, quoi qu’il en coûte humainement et d’une dématérialisation « hors sol », de plus en plus aux mains d’opérateurs privés.
Une enquête du magazine 60 Millions de consommateurs accuse les services publics d’être trop souvent injoignables au téléphone. L’Assurance maladie en tête.
Les préfectures du Rhône et de la Loire devront proposer une solution alternative à la dématérialisation des procédures, a ordonné le tribunal administratif de Lyon jeudi. Une victoire pour les associations requérantes, qui pointaient les difficultés pour les personnes étrangères dans l’utilisation des télé-services.
Le manifeste signé en février 2022 par 300 organisations pour un service public plus humain et ouvert à ses administrés est plus que jamais d’actualité.
Près de 30% des personnes pouvant prétendre à toucher une aide sociale ne la perçoivent pas, souvent à cause de la complexité des démarches. L’économie pour les caisses de l’État est évaluée à plusieurs milliards d’euros.
La dématérialisation des services publics, c’est-à-dire le fait de réaliser des démarches administratives en ligne, laisse nombre de personnes sur le bord de la route. Année après année, le sujet est régulièrement porté par les associations et par la Défenseure des droits.
Il n’y a pourtant pas que des laissés-pour-compte. La dématérialisation fait aussi des heureux, à commencer par toutes les personnes à l’aise pour réaliser des démarches en ligne.
« Les catégories sociales supérieures, les plus diplômées, celles qui ont les niveaux de revenu les plus élevés, pour qui la dématérialisation est synonyme de simplification et de gain de temps, puisqu’elle leur évite de se rendre au guichet », égrène la politiste Nadia Okbani. Elle profite aussi à l’administration elle-même. « Tout le travail administratif, les compétences administratives et numériques qu’il requiert, qui était auparavant assuré par des agents du service public, est transféré vers les usagers, dans une logique de responsabilisation de la gestion de son dossier », poursuit la chercheuse.
Au-delà de ces bénéficiaires évidents, d’autres acteurs émergent, faisant rimer « dématérialisation » et « marchandisation », comme le détaille un excellent dossier de La Gazette des Communes. Cela concerne à la fois l’accès aux services publics en général, par exemple pour renouveler un document comme la carte d’identité ou la carte grise, mais aussi l’accès aux prestations sociales. Si le besoin auquel ils répondent est réel, la solution qu’ils proposent dessine un modèle de société bien particulier : il faut payer un prestataire pour connaître ses droits et y accéder.
Externalisation de droit ou de fait
Quel est le point commun entre carte-grise.org, mes-allocs.fr, toutesmesaides.fr et demarchesadministratives.fr ? Ces sites ont pour objet d’informer sur les démarches administratives ou l’accès aux prestations sociales, proposent de vous aider à le faire, voire le font à votre place, et sont détenus par des entreprises privées. Il n’y a là rien d’illégal, du moins pour l’accès aux services publics en général. Le cas des prestations sociales est un peu différent, nous y reviendrons.
L’entreprise Advercity, qui regroupe de très nombreux sites de démarches administratives, revendique 40 000 appels par mois, chaque appel étant facturé 0,80 euros la minute
Depuis le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2017, certains documents, comme le certificat d’immatriculation d’un véhicule (la carte grise), ne peuvent plus être demandés qu’en ligne. Soit directement sur le site officiel de l’ANTS, l’Agence nationale des titres sécurisés. Soit en passant par l’un des très nombreux sites privés (carte-grise-en-ligne-ccsl.fr, lacartegriseenligne.fr, carte-grise.org, cartegrise.com, immatriculer.com, etc.) ayant reçu l’habilitation du ministère de l’Intérieur, qui reste l’autorité compétente, et l’agrément du Trésor public. Ces sites se rémunèrent pour le service d’intermédiation rendu et en proposant un paiement échelonné.
Derrière différents noms de domaine peut se cacher la même société. L’entreprise Advercity, qui « édite des sites Internet avec l’objectif d’aider les citoyens dans leurs démarches administratives », selon l’un de ses responsables, Pierre-Antoine Moulin, regroupe ainsi de très nombreux sites de démarches administratives. Elle revendique 40 000 appels par mois, chaque appel étant facturé 0,80 euros la minute.
