Le gouvernement Barnier connaît ses premières dissonances
L’appel du premier ministre à « la cohésion » et à « la fraternité » n’a pas été entendu. Des divergences de vues ont révélé l’emprise de l’extrême droite sur ce nouvel exécutif.
Dès ses premiers pas, le jeune gouvernement Barnier s’est pris les pieds dans le tapis, mardi 24 septembre. Le nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a tenu des propos sur l’immigration ou sur la justice que Marine Le Pen ne renierait pas, mais contre lesquels deux de ses collègues se sont élevés. Quant au jeune ministre de l’économie, Antoine Armand, il a, de son côté, jugé que le Rassemblement national (RN) ne s’inscrivait pas dans l’« arc républicain », ce qui lui a valu les remontrances de la même Marine Le Pen et un rappel à l’ordre de Michel Barnier. Deux couacs qui disent l’emprise de l’extrême droite sur ce nouvel exécutif.
Meurtre de Philippine : Bruno Retailleau veut « faire évoluer notre arsenal juridique » ; Olivier Faure critique le délai de délivrance des laissez-passer consulaire
Le suspect, âgé de 22 ans, avait été condamné pour viol et était sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français non exécutée.
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Après la nomination de Michel Barnier au poste de premier ministre, le 5 septembre, près de deux mois après les législatives anticipées, son gouvernement a été annoncé samedi 21 septembre au soir sur le perron de l’Elysée.
« Violence totale », « retour en arrière », « insulte »… Philippe Croizon en colère après la suppression du secrétariat d’État aux personnes handicapées
Bruno Retailleau à l’Intérieur, symbole d’une droite dure conservatrice
Figure d’une droite libérale-conservatrice aux convictions inflexibles, partisan d’une « politique de civilisation », Bruno Retailleau a été nommé samedi au prestigieux ministère de l’Intérieur, où sa radicalité risque de faire grincer des dents dans l’opposition de gauche, mais aussi dans le camp présidentiel. Il était d’ailleurs un opposant farouche au rapprochement entre la Macronie et Les Républicains.
L’UNICEF France déplore l’absence d’une politique globale dédiée aux droits de l’enfant
« L’UNICEF France exprime sa déception face à l’absence d’un portefeuille spécifiquement dédié aux droits de l’enfant dans sa globalité au sein du nouveau gouvernement.
Si la nomination d’Agnès Canayer en tant que chargée de la Famille et de la Petite enfance est un signe positif pour la prise en compte des tout-petits, cela ne couvre pas l’ensemble des besoins spécifiques des 15 millions d’enfants en France. Réduire la question de l’enfance à la famille ou à la petite enfance laisse en suspens les défis majeurs auxquels font face les enfants plus âgés, notamment en matière de protection, de santé, d’éducation et de lutte contre la pauvreté.
La convocation de nouvelles élections législatives devait, selon Emmanuel Macron, permettre une « clarification » démocratique. Las, après deux mois d’atermoiements et de basses manœuvres, la nomination de Michel Barnier à Matignon, à rebours du choix des Français, n’est rien d’autre qu’une funeste trahison. Un bras d’honneur au vote exprimé dans les urnes. Et la confirmation que ce président pétri de mépris et de certitudes n’a jamais eu l’intention d’ouvrir la voie à d’autres options politiques que les siennes. Pour le chef de l’État, la démocratie ne vaut que si elle va dans le sens de ses intérêts, ceux du capital et des puissants qui le dirigent. Et, pour ce faire, il est prêt à toutes les duplicités et compromissions.
Le choix de Michel Barnier, avec l’assentiment circonstancié de l’extrême droite, restera une tache indélébile dans l’histoire politique de notre pays. Il faut mesurer l’ampleur du déni démocratique. Pour la première fois sous la Ve République, le représentant d’une force politique – la Droite républicaine – arrivée en 5e position aux législatives, forte de seulement une quarantaine d’élus à l’Assemblée nationale, compose l’exécutif de notre pays et va piloter – peut-être – le budget de la nation. Le tout sous la supervision du RN, érigé en faiseur de rois ou en coupeur de têtes par un Emmanuel Macron qui se flattait, naguère, d’être le meilleur rempart à Marine Le Pen… On pourrait en rire, si ce n’était si grave.
