Par Rémy Dufaut

Le premier ministre, François Bayrou, avait proposé, le 15 juillet, lors de la présentation de son plan pour le budget 2026, que « deux jours fériés soient supprimés pour tout le pays ». Il avait cité le lundi de Pâques et le 8-Mai, tout en se disant « prêt à accepter d’autres idées ». La mesure rapporterait, selon lui, « plusieurs milliards » au budget de l’Etat.
Dans les pages d’Alternatives Economiques, Christian Chavagneux remarque que lors de son intervention du 15 juillet dernier, le premier ministre François Bayrou a très largement et de manière excessive dramatisé la situation de la dette publique française. Aussi est-il intéressant de prendre un peu de recul historique. Un exercice d’autant plus réalisable aujourd’hui que trois économistes, Juliette de Pierrebourg, Eric Monnet et Clara Leonard, viennent de publier de nouvelles données sur le sujet. Ils démontrent clairement qu’actuellement, le service de la dette est historiquement bas.
« La dette publique française est actuellement très loin des niveaux records atteints dans le passé. Elle a dépassé 300 % du PIB pendant la première moitié du XXe siècle, lors des deux guerres mondiales. Depuis 1815, la dette publique a augmenté pour répondre à des chocs ou des besoins de financement exceptionnels, comme ceux que l’on connaît aujourd’hui. »
François Bayrou ne serait-il pas en train de nous mener en bateau ?
Dans un document d’orientation dévoilé dimanche par le quotidien Les Echos, le gouvernement a dit envisager « d’éventuelles spécificités » pour l’Alsace, la Moselle et Saint-Pierre-et-Miquelon, où la loi du 9 décembre 1905 séparant les Eglises et l’Etat ne s’applique pas. Tiens donc !
Car une dispense de peine serait effectivement accordée aux territoires d’outre-mer qui pourraient ainsi conserver un nombre de jours fériés au-dessus de la barre des dix. Pour commémorer l’abolition de l’esclavage dans ces départements, le jour de l’abolition, le 27 avril, y est effectivement férié et le demeurerait. Par ailleurs, l’exercice des cultes y est encadré par les décrets « Mandel », où des missions religieuses assurent l’exercice du culte, gèrent leurs biens cultuels et rémunèrent leurs ministres du culte. Et notre Premier Ministre ne tient pas à voir se réactiver les émeutes de 2024.
De leur côté, l’Alsace et la Moselle, qui ont subi l’occupation allemande à diverses reprises, seraient donc exemptées de perdre le jour férié du 8-Mai, ce jour de 1945 marquant la fin de Seconde Guerre mondiale en Europe ».
En ce qui concerne le Lundi de Pâques, coutume ancienne faisant de celui-ci un jour férié, perpétuant la décision de l’empereur Constantin, premier empereur chrétien, de décréter non travaillés les 8 jours suivant celui de Pâques. Cette « octave » fut réduite au cours du temps à une seule journée, pour permettre aux travailleurs des champs en particulier de se remettre des agapes de la veille.
Ceci, en vertu du Concordat, dont on se demande bien encore les raisons de la persistance.
Le Concordat, qu’est-ce ?
Le Concordat est un arrangement conclu en 1801 entre Napoléon Bonaparte, alors Premier consul et la pape Pie XII « pour organiser le culte en France. La religion catholique y est définie comme la religion de la grande majorité des français ». Les cultes protestant et juif sont tolérés, mais sont régis par des textes à part. Le Concordat implique un financement de l’Église par l’État (salaires des ministres, financement des lieux de culte), ainsi qu’un enseignement religieux à l’école. On peut le considérer comme une forme de mise sous tutelle de la religion catholique, qui permet à l’État de nommer les évêques, les ministres des cultes et de les rémunérer. La religion catholique devient une forme de service public.
Abrogé en 1905 par la loi de séparation des Églises et de l’État, le Concordat subsiste cependant en Alsace et en Moselle qui étaient en 1905 sous domination allemande.
L’Alsace-Moselle a en effet vu ses territoires annexés par l’Allemagne en 1870. De retour en France en 1918 après la Première guerre mondiale (puis de nouveau annexée et rendue à la France en 1945), l’Alsace et la Moselle ont conservé le régime concordataire en vigueur avant 1905, tout comme le droit local allemand hérité de la période d’occupation de 1871 à 1918.