« Quand on externalise une prestation de service public, cela a un coût pour l’usager, tranche David Lecocq, secrétaire général de la CGT Intérieur. C’est pourtant un service qu’il paie déjà par l’impôt. L’externalisation entraîne une double peine. C’est ce que produit la politique de réduction du nombre de fonctionnaires : il faut en plus payer le service directement lorsqu’on en a besoin.»
Certains sites sont spécialisés dans l’accès aux prestations sociales. C’est le cas de mes-allocs.fr, de Wizbii money, à destination des jeunes, ou encore de toutesmesaides.fr. Ils proposent un simulateur de droits gratuit – il faut toutefois laisser des coordonnées – et un accompagnement payant. Sur Mes-allocs, il faut s’inscrire, moyennant 29,90 euros, puis souscrire à un abonnement trimestriel du même montant (soit 120 euros l’année), sans engagement. 28 000 personnes y ont souscrit depuis 2018. Wizbii money, un service développé depuis 2019, prélève 4 % du montant de la prestation pendant toute la durée de son versement, dans la limite de 9 euros par mois.
Toutesmesaides, enfin, a choisi de faire payer les entreprises à hauteur de 2 euros par mois et par salarié. Le montant est dégressif au-delà de 200 salariés. Une entreprise de 5 000 salariés paiera un abonnement mensuel d’environ 7 500 euros. Le service est dès lors réservé aux seuls salariés dont les entreprises sont clientes de la plate-forme. Ils sont près de 100 000 aujourd’hui, pour 60 entreprises abonnées. Pour que son service ne soit pas réservé aux seuls salariés, la plate-forme a également signé des partenariats avec des associations comme la Croix-Rouge, Emmaüs Habitat ou l’université Paris-Saclay, qu’elle facture à un prix bien inférieur.
Accompagnement vs intermédiation
Problème, la législation interdit de jouer les intermédiaires entre un usager et la prestation sociale à laquelle il a droit. « Cette jurisprudence remonte aux années1952-1953, lorsque la question s’est posée quelques années après la création de la Sécurité sociale », rappelle Joran Le Gall, président de l’Association nationale des assistants de service social (Anas).
L’association a porté plainte contre le site Mes-allocs en 2019 et alerté au printemps dernier les différentes caisses de Sécurité sociale. Son fondateur, Joseph Terzikhan, passé par la banque d’investissement et une filiale du géant chinois Alibaba, affirme, lui, être dans la légalité. Parmi les 1 200 aides que recense le site, beaucoup ne sont pas des prestations sociales.
« Pour l’aide à l’achat d’un vélo électrique, nos conseillers remplissent le dossier pour le client, explique-t-il. Pour les prestations de la Cnaf, comme c’est interdit, nous ne le faisons pas. Nous les guidons au téléphone. »
L’entrepreneur, qui affirme faire « de l’optimisation sociale », regrette cependant ce distinguo. « Les clients nous le demandent. C’est pourquoi nous faisons un travail de lobbying pour que les textes de loi puissent changer. »
De plus, argumente-t-il en réponse à ceux qui l’accusent de « faire du fric sur le dos des pauvres », l’utilisateur type de sa plate-forme n’est pas en grande précarité. C’est souvent un actif gagnant moins de 1 600 euros par mois. « Sans nous, il ne ferait pas la démarche. » Ses clients sont « les oubliés des aides sociales ».
Du reste, ce n’est pas avec ce volet de son activité qu’il boucle son modèle économique, mais en proposant un accompagnement à la formation et à la reconversion professionnelle. « On aide à optimiser le pouvoir d’achat, mais on ne favorise pas l’assistanat. On veut aussi aider les gens à choisir une vie active qui leur convient », affirme-t-il. Cela lui permet de bénéficier de financements de la Caisse des dépôts et consignations, des Opco (qui financent les formations d’entreprise) et des droits à la formation.
Symptôme
« Tout le monde voit bien l’absurdité de cette situation, mais il est compliqué de s’en saisir », déplore Joran Le Gall qui regrette l’absence de portage politique de ces sujets. Comme les contrats à impact social, dont le nombre reste marginal, il voit dans le développement de prestataires privés pour l’accès aux droits « un bouleversement absolu dans la manière de faire de l’action publique. La dématérialisation n’est qu’un symptôme », estime-t-il.