Cet épilogue estival permet plusieurs « clarifications ». Non pas démocratiques, mais politiques. Déjà, l’écran de fumée du « en même temps » – pour ceux qui y croyaient encore – s’est totalement dissipé. En donnant les clés du pouvoir au libéral Barnier, Emmanuel Macron parachève la droitisation de sa formation entamée depuis des années. L’argument marketing d’un équilibre entre gauche et droite, servi depuis 2017, est définitivement enterré. Et les caciques de LR (Copé, Sarkozy…), partisans d’une alliance avec les macronistes – et qui n’en espéraient pas tant –, peuvent se frotter les mains. Leurs visées austéritaires et néolibérales vont pouvoir, dès le prochain budget, être relayées au plus haut niveau de l’État.
L’autre enseignement est l’imposture XXL du RN. Le parti « antisystème », qui aime se grimer en défenseur des milieux populaires, a fait tomber le masque.
En adoubant l’ex-commissaire européen, Marine Le Pen tente d’accentuer son rapprochement des milieux bourgeois et des élites économiques, et d’apparaître comme une force gouvernementale potentielle et respectable. Une stratégie d’autant plus aisée qu’elle partage des sujets essentiels avec l’hôte de Matignon. Le futur budget de rigueur n’est pas pour lui déplaire. Tout comme les positions anti-immigrés que Michel Barnier a pu avoir ces dernières années. Plutôt que de combattre un camp présidentiel en pleine dérive, le RN et ses alliés espèrent donc le tirer vers eux avec la pression de leurs 142 députés. Et tirer dans le dos de ses électeurs qui l’imaginent en défenseur de la justice sociale.
Face à un attelage aussi bringuebalant, la gauche, flouée par le vol démocratique de Macron, ne doit pas se désunir. La Fête de l’Humanité, ce week-end, est un rendez-vous incontournable pour conforter les forces de progrès. Comme le rappelle Sophie Binet dans nos colonnes, la faiblesse du gouvernement Barnier, tributaire des tractations parlementaires, peut permettre d’arracher des avancées sociales. La journée de mobilisation du 1er octobre initiée par la CGT surviendra le même jour que l’arrivée du budget 2025 devant les députés. L’occasion de continuer de nourrir l’exigence sociale. Et de faire entendre dans la rue la majorité qui s’est exprimée dans les urnes.
Laurent Mouloud
La Fête de la solidarité humaine
Par Fabien Gay, directeur de l’Humanité
14 septembre
La Fête de l’Humanité 2023 s’ouvre dans un contexte particulièrement difficile où les événements de crise se succèdent.
Un terrible séisme a frappé il y a quelques jours en plein cœur le Maroc. Nos pensées fraternelles vont en premier lieu aux victimes et à leurs familles. Nous avons relayé dès le premier jour l’appel à la solidarité lancé par le Secours populaire français pour venir en aide, avec ses partenaires locaux, aux populations sur place et organiser les premiers secours et la solidarité concrète. Cette solidarité résonnera partout dans la Fête de l’Humanité.
Solidarité avec les peuples du monde qui subissent les guerres, la misère et la répression. Nous ferons vivre pendant trois jours la paix et la fraternité humaine avec les peuples en lutte.
Solidarité avec les peuples qui subissent de plein fouet le réchauffement climatique, qui n’est plus un mot, mais une réalité concrète.
Vagues de chaleur, mégafeux, stress hydrique, pluies diluviennes, fonte des glaces, une biodiversité qui se meurt : les peuples sont les victimes immédiates de ce désastre planétaire.