En contradiction avec les principes de 1905, le Concordat autorise la rémunération des ministres des cultes (prêtres, évêques, pasteurs et rabbins) et le financement des lieux de culte par l’État. Le droit local allemand permet quant à lui l’enseignement religieux à l’école publique ainsi que des cursus de théologie protestante et catholique dans les universités de Metz et Strasbourg. »
Le statut particulier de l’Alsace-Moselle permet la construction libre de lieux de culte pour les religions «non concordataires» (islam, bouddhisme, judaïsme libéral, etc.). Et les associations cultuelles peuvent bénéficier de soutiens financiers directs, comme ce fut le cas en 2002 pour la Grande Mosquée de Strasbourg.
L’édification de celle-ci a connu beaucoup de déboires mais elle a finalement pu être inaugurée en 2012.
Elle ne fut pas la seule, parmi les 15 mosquées de Strasbourg, à faire l’objet de controverses. Le 22 mars 2021, la municipalité de la capitale alsacienne votait une subvention de 2,5 millions d’euros pour la nouvelle mosquée Eyyub Sultan, alors en cours de construction. Un bras de fer s’engagea entre la ville et l’Etat, qui tourna court. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur et responsable du Bureau central des cultes et du Bureau des cultes du Bas-Rhin et Haut-Rhin accusant la Turquie d’« ingérence étrangère » et la maire EELV de Strasbourg, Jeanne Barseghian, de subventionner « une mosquée soutenue par une fédération qui défend l’islam politique ». Il poussa l’association mandataire Le Millî Görüs à retirer sa demande de subvention.
L’affaire fit alors ressurgir la question du Concordat en Alsace-Moselle. Selon un sondage du 7 avril 2021, 52% des Alsaciens-Mosellans étaient favorables à son abrogation.
Le coût du Concordat
Le coût en était estimé à 547 millions d’euros chaque année, essentiellement consacrés à la rémunération des 1 214 emplois religieux, dont 3 sur 4 au sein de l’Eglise catholique.
Une étude de l’IFOP révélait que 83% des Français jugeaient anormal un tel système qui leur faisait financer un droit qui ne s’applique qu’en Alsace-Moselle. « Un véritable désaveu pour ce compromis centenaire ».
C’est dans ce contexte que le Sénat examinait le projet de loi sur le séparatisme. Les sénateurs du groupe communiste (CRCE) en profitaient pour défendre un amendement qui visait à abroger le Concordat.
L’attachement des Alsaciens-Mosellans à leur statut spécifique, essentiellement porté par les élus de droite mais également de gauche, en réplique à l’activisme forcené de Darmanin limitait le mouvement à une simple réflexion qui n’eut d’autre effet que de maintenir le statu-quo.
Les législatives de 2022 ouvrirent la porte à toutes sortes de raccourcis et d’intox autour du thème de la laïcité, dont la question du Concordat ne pouvait être écartée. Une confusion générale ne manqua pas d’apparaître, favorisée par les contradictions de l’Etat lui-même, avec déjà une remise en cause du nombre de jours fériés et des horaires de travail des agents de la Collectivité européenne d’Alsace.
A tel point que le gouvernement ayant plus que tardé à renouveler la commission du droit local, qui après cinq ans d’existence s’était éteinte automatiquement en 2019, la Collectivité d’Alsace tentait, avec le département de la Moselle, de se substituer à cette composition en créant une instance parallèle, avec un « Conseil représentatif du droit local » dans ce qu’elle estimait être « un contexte de remise en cause régulière ». Avec un rôle plus politique, ce conseil prévoyait justement des parlementaires, mais aussi des représentants des chasseurs, des cultes, des notaires, ou des artisans. En quelque sorte, une nouvelle usine à gaz.
Celles de 2024 virent un partage des 9 circonscriptions du Bas-Rhin (67) entre l’union de la gauche (3) et la majorité présidentielle (4) en ville, entre la droite (1) et l’extrême-droite (1) dans les zones rurales.
Dans le Haut-Rhin (68), la majorité présidentielle obtint 5 circonscriptions et la droite 1.