Le problème de fond, c’est la fermeture des services publics et le fait qu’on n’ait plus accès à un interlocuteur humain
Le problème de fond, c’est la fermeture des services publics et le fait qu’on n’ait plus accès à un interlocuteur humain. Un constat que partage Prune Helfter-Noah, coporte-parole du collectif Nos services publics : « Derrière le discours rationalisant qui prétend limiter la subjectivité des agents dans le traitement des dossiers » se cache un leurre, celui de « croire que les situations humaines peuvent être réduites à des critères et des cases à cocher». Paradoxalement, ces entreprises privées ne disent pas autre chose :
« Les démarches administratives sont relativement complexes et sont un élément stressant pour les usagers, indique par e-mail Paul-Antoine Moulin, d’Advercity. La dématérialisation et la difficulté à avoir un contact humain compliquent la vie de nombreuses personnes (…). Dès qu’un usager sort des cas les plus classiques, tout devient plus compliqué (…). Nous essayons de pallier cela en « remettant de l’humain » ».
Joran Le Gall abonde :
« Avoir face à soi un être humain vous aide à avoir confiance dans ce que vous faites, surtout lorsqu’il a l’air compétent.» Et d’ajouter : «Ces entreprises prospèrent sur cet aspect de la transformation de l’action publique.»
Avec des slogans du type «il n’a jamais été aussi simple de faire valoir ses droits », la promesse de sommes conséquentes qui seront engrangées, une prise en charge humaine et globale et une interface agréable, elles visent en effet à rassurer.
« Le sujet des aides sociales est très sensible », illustre Cyprien Geze, fondateur de Toutesmesaides, qui a pour clients les employeurs. « Mais on n’a pas envie de le rendre lourd, avec un énième formulaire administratif. L’application est colorée, sympa. On le rend plus fun. C’est sur cet aspect qu’on accompagne le plus les RH. »
Renoncement
Paradoxalement, c’est plus sur cet aspect que par la seule expertise technologique que ces entreprises apportent une valeur ajoutée. Hormis Toutesmesaides, qui a d’emblée développé sa propre application, Lisa, toutes ont commencé par utiliser le simulateur OpenFisca, un moteur de règles open source conçu à partir de 2011 et adopté dès 2014 au sein de l’actuelle direction interministérielle du numérique (Dinum), qui l’a utilisé jusqu’en 2020 pour le simulateur mes-aides.gouv.fr.
«Au-delà du conflit de portage, une partie de l’administration a opposé à Mes-aides une très haute idée de l’écriture administrative, impliquant de fournir des informations exactes aux utilisateurs, explique la chercheuse Marie Alauzen, spécialiste du sujet. Mes-aides est donc l’histoire de l’échec d’une entreprise de modernisation, car même si le site rencontrait des usages administratifs et citoyens, il n’a pas convaincu les administrations sociales que les simulations proposées étaient systématiquement conformes au droit des prestations sociales.»
La direction de la Sécurité sociale a depuis repris la main et propose, toujours à partir d’OpenFisca, une simulation gratuite (sans avoir à laisser ses coordonnées) sur mesdroitssociaux.gouv.fr. Les concepteurs de Mes-aides ont poursuivi leur projet sous forme associative, avec mes-aides.org. Mais dans ces deux cas, seule une simulation est proposée, pas l’accompagnement humain que revendiquent les entreprises privées. Et qui devrait être au cœur du service public.
Obligatoire dans les démarches d’un demandeur d’asile, l’adresse de domiciliation fut longtemps indispensable pour recevoir les courriers de l’administration française. Mais à l’heure de la dématérialisation et des « courriers électroniques », imposer cette adresse de domicile est un « paradoxe », selon la Cimade.
Pour demander une protection en France, les demandeurs d’asile doivent désormais faire leurs démarches en ligne auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Cette dématérialisation, mise en place début mai, pose problème à certains exilés, qui ne maitrisent pas forcément les outils informatiques ou la langue française. Reportage.