Solidarité avec le monde du travail et de la création, du mouvement social. Après une année où le gouvernement libéral-autoritaire a étouffé le mouvement social, voici qu’une nouvelle étape est franchie avec la répression syndicale. Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME CGT et 1 000 autres syndicalistes sont aujourd’hui poursuivis devant les tribunaux ou réprimés dans leurs entreprises. Ces militants de la justice et du droit seront sous notre protection durant ces trois jours.
Solidarité enfin avec toutes celles et tous ceux qui luttent, cherchent une alternative entre le libéralisme autoritaire et l’extrême droite raciste et liberticide, et qui relèvent la tête face à un gouvernement qui ne fait rien pour enrayer l’inflation alimentaire, énergétique et du coût de la vie. La Fête de l’Humanité sera le relais de tous ces combats sociaux pour augmenter les salaires, les pensions et pour vivre dignement.
Bienvenue à toutes et tous à cette Fête de la fraternité humaine et de la solidarité au-delà des frontières où le débat est sain, argumenté mais également franc et sans concession pour préparer collectivement les luttes de demain. Les tentatives de division et de diversion concoctées par l’extrême droite et ses affidés, les petites phrases et le buzz médiatiques ne nous atteindront pas.
Grâce aux équipes de « l’Humanité », des militants communistes, mais aussi d’autres forces politiques, syndicales, associatives, culturelles et sportives et grâce aussi au travail des prestataires et amis, nous produisons un événement exceptionnel chaque année. Cela est possible car c’est une construction populaire qui se renouvelle sans cesse pour faire résonner les combats de son temps.
Patrimoine commun du mouvement ouvrier, la Fête de l’Humanité reste ce rendez-vous incontournable où se créent des moments inoubliables, des échanges marquants à l’occasion d’un débat, d’un repas, d’un concert ou d’une simple rencontre. Bienvenue à la Fête de l’Humanité !
Le contexte dans lequel s’ouvre la 89e édition de la Fête de l’Humanité est totalement inédit, et il était pour tout dire complètement imprévisible il y a encore à peine plus de trois mois. À l’heure de l’inauguration de ce grand rassemblement populaire au cœur de l’Essonne, la France est toujours sans gouvernement. La faute en incombe exclusivement à Emmanuel Macron, qui a refusé de prendre acte de la victoire aux élections législatives du Nouveau Front populaire – certes, sans majorité absolue – et préféré confier les clés de Matignon à l’homme d’une droite sévèrement battue dans les urnes.
Ce hold-up vole les espoirs de millions d’électeurs qui ont tranché en faveur d’une autre politique que celle du président de la République, et ce détournement n’a été rendu possible que par une alliance honteuse des défaits des législatives de juillet, Rassemblement national en tête. Le chef de l’État piétine ainsi le contrat moral et politique qui le lie à toutes celles et tous ceux qui ont édifié le barrage républicain ayant stoppé l’ascension du RN et sauvé de nombreux candidats du parti présidentiel, en perdition sans cela.
C’est peu dire que le besoin de se retrouver et de débattre est immense dans le peuple de gauche, pour penser les voies et moyens de faire respecter le verdict des urnes en premier lieu. Mais aussi pour réunir les conditions de mettre en œuvre une authentique politique de gauche. Les attentes sont là, comme en témoigne notre baromètre Ifop annuel sur les valeurs de gauche. Ne nous mentons pas : la gauche rassemblée sous la bannière du Nouveau Front populaire a marqué des points inespérés aux législatives, maiselle ne détiendra pas la clé du changement en comptant sur ses seuls députés. La réflexion et la mobilisation populaires doivent se poursuivre, et la Fête de l’Humanité peut jouer ce rôle d’immense forum en plein air où se mêlent au public et aux militants communistes, au travail depuis des semaines, les têtes d’affiche du NFP, des personnalités à la parole libre comme Judith Godrèche, Guillaume Meurice, Sophie Binet ou encore Dominique de Villepin dans un autre registre, et l’icône mondiale des luttes qu’est Angela Davis. Faites la Fête, Fête-nous rêver !