En Moselle (57), la majorité présidentielle obtint 4 circonscriptions, la droite 1, l’extrême-droite 3 (dont 2 élus au 1er tour).
Cette question du Concordat ne serait-elle pas pour quelque chose dans la diversité des résultats ainsi que dans les scores piteux de la droite et la montée de l’extrême-droite en Moselle ? Il semble bien, dans tous les cas, qu’elle divise les opinions….
Abroger le concordat ?
L’église s’y attache comme une moule à son rocher, arguant que le désir d’abrogation émane de la France Insoumise : « malgré les tentatives récurrentes d’élus de gauche, le Concordat est devenu un élément identitaire de la culture locale – surtout en Alsace – et l’imposition de la laïcité est perçue comme un relent de jacobinisme. » « C’est uniquement le clientélisme de certains élus de gauche à destination de l’islam et le parallèle qu’eux-mêmes dressent avec le Concordat qui sème le trouble dans les esprits. »
Elle avertit son pieux et conservateur lectorat que l’Islam est en embuscade : « Mais leurs scrupules républicains s’évanouissent bien vite dès lors qu’il s’agit de servir les intérêts de leurs électeurs, dont beaucoup appartiennent à l’islam. »
La laïcité a encore du chemin à faire pour garantir effectivement la neutralité de l’Etat, l’égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction.
La Collectivité européenne d’Alsace (CEA, fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin) s’est élevée, lundi 11 août, contre la perspective d’une suppression des jours fériés spécifiques à l’ancienne région, assurant que « le droit local n’est pas négociable ».
Les Alsaciens et les Mosellans vont pouvoir célébrer entre eux comme il se doit la Saint Etienne (26 décembre) et le vendredi saint quand les autres français contribueront ces jours-là, ainsi que le 8 mai et le lundi de Pâques, au remboursement de la dette, si cher à François Bayrou…
La dette
Mais qu’a donc à se reprocher François Bayrou pour céder aussi facilement aux sirènes du clergé et de tout ce qui peut exister de plus traditionnaliste, conservateur et réactionnaire dans notre pays ?
« La notion de dette, par-delà ses dimensions économiques ou morales, prend une profondeur particulière en psychanalyse. Elle révèle des dynamiques inconscientes, des liens intersubjectifs et des processus de subjectivation. »( « La dette » – Psychanalyse & Psychose #25)
« En psychanalyse, la notion de subjectivation s’est d’abord imposée en creux, pour rendre compte de formes de souffrance singulières, liées aux difficultés de construction d’un espace psychique différencié. »(F. Richard : La subjectivation: enjeux théoriques et cliniques in François Richard, Steven Wainrib, Raymond Cahn, André Carel, Catherine Chabert et al, La subjectivation, Dunod, 2006)
La langue allemande désigne à la fois la dette et la culpabilité par le même terme: « Shuld ». Dans L’Homme aux rats, Freud démontre le lien entre les deux en décrivant l’analyse d’un homme obsessionnel. Le rat est son refoulé, son enfer quotidien, qui agglutine le plaisir à la souffrance, le châtiment à la jouissance. (Sigmund Freud, L’Homme aux rats, Journal d’une analyse, PUF, 1996)
Il serait intéressant d’approfondir l’étude de ces dynamiques inconscientes, ces liens intersubjectifs et ces processus de subjectivation chez François Bayrou à qui on reproche, dans « l’affaire Bétharram» de « n’avoir pas eu un mot » pour les victimes avant d’y être acculé, le mardi 11 février, par la question d’un député à laquelle il a répondu avec une « légèreté inacceptable », sans prononcer le mot « victimes », d’avoir menti devant la représentation nationale, le 14 mai 2025, après avoir assuré dans l’Hémicycle du Palais Bourbon n’avoir «jamais été informé» des faits reprochés à l’établissement et ayant affirmé sous serment n’être jamais intervenu dans l’affaire qui visait le père Carricart, ancien directeur de l’établissement, accusé de viol sur mineur. Il a pourtant été formellement démenti par la professeure Françoise Gullung, première lanceuse d’alerte, et le gendarme Alain Hontangs, qu’il a accusés de « témoignage fallacieux » et « d’affabuler.
Mieux que la confession, la psychanalyse peut sans doute expliquer bien des choses…
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