Les chaînes Bolloré et la fachosphère n’aiment rien tant que s’offusquer de réactions pourtant banales de leurs adversaires, et à partir de là, les caricaturer, monter une polémique et tirer à boulets rouges sur le malotru qui a eu l’audace d’un coup de gueule déplaisant à leur goût. Le politiquement correct dont se plaignent tant les militants d’extrême-droite, ce sont pourtant eux aujourd’hui qui l’imposent. Malheur à celui qui s’indigne encore des us et coutumes un tantinet racistes aujourd’hui entrés dans les mœurs…
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Faisant suite à la nomination du Premier ministre et en attente de la composition du gouvernement, actualités qui feront l’objet d’échanges en Comité national ce week-end, le Bureau national souhaite partager quelques informations avec les sections.
La position de la LDH reste inchangée :
– Nous avons porté le combat essentiel pour tenir l’extrême-droite hors du pouvoir, en cohérence avec notre lutte pour que tous les droits soient effectifs pour toutes et tous.
La nomination du Premier ministre ne correspond pas au message du second tour des législatives où deux tiers de l’électorat s’est rassemblé pour que l’extrême-droite soit tenue hors du pouvoir. Nous exprimerons donc notre vive inquiétude quant à ce qui se passe dans le champ politique, en particulier avec les conditions de la nomination d’un Premier ministre dont l’avenir semble avoir été construit sur une « bienveillance » de l’extrême-droite. Face à une extrême-droite qui combat l’universalité des droits, voulant les réserver à certains, nous réaffirmons que pour barrer la route au pire, les forces politiques doivent agir en conséquence, dans la clarté, maintenant et demain.
– Nous avions décidé collectivement de ne pas appeler à un soutien explicite au Nouveau Front populaire (NFP) durant la campagne, mais avons clairement exprimé notre position sur la nomination d’un Premier ministre issu de la coalition parlementaire disposant du plus grand nombre de députés.
– Au plan national, nous n’appelons pas à participer aux manifestations de ce samedi 7 septembre, à l’initiative d’organisations de jeunesse et soutenues par la France insoumise, le Parti communiste français (PCF), les Écologistes, certains syndicats, mais qui ne réunissent ni toutes les forces politiques du NFP ni toutes les organisations syndicales, et se fondent sur un appel qui ne reflète pas exactement notre position.
– Localement, certaines sections cependant pourront faire le choix de participer à des mobilisations sur la base de textes d’appel propres à la LDH et cohérents avec nos positions.
Mercredi, la justice avait demandé au chef du gouvernement de réexaminer la demande d’Anticor « dans un délai de vingt-quatre heures », sous peine de devoir verser « 1 000 euros par jour de retard à l’expiration de ce délai ».
Emmanuel Macron a nommé ce jeudi 5 septembre l’ancien ministre et commissaire européen de droite Michel Barnier comme nouveau chef du gouvernement après 60 jours de crise politique.
L’extrême droite de l’AfD obtient une victoire très nette dans des élections régionales en Thuringe, et inflige une déroute historique aux trois partis de la coalition d’Olaf Scholz. L’Allemagne est sous le choc.
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Au delà des refus d’Emmanuel Macron, un autre coup de force, bien plus grave, se déroule là où personne ne regarde. L’actuel gouvernement démissionnaire-démissionné gouverne sur le fondement d’une note de ses propres services, qui estime le gouvernement incensurable tout en lui attribuant d’importants pouvoirs de décision. Cela pourrait redéfinir le régime.
Pour François Hollande : “Ce n’était pas au Président de la République de censurer lui-même Lucie Castets”
Nathalie Tehio : « La lecture de la Constitution par Emmanuel Macron est de plus en plus autocratique »
Entretien
Le 29 Août 2024 11 min
Nathalie Tehio Présidente de la Ligue des droits de l’homme
Au nom de la « stabilité institutionnelle », le président de la République Emmanuel Macron a refusé de nommer la candidate du NFP (et chroniqueuse à Alternatives Economiques), Lucie Castets, Première ministre. Quelle est votre analyse ?
Nathalie Tehio : Emmanuel Macron se comporte comme s’il n’y avait pas eu d’élections. Il ne respecte pas le vote qui a eu lieu, le fait que les Français aient demandé une alternance. Il veut concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. C’est affolant de se dire qu’il est, par la Constitution, le garant des institutions et du respect de la Constitution. Il devrait prendre cette stature. Ce n’est pas à lui de décider s’il va ou non y avoir une motion de censure contre un gouvernement, c’est au Parlement. Cela témoigne d’une grande confusion entre ce qui relève de son pouvoir – nommer un ou une Première ministre – et ce qui relève du jeu parlementaire – censurer (ou non) le gouvernement.
La tradition républicaine, non-écrite, veut qu’on nomme Premier/Première ministre la personne désignée par la coalition ou le parti arrivé en tête, ici, Lucie Castets. C’est de fait ce qu’il y avait de plus simple pour éviter l’attente et la confusion des pouvoirs. Or plus le temps passe, plus il faut donner des réponses pour gérer le pays, mais aussi pour s’occuper des urgences. Le budget bien sûr, mais aussi la Nouvelle-Calédonie. C’est d’autant plus inquiétant que c’est Emmanuel Macron lui-même qui a choisi de dissoudre l’Assemblée nationale, avec beaucoup d’irresponsabilité, à un moment où l’extrême droite risquait d’arriver au pouvoir. Après la victoire inattendue de la coalition des partis de gauche, le président de la République a invoqué les Jeux Olympiques pour continuer comme si de rien n’était…
Nathalie Tehio a été élue en mai dernier présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH). L’organisation, fondée en 1898 au moment de l’affaire Dreyfus, a fait de la défense des droits et libertés son combat.
Alors qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas nommé de Premier/Première ministre, la présidente de l’association revient sur la séquence politique que nous traversons et ses conséquences pour l’Etat de droit et le traitement de dossiers urgents, comme celui de la Nouvelle-Calédonie, un territoire qu’elle connaît bien pour y avoir grandi.
Au nom de la « stabilité institutionnelle », le président de la République Emmanuel Macron a refusé de nommer la candidate du NFP (et chroniqueuse à Alternatives Economiques), Lucie Castets, Première ministre. Quelle est votre analyse ?
Nathalie Tehio : Emmanuel Macron se comporte comme s’il n’y avait pas eu d’élections. Il ne respecte pas le vote qui a eu lieu, le fait que les Français aient demandé une alternance. Il veut concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. C’est affolant de se dire qu’il est, par la Constitution, le garant des institutions et du respect de la Constitution. Il devrait prendre cette stature.
Ce n’est pas à lui de décider s’il va ou non y avoir une motion de censure contre un gouvernement, c’est au Parlement. Cela témoigne d’une grande confusion entre ce qui relève de son pouvoir – nommer un ou une Première ministre – et ce qui relève du jeu parlementaire – censurer (ou non) le gouvernement.
La tradition républicaine, non-écrite, veut qu’on nomme Premier/Première ministre la personne désignée par la coalition ou le parti arrivé en tête, ici, Lucie Castets. C’est de fait ce qu’il y avait de plus simple pour éviter l’attente et la confusion des pouvoirs. Or plus le temps passe, plus il faut donner des réponses pour gérer le pays, mais aussi pour s’occuper des urgences. Le budget bien sûr, mais aussi la Nouvelle-Calédonie.
C’est d’autant plus inquiétant que c’est Emmanuel Macron lui-même qui a choisi de dissoudre l’Assemblée nationale, avec beaucoup d’irresponsabilité, à un moment où l’extrême droite risquait d’arriver au pouvoir. Après la victoire inattendue de la coalition des partis de gauche, le président de la République a invoqué les Jeux Olympiques pour continuer comme si de rien n’était.
Et peut-il le faire ?
N. T. : Des décrets d’application ont été adoptés, ceux de la loi immigration notamment, juste avant l’acceptation par le Président de la démission du gouvernement Attal [le 16 juillet, NDLR]. C’est légal, mais ce gouvernement n’avait plus de légitimité. Et maintenant, au nom de l’urgence budgétaire, ce même gouvernement démissionnaire s’attèle à la préparation du budget. Or à l’issue des élections de juillet, le gouvernement a été désavoué. Même avec la droite, le camp présidentiel n’a pas de majorité relative. Il n’est donc plus légitime à continuer comme si de rien n’était.
Il y a par ailleurs des ministres démissionnaires qui siègent au Parlement puisqu’ils ont été élus députés en juillet. Ces députés ont voté pour des postes à l’Assemblée nationale. La séparation des pouvoirs n’est pas respectée. Cela entretient la confusion et habitue les Français à ce qu’il n’y ait plus de séparation des pouvoirs. C’est très grave. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle se réfèrent les statuts de la LDH, l’énonce clairement : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
La démocratie, c’est la séparation des pouvoirs et la garantie des droits. Nous sommes aujourd’hui dans un système qui n’est plus conforme à l’idée qu’on se fait d’une démocratie. Le contrat social est rompu.
Comment qualifier le moment que nous vivons ? Parleriez-vous de coup d’Etat institutionnel ?
N. T. : Je n’irais pas jusqu’à parler de coup d’Etat car je pense que nous allons finir par avoir un ou une Premiere ministre. Je dirais que la lecture qui est faite de la Constitution de 1958, déjà écrite pour permettre un pouvoir exécutif fort, est de plus en plus autocratique. En ne respectant ni l’élection ni la séparation des pouvoirs, le président de la République ne respecte pas la démocratie. Quant à la garantie des droits, il continue à mener une politique qui ne prend pas en compte les droits et les libertés. Il y a sans cesse des arrêtés d’interdiction de manifester et des atteintes aux libertés.
On a le sentiment que nombre de responsables politiques ont oublié que l’extrême droite est bien plus dangereuse que n’importe quel autre parti, notamment LFI. Qu’est-ce que cela dit de l’état de notre démocratie ?
N. T. : Nous aimerions rencontrer ces responsables politiques. A la LDH, qui a pour objet la défense des droits et libertés, notre combat contre l’extrême droite consiste à dire : ce ne sont pas des partis comme les autres. Pourquoi ? Parce qu’ils portent un projet politique dans lequel ils affirment que les droits ne sont pas pour toutes et tous. Or nous portons, nous, l’idée de l’universalité des droits.
Et lorsque les partis d’extrême droite disent « des droits qui ne sont pas pour tous », ils désignent ceux qu’ils veulent écarter en disant « les étrangers ». En réalité, ils ne visent pas les étrangers communautaires, mais aussi des Français qu’ils appellent « les Français de papier ». Ils ciblent les personnes racisées. Cela signifie que c’est un projet raciste, et xénophobe car ils parlent des étrangers.
C’est aussi un projet antisémite : même si les partis d’extrême droite le cachent aujourd’hui et se veulent philosémites, la réalité est que le Front national (FN) a été créé par des personnes SS. Il suffira de gratter un tout petit peu pour que l’antisémitisme ressorte. Récemment, la LDH a porté plainte dans différentes affaires concernant des groupuscules nazis paradant au son de « Ausländer raus » (« Les étrangers dehors ! » en allemand), une candidate aux législatives a porté une casquette nazie… tout cela est loin d’être anodin.
Pour mener à bien leur projet, les partis d’extrême droite veulent détruire l’Etat de droit. Ils veulent faire sortir la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). Selon les moments, ils souhaitent supprimer le Conseil constitutionnel, donc la possibilité de vérifier la conformité des lois non seulement à la Constitution mais aussi au bloc de constitutionnalité (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Préambule de 1946, etc.).
Mais il leur arrive aussi de vouloir conserver le Conseil constitutionnel tout en le dévitalisant : il ne pourrait plus contrôler que la conformité des lois à la Constitution de 1958 et non plus au bloc de constitutionnalité. Or les droits et libertés fondamentales ne se trouvent pas dans le texte de 1958, mais dans le bloc de constitutionnalité. Cela nous priverait de nos moyens d’action pour faire des recours devant la justice.
Je vous donne un exemple : la liberté de manifester n’est pas inscrite en tant que telle dans la Constitution mais découle, selon le Conseil constitutionnel, de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La liberté de manifester correspond à la liberté d’expression collective des idées et des opinions. Elle est aussi garantie par l’article 11 de la CESDH, qui porte sur la liberté de réunion pacifique.
A l’inverse, rejeter LFI n’a aucun sens. La France insoumise fait totalement partie de l’arc républicain, elle ne porte pas un projet raciste ni contre l’Etat de droit. Cela ne signifie pas que certains de ses responsables politiques n’ait jamais tenu de propos antisémite, ce que nous condamnons bien entendu.
En revanche, Gérald Darmanin ne respecte pas l’Etat de droit lorsqu’il s’affranchit de la CESDH en expulsant puis en refusant le retour d’un ressortissant ouzbek au mépris d’une décision de la Cour de Strasbourg. De la même façon, le préfet des Alpes-Maritimes qui, dix semaines d’affilée, prend des arrêtés d’interdiction de manifester à propos de rassemblements en soutien à Gaza, ne respecte pas l’Etat de droit. Tout cela inscrit pour la population une accoutumance au non-respect de l’Etat de droit qui est très grave.
De la même façon que le maintien de l’état d’urgence pendant deux ans a créé une accoutumance à la non-séparation des pouvoirs. Cela normalise le fait qu’on s’en remette à la volonté d’un seul homme.
Que pensez-vous de la procédure de destitution proposée par LFI contre Emmanuel Macron ?
N. T. : C’est le jeu des institutions, ce n’est pas une question de droits et libertés. Ce n’est donc pas du ressort de la LDH.
Quel regard portez-vous sur le champ médiatique ? Les médias dans leur ensemble prennent-ils la mesure de ce qui est en train de se passer ?
N. T. : Comme dans la société, il y a, dans les médias, un effet d’accoutumance : la notion de séparation des pouvoirs notamment est un peu oubliée, n’est plus considérée comme si importante. On s’habitue également au fait que l’agenda et la politique menée soient dictés par le président de la République. Les médias se font la caisse de résonance de ce que décide le Président, mais ne questionnent pas suffisamment ce qu’il décide au regard des principes et des valeurs, notamment de la séparation des pouvoirs.
Au-delà des médias en général, nous avons bien entendu une inquiétude sur le fait qu’il y a de plus en plus de médias d’extrême droite, qui se font le relais de cette pensée.
Vous avez évoqué parmi les urgences la Nouvelle-Calédonie que vous connaissez très bien pour y avoir grandi. Les rapporteurs spéciaux de l’ONU ont dressé fin août un bilan accablant de la politique d’Emmanuel Macron sur ce territoire, et accusé la France de « porter atteinte à l’intégrité de l’ensemble du processus de décolonisation ». Que préconisez-vous ?
N. T. : Pour la Nouvelle-Calédonie, l’urgence est qu’il y ait un nouveau gouvernement en France. Aujourd’hui, les choses redémarrent peu à peu. Mais 12 morts sont à déplorer et des allégations de disparations forcées et de milices armées qui patrouilleraient ont été rapportées. Il faut qu’il y ait des enquêtes pour établir si c’est vrai ou pas.
Et puis bien sûr, il faut enterrer la réforme du dégel du corps électoral et repartir dans un dialogue avec les différentes composantes du FNLKS [qui regroupe les partis indépendantistes, NDLR].
Il faut que l’Etat reprenne son rôle d’arbitre plutôt que de chercher à imposer une solution comme il l’a fait ces dernières années, et soit le moteur pour continuer le processus de décolonisation, conformément à ce que dit l’accord de Nouméa.
Il faut aussi d’urgence un soutien économique, sinon la Nouvelle-Calédonie fera faillite [Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté mercredi 28 août une résolution demandant un soutien à l’Etat de 4,2 milliards d’euros, NDLR]. Le nombre d’entreprises qui ont brûlé ou dû mettre leurs employés au chômage technique est énorme.
Et pour qu’il y ait une solution politique pacifique, il faut que le dossier soit de nouveau traité par le ou la Première ministre, et non par le ministre de l’Intérieur, comme ce fut le cas avec Gérald Darmanin. Les mots ont un sens : aller en Calédonie avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, comme l’a fait Emmanuel Macron, cela signifie qu’on ne veut pas continuer le processus de décolonisation. Il est donc vital de nommer un ou une Première ministre qui renoue les fils du dialogue dans le sens de l’accord de Nouméa.
Vous appartenez à une organisation de la société civile. Que faut-il faire pour stopper cette dérive autoritaire ? Appelez-vous à manifester le 7 septembre ?
N. T. : Nous n’avons pas encore tranché cette question. La dérive autocratique du pouvoir en place nous inquiète depuis longtemps, et nous la dénonçons. L’extrême droite ne l’a pas emporté, mais elle est plus forte que jamais. Emmanuel Macron a beau dire qu’il veut la stabilité institutionnelle, il propose de ne pas changer de politique. Or il n’a pas de majorité non plus, même relative. Qu’est-il donc en train d’espérer ? Que l’extrême droite ne bouge pas et le laisse faire ? Cela signifie mener une politique allant dans le sens de ce parti, donc d’un projet raciste, xénophobe, antisémite et discriminatoire. Si telle est sa feuille de route, c’est très grave.
« Rester combatifs » : à la veille d’une rentrée sans ministre, les profs inquiets mais mobilisés
La rentrée scolaire va se faire avec un gouvernement démissionnaire. La situation est inédite, alors que l’Éducation nationale s’est largement mobilisée l’an dernier contre la réforme du « choc des savoirs » et pour un plan d’urgence dans le 93.
Anticor saisit à nouveau la justice pour réexaminer sa demande d’agrément, Matignon renvoie au prochain gouvernement
L’association Anticor a perdu son agrément en juin 2023. Cette disposition lui permettait depuis 2015 d’intervenir dans des procédures judiciaires, dont des dossiers politico-financiers.
Suite à l’accession à un second mandat du Président Félix Tshisekedi fin décembre 2023 et malgré les promesses faites depuis le début de sa présidence en 2019, la situation des défenseur·es des droits humains et de la société civile en RDC ne cesse de se dégrader. Le rapport publié par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT), avec plusieurs organisations congolaises, dresse un état des lieux édifiant de la situation. Il recommande aussi plusieurs solutions qui permettraient à la RDC de sortir enfin de l’ornière. L’espace civique doit s’ouvrir, la protection de l’ensemble des acteur·ices de la société civile doit être garantie.
La ministre slovaque de la culture, qui assume des idées offensivement d’extrême droite, a suscité une levée de boucliers. Ses décisions sont d’autant moins anecdotiques que des élections auront bientôt lieu en Allemagne comme en Autriche. Bratislava est désormais sur la ligne pro-Kremlin de Budapest.
Les Jeux olympiques sont l’occasion d’une grande fête populaire.
Voilà qu’ils deviennent surtout le prétexte à un report sine die de la mise en place d’un gouvernement ! Le président de la République nous explique que la bonne tenue des jeux passe avant la désignation d’un-e Premier-e ministre… qui attendra donc !
Rappelons qu’il a pris la responsabilité (l’irresponsabilité !) de la dissolution de l’Assemblée nationale alors que l’extrême-droite paraissait en mesure d’avoir la majorité. L’évidence de l’approche des JO n’avait pas compté.
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